Une éthique basée sur la science?



Lorsque l'on parle d'éthique et de sciences, une des démarcations importantes est le paralogisme naturaliste. La confusion entre une description des faits (si tu me frappes, cela me fait mal) et une description des valeurs (me frapper, c'est mal). Savoir reconnaître cette erreur est utile. On la croise très souvent. Cela donne des mauvaises excuses comme 'tout le monde le fait, donc ce n'est pas grave' ou 'il est naturel d'être violent/peureux/raciste/volage/monogame/réticent à manger des légumes et donc c'est ainsi qu'il faut être'. Je vous choisis exprès des exemples où l'erreur est évidente, mais elle ne l'est pas toujours et cette distinction est souvent bonne à rappeler.

Sur cette base, certains ont déduit qu'il était impossible de fonder des normes, ou des valeurs, dans des faits. Bien sûr ils admettent que des faits sont pertinents pour nos raisonnements moraux: si nous étions incapables de souffrir, peut-être ne serait-il pas mal de nous frapper. Mais ils maintiennent que, fondamentalement, les valeurs sont radicalement différentes des faits observables, voire du monde naturel, et qu'elles ne sauraient être déduites de l'un ou de l'autre.

D'autres ont rétorqué que les valeurs étaient ancrées dans des fait naturels, et pouvaient être expliquées dans ces termes (un exemple est ici). Certains se sont aussi demandé comment cela se fait, si les valeurs ne sont pas des 'ingrédients' naturels du monde d'une manière ou d'une autre, que nous soyons capables de les percevoir et de les prendre parmi les causes de nos actions?

Bref, si la distinction de base tient clairement la route, il y a controverse sur l'étendue de ses conséquences.

La vidéo qui ouvre ce message en est un exemple. Sam Harris, qui a un doctorat en neurosciences mais qui est surtout connu comme un des défenseurs du scepticisme scientifique, y défend une version de la contribution des sciences à l'éthique. L'étape intermédiaire en est le lien entre l'éthique et ce que les anglo-saxons appellent le human flourishing. En français on dit 'bonne vie humaine', mais le terme est moins satisfaisant. Il ne s'agit pas ici d'abord d'une vie vertueuse, mais d'une vie propre à mener à une existence pleine et riche, entière. L'image qui vient à l'esprit est celle d'une plante qui pousse, s'étend, fleurit, bref se porte bien au sens le plus large du terme. Une présentation contemporaine d'une éthique basée sur l'eudaimonia antique, à l'exemple de celles d'Aristote ou des Stoïciens.

Mais regardez la vidéo. Et puis vous me direz ce que vous en avez pensé...

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Vous avez dit...bonus?

On a reparlé cette semaine des bonus des banquiers. Alors je ne résiste pas à vous signaler une conférence sur un sujet qui n'a a priori rien à voir, sauf que en fait oui.

Le problème illustré dans l'image est le suivant. On vous donne une bougie, des allumettes, et des punaises. La tâche consiste à accrocher la bougie au mur qui est en dessus de la table et à l'allumer...le tout de façon à ce que la cire ne goutte pas sur la table.

La solution: utiliser la boîte des punaises comme support. Sauf que pour la trouver il faut 'penser à la boîte', y voir autre chose que le contenant des punaises. Et pour ça, compte tenu de la manière dont le problème est présenté, il faut un brin d'imagination. Pas tout le monde y arrive tout seul, et ça prend un peu de temps.
Il existe une variante du problème 'pour les nuls': sortir à l'avance les punaises de la boîte, avant de présenter le problème. Là, tout le monde trouve très facilement la solution: la boîte est identifiée comme telle d'emblée.

Tout ça est une 'bonne vieille' expérience standard de psychologie. Mais voilà où cela devient intéressant pour le sujet d'aujourd'hui: dans une variante, on offre un incitatif financier pour les plus rapides. Dans la version facile, pas de surprise, ça marche. Les personnes auxquelles on promet une récompense font beaucoup plus vite que les autres. Mais dans la version difficile, non. Pire, dans cette version du problème, promettre une récompense au plus rapide ralenti la tâche. Pourquoi? L'explication donnée habituellement est que l'espoir d'une récompense focalise l'attention. C'est très utile quand une tâche est très clairement décrite, et c'est pour cela que ça marche quand, par exemple, on paie des ouvriers à la pièce pour une tâche bien définie. Par contre, focaliser l'attention, eh bien ça en rétréci le champ. Et du coup c'est contre-productif lorsque la tâche n'est pas entièrement définie, qu'il faut en trouver la solution en partant en explorateur, bref dans la version difficile du problème.

Tout ça est très bien décrit dans cette vidéo.

L'ennui, c'est qu'il y a beaucoup, beaucoup de tâches professionnelles aujourd'hui qui ressemblent plus à la version difficile du problème de la bougie qu'à la version facile. Et que l'on peut donc prévoir que des incitatifs financiers y seront contre-productifs. Alors oui, les économistes n'ont pas toujours intégré des connaissances de psychologie très nuancées dans leurs modèles. Mais ils ont tout de même de plus en plus tendance à tenir compte de ce genre de chose.

D'où la question (et c'est juste une question): étant donné que l'on voit défendre l'octroi de bonus comme incitatifs pour les cadres supérieurs des banques, est-ce que:

1) Leurs tâches sont simples et bien pré-définies?
2) Il ne s'agit en fait pas d'incitatifs à la performance, mais de tout autre chose?
3) On se base sur une version de la psychologie humaine désuète depuis des décennies en psychologie et -quoique depuis moins longtemps- également désuète en économie?

Ou peut-être que quelqu'un a une autre explication?

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La réforme du système de santé américain

Ça y est, ils l'ont fait. Longtemps le seul pays occidental sans système de couverture universelle, les États-Unis viennent de passer une loi censée garantir un accès aux soins de santé à 30 millions de personnes qui n'en avaient pas jusqu'à présent. L'image qui illustre ce billet, eh bien on espère qu'elle va y sembler touchante et dépassée d'ici quelques années.

Ce ne fut pas une mince affaire. Les débats ont duré un an, lors duquel Obama a quasiment refait une campagne présidentielle. Les obstacles étaient énormes et l'issue très incertaine. Cela fait près d'un siècle que cette discussion est présente dans la politique américaine, et les réformes de santé y ont essuyé échec après échec.

En fait c'est plusieurs pages qui se tournent ici. D'abord, finalement, les citoyens américains vont passer d'un système où ils peuvent avoir une couverture de santé SI ils ne sont pas trop riches, ni trop pauvres, ni trop malades... à un système où ils peuvent avoir une couverture de santé, point. Et ils reviendront de loin. Une assurance américaine a récemment défini le genre de problème pouvant justifier un retrait d'assurance comme:
"un problème de santé ayant une des caractéristiques suivantes: pas de traitement connu; probabilité de récidive; nécessite un traitement palliatif; nécessite un suivi ou un traitement prolongé; est permanent; nécessite un enseignement ou une réhabilitation spécialisée; est causé par un changement corporel non réversible."

Bref la plupart des maladies qui sont la raison pour laquelle on a besoin d'une assurance: ce n'est pas seulement les personnes sans assurance qui vont pouvoir en acquérir une, c'est aussi la plupart de ceux qui pensaient qu'ils en avaient déjà une...

C'est aussi la première fois que l'Association Médicale Américaine soutient un projet de réforme de la santé. C'est peut-être étrange vu d'Europe (quoique...) mais les représentants officiels des médecins s'étaient toujours opposés à l'extension de la couverture d'assurance. A ma gauche, la crainte d'être soumis à des règles dans leurs décisions thérapeutiques. A ma droite le poids quotidien des factures impayées, et du choix entre soigner des patients sans assurance ou être en mesure de payer une éducation à ses enfants. La balance semble avoir bougé cette fois.

Ensuite, c'est la première mesure politique américaine depuis très très très longtemps dont un des effets devrait être de limiter les inégalités financières entre les personnes. Pas rien, ça. Les opposants qui ont clamé que cette législation était communiste peuvent cela dit dormir tranquilles. Ces inégalités n'ont cessé de croitre ces dernières décennies et il y a donc pas mal de marge avant de faire des Etats-Unis une société sans classes...

C'est aussi, même si ici la valeur est plutôt symbolique, une législation passée par un président noir avec l'aide d'une présidente du congrès, et dont l'un des défenseurs les plus acharnés est homosexuel. De là à dépeindre la réforme de la santé comme une victoire des 'minorités', il n'y a qu'un pas, abondamment franchi. Et bien sûr, les réactions des opposants vont dans le même sens. Les commentateurs ont parlé d'
une frange de ceux que l'on a appelé 'les dépossédés', anciens privilégiés du système forcés de partager depuis les années 60, qui semblerait devenir plus violente. Actions en justice, vandalisme, menaces de mort, le parti républicain se comporte d'une manière bien éloignée des règles habituelles de la politique, et pas franchement rassurante il faut bien le dire. La politique de la panique à bord, magnifiquement décrite par Chomsky dans cette video, est un peu ici tournée contre tout ce qui bouge...

Mais ne croyez pas que ce soit 'seulement' une page américaine qui se tourne. Comme le disait Alex Mauron l'autre jour, "La victoire du plan Obama (...) c'est aussi une page d'histoire mondiale car elle coupe l'herbe sous le pied des ultra-libéraux en matière de santé en Europe et en Suisse aussi. Leur bagage idéologique ne pesait pas très lourd, il devient infinitésimal..."

Dommage qu'il faille en général attendre 10-15 ans avant que les idées ne traversent l'Atlantique...

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Le point de vue du maïs



De temps en temps, il faut voir le monde à travers des yeux improbables. Le 'point de vue' du maïs ne vous a peut-être jamais tenté, mais regardez...

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Illusions morales?

On a récemment reparlé de vaccination autour de la rétraction par la prestigieuse revue The Lancet d'un article datant de 1998 et soulevant la question d'un lien entre le vaccin contre la rougeole et la survenue de l'autisme chez les enfants. Entre temps, un si grand nombre de problèmes avait été soulevé autour de ce papier, que la question la plus intéressante est: comme ça a marché? Pourquoi est-ce qu'un article fondé sur une méthodologie bancale, un nombre de cas presque anecdotique, et mettant de surcroît des parents en garde contre une mesure de protection de leurs enfants, a si bien 'fonctionné'? Pourquoi a-t-il convaincu tant de personnes normalement constituées de laisser leurs enfants sans défense face à une maladie potentiellement létale?

Une des réponses est dans certaines de nos illusions mentales, qui sont décrites ici, et ici. C'est paradoxal, mais la crainte de la vaccination a un point commun avec la tendance à oublier l'importance de l'écologie: nous sommes pour ainsi dire câblés pour préférer éviter un risque, ou un inconvénient, présent.

Qu'on en vienne à l'avenir, et tout se complique. Nos capacités, nos préférences, les limites de notre imagination, tout ça nous handicape. Nous sommes limités dans deux tâches qui sont justement nécessaires pour estimer un choix futur: évaluer la probabilité d'un événement, et évaluer sa valeur à nos propres yeux.

Devant un choix concernant l'avenir, notre imagination nous fait défaut. Un monde où les villes côtières ont disparu, où votre enfant est mort de la rougeole? Impensable. Trop dur. Et puis surtout cela ne s'est jamais produit avant. Nous calculons les probabilités sur notre mémoire, et non...sur leur probabilité. Dan Gilbert présente dans la 2e vidéo un exemple saisissant: nous jouons à la loterie parce qu'on nous montre des gagnants. Nous en concluons que gagner n'est pas si improbable. Mais si nous devions donner 30 secondes d'interview à chaque perdant, nous verrions 9 ans non stop de témoignages pour 30 secondes du sourire qui suit le jackpot. Nous jouerions sans doute moins.

La crainte de la vaccination est semblable. On parle de chaque 'victime' soupçonnée, même lorsque le soupçon est sans fondement. Lorsque le doute est levé et la vaccination innocentée, silence. Même silence, assourdissant, chaque fois que quelqu'un ne meurt pas d'une maladie prévenue par la vaccination. Mon enfant n'est jamais mort de la rougeole. Je n'ai jamais vécu dans un monde où la mer est vidée de ses poissons: ces deux événements sont "donc" impossibles. On achète le billet de loterie, on hésite à vacciner son enfant, on achète comme si la planète était sans fin, dans tous ces cas la même illusion est à l'œuvre. Ah oui, dans la foulée on oublie aussi de prendre une carte de donneur d'organes...

Si nous évaluons mieux le présent que l'avenir, si nous le préférons, c'est en partie parce que nos "raccourcis" ont évolué dans des circonstances où la préférence pour l'immédiat était vraiment prudente. Mais à présent que nous sommes libérés des menaces qui pèsent habituellement sur les espèces, maintenant que la menace la plus évidente vient de nos propres décisions, comme dépasser cette préférence? Certains essayent de rendre les futurs possibles plus présents par le biais de jeux vidéos. Un des premiers, 'World without oil' a déjà eu un succès retentissant. En rendant plus concrète la fin du pétrole, ce jeu a changé le comportement des joueurs dans le vrai monde. Une solution par la réalité virtuelle! Qui l'eut cru? Je vous avais averti que nous avions des illusions d'optique...

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Douaniers des valeurs

«Je ne suis pas la police, vous pouvez tout me dire». Cette petite phrase, nous l’avons tous employée un jour ou l’autre. Un des patients qu’elle me rappelle était illégalement en Suisse. Il avait beaucoup tardé avant de consulter, par crainte d’être dénoncé aux autorités. Par crainte aussi d’être victime d’une maladie stigmatisante. «Je ne vais pas vous accuser, j’ai besoin de savoir ces choses pour vous aider». Sans doute ne mesure-t-on pas toujours vraiment l’ampleur de ces mots. Ils signalent un état de fait. Le secret professionnel est une partie intrinsèque de la médecine. Mais plus encore, ces mots signalent une frontière. Ici, vous passez une ligne : nous gardons à l’intérieur un certain nombre de valeurs, et nous ne laissons pas entrer juste comme ça des considérations qui leur sont hostiles.

Cette frontière est, ou devrait être, semi-perméable. Faire place aux valeurs de nos patients, se donner la possibilité d’un progrès moral, tout cela nécessite de ne pas trop se murer. Mais l’ouvrir entièrement poserait des problèmes sérieux. L’espace moral médical diffère parfois substantiellement de ce qui l’entoure, et le protéger n’est ni facile ni anodin. Nous pourrions sans doute tous citer des gouvernements qui ne devraient pas avoir trop à dire sur le comportement des soignants. Outre-Atlantique, les discussions sur la participation de nos collègues à la torture ou à la peine capitale sont de cet ordre. En Chine, les cas d’internement de dissidents politiques sous des motifs «psychiatriques». Plus près de chez nous, il y eut les pressions pour refuser les soins aux personnes dont la demande d’asile est frappée d’une décision de non-entrée en matière. Il y a la pression grandissante sur les «mauvais payeurs». Les projets de sortir l’interruption de grossesse («et pourquoi pas la trithérapie ?») de l’assurance de base. En refusant d’accepter ce genre de consignes, on garde la frontière…

On la garde justement aussi en refusant de laisser pénétrer le jugement social dans le raisonnement clinique, ou de mélanger une certaine idée du mérite à celle, plus fondamentale, du besoin des malades. Étranges douanes, où les personnes doivent passer avec le moins de barrières possibles, mais où ce sont les idées qui doivent présenter leurs papiers. «Je ne vais pas vous accuser»... L’éthique médicale met, nécessairement, le moralisme au placard au profit de ce qu’on pourrait appeler le «pragmatisme empathique». Peu m’importe ce que d’autres penseraient de votre vie privée, de vos comportements sexuels. «J’ai besoin de savoir ces choses pour vous aider». Alors bien sûr, à cette frontière tout ne se laisse pas si facilement arrêter. Fondée sur notre vulnérabilité biologique commune, la médecine est forcément plus égalitaire que nos sociétés. Même là où l’on accepte relativement facilement qu’un patron gagne des centaines de fois plus que ses employés, on n’acceptera pas qu’il soit soigné des centaines de fois mieux. «La médecine n’évalue pas la fortune ou l’identité des hommes, mais promet son secours également à tous ceux qui implorent son aide», écrivait-on déjà au premier siècle de notre ère. Laisser le statut social, si important d’ordinaire, à la porte. Y laisser le jugement d’une société à laquelle, finalement, on appartient. Parfois, oui, tout ça est difficile. Nous n’y parvenons pas toujours. Mon patient qui avait tardé pour consulter, avait sans doute de bonnes raisons de craindre que je le juge, quand même, moi aussi, comme d’autres. Qui sait ce qu’il avait vécu avant, ailleurs. Arrivé trop tard pour que nous puissions l’aider alors que sa maladie avait commencé par être curable, il est mort, aussi, de cette crainte. Ces petits mots, nous n’en mesurons pas toujours l’ampleur…

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Vous avez dit: neuroéthique?

'Faites en sorte, en construisant une théorie morale ou en projetant un idéal moral, que le caractère, la méthode de décision, et l'action prescrites soient possibles, ou perçues comme telles, pour des êtres comme nous.'

Ce 'principe de réalisme psychologique minimal', exprimé par Owen Flanagan en 1991, rappelle un point très important. Vouloir séparer l'éthique de ce que l'on appelle en général 'la nature humaine', est illusoire. Et du coup cela pose une série de questions très intéressantes.

C'est quoi, 'ce qui est possible pour des êtres comme nous'?

Et si nous constations que ce qu'on considère comme 'moralement juste' est hors de notre portée: cela cesserait-il d'être 'moralement juste'? Dans quelles conditions? Pourquoi?

Ca veut dire quoi, d'abords, 'hors de notre portée'?

Et puis qu'est-ce qui fait que nous considérons une action comme 'moralement juste'? Y a-t-il des 'illusion d'optiques' de l'éthique?

Ces questions, les neurosciences se les posent de plus en plus concernant, justement, notre raisonnement moral. Comment faisons-nous ça, en pratique? Si on observe notre cerveau, qu'y voit-on lorsqu'on est en plein dilemme? Certains résultats interrogent nos idées préalables. Par exemple, on sait que notre engagement émotionnel varie selon les scénarios qu'on nous présente, et que cela donne à l'arrivée des conclusions qui semblent contradictoires. Nos intuitions nous aident-elles? Nous trompent-elles? Ces questions sont fascinantes.

Elles font en ce moment ouvert l'objet d'un cycle de conférences que je vous invite à suivre. Le Centre de bioéthique et sciences humaines en médecine de Genève organise de 2009 à 2011 une série de conférences sur cette interface entre ce que l'on apprend dans les neurosciences sur comment des être comme nous raisonnent, vivent des émotions, expriment des jugements moraux, et ce que peuvent en dire des philosophes sur un éventuel impact en philosophie morale et politique.

'L'éthique, c'est tout naturel' se passe au Centre médical universitaire. La prochaine conférence sera donnée ce mercredi 17 mars par le Professeur Eric Racine. Elle sera intitulée:

'Les neurosciences et les fondements biologiques de l'éthique : Perspectives pragmatiques et neuroéthiques '


Coup d'envoi à 18h30 à l'auditoire C150. Venez nombreux!

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Les périls...de la télé

Lors de sa célèbre expérience, plus connue parfois à travers le film 'I comme Icare', Milgram avait recruté des participants en leur faisant croire qu'ils allaient l'assister pour réaliser une expérience sur l'effet des punitions dans l'apprentissage. Ils devaient poser des questions à un faux 'sujet' (en réalité, ce 'sujet' était le véritable complice de Milgram) et, si le 'sujet' donnait une réponse fausse, ils devaient lui administrer un choc électrique. Je vous rassure, c'était truqué, pas d'électricité dans l'appareil, mais un acteur à l'autre bout qui jouait celui qui en reçoit. Et qui répondait souvent faux. A mesure que la réponse n'était pas la bonne, on demandait à 'l'assistant' d'augmenter le voltage jusqu'à un maximum de...450 volts. Ce que l'on testait en réalité était jusqu'où ils obéiraient à un ordre aussi barbare. On ne les menaçait jamais, il n'y avait aucune conséquence pour eux s'ils partaient, mais chaque fois qu'ils disaient vouloir s'arrêter, l'expérimentateur leur disait simplement de continuer.

Les résultats en ont terrassé plus d'un: 65% des sujets sont allés jusqu'au voltage maximum.

Lorsque j'explique cette expérience dans un cours, et comme ce sont des résultats qui dérangent, une remarque revient souvent: 'Bon, c'était au début des années 60, les gens étaient conformistes à cette époque'. Hmmm. Ce serait réconfortant bien sûr. L'ennui, c'est qu'on a répété ça des dizaines de fois, à différentes époques, dans différentes cultures. Et bien sûr ça marche encore. Dérangeant en effet.

C'était annoncé, cette expérience vient d'être dupliquée à la télévision. La vidéo est ici. Mais attention, c'est très difficile à voir. Ceux d'entre vous qui avez regardé nos semblables succomber les uns après les autres, aux successeurs de Milgram dans le documentaire 'Le jeu de la mort' n'ont peut-être pas tous eu la même réaction. On se dit qu'on aurait soi-même résisté. L'ennui, c'est que si l'on avait posé la même question à ceux qui sont réellement allés jusqu'au bout, ils auraient sans doute tous donné la même réponse. On le sait, face à cette question la majorité d'entre nous vit dans une illusion d'optique.

Alors, qu'est-ce qui aide à résister? On ne sait pas tout sur ce sujet. Mais peut-être, d'abord, est-il utile de ne pas avoir appris que l'obéissance à tout prix était une vertu. Il est ainsi troublant que le premier récit écrit d'échec -d'absence de révolte- à 'l'expérience de Milgram' soit sans doute Abraham...Profondément troublant. Milgram relève aussi que la proximité physique avec la personne à qui l'on inflige les 'chocs électriques' change la donne: plus on est proche, plus le contact est physique, plus la révolte contre l'autorité est fréquente. C'est aussi vrai si la victime peut voir son bourreau. La proximité de l'autorité a l'effet inverse: si la personne l'incarnant quitte la pièce, le taux de révolte augmente.

Par contre, est-ce qu'enseigner l'expérience de Milgram aide à y résister? Mystère. Comme beaucoup d'enseignants d'éthique, je me sers de cet exemple dans mes cours. On espère, parfois très fort, que nos élèves en sortiront plus aptes à éviter l'état agentique. L'esprit critique plus près de la surface. Mais au fond qu'en sait-on?

Le même doute flotte autour de la réplication de l'expérience par la télévision. A quoi les personnes ont-elles consenti, et quand? Et puis: de quoi s'agit-il, finalement? Veut-on clamer l'autorité de la télévision, déclarée 'légitime' par la voix-off? Il faut se rappeler qu'ici, ce mot ne signifie que le fait de l'obéissance, et non une légitimité morale. S'agit-il de mettre en garde, d'enseigner la méfiance? Sait-on seulement si ça marche? Ou bien s'agit-il de mettre en garde contre les excès de la télévision? Pas clair. Et c'est dommage. Car il y a aussi ici un élément troublant de voyeurisme moral, sur l'intimité de la conscience des personnes... Une des personnes ayant obéi le dit d'ailleurs: 'comment vais-je expliquer ça à mon mari, à mes enfants?' Disons cela comme ça: face au choix, lequel d'entre vous ne préférerait pas encore se dénuder, physiquement, devant une caméra?

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Bioéthique: une intro en vidéo

Pendant que je n'écrivais pas dans ce blog, je n'ai pas chômé. Et une des choses que j'ai faites est une brève introduction à la bioéthique en vidéo. A l'origine, et à mon grand regret, j'ai dû annuler une intervention que j'avais promise à Laurence Harang. Mais du coup je lui ai filmé un substrat de cours. La technique laisse à désirer, et vous verrez qu'il y a une pause de quelques minutes vers le début. Mais je me suis dit que certains d'entre vous seraient quand même également intéressés:

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Médecins malades

Voilà! Je suis de retour sur la blogosphère. Il y a des périodes comme ça. Je vous ai promis de vous dire ce qui me retenait: pour la faire courte, la véritable raison est ma thèse d'habilitation. Elle va être en ligne un jour ou l'autre, donc un lien suivra.

Mais j'ai aussi été malade. Pas gravement, pas vraiment longtemps, mais assez pour passablement chambouler le calendrier et ces échéances pour lesquelles on compte, eh bien, sur sa propre santé. Assez pour se rappeler qu'il y a quelque chose de très concret dans le principe de Norman Daniels, selon lequel nous avons droit à des soins de santé parce que la santé est un pré-requis pour nos choix de vie. Assez aussi pour se rappeler qu'être un médecin malade a quelque chose de particulier. Ce n'était ni la première fois que cela m'arrivait, ni la plus sérieuse. Lors d'un séjour de formation aux États-Unis il y a quelques années j'avais attrapé une maladie qui aurait pu m'emporter. J'avais aussi, un peu du moins, vu de l'intérieur le système de santé américain. Et constaté très concrètement à quel point des individus bienveillants, compétents, et chaleureux, ne suffisent jamais à donner au total des institutions respectueuses, rassurantes, ou même sûres. Bien sûr, ces individus aident. Énormément. Mais ils ne suffisent pas. Le principe de Daniels devrait préciser -c'est implicite- que nous avons droit à des soins de santé qui fonctionnent correctement.

J'avais aussi (re)constaté que l'on peut être plus fragile face à certaines choses comme professionnel de la santé. Le secret professionnel, par exemple. Des collègues bien intentionnés m'ont demandé à qui ils pouvaient dire, ou non, ce qui m'arrivait. Lorsque j'ai autorisé l'information, j'ai reçu des appels qui m'ont profondément touchée. Mais l'information a aussi parfois fuit sans que je ne l'autorise, et avec une rapidité déconcertante. Un collègue est par exemple venu à l'hôpital de Genève en demandant à me voir...sans se rendre compte que j'étais à Washington...et informant par ses réclamations persistantes tout l'étage de mon état de santé. Bien intentionné? Immensément. Grave? Dans ce cas, pas du tout. Mais dans d'autres circonstances? Peut-être bien.

Sans que le sujet ne soit clairement étudié (en tout cas je n'ai rien trouvé) on 'sait' que les médecins soignés comme patients dans un hôpital ont plus de complications. Il y a même une raison plausible. Notre sollicitude solidaire pour nos confrères. Paradoxal? Pas tant que ça. A vouloir faire 'particulièrement bien', on fait 'particulièrement', donc différemment. Et lorsque l'on s'écarte de nos habitudes, on fait plus d'erreurs. On reconnait moins des circonstances plus inhabituelles. Et nos habitudes sont, après tout, le plus souvent fondées sur de bonnes raisons. Lorsque j'ai été hospitalisée à Washington, j'ai tu le plus longtemps possible ma profession au personnel des urgences. Et lorsque j'ai dû la leur dire cela les a amené à explorer un diagnostic qui s'est avéré faux - heureusement sans autres conséquences qu'un peu d'inconfort de ma part. Une des infirmière était impressionnée à l'idée de piquer un médecin au point de ne plus arriver à me prendre du sang.
J'ai du coup été immensément reconnaissante envers les soignants qui étaient capables de faire abstraction de mon métier.

Cette fois, heureusement, c'était nettement moins grave. Une maladie infectieuse banale attrapée pendant un congrès médical. Le résultat logique, en quelque sorte, de la réunion de quelques centaines de docteurs, qui voient chacun des centaines de patients, pendant une épidémie. Parfois on tombe malade parce que l'on est médecin...

Et dans ce registre j'ai eu, relativement parlant, beaucoup de chance. Car lorsqu'on se penche sur la santé des soignants, on a quelques surprises. La thèse d'une collègue, publiée il y a quelques années, avait par exemple relevé un fort taux d'abus de substances. Vous prenez des gens normalement constitués, vous les soumettez à un stress intense, et vous leur confiez la clé de l'armoire à pharmacie? Aucun comité d'éthique n'autoriserait ça à titre expérimental. Les médecins ont un taux de dépression comparable à celui de la population générale, un taux de suicide supérieur. Dans certains cantons suisses, des réseaux de soutien se mettent, finalement, lentement, en place. Si vous êtes médecin, ou si vous avez des amis médecins, gardez ce lien dans vos marque-pages...on ne sait jamais.

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