Secret professionnel en prison: l'Académie Suisse des Sciences Médicales et la FMH

Les prises de position se poursuivent. Ici, l'Académie Suisse des Sciences Médicales et la FMH. L'extrait le plus important, avec le lien derrière:

Soutenir qu’un assouplissement du secret médical – pour les délinquants dans un premier temps – permettra de mieux protéger la population contre des individus dangereux est une illusion. En effet, la relation de confiance entre le médecin et son patient, qui revêt une importance décisive dans la réussite du traitement, ne peut être garantie que si le secret médical est mainte-nu. Or l’efficacité du traitement est essentielle pour la sécurité sachant que la plupart des détenus finiront par être remis en liberté. Affaiblir le secret médical pourrait donc s’avérer dangereux: si un condamné ne se confie pas à son thérapeute, le médecin ne sera en mesure ni de le traiter ni d'ailleurs d’évaluer sa dangerosité.

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Encore le secret professionnel en prison

Je vous avais déjà parlé du secret professionnel en prison (ici, ici et ici) mais cette fois j'ai fait un éditorial dans le Bulletin des Médecins Suisses. Le lien est ici, et je vous remets le texte en intégrale. N'hésitez pas à dire ce que vous pensez dans les commentaires!


L’évaluation de la dangerosité des détenus émeut la Suisse romande, qui a connu deux tragédies avec les meurtres de Marie, tuée par un détenu aux arrêts domiciliaires avec lequel elle entretenait une relation, et d’Adeline, une sociothérapeute qui accompagnait en sortie autorisée un détenu qui l’a tuée pour prendre la fuite. Devant l’indignation suscitée par ces affaires, les élus cherchent des solutions pour limiter les risques futurs. Une tâche exigeante, dont tous reconnaissent l’importance.

Malheureusement, la solution proposée n’est pas à la hauteur. Sur recommandation de la Conférence latine des chefs des départements de justice et police, Genève, Vaud, et le Valais proposent de soumettre les professionnels de la santé à une obligation de transmettre les informations considérées comme pertinentes pour l’évaluation de la dangerosité d’un détenu. Cette évaluation est difficile. Même si le secret professionnel n’a jamais été mis en cause lors des audits qui ont suivi les deux affaires, on peut comprendre ces tentatives d’avoir plus d’information pour faire mieux.

Cette ‘solution’ repose pourtant sur de profonds malentendus. Le secret professionnel sert à protéger le droit à la sphère privée du patient. Il est donc présenté ici comme en tension avec la protection des victimes potentielles. Mais ces victimes sont en fait elles aussi protégées par le respect du secret professionnel en prison. La confidentialité est un outil de la médecine, aussi indispensable qu’un stéthoscope ou un bistouri. La limiter limite la possibilité même de la thérapie. Imaginez que votre médecin divulgue ce que vous lui confieriez. Vous lui confieriez nettement moins. Vous pourrez certes encore vous ‘laisser soigner’, mais dans une psychothérapie cela reviendrait à rester passif et en limiterait fortement l’efficacité.

Dans les cas concernés, limiter la possibilité de la thérapie ne limite pas seulement l’accès aux soins des détenus. Ce serait déjà grave, car une sentence de prison n’est pas censée inclure un déni de médecine. Mais ici la thérapie sert aussi à la protection des victimes. Le code pénal prévoit des mesures thérapeutiques précisément parce que l’on compte sur elles pour diminuer la dangerosité. Ordonner des mesures thérapeutiques tout en limitant le secret professionnel, c’est vouloir le beurre et l’argent du beurre.

Il faut comprendre aussi que l’information concernée n’aurait pas de limites claires. Les médecins ont déjà la responsabilité de divulguer les informations nécessaires pour protéger des tiers, directement dans l’urgence ou en se faisant délier du secret dans les autres cas. L’obligation considérée ici vise à avoir plus d’information, mais évaluer la dangerosité restera difficile, même avec toute l’information. En aurait-on déjà davantage ainsi ? Il faudrait que les détenus se confient comme avant à leurs thérapeutes alors que tout ce qu’ils diraient pourrait être retenu contre eux.

Soumettre les professionnels de la santé à cette nouvelle obligation d’information serait donc contraire non seulement aux droits des détenus mais aussi à la protection des victimes. Cela n’améliorerait pas l’évaluation de la dangerosité. Cela contraindrait les médecins à traiter ces détenus, entre autres pour protéger la population, sans avoir les moyens d’être efficaces : un rôle d’alibi qu’on les imagine mal accepter sans autres. Cette mesure sacrifierait leur rôle de thérapeutes pour en faire des experts, sans leur en donner ni la formation ni les moyens et alors que des experts formés existent déjà. Ceux qui élevent la voix pour s’y opposer ont donc raison (3, 4); espérons que d’autres comprennent à quel point.

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Ils nous embêtent, EXIT...

L'assistance au suicide revient dans les media avec les changements de statut d'EXIT. Désormais, l'association allémanique veut s'engager politiquement pour rendre possible l'assistance au suicide sur demande d'une personne âgée sans un avis médical certifiant qu'elle souffre d'une maladie. La branche romande avait en fait précédé la branche allémanique il y a quelques mois, en modifiant ses conditions qui admettent désormais (corrigez-moi si je me trompe ici) que l'assistance au suicide soit possible chez les personnes atteintes de "polypathologies invalidantes liées à l'âge".

C'est une question importante et difficile qui s'ouvre ici. Je suis intervenue à la RSR hier matin, mais comme souvent on songe après-coup à des choses plus importantes qu'il aurait fallu dire.

Tout d'abord, il faut en fait comprendre que ce sont des choses assez différentes qui se jouent des deux côtés de la Sarine. EXIT Suisse allémanique prévoit d'étendre ses activités militantes, EXIT Suisse romande a étendu ses indications pour considérer l'assistance au suicide comme acceptable. Sa pratique, donc. EXIT Suisse allémanique veut étendre la discussion à la possibilité pour une personne non malade, mais souffrant 'des infirmités de l'âge', ou qui considérerait que sa biographie s'achève, d'obtenir une assistance au suicide. On est dans le cas de figure de la 'fatigue de vivre'. EXIT Suisse romande continue de demander la présence de pathologies, même s'il ne sera plus nécessaire qu'une d'entre elles soit seule en cause dans la souffrance qui motive la demande de mourir. On est dans le cas de figure de la 'fatigue de souffrir'.

Mais c'est vrai qu'il y a un point commun: on repousse les limites de l'assistance au suicide. Pas les limites légales, car tout ce qui est proposé ici est légal en Suisse. Les limites de la pratique, cependant, bougent ici de manière nette. Et c'est ici qu'est l'enjeu le plus important. Pour mieux le comprendre, un petit exercice d'imagination. Commencez par songer à une personne atteinte d'une maladie terminale, qui souffre d'un mal physique: tous s'accordent à dire que si c'est cela qui motive la demande d'assistance au suicide, alors il faut d'abord songer à des alternatives pouvant rendre la vie plus supportable. Ici, c'est la médecine et souvent plus spécifiquement les soins palliatifs qui sont conviés. On se dit que devant la souffrance due à une maladie, la médecine doit disposer d'alternatives à offrir aux personnes atteintes. Et la médecine offre effectivement des alternatives, qui effectivement sont acceptables pour un grand nombre de personnes et souvent vont faire disparaitre la demande d'aide pour mourir. Elles ne marchent pas toujours, elles ne sont pas acceptables pour tout le monde, mais cela ne les empêche pas d'être des alternatives sérieuses, efficaces, et préférées par un grand nombre de personnes. Il est heureux qu'elles existent, et nous devons continuer d'en encourager le développement. Dans ces cas de maladie, la réponse à la souffrance est ainsi en quelques sortes déléguée à la médecine.

Maintenant, imaginez une autre personne, chez laquelle la souffrance n'est pas due une seule maladie identifiable. Imaginez une personne très âgée, qui perd progressivement la vue et l'ouïe et dont les atteintes articulaires limitent de plus en plus sa capacité à sortir de chez elle. Elle est de plus en plus solitaire. Les enfants adultes, ça déménage si loin ces temps. Leur père est mort il y a des années. Ses amis, elle en a perdu un nombre impressionnant ces derniers années, comme cela arrive de plus en plus souvent quand on atteint son âge. Les autres sont souvent comme elle: limités, il leur est difficile de venir la voir ou même de lui parler au téléphone. Elle demande une assistance au suicide car, prises toutes ensemble, ses souffrances lui paraissent insupportables. D'autres dans sa situation n'y songent pas, ou se font une raison, mais elle, non, elle ne veut pas. 


Que va-t-on faire? Accepter? La renvoyer? Chercher des alternatives? Mais ici, les souffrances dont il s'agit, qui va être en mesure de tenter d'y pallier autrement? Certainement pas la médecine à elle seule. Ici, donc, point de possibilité de déléguer ça. Mais alors qui? Ou plutôt: qui sinon nous tous? Face à l'élargissement des critères d'EXIT, certains s'indignent et évoquent le risque que des personnes âgées se sentent 'poussées vers la sortie' par le sentiment d'inutilité qui parfois les envahit. Il y a une part importante de vrai là dedans: les personnes qui vivent une situation comme celle que je vous décris ici se sentent souvent véritablement inutiles, détachés de tout lien, et peuvent vouloir mourir pour cette raison. Oui, on comprend qu'ici on s'indigne. Mais on s'indigne contre quoi, exactement? Evidemment, si ce que nous pouvons faire de mieux pour nos aînés lorsque leur fonctionnement devient très limité est de les laisser sans amis, sans famille, et sans rien qui leur semble suffisant pour se lever le matin, alors il y a véritablement un problème. Mais le problème est-il alors vraiment de les autoriser à choisir la mort? Le problème n'est-il pas plutôt de ne pas leur avoir offert d'alternatives acceptables? Peut-on vraiment leur dire les yeux dans les yeux que pour leur protection on les condamne soit à poursuivre cette existence dont ils ne veulent plus, soit à trouver les moyens de se suicider tout seul, une fois de plus tout seul?

Alors vous voyez, EXIT, ici, nous embête. Ils jettent les feux des projecteurs sur une de ces réalités sociales que nous préférons ne pas voir. On les décrit comme intrusifs, c'est vrai: ils nous obligent à penser au sort de personnes dont beaucoup préfèreraient oublier l'existence. La souffrance à laquelle ils tentent de répondre, cependant, ils ne l'ont ni inventée ni causée...

A cette 'intrusion', certains réagiront sans doute en appelant de leurs voeux une plus grande restriction légale de l'assistance au suicide. Ce serait faire fausse route. Bien sûr, il y a là un vrai débat. Si notre discussion ne porte que sur cette question, cependant, quelle occasion manquée! Imaginez-vous que, au lieu de faire ça, nous saisissions cette occasion pour tenter sérieusement d'améliorer le sort des personnes souffrant de 'polymorbidités liées à l'âge'. Pour leur offrir, dans les cas les plus difficiles à vivre, ceux dont il s'agit ici, un tant soit peu plus d'alternatives. Ce serait beaucoup plus difficile, évidemment, mais ce serait tellement plus important.

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La médecine hors de la médecine

C'est de nouveau le moment de mon billet dans la Revue médicale suisse. Cette fois, l'occasion était trop belle. Le Lancet vient de publier une très belle étude sur les possibilités de la médecine préventive. Une équipe internationale chiffre le nombre de vies que l'on pourrait sauver à l'échelle mondiale si on ciblait les six facteurs de risque les mieux étayés comme causes de maladies non transmissibles. Impressionnant: 37 millions de vies d'ici à 2020. La première réaction lorsqu'on lit ça est 'mais qu'est-ce qu'on attend?'. La prévention est un chapitre sur lequel on n'est pas prioritaire en Suisse. Voici des mesures claires, allons-y! Pourtant, ce n'est pas si simple. Et les raisons doivent nous faire réfléchir.

"(...) comment fait-on cela ? Les facteurs de risque sont connus, oui, mais comment les atteindre à ce point ? L’étude postule une diminution de 10% de la consommation d’alcool par personne, de 25% de la prévalence de l’hypertension artérielle, une diminution relative de 30% de la prévalence du tabagisme, la stabilisation de l’obésité et de l’hyperglycémie à leurs taux actuels. A ce stade, on se frotte les yeux. Diminuer le nombre de fumeurs d’un tiers ? L’entretien motivationnel, une des interventions de cabinet les mieux étudiées dans ce domaine, augmentait de 2,3% le nombre de personnes qui arrêtent de fumer dans une méta-analyse. Pas suffisant. Si on sort du cabinet pour voir quels effets on peut avoir avec des outils plus politiques, c’est un peu mieux. Les interdictions de la publicité du tabac sous toutes ses formes font baisser le tabagisme de 9% en 10 ans ; l’effet estimé de chaque augmentation de 10% du prix des cigarettes est de 4-7%. Bien connaître les facteurs de risque ne suffit pas pour savoir les influencer à large échelle. Passer du diagnostic aux interventions, et déjà le triomphe est moins palpable. 

(...) en même temps notre ignorance sur les politiques qu’il faudrait adopter n’est pas totale. Les exemples cibleraient le tabac, l’alcool, l’alimentation, sans doute aussi l’exercice physique. Ils incluraient l’interdiction de la publicité sur le tabac, l’augmentation du prix des cigarettes, une régulation libérale face à la cigarette électronique. Ils incluraient des « ceintures de sécurité » alimentaires comme une régulation plus stricte de la teneur en sel. On y ajouterait finalement des aménagements urbains rendant l’exercice physique plus accessible au quotidien. Mais alors nous voilà sortis non seulement du cabinet mais carrément du système de santé. Ces choses que nous saurions en théorie faire, qui les fera ? Depuis nos journaux scientifiques et nos cabinets, nous pouvons bien sûr continuer d’insister, mais la plupart des ministres de la Santé n’ont pas tout cela dans leur dicastère. 37 millions de vies presque à portée de main, donc. Pas si triomphaliste, finalement…" 

La plupart des ministres de la Santé, mais on devrait sans doute ajouter 'sauf en Suisse...'? La Suisse, où nous n'avons pas de ministre de la Santé mais ministre de la santé-et-de-tout-le-reste de la politique intérieure? Ces mesures seraient plus réalistes chez nous qu'ailleurs? C'est à voir. Certains d'entre vous le savent peut-être: qu'en pensez-vous? 

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Mes collègues: encore un avis juridique sur le secret médical en prison


Très bel article de Philippe Ducor dans la dernière Revue médicale suisse.  Il vaut la lecture car il explique très clairement les enjeux du projet actuel de limiter le secret professionnel en prison. Je vous en avais déjà parlé ici et ici. Un extrait, avec le lien vers l'article complet. J'ai choisi cet extrait car il traite d'un point qui a été moins discuté jusqu'à présent. Si l'on veut avoir accès à toutes les informations permettant l'évaluation de la dangerosité, pourquoi ne s'adresser qu'aux médecins?

"Dans la mesure où la plupart des professionnels de la santé actifs en milieu carcéral ne disposent d’aucune compétence spécifique pour l’évaluation de la dangerosité des condamnés, les informations qu’ils sont susceptibles de fournir aux autorités sont d’une nature similaire à celles que pourraient fournir les autres professionnels agissant en milieu carcéral. On pense avant tout aux avocats et aux ecclésiastiques, nombreux en milieu carcéral et tout aussi susceptibles que les professionnels de la santé de recueillir des informations sensibles sur la dangerosité des condamnés. Il est dès lors permis de s’étonner que seuls ces derniers soient visés par le projet d’article 5A LACP/GE. 

Il est sans doute aisé pour les milieux politiques, qui comprennent de nombreux avocats, de concevoir qu’un avocat, par hypothèse soumis à un devoir de signalement de la dangerosité de son client, ne pourrait plus exercer sa profession. Il est regrettable que ce raisonnement leur échappe l’orsqu’il s’agit de professionnels de la santé."

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Pour la fête des mères, sauvez-en une...

Demain, c'est la fête des mères. Nous voilà tout entourés de publicités célébrant les mamans, effeuillées comme autant d'évidences entre les fleurs et dessins d'enfants. C'est beau, c'est plein d'amour, et c'est une évidence.

Mais derrière les affichettes roses et l'apparence des évidences, c'est peut-être l'occasion de nous rappeler une chose triste qu'on aime parfois mieux ne pas trop regarder: avoir une maman, ce n'est pas si évident que cela.

Et bien sûr, dans des lieux moins sûrs de la planète ça l'est encore moins. A l'échelle du monde, devenir mère reste même une des causes importantes de mortalité pour les femmes. Même si nous sommes 45% de moins qu'en 1990 à périr en donnant la vie, le taux mondial actuel de la mortalité maternelle est toujours d'environ une femme toutes les deux minutes. Terrible. Mais ce n'est 'que' le premier obstacle. Parmi celles qui survivent mais ont la malchance d'avoir accouché loin de toute aide médicale, certaines seront encore écartées de leur famille en raison de séquelles de leur accouchement.

Vous voulez faire un geste pour la fête des mères? N'oubliez pas la vôtre, bien sûr. Mais songez que vous pouvez aussi faire une autre chose, que nos petites affichettes nous feraient presque oublier.

Vous pouvez sauvez la mère de quelqu'un.

Comment? Voici quelques exemples d'associations fiables qui œuvrent pour diminuer la mortalité maternelle, pour opérer les fistules dues à l'accouchement, améliorer la santé des femmes, ou pour plusieurs de ces buts. Vous en connaissez peut-être d'autres. Indiquez-les dans les commentaires..

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