Qui veut de bonnes universités ne se limite pas à une nationalité

Une prise de position importante des Académies suisses des Sciences, qui s'expriment ici avec le Fonds National Suisse, les rectrices et les recteurs ainsi que les présidents et présidentes des hautes écoles suisses, sur ce qui est sans doute l'enjeu le plus important des votations prochaines: l'initiative sur l'immigration. Nous sommes très fiers en Suisse, et à juste titre, d'avoir une science qui se situe à la pointe mondiale. Par rapport au nombre d'habitants, la Suisse totalise plus de prix Nobel que n'importe quel autre pays, nous sommes un des pays où l'innovation innove le plus, et notre place scientifique nous est enviée.

Malgré l'image en forme de boutade qui ouvre ce billet, cette concentration d'excellence n'est sans doute pas due (c'est peut-être dommage) à notre consommation de chocolat. Elle est due, bien sûr, à un grand nombre de facteurs. Parmi eux, cependant, il y a la possibilité d'attirer dans nos Universités, nos Hautes écoles, nos laboratoires, les meilleurs chercheurs quelles que soient leurs nationalités. Ils amènent leur intelligence, mais aussi leurs réseaux, les chercheurs nés en Suisse en bénéficient comme étudiant d'abord, puis en allant à leur tour à l'étranger plus facilement grâce à des liens ainsi tissés, pour revenir contribuer à leur tour de retour au pays.

Pas étonnant, donc, que les représentants de la place scientifique suisse prennent ici position. Même si la science n'est 'que' l'un des secteurs parmi tant d'autres qui seraient tout aussi durement touchés, c'est un secteur où notre pays sort jusqu'ici du lot, et n'en sortirait plus à la suite d'un 'oui'. Voici donc un extrait et le lien:

"La libre-circulation des personnes avec l’Union européenne (UE) est à ce titre la voie royale pour maintenir l’excellence de la formation et de la recherche.
1. La libre-circulation facilite le recrutement de personnel scientifique hautement qualifié.
2. La libre-circulation permet aux étudiantes et étudiants suisses, mais aussi aux chercheuses et
chercheurs, de se perfectionner en Europe sans complication.
3. La libre-circulation est la condition préalable aux accords bilatéraux avec l’UE sur la formation et la recherche, qui ont fait leurs preuves."


Limiter l'immigration en la plafonnant, cela impliquerait en effet plusieurs conséquences. D'abord,  un plafond quand on l'atteint on s'arrête. Donc si la personne suivante aurait apporté une contribution, peut-être même immense, on s'en prive avec pour seule raison sa place dans la liste d'arrivée. Ensuite, fixer des plafonds implique de négocier un secteur contre un autre. Alors bon, la science est importante certe, mais vous comprendrez qu'il faille renoncer au chercheur de génie alors que l'on manque cruellement d'infirmières dans certains secteurs, ou qu'il manque la main d'oeuvre pour construire des logements...mais non attendez, justement on aura cette année une infirmière de moins dans vos soins intensifs car il y a eu un couple de plus, une femme étrangère qu'un Suisse a voulu épouser. Comment ça elle ne comptera pas? Qui vous le dit? Ce n'est en tout cas pas précisé dans l'initiative, qui précise au contraire que "Les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées en vertu du droit des étrangers". Et bien sûr le droit du conjoint d'un Suisse à séjourner en Suisse est réglé par ce droit. Peut-être faudra-t-il au contraire attendre pour se marier que les hôpitaux aient fini de recruter, le bâtiment d'embaucher...et l'on aura même pas abordé ici la question du droit d'asile.

Très franchement, on a du mal à se l'imaginer concrètement. Mais alors c'est qu'il ne faut pas l'accepter. Tout simplement. Et heureusement, il semblerait bien que l'on s'en rende compte.

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Mes collègues...

On change de sujet: très bel interview d'Alex Mauron hier matin dans la Tribune de Genève, sur la progression du nombre de membres d'EXIT. Un phénomène spécifiquement helvétique, ce succès d'associations d'aide au suicide. Nous sommes le seul pays au monde où l'assistance au suicide non médicalisée est légale, et où l'on fait confiance à des entités associatives pour cette ... tâche? activité? responsabilité? On hésite. Nos hésitations sont parfois problématiques: la Cour Européenne vient de nous le rappeler. Mais elles sont aussi très intéressantes.  Dans la mesure où le nombre de membres des associations d'aide au suicide grandit, nos hésitations deviennent aussi plus visibles, peut-être plus pressantes. Un extrait:


"Il serait préférable pour tout le monde que l'on ait une grille de lecture claire. Il faut accepter que ces actes font partie de la réalité sociale suisse. Actuellement, le rôle du médecin reste à ce point flou que cela empêche toute discussion. En Suisse, on se cache derrière une certaine informa- lité, un pragmatisme Tout cela a ses limi- tes et nous les avons atteintes. Surtout si l'assistance au suicide est toujours plus fréquente et se pratique dans de nou- veaux cas comme les polypathologies invalidantes sans maladie mortelle."


Allez le lire, et ensuite dites-nous ce que vous en pensez dans les commentaires...

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Mes étudiants: Avorter peu, et en sécurité (3)

Il n'y a pas que mes collègues qui sont bien: mes étudiants aussi! L'un d'entre eux m'a posé récemment une série de questions qui méritent un public plus large. Comme vous allez voir, il n'est pas d'accord avec moi. Je tiens donc à préciser que je suis heureuse et fière quand mes étudiants posent de bonnes questions, et que cela vaut parfois encore plus quand ils ne sont pas d'accord avec ce que j'ai dit. Nos débats publiques sont fait de désaccords, et un de nos buts dans l'enseignement est de former des participants intelligents, quelles que soient ensuite leurs positions.

Maintenant, ses questions. La première est en lien avec le fait de payer pour d'autres alors qu'on n'est pas d'accord avec eux. Je vous en avais déjà parlé.

Sa question: "Vous présentez le remboursement de l'avortement comme une responsabilité collective, un acte nécessaire pour le bien de la société. Pourtant certaines personnes considèrent cet acte comme un meurtre. Pensez vous juste que certaines personnes soit obligé de cotiser pour ce qu'ils considèrent comme un crime?"

Il a tout à fait raison que certaines personnes considèrent l'avortement comme un meurtre. Et si l'on pense cela, alors il est évident qu'il ne faut pas le faciliter. Et il peut sembler que le rembourser, c'est le faciliter. Il est cela dit tout aussi évident que si l'on pense que l'avortement est un meurtre, alors il ne faut pas non plus l'autoriser. En d'autres termes si c'est cela que l'on pense alors cette initiative n'est pas la bonne réponse. Premièrement, elle continue de cautionner l'interruption de grossesse en ne la criminalisant pas. Deuxièmement, toujours de ce point de vue, elle met en effet les 'coupables' face à une certaine responsabilité puisqu'il y a de l'argent à payer, mais de manière complètement inégale. Les sommes en question sont très faciles pour les unes, et impossible pour les autres. En plus...où sont passés les hommes? Au-dessus des lois, pour le coup. De celle-ci, en tout cas. Une bien étrange punition, qui ne frapperait que les plus défavorisées.

A nouveau, donc, il y a ici une question qui dépasse largement l'interruption de grossesse. Il s'agit, sur le principe, d'une question d'égalité devant le droit. Ni plus ni moins.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles même les représentants des églises ne soutiennent pas cette initiative pour sortir l'interruption de grossesse de la prise en charge collective. La conférence des évèques de Suisse n'a pas pris position sur ce texte, et aurait 'mis en doute la pertinence du texte soumis au peuple'. Vous trouverez également ici, ici, ici et ici une série de commentaires contre l'intiative d'un point de vue très explicitement catholique.

La fédération des Églises protestantes de Suisse, elle, s'est clairement prononcée contre l'initiative.

Ces positions sont touchantes à plus d'un titre. D'abord, elles ont dû donner lieu à de vraies difficultés. Penser que l'avortement est un crime et ne pas vouloir soutenir une initiative qui l'excluerait du remboursement n'est pas anodin. Mais du coup ces positions font preuve d'une grande honnêteté. On voit bien que, pour les églises, il serait difficile de défendre une position qui voudrait que l'avortement soit interdit, mais alors seulement pour les plus faibles et les plus humbles d'entre nous...

Un autre point crucial est que finalement tout le monde semble d'accord qu'il est important de voir diminuer le nombre d'avortements. Malgré une expression trop fréquente, donc, personne n'est réellement pour l'avortement. Les personnes décrites ainsi sont habituellement pour l'accès à un avortement dans des conditions de sécurité. Ces personnes sont aussi pour le droit des femmes à la sécurité et à la propriété de leur propre corps. Mais personne ne pousserait des cris de joie à voir le nombre d'avortements augmenter. Si tout le monde est d'accord sur ce point, cela dit, alors la question devient: qu'est-ce qui marche? Et il semble qu'en Suisse, notre système actuel marche en fait plutôt bien. Tranquillement, tenacement, les interruptions de grossesse tendent à diminuer. Si cette évolution se fait au prix d'un remboursement solidaire, alors c'est peut-être que c'est cela qui marche. Et cela, toutes les personnes qui se réjouissent de cette diminution devraient pouvoir le soutenir...solidairement. 

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Mes collègues: avorter peu, et en sécurité (2)

Ils sont décidément bien, mes collègues. Cette fois, c'est un interview à la radio par le théologien Denis Müller. Il y dit plusieurs choses importantes. Une d'entre elles est que dérembourser l'avortement défavoriserait...les femmes défavorisées.

C'est une réalité très concrète. Interrompre une grossesse coûte, d'après les estimations disponibles, entre 500.- et 3000.-. Une somme qu'un grand nombre de personnes peuvent se permettre si elles l'estiment vraiment important. Ces personnes pourraient être tentées de penser que, du coup, ce n'est pas si grave si l'assurance ne payait plus. Mais il se trouve que l'Office fédérale de la statistique a posé récemment à la population suisse une question qui concerne justement cela. "Si vous deviez faire face à une dépense inattendue" nous a-t-on demandé (j'étais parmi les foyers questionnés) "pourriez-vous le faire?" et il était précisé, car on ne peut pas vraiment répondre sans cette précision, qu'il s'agissait d'une dépense de deux à trois mille francs. A peu près le coût, donc, d'une interruption de grossesse. Les résultats? 17% de la population a répondu que non. Parmi ces personnes, 18% des femmes et 16% des hommes. Pas une grande différence peut-être, mais elle est bel et bien là. Parmi les personnes n'ayant complété que la scolarité obligatoire, ce chiffre monte à 30%, parmi les personnes au chômage à 51%.  Les personnes vivant seules de moins de 65 ans (au-dessus, les grossesses sont rares): 23%. Les familles monoparentales: 48%. Les couples avec enfants font mieux, mais ce n'est pas rose non plus: entre 15 et 20% ne peuvent pas faire face à une dépense inattendue de ce montant, cela varie selon le nombre d'enfants. Les personnes qui ont répondu non sont aussi plus nombreuses en Suisse romande (26%) et en Suisse italienne (25%) qu'en Suisse allémanique (13%). Impressionnant, comme au travers de cet indicateur on voit se dessiner les fragilités de notre société.

Que déduire de ces chiffres? D'abord, que Denis Müller a raison: dérembourser l'avortement défavoriserait les femmes défavorisées. Elle sont finalement une part substantielle de la population, mais le fait qu'elles soient néanmoins minoritaires les fragilise également ici face au vote à la majorité qui est la règle du scrutin populaire.

Ensuite, il a encore raison lorsqu'il parle ici de solidarité. Garder l'interruption volontaire de grossesse dans les prestations de la LAMal, c'est accepter de protéger, collectivement, ces femmes défavorisées contre les risques liés aux avortements clandestins, non médicalisés, dangereux. Il y a là des risques véritables, vérifiés historiquement et encore aujourd'hui dans les pays où l'avortement en sécurité n'est pas accessible. Ces risques, il est juste que nous payons collectivement pour les écarter. Il est juste que nous payons tous: les hommes aussi, ainsi que les femmes qui pourraient au besoin se payer une interruption de grossesse elles-mêmes, ou qui choisiraient personnellement de ne pas y avoir recours. 


Cette prise en charge collective est juste, comme l'est toute une série d'autres prises en charges collectives pour des choses que nous n'utilisons pas tous, et qui parfois ne font pas consensus non plus. Les personnes sans voiture co-financent les autoroutes, les personnes sans enfants les subsides des crèches. Les membres convaincus du Groupe pour une Suisse sans armée co-financent comme tout le monde l'armée, les cyclistes militants participent au financement du réseau routier.  Il est juste qu'il en soit ainsi: nous sommes une collectivité. Il y a ici un enjeu politique dont l'importance dépasse largement la seule interruption de grossesse.

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Vos favoris de 2013

C'est de nouveau le moment de vous faire un best of. Comme les années précédentes, je me base sur la fréquence de vos visites pour vous en faire la liste.

Voici donc, dans l'ordre inverse comme il se doit, les 10 pages les plus lues de 2013:

10) Les cellules souches et le marché de l'espoir (un billet d'invité d'Alex Mauron)

9) Suicides au sommet (un autre des billets d'invités d'Alex Mauron. Je vous les remets tous en lien ici, du coup: profitez de les relire au passage)

8) Avorter peu et en sécurité (1 sans doute)...et là je suis impressionnée car un billet doit être très très lu pour se trouver dans le top ten de l'année alors qu'il a été écrit mi-décembre!

7) Assistance au suicide sans certitude diagnostique

6) Cas à commenter: un arrêt qui pourrait faire date

5) Le secret médical en péril

4) Manger de la viande

3) Mes collègues... (un de plusieurs billets intitulés ainsi)

2) Les mots de la science  (et bien sûr je suis toujours contente qu'un des billets de culture scientifique se retrouve dans cette liste de fin d'année)

1) Coûts de la santé: de quoi parle-t-on? (Allez, entre nous soyons humbles: c'est pour l'image, avouez!)


Mais attendez: à nouveau, celles-là c'est les pages les plus lues écrites en 2013. Parmi celles qui ont été écrites avant, six restent dans le top ten des visites. Fugace, la blogosphère? En tout cas les voilà, certaines pour la 4e année consécutive:


6) Euthanasie? (Le début de l'histoire de Daphné Berner, dont la suite se trouve ici)

5) Faites-moi confiance... (une belle image, et un sujet dont on va certainement reparler)

4) On reparle d'avortement (il a grimpé depuis l'an dernier, peut-être pas étonnant puisque justement on en reparle...)

3) Don d'organes: comparons les campagnes (merci désormais annuel au commentateur qui m'a soufflé de faire cette comparaison)

2) Un très très bon anniversaire (pour l'écriture chinoise sans doute, mais quand même quel bel événement...)

1) Diagnostic préimplantatoire (décidément indéracinable...)

Et surtout, merci à vous tous! Bonne (re)lecture, et bonne année 2014 à tous.

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