Tu exerceras ton cerveau...?

Aaah, pentecôte. Long week-end, repos, et enfin du temps. Alors pour les adeptes de la gymnastique mentale, des mots croisés, et autre Sudoku, voici un défi éthique! Après tout, un exercice mental doit-il forcément être futile pour être intéressant? Bien sûr que non. Vous êtes prêts? On va commencer en grand:

Lorsqu'il est question de religion, de foi, d'église, on cite souvent les dix commandements comme faisant partie des racines de notre culture occidentale. Sans doute. Mais que valent-ils comme règles morales? Non, vraiment, tous. On pourrait longuement en discuter. Les personnes intéressées peuvent se référer à ce site, qui commente pourquoi une liste de règles de vie devrait peut-être être formulée autrement. Ou à celui-ci, qui tente justement une nouvelle version. Il y en a d'autres. Le plus joli n'est pas en ligne: c'est le Manuel de sagesse du monde ordinaire publié à titre posthume par Joseph-Marie Bochenski.

Mais je vous ai promis un défi. Le voici: armé d'un papier et d'un crayon, je suis confiante que vous êtes capable de faire mieux que l'original, tout seul comme un grand. Tenté? Essayez! Ne soyez pas intimidé par la gravitas du sujet. Après tout, Platon se le demandait déjà: obéis-t-on aux dieux parce qu'ils nous donnes de bons ordres, ou bien ces ordres sont-ils bons parce que les dieux nous les donnent? En d'autres termes, que ferions-nous d'un commandement divin qui serait immoral? La réponse est tout autour de nous: un commandement de ce type, la plupart des croyants oublient qu'il existe, et c'est tant mieux. Même les autorités des églises, parfois, semblent ne pas avoir bien lu leurs propres textes. Si vous êtes chrétien, quand avez-vous pour la dernière fois lapidé un membre de votre famille qui aurait eu une autre religion ? Pour citer un commentaire sans doute apocryphe : à cette époque, Notre Seigneur était encore bien jeune… Lorsqu’on lit un texte sacré pour y trouver des fondements moraux, on fait des choix légitimes. Et si nous sommes capables de faire ce genre de distinction entre les bons et les moins bons commandements divins, c’est que nous avons forcément une source de jugement moral différente de la religion.

Cette source de jugement, on est tous capables de s'en servir pour faire une liste de règles. A vous de jouer, donc! Et si votre version vous plait, laissez-la nous en commentaire à ce message. Attention, maximum dix (allons, douze, mais on ne triche pas). Níkos Kazantzákis en a fait une que je ne commenterai pas ici sauf pour dire qu'elle compte 475 commandement, et que ce ne sera pas autorisé ici! Par contre, si vous n'avez pas le temps d'en faire dix, les versions partielles seront acceptées...

Vous êtes prêts? Alors à vos claviers!

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L'environnement à l'oeil nu


Nous voyons...à notre échelle. Tout ce qui est trop grand, trop petit, nous échappe. Pour un insecte, la tension de surface du mur est plus importante que la gravité. Il grimpe donc au mur et nous imaginons que Spiderman, ou un insecte géant dans la Sci-Fi, feront de même à notre échelle. Notre perception est limitée par l'échelle du monde dans laquelle nous vivons.
Tout ce qui va trop vite, ou trop lentement, nous échappe aussi. On rate ainsi la beauté, et l'étrangeté, de certains phénomènes naturels. Mais on rate aussi certaines choses qui mériteraient notre attention pour des raisons plus concrètes. Comme notre impact sur l'environnement. Et certains de ces aspects, des satellites les filment. Les regarder en accéléré les ramène à notre échelle: allez y jeter un œil, tout d'un coup ça devient plus réel...Et ensuite, allez écouter cette chanson: l'humour aussi, ça rend les choses plus réelles.

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Pointage sur les droits humains

Le symbole sur cette montre? L'importance du respect des droits humains. On est d'accord? Alors allons-y. Le rapport annuel d'Amnesty International est sorti. Vous trouverez l'intégrale ici. Un extrait de l'introduction donne le ton:

'Il se passe la même chose avec la récession économique mondiale qu’avec le changement climatique : les riches sont responsables de la plupart des causes qui ont précipité la catastrophe, mais ce sont les pauvres qui en supportent les conséquences les plus graves. Certes, personne n’est épargné par les effets de la récession économique, mais les difficultés des pays riches sont sans commune mesure avec les crises majeures qui sont en train de s’abattre sur les plus pauvres. Qu’il s’agisse des travailleurs migrants de Chine ou des mineurs du Katanga, en République démocratique du Congo, le coup est rude pour des millions d’hommes et de femmes qui tentent désespérément de s’arracher à la misère. La Banque mondiale prévoit que 53 millions d’habitants de la planète rejoindront cette année les rangs des personnes vivant dans la pauvreté, venant s’ajouter aux 150 millions frappées l’an dernier par la crise alimentaire et réduisant ainsi à néant les progrès accomplis au cours des dix dernières années.'

La Suisse n'est pas épargnée par ce rapport
. Le chapitre qui lui est consacré dénonce 'la discrimination dont les Roms, les Sintis et les Yéniches continuaient de faire l’objet, en particulier dans les domaines du logement et de l’éducation', 'le recours excessif à la force, en particulier contre des personnes noires, de la part d’agents chargés du maintien de l’ordre public', le fait que 'les demandeurs d’asile déboutés se retrouvent en marge de la société et vivent dans le dénuement', l'adoption d''une loi autorisant l’usage d’armes à impulsions électriques et de chiens policiers lors des expulsions d’étrangers', l'application insuffisante de la législation pour protéger les victimes de violences familiales, et le rejet des demandes d'asile de prisonniers de Guantanamo 'immédiatement libérables' et dont on 'craignait qu’ils ne soient soumis à des persécutions en cas de retour dans leur pays d’origine'. On y souligne aussi que le droit au mariage n'est plus accordé aux clandestins et aux requérants d'asile déboutés. Il y a évidemment une certaine ironie à ce que la Suisse soit en même temps un pays dont la loi prévoit que certains animaux doivent vivre par deux.

Peut faire mieux, donc.

Mais la situation mondiale brossée par ce rapport met le doigt sur un problème plus systèmique: toute situation d'angoisse serre la vis aux tensions. La répression, la censure de la presse, tout cela augmente dans l'instabilité liée à la crise économique: 'Dans beaucoup de pays, lorsque les gens sont descendus dans la rue pour protester contre la hausse des prix alimentaires et la mauvaise situation économique, les manifestations, même les plus pacifiques, ont été durement réprimées.(...)Au Zimbabwe, des opposants politiques, des défenseurs des droits humains et des syndicalistes ont été agressés, enlevés, arrêtés, voire tués en toute impunité. Au Cameroun, une centaine de personnes ont été tuées par balles lors de manifestations violentes, et un grand nombre de protestataires ont été emprisonnés.'

A l'occasion du 60e anniversaire des droits humains, un site belge a mis à disposition une carte interactive. Elle date un peu, mais elle vaut néanmoins le détour. On y retrouve en Suisse, par exemple et une fois de plus, un problème apparemment persistant de violence policière.

Tout ça est très décourageant. Mais il arrive que des moyens petits et ciblés produisent de gros effets. Amnesty en est d'ailleurs un bon exemple. Et ils ont besoin d'aide pour toute une série de campagnes. Ils ne sont pas les seuls. L'organisation Witness, décrite dans cette vidéo, met des caméras digitales dans les mains des activistes et fourni une plateforme pour leurs témoignages filmés. Leur point commun? Montrer ce qu'on aimerait mieux ne pas voir. Et espérer que parmi toutes les personnes qui réagissent à cet inconfort en fermant les yeux, quelques-unes au moins se mettront à essayer d'y changer quelque chose. Parce qu'on est d'accord, en fait, sur l'importance du respect des droits humains...

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Don vivant d'organes

J'avais souligné il y a quelques temps que, contrairement au don après la mort, le don vivant d'organes se porte plutôt mieux en Suisse. Exercice à la fois magnifique et parfois périlleux, le don vivant pose plusieurs difficultés à la fois techniques et éthiques. Certains de ces enjeux ont donc été présentés, cette semaine, lors d'un colloque aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Si vous êtes intéressé, l'intégrale est disponible ici...

Y sont présentés les chiffres du don vivant en Suisse, l'expérience de la transplantation rénale, hépatique, et médullaire, et l'on termine avec un survol des enjeux éthiques principaux, par votre servante...

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'Mon' enfant: à quel point?

Une famille américaine défraie la chronique ces temps. Leur fils, âgé de 13 ans, est atteint d'un lymphome de Hodgkin. Heureusement, ce type de cancer est curable et la première chimiothérapie a eu l'efficacité attendue. Malheureusement, il faut plusieurs traitements pour guérir, et les parents ont refusé la suite de la prise en charge, en avançant des raisons religieuses. Ils sont adeptes d'un groupe religieux appelé Nemenhah, fondé à la fin du 20e siècle et inspiré de pratiques amérindiennes traditionnelles. Ils sont persuadés de pouvoir guérir leur fils sans avoir recours à une chimiothérapie. L'adolescent a déclaré être d'accord avec ses parents. Ses chances de survie avec la chimiothérapie sont estimées à 95%, et sans elle à 5%.

Il est probable que le moteur principal de toute cette histoire soit l'angoisse, la perte des repères qui peut accompagner l'idée terrifiante de voir un fils de 13 ans affronter une maladie qui pourrait l'emporter. Intégrer une situation pareille prend du temps, ne va pas de soi. Malheureusement rien de bien inhabituel jusque là. Mais si cette histoire soulève des passions, c'est parce qu'elle entrecroise en plus de cela plusieurs enjeux. Il y a l'appel à une tradition, au nom de laquelle il faudrait laisser cet enfant mourir...sauf que les parents réclament en fait que dans 'leur' réalité la chimiothérapie soit dangereuse et que le traitement par la nutrition guérisse le cancer. On voit mal quel tribunal pourrait au juste leur octroyer ça.

Ils se réclament aussi d'une église, et demandent une forme de liberté de pratique religieuse. Ce n'est malheureusement pas exceptionnel. Chaque fois qu'un enfant meurt parce que ses parents ont préféré prier plutôt que de le traiter, meurt essentiellement d'ignorance, donc, c'est évidemment une tragédie, dont ses parents sont finalement aussi des victimes. Et clairement la liberté religieuse ne comprend pas un droit de vie ou de mort sur un 'adepte' mineur: cet argument ne change donc pas la donne dans cette histoire.

L'argumentaire des parents mélange tout ça presque explicitement. Les déclarations de leur avocat sont d'ailleurs un magnifique exemple de mauvaise foi rhétorique où se mélangent platitudes et contre-sens. Juste un exemple: "l'amour des parents est un droit social positif que nous partageons tous". L'état, la famille, la vie privée et publique, tout y passe. Et l'amour se voit simultanément réduit à l'état de ressource pour laquelle on se verrait presque pointer comme au chômage, et élevé à une sorte d'infaillibilité. Si seulement, si seulement c'était vrai que lorsqu'on aime on ne peut jamais causer de tort...

Et le noeud de l'histoire est en fait là. Être parent et aimer ses enfants n'écarte pas le risque d'erreurs graves. Et il y a donc des limites à l'autorité parentale. Dès lors qu'on en comprend les enjeux, on a le droit de refuser pour soi-même un traitement médical, même vital. Mais s'il s'agit de votre enfant, non. Non seulement vous n'êtes pas propriétaire de sa vie, mais qui voudrait, vraiment, qu'on lui laisse une marge d'erreur aussi monumentale? Refuser un traitement vital pour son enfant, surtout dans un cas où il serait aussi efficace qu'ici, est un cas de négligence au mieux, de maltraitance au pire. Un des rôles de la justice est alors de protéger l'enfant contre ce genre de décision parentale, et les parents contre la culpabilité, en autorisant le traitement.

Et si l'enfant est assez grand pour comprendre, et pour refuser de lui-même? Ce genre de cas est plus difficile, oui. D'une part, il arrive qu'un adolescent soit réellement capable de faire ce genre de choix pour lui-même, et alors il doit effectivement être respecté. Mais d'autre part, pour pouvoir décider il faut également être libre de décider. Et cette évaluation toujours délicate l'est encore davantage lors de pressions extérieures explicites, religieuses ou non...

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L'histoire de la vie

Ça vaut largement les 16 minutes et 17 secondes que ça dure. Une série de photos qui retracent l'histoire de la vie sur terre, 'depuis avant que le ciel ne soit bleu'. Évidemment, le photographe n'est pas allé en visite il y a 3 milliards d'années. Mais la succession d'images -de la planète entière- qui reconstruisent ce parcours est proprement vertigineux. Une prouesse. Et si vous trouvez que ce genre d'exercice se passe de musique et de commentaire, allez ensuite regarder ce film accéléré d'un lever -puis d'un coucher- de terre vu depuis la lune: ici, le silence total fait partie du spectacle.

Le lien avec l'éthique? Pas grand chose. Sauf qu'il est difficile de traverser ces images sans revoir avec une dose d'humilité notre propre place dans tout ça. Ne pas faire trop de mal dans notre passage à travers la réalité, voilà déjà un but honorable. Et si on arrive à faire un peu de bien aussi, tant mieux. Pour le reste, Sagan le disait plutôt bien: "une religion, ancienne ou nouvelle, qui mettrait l'accent sur la magnificence de l'Univers comme le révèle la science actuelle, pourrait tirer de nous des réserves de révérence et de crainte sacrée pas même effleurées par les fois conventionnelles..."

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Coûts de la santé

Vous m'excuserez d'avoir mis si longtemps à réagir, mais j'ai d'abord un peu observé la discussion qu'a suscité la remarque de Christophe Darbellay sur les coûts de la santé, y compris dans ses versions les plus simplistes, celles qui partent du principe que les soins de santé sont un produit de consommation comme un autre.

Bon, effectivement, c'était sans doute un brin maladroit. Mais c'est un sujet difficile. Et il faut un certain courage pour oser l'aborder.

La question est, à la base, la suivante: combien est-on d'accord de payer dans le système de santé, et pour obtenir quoi plutôt que quoi? On aborde régulièrement la question des coûts de la santé lors de hausses des primes d'assurance maladie, mais on se pose rarement la question dans les termes qu'il faudrait. A être trop obnubilés par une impression (entretenue?) d'urgence, on peut perdre de vue les enjeux principaux.

Un système de santé existe pour apporter à chacun d'entre nous une réponse face à la menace de la maladie. Et cette menace est multiple. Nous craignons d'être tués, ou touchés dans notre corps, mais aussi de voir des choix de vie se fermer devant nous, ou encore d'être appauvris par les coûts d'un traitement, ou par l'invalidité. Nous sommes tous à un degré ou un autre vulnérables à ces aléas. Les systèmes de santé existent pour faire face à ça, et chaque pays le gère à sa manière. La conception d'un système de santé va déterminer comment les individus sont soignés, combien on paie les uns pour les autres, le genre et la quantité de prestations remboursées par la collectivité en cas de maladie.

L’équité et la solidarité, qui fondent les systèmes de santé européens, « servent » donc à quelque chose. Elles sont le signe d’une société qui se soucie de tous ses membres, y compris les plus vulnérables. Nous reconnaissons un droit à chacun d’avoir accès à des soins de santé. Le « meilleur niveau de santé atteignable » est d’ailleurs reconnu comme un droit fondamental par l’OMS. Le philosophe Norman Daniels souligne aussi que la santé est un pré-requis pour le droit de chacun d'avoir accès à une 'vie bonne'.

En plus, la solidarité et l’équité de notre système de santé, nous offrent à tous davantage de sécurité. Nous ne savons pas qui va tomber malade, ni qui sera appauvri par la maladie : nous risquons donc tous de devenir un jour victimes d’un système de santé qui désavantagerait les malades ou les pauvres. Et simplement avoir une assurance n'est pas une garantie. Aux Etats-Unis, les 3/4 des personnes conduites à la faillite par leurs frais médicaux étaient assurés.


La question du rationnement, de savoir si l’on peut dire « non » alors qu’une intervention apporterait quelque chose au patient, ne peut pas se poser sans connaître cette toile de fond. Car quand on songe à contrôler l’augmentation des coûts de la santé, il y a trois stratégies. Et elles ne sont pas éthiquement équivalentes.


La première est de traquer les frais réellement inutiles. Pour autant que l’on puisse les identifier sans équivoque, il n’y a pas de problème. Des exemples viennent à l’esprit tels que les antibiotiques pour les maladies virales, mais aussi, lorsqu’elle existe, la part des frais administratifs qui n’améliore pas les soins aux malades.

La deuxième stratégie consiste à payer tous les soins, mais pour certains seulement. Mettre une limite d’âge pour envisager une intervention, soigner certaines maladies seulement, ou décider qu’il faut avoir les moyens de payer pour être soigné, relève de ce type de stratégie. C’est une perte d’équité pour le système, qui n’implique pas seulement le sacrifice d’une valeur éthique importante mais aussi un risque accru pour chacun d’entre nous.


La troisième stratégie consiste à couvrir un catalogue de prestation identique pour tout le monde, mais à ne pas tout prendre en charge. C'est toujours une limite, mais elle conserve l’équité du système: elle est la même pour tous.


Est-il défendable de placer une telle limite ? En fait, il est impossible de ne pas le faire. Imaginons que vous vous écroulez sur un trottoir, victime d’un infarctus. L’ambulance qui va arriver vous est clairement utile. Mais que se passe-t-il si elle secoure déjà une autre victime? Dans ce cas, il est clairement bon pour vous qu’une deuxième ambulance existe. Par rapport à une seule ambulance, une deuxième diminue votre risque de rester sans secours. Et une troisième ? De même. Le risque que trois ambulances soient simultanément occupées n’est pourtant toujours pas nul. La quatrième ambulance diminue encore votre risque, et ainsi de suite. Pour parvenir au risque zéro de rester sans secours, il faudrait un nombre infini d’ambulances. Et qui défend ça? La vraie question n’est pas de savoir si une limite doit être posée, mais de savoir quelle limite poser, et surtout comment.


Et les vraies difficultés commencent avec ce 'comment'. Nous n’avons pas tous la même conception de ce qui est « raisonnable », et nous avons la tendance fâcheuse mais compréhensible de changer d’avis selon que nous sommes à tour de rôle le malade qui nécessite des soins, ou l’assuré qui paye la facture. Nous sommes donc obligés pour adopter une « limite raisonnable », de
nous mettre d’accord. La limite la mieux défendable est celle qui peut être considérée comme la meilleure par toutes les personnes concernées, alors qu’elles savent qu’elles sont toutes à risque d’être défavorisées par les failles du système.

Qu'accepterait-on? C'est à voir. Une option pourrait par exemple être de faire en sorte que le risque soit invariablement minime pour la personne à laquelle on dit « non ». Proposer un générique plutôt qu’un médicament breveté peut être une source d’inconfort. A ce titre, c'est bien une limite, mais pas une question de vie ou de mort. Refuser un traitement de maintien en vie est une question toute différente. On n'imagine guère cette mesure acceptée par des personnes qui risqueraient de s'y trouver elles-mêmes confrontées. De fait, les médecins limitent effectivement parfois certaines interventions, mais ce sont
des interventions pour lesquelles une alternative moins chère existe, et la limite sur les traitements de maintien en vie est fortement minoritaire. La majorité dit discuter de ces choix avec leur patient, une donnée corroborée par l'étude de récits d'exemples de cas de ce type.

Alors, se pourrait-il qu'il faille, dans notre système de santé, dire « non » à une personne âgée ou à un malade en fin de vie, parce que nous aurions décidé collectivement que les soigner revient trop cher ? Il est crucial que ce ne soit pas ça, la question. Il ne doit pas s’agir de remettre en question le « droit » aux soins de telle ou telle personne. Une telle discrimination est indéfendable et risquerait à terme de faire de chacun d’entre nous une victime potentielle. Se pourrait-il par contre que nous disions « non » à quelqu’un qui réclame une intervention jugée non raisonnable par une décision collective ? C’est possible. Quel est l’essentiel qui doit être accessible à chacun ? Certainement pas absolument tout, mais sans doute beaucoup. Une fois la question posée comme ça, on peut effectivement en discuter.

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L'éthique de facebook

Vie privée, vie publique, 'vol d'identité', on a beaucoup causé de tout ça autour du passeport biométrique. Et il a du coup aussi été question de réseaux sociaux. Est-on devenus moins sensibles à l'étalage de notre vie quotidienne dans les espaces ouverts? Ou au contraire davantage? Après tout, n'est-ce pas raisonnable de penser que plus on révèle 'tout', plus l'importance stratégique de ce que l'on révèle ou non grandit?

Facebook, un des principaux réseaux ciblés dès qu'il s'agit de parler des dangers de la vie en ligne, est assez nouveau pour que mon vérificateur d'orthographe s'offusque. C'est en même temps déjà assez ancien pour être utilisé par des politiciens, qui ne sont en général pas carrément l'avant-garde de l'adoption technologique. Si c'est tellement utilisé, c'est en fait justement parce que ça ne représente pas une nouveauté radicale, mais une nouvelle manière de faire un truc vieux comme le monde. Il paraît que le langage aurait évolué pour nous permettre de mieux gérer nos réseaux de relations personnels et échanger des potins. Eh bien Facebook vous branche de la technologie là-dedans: pas étonnant que ça marche.

Le risque vient justement du fait que ça marche trop bien. Donnez les moyens de faire un truc pour lequel on est suprêmement câblés, et on a un peu tendance à oublier que la table autour de laquelle on chuchote a la dimension de la planète. Et beaucoup plus concrètement, qu'elle inclut les personnes à cause desquelles, justement, on aurait tendance à chuchoter. Les situations décrites dans le dessin ci-dessus ne sont malheureusement plus hypothétiques. Des licenciements ont effectivement eu lieu. On sait aussi que des réseaux créés spécifiquement pour des médecins offrent un accès payant aux représentants de l'industrie pharmaceutiques intéressés par l'idée d'écouter aux portes. Les usagers de facebook sont d'ailleurs conscients d'un risque, puisqu'ils se sont offusqués à l'idée de voir leurs données personnelles transmises plus loin. Mais il y a quelque chose d'illusoire à vouloir interdire le partage d'informations...déjà partagées. Et on sait depuis un petit tour de force du Tigre que si vous êtes un usager 'normal' d'internet de la génération Y, votre vie entière pourrait sans doute être explorée en ligne...

En même temps, ces systèmes ont une vraie utilité. On propose même d'en étendre pour permettre des choses comme le stockage de données médicales (par exemple sur Google health). Mais la sauvegarde initialement prévue était...de vous signaler après coup si quelqu'un a consulté votre dossier. Pas franchement suffisant. Surtout si l'accès est, à la base, ouvert.

L'illusion d'optique, c'est qu'aucun des problèmes évoqués ici n'est vraiment nouveau. Comment protéger nos informations personnelles. Que voilà un enjeu ancien. On en prend tellement soin au quotidien qu'on ne s'en rend presque plus compte. Implicitement, on fait ces distinctions entre ce qu'on révèle à tout le monde, à nos proches seulement, voir au miroir dans le plus grand secret. Comme on fait ces différences sans y penser, le résultat est une stratification des informations sur nous-même. Un problème d'honnêteté? Comment ferait-on si elle exigeait qu'on dise tout à tout le monde? En tant que médecin, je suis comme tous mes collègues assez souvent la cible de demandes de consultations 'informelles' dans les situations les plus saugrenues. Qu'un proche me demande conseil sur la fièvre du petit dernier, OK, bien sûr. Mais que dire à l'ami qui m'accompagne en vacances, quand l'épicière du coin commence à me raconter en long et en large sa chirurgie gynécologique? Et ce conducteur de taxi qui avait mal au ventre, l'aurait-il raconté à un autre passager? On accepte dans la vie courante un tas de règles implicites sur ce que l'on dit, à qui, et quand.

Les réseaux sociaux nous mettent face à un nouvel avatar de cette réflexion. Et le problème, c'est que trop souvent elle n'y a pas lieu. Habitués à l'implicite, les humains qui peuplent ces lieux y entrecroisent trop souvent leurs strates. Parfois jusqu'à en faire les frais. Alors quelques précautions. Les principales sont indiquées ici: en bref, choisissez ce que vous publiez, contrôlez les paramètres d'accès de votre compte, et utiliez la possibilité de donner un accès différencié à différents groupes d''amis'. Simple prudence. Au passage, vous constaterez que si c'est surtout Facebook qui fait glauser (la glose où l'on cause beaucoup) sur l'effacement des frontières que l'on trace habituellement entre notre sphère privée, et la sphère publique, c'est probablement justement à cause de sa relative ancienneté. Après tout, on vous y laisse au moins trois niveaux de contrôle: ce que vous y mettez, à qui vous montrez votre profil général, et à qui vous en montrez des parties spécifiques. Sur Twitter, votre seul contrôle est le choix du contenu affiché, et la possibilité de bloquer l'accès à vos commentaires pour un utilisateur indésirable. Mais on peut vous y suivre sans vous demander votre accord. C'est l'intérêt du système mais, selon ce que vous y mettez, c'est aussi son risque.

L'éthique dans tout ça? La raison pour laquelle on exige un degré de contrôle sur nos informations personnelles, cette auto-détermination qui s'étend aux informations privées et qui est aussi un des piliers du secret médical, c'est justement qu'une fois ces informations devenues publiques, qui sait qui en fera quoi? On peut craindre que Google ne se serve des informations de ses utilisateurs à des fins personnelles. Et on peut aussi après tout craindre que votre assureur n'utilise une information médicale contre vous. Mais dans un cas comme dans l'autre, ces informations nous appartiennent: à qui en vouloir, finalement, si nous les révélons nous-même?

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'Prendre en compte' les médecines complémentaires

Une fleur (ci-jointe), en signe de d'appréciation aux personnes qui ne savent pas quoi voter, ce 17 mai, sur le projet 'Pour la prise en compte des médecines complémentaires'. Ne la mangez pas (la fleur), elle est toxique en surdosage. Mais elle est jolie, non? Elle ferait certainement bien sur une affiche en faveur du projet...

Sauf qu'elle est à la base d'une des thérapies que l'on oppose régulièrement aux médecines 'douces'. La pervenche de Madagascar, cette belle fleur rose que je viens de (virtuellement) vous offrir, est à l'origine de deux des substances employées comme chimiothérapie anti-cancéreuses, par la médecine scientifique. L'idée que la nature est contenue comme un supplément d'âme dans les médecines complémentaires est une des raisons de leur succès. Mais c'est une confusion. Une parmi d'autres. Et certaines transformeront l'application du projet en quadrature du cercle.

La difficulté la plus grande sera sans doute de savoir ce que signifie au juste 'prendre en compte'. Je vous reproduit (avec les liens en plus) un billet que j'ai écrit là-dessus dans la Revue Médicale Suisse, et qui part d'un exemple:
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Je ne l’ai encore dit à personne, mais j’ai été prise la nuit dernière d’une illumination. Bon sang mais c’est bien sûr ! Faire des achats inutiles est bon pour la santé et devrait être au centre d’une nouvelle thérapie alternative, bien sûr remboursée (pas folle !) par l’assurance de base. Appelons cela l’onéothérapie, et voyons comment elle serait affectée par l’acceptation – quasi certaine – de l’initiative «Pour la prise en compte des médecines complémentaires».

Un exemple ne sera pas de trop. Le texte soumis au vote, «La Confédération et les cantons pourvoient, dans les limites de leurs compétences respectives, à la prise en compte des médecines complémentaires.», est obscur. La prise en compte. C’est quoi, au juste ? Faut-il un article constitutionnel pour affirmer le droit des médecines complémentaires à avancer leurs arguments ? Sans doute non. Si je veux défendre l’onéothérapie, je suis déjà libre de le faire. S’agit-il de les couvrir sous l’assurance de base ? Voilà qui m’intéresse davantage.
Les initiants commencent par déclarer que l’élargissement des prestations de l’assurance de base «n’a par ailleurs jamais été demandé». Zut, raté. Sauf qu’il est dit plus loin que : «Les cinq méthodes de la médecine complémentaire (médecine anthroposophique, homéopathie, thérapie neurale, phytothérapie, médecine chinoise traditionnelle MCT) font partie intégrante de l’assurance de base (…) car elles remplissent les conditions légales selon l’art. 32 LAMal.» Bon, ma méthode ne figure pas sur la liste, mais j’ai finalement peut-être une chance. L’article 32 contient les fameux critères selon lesquels les prestations remboursées «doivent être efficaces, appropriées et économiques». Si ces méthodes sont considérées comme telles, il suffira que je montre que la mienne marche aussi bien que, disons, l’homéopathie. A ce jour, les revues Cochrane réalisées sur l’homéopathie ont conclu qu’elle n’a pas fait la preuve de son efficacité dans l’asthme chronique, la grippe, l’induction de l’accouchement, la démence, et le traitement des effets secondaires des traitements oncologiques. Alors oui, je devrais arriver à faire aussi bien. Si j’ai de la chance, ma méthode marchera mieux que l’homéopathie. Et alors le tour est joué ! Comment me refuser si ma méthode surpasse une de celles déjà admises comme «efficaces» ?

C’est précisément ici que le bât blesse. A lire l’argumentaire des initiants, on a l’impression que «prendre en compte» signifie accepter les termes selon lesquels ces pratiques se définissent elles-mêmes. Cesser de les soumettre au même crible de la vérité scientifique. Mais comment faire cela ? C’est voter sur une question de vérité, plutôt que de choix politique. Ou sur les raisons que l’on a de considérer quelque chose comme vrai. Soumettrait-on au peuple la question de l’existence du boson de Higgs ? On comprend que cette question-là ne figure pas sur nos bulletins, mais seulement entre les lignes, à être déterminée plus tard par le personnel de l’OFSP, qui mérite ici notre compassion.

Le projet sera sans doute accepté. Et si l’onéothérapie ne sera pas remboursée, c’est uniquement parce qu’elle n’est pas (encore) soutenue par une volonté populaire. Une manifestation de la grande confusion entre la description scientifique de la réalité physique, et le choix démocratique de la réalité politique. Une fois cette confusion admise, ça pourrait d’ailleurs changer. Promis, mes praticiens passeront du temps avec leurs patients et se laisseront l’espace d’établir cette relation nécessaire à «la part de magie» de la médecine : à l’heure où l’on coupe cette possibilité en médecine de premier recours, ça devrait m’aider à faire grimper leur cote de popularité…
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Alors oui, le projet soumis au peuple ce dimanche va sans doute passer. Si l'on en croit les sondages, et si vous lisez ce blog depuis la Suisse, vous avez une probabilité de 69% de voter oui. Bon, OK, c'est peut-être une question ouverte de savoir si (et comment) les discussions autour de la grippe A (H1N1) pourraient influencer ces chiffres. Il semble que certains praticiens recommandent l'usage de l'homéopathie même en cas de pandémie grave, et que pour certains il s'agisse d'un usage exclusif. Mais d'autre part, au moment où la menace semblait la plus présente, une association de naturopathes britanniques a mis en garde contre l'usage de compléments alimentaires comme unique traitement. Mais quoi qu'il en soit, il est peu probable que les chiffres suisses s'en trouvent massivement changés.

Alors, si vous êtes du nombre des 'oui', voteriez-vous aussi pour la 'prise en compte' de l'onéothérapie?

Et pour sa couverture pour tous dans l'assurance de base?

Quelles que soient vos réponse à ces deux questions, car justement elles sont très différentes, demandez-vous pourquoi...

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Le laboratoire intérieur

Jim, explorateur texan à la recherche des vestiges d’une civilisation précolombienne, arrive un jour sur la place centrale d’une petite ville d’Amérique du Sud. Fendant une foule disposée en cercle autour d’un groupe d’hommes en uniforme qu’il distingue mal, il parvient au premier rang et se rend compte avec stupeur que vingt indiens sont attachés, le dos contre un mur, face à plusieurs soldats armés. Le capitaine qui les dirige, surpris et gêné par l’irruption de Jim, citoyen d’un pays allié, lui explique que ces Indiens ont été choisis au hasard et vont être fusillés pour l’exemple, afin que les habitants de cette région restent tranquilles et ne manifestent plus contre le gouvernement. Mais comme Jim est un hôte d’honneur, le capitaine lui fait la proposition de tuer lui-même l’un des Indiens, et alors les autres seront relâchés. Si, par contre, il refuse, les vingt seront fusillés comme prévu. Que doit faire Jim ?

Probablement, avant toute autre chose, vous allez profondément hésiter. Cette histoire, inventée par le philosophe anglais Bernard Williams dans un livre intitulé 'Utilitarianism: For and Against' , nous met face à l’une de nos tensions internes. Dans notre vie morale, nous voulons souvent –et avec de bonnes raisons !- une chose et son contraire. Ça s'appelle un dilemme. Et cette histoire qui met en scène un dilemme, et qui vise à nous aider à y réfléchir, à mieux connaître notre mode de raisonnement, et éventuellement à le critiquer, s'appelle une expérience de pensée. En philosophie, mais aussi dans un certain nombre d'autres domaines, c'est un outil de travail crucial. Une sorte de laboratoire intérieur.

Le Département de philosophie de l'Université de Genève organise ces temps une série d'ateliers ouverts au public sur ce thème. Des sortes de 'journées portes ouvertes' de ce labo pas tout à fait comme les autres. Différents domaines de la philosophie se succèdent ainsi, et demain 9 mai, c'est le tour de l'éthique. Alors si ça vous dit, venez!

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Se déguiser en scientifique

L'hypocrisie, comme on dit, c'est un hommage que le vice rend à la vertu. Peut-être faut-il donc prendre le déguisement en scientifique ou la tentative d'avoir l'air scientifique quand rien n'en est, comme un hommage à la démarche scientifique véritable. Mais tout de même, ces temps les exemples sont forts de café.

Ça commence en beauté, le mois dernier, avec l'annonce d'une fraude caractérisée par le Dr Reuben, un chercheur d'anesthésiologie qui a tout bonnement inventé des participants à des études...dont les résultats forcément sont plus contrôlables ainsi. Découverte presque par hasard, au court d'un audit de routine, cette fraude a secoué sérieusement la communauté des chercheurs cliniques.

Et ce n'est peut-être pas si mal d'être secoués, finalement. Car on sait que la fraude scientifique ça existe. Et que ce n'est sans doute pas réglementé avec une efficacité complète. Six solutions ont été proposées pour barrer la route à ce risque: la tolérance zéro, la protection des sonneurs d'alerte, la clarification des modalités d'alerte, la formation des mentors en la matière, les audits, et les modèles de rôle. Appliquer ces solutions n'est certes pas évident, mais les difficultés sont pratiques. La véracité, l'honnêteté intellectuelle, font partie des valeurs de base dans le monde scientifique. Comme toutes les valeurs de base de toutes les communautés, elles ne sont pas suivies à 100%, mais la difficulté est dans la réglementation et non dans l'établissement de ces valeurs comme importantes.

Quand un archevêque se prend pour un généticien, ça se complique. Celui de New York a annoncé, apparemment sans une once d'ironie, que la monogamie (et entre un homme et une femme, s'il vous plaît), serait inscrite dans nos gènes! Évidemment il n'a compris ni la génétique ni l'hérédité ni les variations populationnelles. Et ça se voit. Mais il est quand même touchant de le voir tenter de fonder une position morale dans la génétique, si fausse en soit sa compréhension. Serait-il d'accord de se voir rétorquer par un spécialiste de la fertilisation in vitro que la fécondation par le Saint Esprit est impossible, et que, donc, le récit biblique est faux...? Cet hommage-là, si hypocrite soit-il, en réchauffe presque le coeur.

Mais la palme toute catégorie de déguisement en scientifique doit revenir à la firme Merck, qui a tout bonnement créé son propre journal, étiquetté 'à revue par les pairs' (les pairs, c'était qui, au juste?), pour y déguiser en publications scientifiques des articles favorables à ses produits. Un des membres du 'comité consultatif d'honneur' (à quoi ça sert, ça?), un rhumatologue australien, n'était apparemment pas surpris de ne jamais recevoir d'articles à évaluer. Ni d'apprendre que le journal ne recevait pas de recherche originale. La culture scientifique nécessite parfois des cours de rattrapage...

Mais il semble par contre que Merck ait très bien compris les avantages du déguisement. Pouvoir dire 'comme démontré par cette étude publiée dans le Australasian Journal of Bone and Joint Medicine, une revue scientifique à revue par les pairs, ce produit que nous fabriquons est supérieur à la concurrence', même si ça fait au moins cinq mensonges ('démontré', 'étude', 'journal scientifique', 'revue par les pairs', 'supérieur') au lieu d'un seul ('Ce produit est supérieur à la concurrence'), c'est fou ce que le message doit être plus efficace! Terriblement dommage, au passage, que ça marche. Encore un domaine où la culture scientifique a besoin de rattrapage.

Comment je sais que le produit en question n'était pas, pour de vrai, supérieur à la concurrence? Et vous, vous pensez que si c'était le cas ils se seraient privés de publier ça dans un vrai journal?

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Conseils en cas de pandémie (2)

Merci à Jean-Michel Abrassart, qui signale sur son (excellent) blog le dossier de la revue Scientific American (Pour la Science, dans sa version anglophone), sur la grippe A (H1N1).

A côté d'une foule de renseignements et de précisions, on y trouve aussi les 5 conseils principaux à suivre en cas de pandémie avérée, si vous vivez dans une région touchée:

1. Ne touchez pas votre visage
2. Lavez-vous les mains
3. Si vous n'avez pas de lavabo dans les parages, désinfectez-vous les mains
4. Si vous éternuez, faites-le dans un mouchoir, jetez-le, et désinfectez-vous les mains. Restez à distance d'un bras au moins d'une personne malade.
5. Si vous pensez avoir besoin d'un masque, achetez-en.

Ce dernier conseil est un peu vague, mais en l'état actuel des connaissance on ne peut guère faire mieux. Il semble qu'un masque soit effectivement utile, mais seulement si on est pour plusieurs minutes dans un périmètre d'un mètre d'une personne atteinte, et seulement si l'on suit scrupuleusement les conseils de ... lavage des mains.

On trouve aussi des conseils spécifiques pour les parents ici, y compris la précision qu'il faut se laver les mains pendant le temps que ça prend de chanter 'Joyeux anniversaire' deux fois. Et quelques raisons de croire que cette épidémie-ci ne peut-être sera pas si grave, ici.

L'éthique là-dedans? La protection de soi, mais aussi le souci des autres, vient tout à coup à l'avant-scène dans une épidémie. Bien sûr. Et quoi de plus pertinent à l'éthique que cela. C'est donc aussi sur le plan moral que je suis soulagée: il semble que mes conseils de la semaine passée étaient justes! Ouf.
Il semble aussi qu'un beau jour, toute épidémie a une fin. Pour se remonter le moral, donc, la photo qui ouvre ce message...

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Un sujet vraiment très désagréable

'C'est une dangereuse invention que celle des gehennes, et semble que ce soit plustost un essay de patience que de verité. Et celuy qui les peut souffrir, cache la verité, et celuy qui ne les peut souffrir. Car pourquoy la douleur me fera elle plustost confesser ce qui en est, qu'elle ne me forcera de dire ce qui n'est pas ?'

Un peu plus de cinq siècles après l'auteur de ces lignes, 60 ans et quatre mois après la Déclaration universelle des droits humains, 22 ans après le prix Nobel de la paix à Amnesty International, on aimerait avoir progressé beaucoup sur la question de 'la question'.

Mais c'est raté. On ne peut que s'indigner à la lecture des mémos de l'Office of legal counsel, qui datent de...2005 (ici, ici, ici, ici, ici et ici, mais attention: âmes sensibles s'abstenir) et qui ont été rendus publics par l'administration Obama. Le plus terrible est que, si choquantes soient-elles, les techniques de torture qui y sont décrites ne sont malheureusement pas un scoop. Non, ce qui rend la chose encore pire, c'est le soigneux, le tatillon raisonnement juridique qui prétend expliquer par A+B que des techniques comme le waterboarding ne constituent pas de la torture. Que cette vénérable méthode, qui compte parmi ses précédents utilisateurs l'Inquisition et les Khmer rouges, ne peut pas être de la torture car bien sûr 'la torture est répugnante pour la loi américaine et internationale' (!) (bas de la page 1).

Ces efforts des juristes attitrés du président Bush, à l'époque, et dont la lecture est difficilement soutenable, sont symptomatiques d'une vraie crise - d'un déni qui semble avoir saisi une bonne part de la classe politique américaine. Même si le président Obama, après quelques hésitations, a interdit la poursuite de ces pratiques, et déclaré qu'il autoriserait une enquête ainsi que la poursuite en justice des auteurs des directives qui les avaient autorisées, il se poursuit autour de ce sujet, dans la politique et dans les commentaires de blogs, une sorte de 'débat' où l'on se croirait revenu tout droit parmi les contemporains de Montaigne, en cela qu'il se trouve des gens pour signer leur nom à la défense de ces pratiques. Et on assiste en face à des argumentations élaborées pour établir que les pratiques décrites sont effectivement de la torture. Un journaliste s'est même fait soumettre à la 'noyade simulée' pour pouvoir déclarer qu'il s'agissait de torture. Qu'il faille aller si loin, on croit rêver.

C'est qu'il n'est pas simple, de surmonter le besoin que son pays soit, nécessairement, dans le vrai. Maureen Dowd souligne aujourd'hui, pour la condamner, l'opinion selon laquelle 'si le président l'a dit, alors c'est légal', mais son commentaire montre aussi la difficulté qu'ont certains de s'en écarter. En France, où un traumatisme similaire a entouré la torture pratiquée en Algérie, les commentaires de Sartre lors de la publication (et de la censure) de La Question d'Henri Alleg avaient un aspect explicitement psychiatrique: 'Il suffit aujourd’hui que deux Français se rencontrent pour qu’il y ait un cadavre entre eux. Et quand je dis : un... La France, autrefois, c’était un nom de pays ; prenons garde que ce ne soit, en 1961, le nom d’une névrose'. Passage difficile à négocier, ça, quel que soit le lieu ou cela se produit. Mais passage crucial, car la mesure avec laquelle la vérité est dite, et les conséquences judiciaires tirées, va déterminer la manière dont la génération suivante vivra son identité.

Et déterminer surtout le risque de récidive. Car si on se prend à se demander 'comment ont-il pu pratiquer de telles horreurs', la réponse est simple, et glaçante: la plupart des humains, si on leur en donne l'ordre, le fera. On vient de répéter la célébrissime expérience de Milgram, et les résultats peuvent se résumer ainsi: disons que vous êtes une centaine à lire ce billet, eh bien 82 d'entre vous seraient, sur ordre, devenus tortionnaires. Autoriser la torture, c'est donc l'équivalent psychologique de laisser entrer une épidémie d'Ebola dans une prison: les gardiens ont plus de marge de manœuvre que les prisonniers pour y échapper, mais à peine. Et à devenir tortionnaire, on devient victime en même temps que bourreau. Ceux qui ont introduit le virus, ouvert la porte, autorisé cela, c'est au minimum ceux-là qui doivent répondre à la justice.

Mais bien négocier ce passage est d'autant plus difficile qu'un nombre important de personnes sont prises dans une sorte de crampe mentale autour de ce sujet. Les efforts des juristes pour exclure le waterboarding du champ de la torture; la quasi banalisation de l'isolement prolongé; l'idée absurde que l'on pourrait définir la torture en définissant des techniques autorisées ou interdites, alors que l'imagination humaine ne connait pas de bornes -et n'a pas besoin d'outils sophistiqués- lorsqu'il s'agit d'humilier, de dégrader, de briser l'identité de son semblable...autant d'exemples de notre capacité à raisonner à côté de la plaque.

Même si une enquête indépendante apparaît plus vraisemblable qu'il y a 10 jours, donc, ce n'est de loin pas encore fait. Amnesty International USA milite dans ce sens depuis longtemps, et votre aide ne serait sans doute pas de trop... Vous trouverez aussi la pétition d'un consortium d'ONG ici.

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