Pas plus, mieux...

C'est de nouveau la saison de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. D'abord, un extrait et le lien:

"Cherchez des exemples d’innovation et vous trouverez beaucoup d’exemples de comment faire plus. Face à un problème, on ajoute : un autre médicament, une autre intervention, un autre test. Hors de la médecine un autre logiciel, une autre option à sa voiture, un autre formulaire à remplir, une autre fonction dans l’organigramme… Ajouter à ce qui existe déjà est notre manière d’améliorer la plupart des situations.

Souvent (suffisamment pour nous convaincre) ça marche. Mais combien pourrions-nous faire en remplaçant le but d’en faire plus par celui de faire mieux ? Hors de la médecine, cette logique gagne du terrain. La fumée des foyers domestiques est un risque majeur pour la santé des pays pauvres ? Amy Smith, une chercheuse du MIT, a développé des briquettes combustibles quasi sans fumée, que l’on peut fabriquer à la maison avec ses propres déchets agricoles, sans déboiser, et vendre pour arrondir ses fins de mois. L’EPFL a lancé l’an dernier le programme Essential tech pour développer des technologies utilisables là où les besoins sont les plus grands et les ressources les plus rares. Des paramètres dignes des meilleurs ingénieurs. Et celui ou celle qui inventera l’échographie portative à énergie solaire trouvera certainement des applications partout dans le monde.

Cette idée que la simplification puisse être un défi intellectuel plutôt qu’un renoncement, une orientation de recherche plutôt qu’une «simple» affaire de bon sens, fait évidemment aussi son chemin en médecine."

Ensuite, une précision: cette logique de remplacer plus par mieux, de remplacer la 'simple' croissance par de l'intelligence, elle s'appliquerait sans doute tout autour de vous à tout ce qui, finalement, progresse ou avance. Comme l'indique cette jolie petite vidéo, en théorie ça pourrait presque être simple. Cela voudrait dire arrêter de se demander comme les enfants 'on arrive quand?' pour commencer à se demander (comme les adultes) 'on va où?'. Mais en pratique évidemment, que de choses à changer pour y parvenir...

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Et si on démocratisait les OGM? (4)

Voilà, c'est le dernier chapitre de ma partie du débat paru dans Moins! sur les organismes génétiquement modifiés. Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, puis la deuxième, puis la troisième, voici maintenant la dernière.

A point nommé pour vous en parler, on a rediscuté la semaine passée du riz doré. A point nommé car il s'agissait de savoir si l'ONG Greenpeace, qui s'oppose tous azimut aux OGM, allait ou non nuancer sa position. Car d'une part la science a fait beaucoup de progrès en matière de modifications génétique et permet désormais une technologie nettement plus précise et mieux contrôlée. D'autre part, c'est de plus en plus clairement démontré que le riz doré, un riz biologiquement enrichi en beta carotène, le précurseur de la vitamine A, pourrait sauver des millions de personnes par années de la mort ou de la cécité. Faucher les champs où on le teste, vu comme ça cela paraît carrément indécent.

Cette discussion illustre très bien la question qui fermait le débat paru dans Moins!: car il s'agissait justement d'examiner les conditions dans lesquelles une position sur les OGM devrait, ou non, changer. La question posée était la suivante: Dans le domaine des plantes génétiquement modifiées, les positions sont généralement très tranchées entre les défenseurs et les détracteurs. Chaque camp cite les études qui lui conviennent, études qui semblent souvent totalement contradictoires. Comment expliquer cette polarisation radicale ainsi que l'instrumentalisation de la science, qui n'en sort pas grandie?

"Les êtres humains croient plus facilement ce qui conforte leurs convictions. La démarche scientifique existe justement pour dépasser cette tendance. C’est une démarche extraordinairement exigeante d’examen critique des observations. Si vous faites partie d’un "camp" et que rien ne peut vous faire changer d'avis, alors ce que vous faites n’est pas de la science. Les opposants écologistes aux OGM sont ici dans une situation inconfortable, et certains s’en rendent d’ailleurs compte: la même démarche scientifique conclut que la modification génétique des plantes peut être sûre, et aussi que le réchauffement climatique d'origine humaine est réel. Alors ensuite, soit cette démarche est fiable, soit elle ne l’est pas! En s’opposant aux climato-sceptiques, certains ont dû réexaminer des arguments qu’ils avaient eux-mêmes utilisés en s’opposant radicalement aux OGM: en comprenant mieux comment la science se fait, y compris dans ce domaine, ils ont changé d’avis sur le génie génétique. Là, la science en sort grandie, et eux aussi."

La démarche scientifique, si on l'enseigne suffisamment pour que tous puissent comprendre comment elle marche, c'est un magnifique outil de démocratisation des connaissances. Vous ne savez pas si une observation est crédible ou pas? On vous explique comment on l'a faite, chacun peut la lire et la commenter, et vous pouvez ainsi comprendre par vous-même. Bien sûr, c'est difficile. Exigeant, plutôt. Ca mérite un effort de part et d'autre. Pour expliquer plus clairement, et aussi pour mieux comprendre. Il faut apprendre à faire le tri entre l'information réelle et toute une série de dénismes. Malgré tout cela la démarche scientifique laisse à chacun le choix: si je veux apprendre comment ça marche le génie génétique, comment on sait si les OGM sont sûrs, je peux le faire.

Je vous en parlais au sujet du PNR 59. Le Fonds National Suisse a récemment mis en ligne une trentaine d'études financées par des deniers publics en dans notre pays sur cinq ans ainsi qu'une revue internationale de la littérature disponible. Les résultats ont été résumés pour que tout un chacun puisse y avoir accès, et sont bien sûr également disponibles en français. Vous trouverez tout ça ici. 

Alors maintenant, des organisations comme Greenpeace sont prises dans la contradiction. La science: fiable ou pas fiable? La lutte: contre le réchauffement climatique ou contre les OGM? Dans des paysages comme celui qui ouvre ce billet, va-t-on planter des récoltes résistantes à la sécheresse ou 'planter' du désert? Pour qui souhaite un minimum de cohérence, il va falloir choisir...

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Mes collègues: le checkpoint de Lampedusa

Il écrit décidément très bien, Nicolas Tavaglione. Cette fois, c'est un billet d'une clarté dérangeante dans Le Courrier sur les 300 morts du naufrage du 3 octobre à Lampedusa. Pour une fois, plusieurs extraits avec le lien car cela mérite un peu de développement. Mais surtout allez le lire. Son article est ici.

Face à un tel drame, comment réagir? On a vu dans la presse de l'indignation, bien sûr. Mais il y eut aussi réactions lénifiantes:

Les cadavres étaient de jeunes gens pleins d’espoir. C’étaient des damnés de la Terre matraqués de «déboires, privations, maladies, violences des tyrans, mort des proches». Ils étaient tombés entre les griffes de «passeurs avides». Enfin, «ils venaient chez nous». On pense d’abord que la chroniqueuse exprime une émotion presque romanesque: mon dieu, nos invités sont morts en chemin – et dire qu’il n’y a pas trente minutes, je les avais au téléphone. Et on se trompe. Car le problème, c’est précisément qu’ils n’étaient pas invités: «Il nous est impossible de rester indifférents car nous savons que nous ne pouvons les accueillir, quand bien même nous le souhaiterions.»

Aaah, c'était des 'réfugiés économiques'? Circulez, il n'y a rien à faire...

Sauf que non:
"on sait que la misère «économique» a des causes politiques. La situation désastreuse de maint pays du Sud est le fruit de l’oppression et de la corruption domestiques – conformément à la logique de la faim exposée par Amartya Sen, Prix Nobel d’économie: les famines surviennent pour la plupart dans des Etats non démocratiques dont les dirigeants confisquent les richesses et, faute de contrôle populaire, n’ont aucune incitation à travailler pour satisfaire les besoins de leurs administrés. La situation désastreuse de maint pays du Sud est également le fruit de la domination internationale: rappelons-nous les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI dès les années 1980 aux nations endettées du tiers monde. Comme le rappelle l’anthropologue David Graeber dans sa corrosive histoire de la dette, il s’agissait là d’imposer des sacrifices à des populations innocentes au nom du remboursement de dettes contractées par des dictateurs – pour le plus grand profit des banques du Nord. Prétendre discerner clairement l’économique du politique dans cet embrouillamini, voilà qui tient de l’exploit mystique. "

Voilà qui mérite d'être répété: les personnes qui sont mortes à Lampedusa fuyaient les effets de politiques qui leur ôtaient l'espoir d'une vie digne, parfois d'une vie tout court. La question n'est donc pas d'abord 'doit-on les accueillir', mais plutôt 'comment cesser de soutenir ces politiques'...Car en plus, il s'agit nettement trop souvent de nos politiques.

Un autre philosophe, l'allemand-américain Thomas Pogge, a très bien décrit ça. Les inégalités du monde actuel comportent des injustices manifestes, mais on n'admets habituellement pas que nous, les habitants actuels des pays riches, puissent en être responsables. Les causes, c'est des acteurs locaux, des gouvernements inadéquats, ou alors des générations passées mais comment nous tenir pour responsables des actes des contemporains de nos grand-parents?

Sauf qu'il y a un hic. Trois hics, en fait. Tout d’abord, même si le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté mondial est immense –plus d’un milliard de personnes selon la Banque Mondiale- les inégalités matérielles sont désormais tellement grandes que doubler ou tripler le revenu de toutes ces personnes par une redistribution directe ne serait même pas vraiment ressenti dans les pays riches. Y remédier n’est donc pas disproportionnellement exigeant.

Ensuite, même en admettant qu’il soit possible de refuser en quelque sorte l’héritage historique des crimes passés qui sont à l'origine d'une partie des inégalités présentes, il est incohérent de prétendre le faire tout en continuant de jouir des avantages qu'on en retire. Ce serait vouloir prendre dans un héritage seulement les biens et pas les dettes. « Comment pouvons-nous accepter et défendre par la force les grand avantages de naissance qu’un processus historique injuste nous a arbitrairement octroyés sans aborder aussi les privations sévères que ce même processus injuste a arbitrairement imposé à d’autres ? »

Finalement, les règles actuelles qui régissent l’ordre international sont clairement du ressort de notre génération. Et bien sûr certaines de ces règles défavorisent activement les populations les moins bien loties de la planète. Il ne s’agit donc plus de savoir s’il est obligatoire ou simplement louable d’apporter une aide aux plus démunis. Il s'agit de s'abstenir de nuire. Et ça, ce n'est pas une question de charité ni une question de contrôle des frontières. C'est une question de morale beaucoup plus simple, ça, l'interdit de faire du mal à autrui.

Des exemples? Le plus frappant de ceux qui sont cités par Pogge est celui-ci: considérer un prêt aux dirigeants comme un prêt au pays, même lorsque le pouvoir a été saisi par la force et que l’argent n’est pas investi pour la collectivité, rend la ‘carrière’ de putschiste extraordinairement lucrative. C’est doublement au détriment de la population qui se verra d’une part affaiblie par une dette extérieure sans jamais avoir bénéficié du prêt, et verra d’autre part son pays devenir une proie attirante pour les prises de pouvoir par la force, et ainsi une zone de guerres civiles. Un autre exemple est le champ libre que nos règles laissent à des entreprises qui oeuvrent, sans surveillance et parfois au mépris des droits humains, dans des pays où les protections des personnes sont inexistantes.

Que des personnes fuyent ces situations par milliers, est-ce si surprenant? Et face au verrouillage de nos frontières, que certaines périssent est-ce si surprenant? Entre 1961 et 1989, 99 fugitifs d'Europe de l'est ont été abattus ou sont morts accidentellement en tentant de passer la frontière berlinoise, le fameux Mur de Berlin. "Depuis les années 1990, près de 20 000 personnes ont perdu la vie en tentant de rallier les États membres de l'Union". Face à un tel drame, donc, comment réagir? En regardant au-dela des questions de contrôle des frontières. Ces personnes n'arrivent pas par hasard à nos portes. Ce n'est pas la faute à pas de chance. C'est le résultat de décisions que nous acceptons, un tant soit peu, d'entretenir...

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Les mots de la science

Nos conversations sont pleines de mots scientifiques. Non, vraiment. Je ne veux pas parler de jargon, d'acide acétylsalicylique (vous vous rappelez les Inconnus?). Non, je veux parler des termes qu'on utilise dans le langage courant, mais qui ont un sens plus précis -ou différent- quand ils sont utilisés dans un contexte scientifique. Du coup, on a l'impression de les comprendre. Après tout, on les connait. Mais quand on parle de science, souvent en fait on ne les comprend pas vraiment. Ces mots, ils sont intéressants. Justement à cause des malentendus qu'ils peuvent causer, ils révèlent certaines des incompréhension qui tournent autour de la démarche scientifique tel qu'elle est comprise, ou pas, par des non scientifiques.

C'est donc très utiles quand quelqu'un les recense, et la très sérieuse revue Scientific American (la version anglophone de Pour la Science) l'a fait il y a quelques temps. Sept mots, et autant d'éclaircissements qui seront du rappel pour pas mal d'entre vous, mais sur lesquels ça peut être utile d'insister. L'original est ici.

Voilà la version courte et traduite:

1. Hypothèse: ce n'est pas une supposition, si intelligente et éduquée soit-elle. C'est une explication proposée pour quelque chose que l'on peut tester.

2. Théorie: ce n'est pas une idée théorique. C'est une explication d'une partie du monde naturel qui a été confirmée par la convergence d'expériences nombreuses et d'observations répétées. Une très bonne vidéo qui explique ça (en anglais malheureusement, mais à quand des sous-titres) est ici.

3. Modèle: ce n'est pas une voiture (ou un système solaire) en miniature. C'est...des choses différentes dans des sciences différentes. Parfois, le langage scientifique ne contribue pas à sa propre compréhension!

4. Sceptique: on décrit souvent ainsi des personnes qui n'acceptent pas un fait, ou une théorie. Par exemple, on utilise le terme 'climatosceptique' pour désigner les personnes qui ne croient pas que le réchauffement climatique est réel, ou que les humains le causent. Mais le terme sceptique n'est pas juste, ici. En fait, il a deux sens différents, dont un seul est utilisé en sciences. Le premier, philosophique, est une position selon laquelle il n'y a rien de certain. Le second qualifie les personnes qui doutent de ce qui n'est pas prouvé de manière incontestable. Dans ce second sens, un sceptique est donc ouvert aux observations et aux données scientifiques, et prêt à ré-évaluer ses conclusions en en tenant compte. Cela ne désigne donc pas quelqu'un qui ne croirait fondamentalement pas en un phénomène. Dans ce second sens, donc, c'est la posture scientifique par exellence. Carl Sagan aimait dire que tous les scientifiques doivent être sceptiques. C'est le mécanisme par lequel la science se corrige continuellement, et finalement celui par lequel elle progresse. Quelqu'un qui refuse fondamentalement une position, quelles que soient les données qui viennent la démontrer? C'est un déniste pas un sceptique.

5. L'inné et l'acquis: on les oppose habituellement dans le langage courant, comme si un phénomène devait être soit inné soit acquis. Mais en termes scientifique on sait qu'ils interagissent tout le temps et que l'on ne peut pas les opposer comme ça. Des facteurs environnementaux influencent l'expression de nos gènes, parfois de manière héritable. Et on ne peut même pas déterminer 'une fois pour toutes' la part de l'un et de l'autre. Un exemple classique: la taille à l'âge adulte. Prenez une population dont l'environnement est stable depuis quelques temps. Disons, l'américain moyen. (J'ai dit 'stable' pas 'bon pour la santé'). Mesurez la taille des adultes et celle de leurs parents à leur âge, et vous constaterez que c'est la taille des parents qui est le meilleur prédicteur de la taille de leurs enfants une fois adultes. Donc, c'est génétique. Mesurez maintenant la même chose chez les enfants d'immigrés, nés aux Etats-Unis de parents qui ont grandi au Vietnam, par exemple. Vous constaterez qu'il n'y a plus de lien entre la taille des parents et celle des enfants. Ces derniers sont nettement plus grands, le résultat d'une alimentation plus abondante dans l'enfance. Donc, c'est environnemental. Inné ou acquis? Les deux, bien sûr.

6. Significatif: en termes scientifiques, ça ne veut pas dire 'important'. Ca veut dire 'très probablement pas dû au hasard'.

7. Naturel: dans le langage courant on s'en sert souvent pour dire 'bon', 'bon pour la santé', ou même 'vertueux'. Naturel est un terme pour lequel il y a de nouveau plusieurs définitions, dans les sciences aussi. Les deux plus importantes sont 'qui est le propre du monde physique' (le contraire ici est 'surnaturel'); et 'qui n'est pas le résultat de l'action humaine' (le contraire ici est 'artificiel'). Mais vous avez vu: ces définitions n'ont rien à voir avec ce qui est bien ou mal. Mais comme disent les auteurs de l'article, 'l'uranium est naturel et si vous vous en injectez assez, vous allez mourir'.

Vous je ne sais pas, mais moi je suis à chaque fois très reconnaissante quand ce genre de chose est clarifiée...

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