Les écologies et leurs dérives

C'est l'été, je suis un peu plus lente à la détente. Mais j'ai bondi en lisant les descriptions des récentes attaques contre Vasella.

Vous aussi? C'est normal. C'est même le but, après tout. Comme toutes les personnes prêtes à attaquer des gens pour défendre des idées, les militants de l'écologie radicale misent sur cet effet de choc. Le résultat? On parle d'eux, on leur donne de l'attention, du temps de parole. Où ils peuvent profiter de ne pas s'excuser, et de défendre ces actes. Non mais de qui se moque-t-on. Tout ça leur coûte évidemment nettement moins que d'essayer de convaincre. La violence, comme d'habitude, est le dernier refuge de l'incompétence. Selon l'excellente analyse de Denis Duboule, c'est aussi le dernier refuge de groupes qui 'perdent de la légitimité et compensent par des actes de plus en plus violents.'

Ca, c'est un des pièges classiques quand on est convaincus d'agir au nom d'une cause juste. Plus on la sent menacée, plus on a tendance à faire pour elle des sacrifices: notre temps, nos effort, puis parfois progressivement nos valeurs, nos semblables...

Le danger, c'est que c'est parfois contagieux. Il est probable que nous soyons tous d'accord pour condamner, dans l'absolu, les moyens employés ici. Mais peut-être certains d'entre vous pensent-ils néanmoins que, dans ce cas, le jeu en valait la chandelle. Que cette cause est suffisamment juste. Et qu'elle justifie des actes normalement inacceptables.

Alors prenons un pas de recul. La cause du Stop Huntington Animal Cruelty est-elle juste? On a le droit d'en douter. Les déclarations de leur porte-parole les place dans la mouvance du deep ecology ou du land ethics (un très bon résumé des mouvances de l'écologie par un collègue se trouve ici). Les mouvements qui se situent là stipulent que:

1) les animaux, les plantes, la biosphère doivent être sur notre radar moral : jusque là, pas de problème

mais aussi que
2) ils doivent y être pour eux-même ; ici commence le désaccord avec les versions plus courantes de l'écologie qui les défendraient, certes, mais au nom des intérêts humains à vivre équitablement dans une planète durable.

et surtout que:
3) c'est la biosphère, et non l'humanité, qui doit être au centre de notre radar moral: en d'autres termes, si la destruction de l'humanité améliorait la biodiversité, par exemple, elle serait à considérer comme moralement bonne.

On n'est pas étonnés de voir un groupe qui semble penser ça s'attaquer sans état d'âme à des personnes. Ni d'ailleurs à le voir complètement négliger les moyens d'expression démocratiques. Pourquoi les écologistes radicaux auraient-ils confiance en la population d'états démocratiques? Tous ces citoyens qui ont la fâcheuse tendance à donner la priorité aux êtres humains, pfff... Vous voyez où ça peut mener. Corrosif, tout ça. On voit mieux du coup pourquoi ces groupes perdent de la légitimité. Et pourquoi c'est heureux.

D'autant plus qu'il n'est évidemment pas nécessaire de penser tout cela pour s'opposer à certaines formes d'expérimentation animale. Vous êtes contre les expériences qui causeraient des souffrances aux animaux pour vendre du rouge à lèvres? Il est assez probable que votre position se résume ainsi:

A) les animaux méritent notre considération morale
B) sacrifier leur intérêt pour cette raison ne vaut pas la peine car l'avantage humain retiré ici est insuffisant pour justifier ce sacrifice.

Certains d'entre vous seraient sans doute d'accord qu'il peut être justifié de sacrifier des intérêts animaux à des intérêts humains plus importants, comme soigner les paraplégiques, par exemple.

Finalement, même si vous êtes dans la toute petite minorité qui pense que la cause des extrémistes écologiques est juste, rappelez-vous que c'est insuffisant. Il est inexact qu'au nom d'une cause juste on peut faire n'importe quoi. La recherche médicale, qui est elle-même une cause juste visant à diminuer la souffrance humaine et la maladie, a elle aussi été longtemps victime de cette illusion. C'est justement parce que ses acteurs ont ouvert les yeux qu'on ne peut plus, aujourd'hui, pratiquer la recherche sur les animaux (ou les êtres humains) sans une stricte surveillance. Qui n'autorise de loin pas tout. Cela rend la situation actuelle profondément ironique: ceux qui semblent prêts à tout pour défendre, disent-ils, une position morale, ont sur ce point crucial d'éthique un immense retard par rapport à leurs victimes.

9 commentaires:

Samia a dit…

Il y eu apparemment une petite erreur de manip: je reproduis donc le commentaire sous le billet auquel il était destiné!

lecombier a dit…

Pour paraphraser Lénine, l'écoterrorisme est le stade ultime du terrorisme. La Fraction armée rouge de Baader-Meinhof ou les Brigades Rouges massacraient leur ennemis au nom d'une logique de déshumanisation qui les réduisaient au statut de "suppôts du capitalisme". De même pour les jihadistes, pour qui les infidèles sont des "Untermenschen". Le Front de libération des animaux et ses avatars fait l'économie de cette étape de négation de l'humain, puisque que celle-ci fait partie intégrante de leur idéologie. Il ne s'agit pas d'instaurer le socialisme ou la justice pour les opprimés, ou encore de rétablir le Califat. Dans leur système de pensée, l'oppresseur est homo sapiens soi-même. La Planète Terre et toutes les créatures "innocentes" qu'elle porte (c'est-à-dire par définition les animaux non-humains) recouvrera la santé quand l'humanité sera éliminée. La violation de la sépulture de Mme Vasella est à cet égard un signe extrêmement fort puisque c'est la négation des symboles les plus élémentaires de la civilisation spécifiquement humaine. Nous allons au devant d'un avenir très sombre.

Samia a dit…

Lecombier: ne leur octroies-tu pas plus de crédit que ce qui serait réaliste? Pas dit qu'ils soient capables de rendre l'avenir sombre. Heureusement.

Antoine Vekris a dit…

Ils sont foutus de mettre le bordel un peu partout certes, mais je pense que les écologistes moins radicaux vont largement contribuer à réguler le phénomène.
Et il ne faut pas non plus exagérer les traits, la violation d'une sépulture n'est un signe fort, ou extrêmement fort, que si on y attache une importance forte ou extrêmement forte à la sépulture. L'intimidation violente des techniciens et scientifiques qui pratiquent l'expérimentation animale est beaucoup plus grave à mon avis.

lecombier a dit…

Il est évident que les actions dont sont victimes les chercheurs sont objectivement plus graves. Mais ne négligeons pas la force des symboles: défigurer les sépultures était jusqu'ici l'exclusivité des militants d'extrême droite. L'originalité du terrorisme animaliste est justement d'être assez inclassable par rapport aux extrémismes de droite et de gauche précédents. D'un côté le goût de l'injure et du mépris typique des néo-fascistes, de l'autre des choix stratégiques proches du militantisme d'extrême gauche d'antan: petites cellules de militants radicalisés manipulant des sympatisants plus "soft" et plus nombreux; intellectuels organiques du mouvement ayant un pied dans la respectabilité universitaire et l'autre dans l'apologie de la violence. Je vous renvoie à l'excellente enquête du "Matin Dimanche" (un quotidien suisse) d'aujourd'hui. On y apprend qu'un professeur de philosophie à l'Université de Berne prépare un livre multi-auteurs "Libération animale et activisme" dont certains co-auteurs sont des extrémistes de la cause animale (dont un repris de justice). C'est ce même professeur qui avait fait un certain bruit il y a quelque mois dans la presse suisse en dénonçant les chiens d'aveugles comme de l'esclavagisme...

Samia a dit…

Pour les personnes intéressées, l'article du Matin Dimanche est ici.

Samia a dit…

...et il est d'ailleurs accompagné d'un sondage qui (pour le moment) peut vraiment être vu comme à moitié vide (bon, OK, un 5e) ou à moitié plein.

Antoine Vekris a dit…

Salut,
@ Samia merci pour les liens, j'ai été voter, devine quoi ? :-)

@ lecombier : différences culturelles là, la violation de sépulture est une vieille affaire dans l'histoire grecque, jadis considérée comme un sacrilège justifiant la peine de mort. Les premiers chrétiens sur le sol grec ont exploité cet attachement pour harceler les païens dont ils ont détruit temples et cimetières.
Des références plus récentes effectivement font le lien avec des politiques qui exploitent les sentiments politico-religieux de leurs cibles en plaçant leurs actions là où ça fait mal.

Je suppose que tous ces braves gens qui sont contre l'exploitation des animaux devraient pousser leur raisonnement pour y inclure les bactéries, libérer leur flore intestinale et aboutir à un heureux dénouement de l'affaire en décidant de la reprendre après quelques jours :-)
A commencer par les philosophes du mouvement.

Samia a dit…

Les premiers chrétiens sur sol grec étaient aussi des extrémistes dangereux, n'est-ce pas...Mais c'est vrai qu'ils ressemblaient à ce titre plutôt aux désumanisants cités par lecombier. L'écologie radicale est fondée sur une doctrine qui n'a même pas besoin de cette étape, en effet.
Eh oui! Ils sont singulièrement aux abonnés absents dès qu'ils s'agit de défendre les paramécies, les Filoviridae, toute cette compagnie pourtant si importante pour l'équilibre de la biosphère.

Alors il y a bien sûr un terme anglosaxon pour le conseil que tu leur donnes, @OldCola. Mais plus scientifiquement ils devraient tous être sous immunosuppresseurs, ou au moins sous antacides, non?

Antoine Vekris a dit…

"ils devraient tous être sous immunosuppresseurs" :-D

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