Colloque: psychiatrie et littérature


L'Institut d'éthique biomédicale où je travaille organise tous les mois un colloque qui est ouvert au public. Alors comme ce blog est lu par des personnes qui peuvent être intéressées, et que certaines (certaines!) ne vivent pas trop loin, je vais profiter pour vous les annoncer.

Le prochain aura lieu la semaine qui vient, et il sera question de Medical Humanities. En français 'Sciences humaines en médecine', une discipline qu'un centre réputé décrit ainsi (la traduction est un peu libre).

'Les sciences humaines et les arts fournissent un éclairage sur la condition humaine, la souffrance, la singularité, notre responsabilité les uns vis-à-vis des autres, et offrent une mise en perspective historique de la pratique et de la pensée médicale. L'attention à la littérature et aux arts aide à développer et nourrir des capacités d'observation, d'analyse, d'empathie, et d'introspection -- des aptitudes essentielles à une pratique humaine de la médecine'.

Un domaine pas toujours facile à décrire, comme le souligne le site dont j'ai tiré l'image ci-dessus. Mais, au jour le jour, à la fois intéressant et crucial. Une bonne combinaison, ça.

Ce colloque offrira un exemple d'activité dans ce domaine. Il aura lieu ce lundi, 4 mai 2009, de 12h30 à 13h45. C'est aux Hôpitaux Universitaires de Genève, c'est-à-dire ici (sauf que la rue s'appelle depuis peu autrement, mais vous trouverez). Montez au 6e étage, c'est la salle 6-758 (6ème étage Bât. Principal – Médecine Interne - Bibliothèque).

Les orateurs seront:
Gilles Bertschy (Professeur adjoint au Département de psychiatrie, médecin adjoint agrégé au Service de psychiatrie adulte des HUG)
Alexandre Wenger (PhD, maître-assistant au Département de langue et littérature françaises et à l’Institut d’éthique biomédicale, UniGe)

Ils donneront une conférence intitulée

Le Trouble bipolaire entre psychiatrie et littérature

Voici le résumé qu'ils ont donné:

Dans le cadre de leurs activités d'enseignement et de recherche, Gilles Bertschy et Alexandre Wenger collaborent régulièrement depuis quelques années. Leurs intérêts respectifs, bien qu'ils soient rattachés à des domaines apparemment aussi éloignés que la clinique psychiatrique et la littérature, convergent néanmoins sur la question des expressions du trouble bipolaire. Ils vous convient à une séance originale du colloque de l'Institut d'éthique biomédicale, au cours de laquelle ils illustreront la manière dont la psychiatrie et la littérature en particulier, les sciences et les arts en général, peuvent mutuellement se servir de ressources.

Cette conférence est ouverte à toute personne intéressée. Vous en êtes? Alors à lundi!

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Quelques conseils en cas de pandémie

La grippe porcine fait resurgir la crainte d'une pandémie virale. Bon, heureusement, on n'en est pas là. Et les symptômes semblent -pour le moment du moins et dans la plupart des cas- moins sévères que ceux du SRAS en 2003.
Mais la tension monte. Et fabriquer un vaccin n'est pas anodin: car cela pourrait forcer à renoncer au vaccin de la grippe saisonnière. Vaut-il mieux risquer entre 500'000 et 1 million de morts pour se donner plus de moyens contre une pandémie, qui peut-être n'arrivera pas? Dilemme. Les sites de...Wikipedia, mais aussi bien sûr de l'OMS, le Center for Disease Control, et de l'OFSP, tiennent des informations à jour, et contiennent aussi des informations plus générale sur le risque de pandémie virale. On trouve aussi une carte des cas annoncés, confirmés ou non, ici. Et une explication des origines du virus ici. En attendant de voir ce que ces prochains jours et semaines nous réservent, rappelons quelques principes de base en cas d'épidémie. Si vous vivez dans un lieu atteint, trois conseils de base:

1) Lavez-vous les mains, lavez-vous les mains, lavez-vous les mains. On a toujours le réflexe d'éviter de faire la bise à une personne malade, mais en fait le plus risqué est...de lui serrer la main. Car on y tousse, dans nos main. Lors d'épidémies de grippe, c'est par nos mains et tout ce que l'on touche (comme les poignées de portes) que se transmet largement le virus. Les hôpitaux ont développé pour l'hygiène des mains des procédures détaillées. Celle de Genève est ici. Des désinfectants du type de celui qui y est décrit se trouvent en pharmacie, et la manière de s'en servir est indiquée ici. Des mesures plus larges sont décrites ici.

2) Consultez un médecin en cas de symptômes. Ils sont proches de ceux de la grippe 'ordinaire': fièvre (38°C ou plus), maux de tête, douleurs musculaires, toux, mal de gorge. Plutôt que de vous rendre au cabinet, commencez par contacter votre médecin par téléphone. Et surtout ne foncez pas tout seul dans votre pharmacie pour acheter le traitement sans avis médical, voire sans être malade. Le prendre mal, ou au mauvais moment, peut faire émerger des résistances. Et là vous seriez bien avancé.

3) Restez où vous êtes. Ne voyagez pas. Au Mexique, il est actuellement conseillé à la population de rester à la maison. Les virus adorent le contact humain, la mondialisation, les voyages aériens. Lors de la 'grippe espagnole' de 1918 et 1919, les hommes furent beaucoup plus touchés que les femmes. Immunité naturelle? Pas très vraisemblable. C'est probablement de rester davantage à la maison (à l'époque) qui a protégé les femmes. Ne pas bouger peut être protecteur. Un enfant malade ne doit pas aller à l'école, un adulte malade sur son lieu de travail disséminera la maladie.

Ce dernier conseil a plusieurs conséquences. La première, c'est que tout ce qui aide les gens à limiter leurs déplacements est utile. Et une de ces choses, c'est des infrastructures qui fonctionnent: livrer la nourriture aux personnes isolées, maintenir l'eau courante, les personnes qui font tout cela doivent être parmi les métiers prioritaires à garder actifs pendant une épidémie.

La deuxième, c'est que nous devons nous rappeler que trop limiter les contacts humains a aussi des conséquences. Ce n'est pas seulement notre vie que nous voulons tous sauver pendant une épidémie. C'est aussi notre vie. Une épidémie n'est pas seulement un danger pour la santé physique, c'est aussi un terrain à risque pour le respect de nos semblables. Lors de l'épidémie de SRAS, des noms de personnes malades avaient par exemple été publiés dans les journaux. En même temps, la Chine avait longtemps tardé à divulguer des informations décisives pour la protection des populations d'autres pays. La solidarité au jour le jour entre les gens, et celle toujours plus fragile entre les états, est mise à mal en pareilles circonstances. Alors qu'elle est justement cruciale.

Alors si la grippe porcine débarque et qu'elle s'avère grave (heureusement, actuellement ni l'un ni l'autre n'est certain), achetez du désinfectant, mettez un masque si c'est nécessaire, lavez-vous très souvent les mains. Et ainsi armé contre le virus, n'oubliez pas d'aller voir si des personnes âgées de votre immeuble auraient besoin que quelqu'un aille pour elles au supermarché...

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Banques de cellules souches: solidarité d'abord

Une des raisons pour lesquelles il n'y a pas de publicité sur ce blog est très concrète: dès qu'on parle d'éthique, google semble vous mettre des pub pour des banques privées de cellules souches de sang du cordon ombilical. Et je dois avouer que ça me poserait un problème.

De quoi s'agit-il? A la base, une constatation: le sang du cordon ombilical est très riche en un type de cellules, appelées cellules souches hématopoïétiques. C'est elles qui 'donnent naissance' aux cellules du sang. Chez un adulte, elles se trouvent dans la moelle des os. Mais chez un nouveau-né une quantité importante se trouve en circulation, et l'on peut en prélever à partir du sang du cordon ombilical sans rien faire subir à l'enfant puisque le cordon est détaché lors de la naissance.

Ces cellules, on peut les transplanter, comme une greffe de moelle, lors d'une leucémie par exemple. Il est alors important d'avoir une bonne compatibilité entre le donneur et le receveur. Une banque de sang de cordon est dans ce genre de circonstances une ressource utile. Cela permet d'avoir un nombre plus important d'échantillons parmi lesquels choisir 'le bon' lorsqu'une personne tombe malade. Des banques publiques, de plus en plus, offrent donc la possibilité de faire don du cordon ombilical de son enfant pour permettre de sauver des vies.

Mais les banques dont la publicité fleurit sur internet sont en général d'un autre type. Elles offrent, contre rémunération (en général quelques milliers de francs), de stocker le cordon d'un enfant pour son propre usage. Elles mettent en avant deux sortes de buts: le risque que l'enfant soit atteint d'une leucémie et ait besoin d'une greffe, et la possibilité de bénéficier à l'avenir de ce que la médecine régénérative pourrait apprendre à faire avec ces cellules. Le hic, comme le résume très bien l'émission résumée ici, c'est qu'aucun de ces deux objectifs n'est vraiment réaliste:

Ce que taisent les banques privées de cordon dans le cas de la leucémie, c'est que se faire traiter avec ses propres cellules souches n'est pas la meilleure solution du tout. Un certain degré de rejet, tant qu'il reste faible, est en fait un avantage, car il a un effet contre la récidive de la maladie: c'est donc mieux, en fait, d'être greffé avec les cellules de quelqu'un d'autre dans un tel cas. Et c'est précisément l'intérêt d'avoir une banque publique. A moins d'avoir un frère ou une sœur déjà atteint, mieux vaut faire don du cordon de bébé à un registre solidaire. Plus nombreux seront les parents qui auront ce réflexe, plus nombreux seront les enfants qui pourront en bénéficier un jour s'ils venaient à tomber malades. Le vôtre y compris.

Le problème du cas de la médecine régénérative, de l'idée de combattre les maladies cardiaques, les maladies de Parkinson ou d'Alzheimer, la polyarthrite, avec ces cellules, c'est que personne ne sait si on saura un jour faire quoi que ce soit de tout cela avec des cellules souches 'programmées' pour faire du sang. Contrairement aux cellules souches embryonnaires, on ignore si on peut reprogrammer les cellules du sang de cordon pour faire quoi que ce soit d'autre que du sang. On ne sait pas non plus combien de temps on peut les garder intactes en congélation. Les banques promettent en général 20 ans. Cela semble long, mais à l'âge de 20 ans la maladie d'Alzheimer n'est pas très fréquente...

Et il n'y a pas assez de cellules dans un cordon pour faire en même temps un don en banque publique et un 'dépôt' en banque privée. Aller vers le privé, c'est donc sacrifier d'autant la possibilité d'un registre publique. Et le faire pour une éventualité très faible: une étude récente a recensé aux USA les cas où l'on s'était servi du sang de cordon: depuis largement plus de dix ans, 50 cas au total (sur près de 300 millions d'habitants!), dont 41 pour soigner un autre enfant de la famille et de ceux-là, 36 étaient déjà malades lors de la naissance du bébé. Donc les circonstances mises en avant par les banques ont concerné...9 cas. En comparaison avec ce que font les registres publiques, une goutte d'eau.

Il existe bien des banques qui tentent de faire les deux à la fois. Et à tout prendre elles sont préférables au 'tout privé'. Mais elles se heurteront très probablement au problème de la quantité de sang disponible dans un cordon...

Reste un des motifs réels de certains parents: garder congelées les cellules souches de leur enfant dans l'espoir de se donner, à eux-mêmes, un avantage comme sportif d'élite. Tout un autre pan de difficultés éthiques, ça. Mais si vous allez voir ici, vous avez de fortes chances de voir en prime ce que je veux dire, pour la publicité de google.

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Alzheimer: quand rendre le permis?

Lorsque le risque d'accident de la circulation augmente à cause d'un problème de santé, c'est aussi le conducteur qui est à risque. De sa vie, parfois, pour commencer. Mais en plus qui souhaite se voir transformer, par une maladie, en meurtrier?
Rendre le permis de conduire est une décision qui, parfois, s'impose. Au point qu'une exception au secret médical est prévue explicitement par la loi suisse.

Mais avant d'en arriver là, le plus souvent, on discute. On peut préférer poser son permis volontairement, et éviter ainsi de se le voir retirer... Et tout vaut mieux qu'attendre l'accident grave. Si vous ou un proche pourrait avoir une maladie dangereuse au volant, parlez-en à votre médecin, donc.

Cela dit, certaines situations sont très claires, d'autres moins. Parmi elles, les maladies lentement progressives, où la question est de savoir quand le seuil décisif est franchi. Raison de plus pour en parler, bien sûr, mais ce genre de situation n'est jamais facile. La démence de type Alzheimer est de ce nombre: son décours est progressif, variable d'un individu à l'autre; on peut avoir conservées intactes certaines capacités alors que d'autres plus visibles se détériorent; à l'inverse on peut fonctionner bien dans la vie quotidienne, mais avoir perdu des aptitudes cruciales au volant. On voudrait parfois interdire la conduite 'dans le doute', mais ce n'est jamais banal. Le permis de conduire a dans nos sociétés une composante identitaire. Son obtention à l'adolescence est un rite de passage. Sa possession le signe tangible de l'indépendance de l'âge adulte. Il n'est pas anodin que certains pays s'en servent comme pièce d'identité. Son retrait -souvent définitif dans ces cas- est un des signes explicites de la perte de l'indépendance. Et son retrait limite le périmètre d'action, fragilisant ainsi parfois très concrètement une personne peu mobile à pied.

La pesée doit donc être fine. Garder ou rendre le permis, identifier le 'bon moment', c'est une difficulté éthique de la pratique quotidienne souvent invisible, toujours délicate. Heureusement, il se pourrait que ça change bientôt. En tout cas, des chercheurs y travaillent. En recrutant à l'Université de l'Illinois 40 personnes atteintes de maladie d'Alzheimer, et 115 personnes âgées saines, ils ont commencé par leur faire passer un examen de conduite draconien: une soixantaine de kilomètres en campagne, ville et quartiers résidentiels dans une voiture bourrée d'instruments de mesure, qui enregistraient tout à la manière des 'boîtes noires' d'aviation. Armés d'une idée très précise sur leur aptitude à conduire, ils les ont ensuite soumis à toute une batterie de tests psychologiques, pour voir lesquels pourraient permettre de la prédire.

Peu surprenant mais révélateur: rater les tests de mémoire ne permettait pas de prédire des risques au volant. C'est important, parce que c'est souvent ce qui se voit socialement, la perte de mémoire. Et il semble pourtant que des oublis ne signalent pas à eux seuls le danger sur la route.
Par contre, rater les tests de la capacité à faire plusieurs choses en même temps, ça c'est prédictif. Pas de commentaire ici sur les clichés selon lesquels les femmes seraient plus capable de 'multitasking' que les hommes, et leurs aptitudes au volant. Ici, on a testé la capacité à faire travailler en même temps les fonctions cognitives, visuelles, et motrices pour prendre une décision rapide: par exemple copier une forme que l'on n'a vue que quelques secondes, ou dessiner un chemin entre des chiffres et des lettres. Les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer qui avaient des résultats dans ou au dessus de la moyenne ne faisaient pas plus d'erreurs de conduite que les personnes du groupe contrôle.

Ces résultats viennent s'ajouter à d'autres allant dans le même sens. Comme des tests d'attention visuelle, par exemple. La nouveauté semble être la concordance entre les résultats des tests et la performance au volant, dans des conditions de conduite réelle aussi standardisées que possible, et spécifiquement dans la maladie d'Alzheimer. Ils sont préliminaires. Mais s'ils se confirment ça pourrait être un pas vers des conditions plus claires pour une décision difficile.

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Vous avez dit 'moralisation du capitalisme'?

Quelqu'un aurait demandé un jour à Gandhi ce qu'il pensait de la civilisation de l'occident. Sa réponse? 'Je pense que ce serait une bonne idée'. De civiliser l'occident, donc... On pourrait en dire autant de tous ces appels à la 'moralisation du capitalisme' qui foisonnent ces temps de toute part. Une bonne idée, sans doute. Mais sans vouloir être cynique, pas vraiment réaliste si on prend ce terme au sérieux. Au menu de ce qui pourrait se faire en théorie, et en vrac:

-Mieux combattre la fraude, fiscale ou autre, certes, et partout. Rien de nouveau ici, rien de bien controversé non plus, du moins en théorie! La pratique, on l'a vu, est nettement plus difficile.

-'Rappeler aux entreprises leur rôle social'. Un grand favori, ces temps. La version 'hard': demander aux acteurs de l'industrie de se substituer aux États en devenant des altruistes soucieux du bien de la population. Mais pourquoi le feraient-ils? Et pourquoi le devraient-ils? La version 'soft': faire juste assez de gestes dans le bon sens pour s'en servir comme outil de communication. Et c'est parfois exactement ce qui se passe. On peut même parfois échapper ainsi aux velléités de réglementation 'malvenues'. Ça a été élevé au rang de grand art au 20e siècle par l'industrie du tabac. Les appels français récents à plus de partage dans les entreprises, s'ils peuvent être bien intentionnés, pourraient aussi aboutir à un 'code volontaire' moins contraignant qu'une loi, et qui sera facile à oublier une fois l'orage passé.

-Revenir à la réalité, c'est à dire à plus de prudence. Combien? Difficile. Mais autoriser le sur-sur-sur endettement des particuliers n'en fait certainement pas partie. Des commentateurs devenus tout à coup influents, comme Nassim Nicholas Taleb, pensent que la plupart du travail de la finance n'est pas si différent d'un jeu de casino. Pourquoi accepter de faire reposer l'économie mondiale dessus? Une variante consiste à 'incentiviser' les résultats à plus long terme. Mais là aussi, il semble que le maintien soit difficile sans un cadre réglementaire externe. Après tout, si votre concurrent offre plus plus vite, comment allez vous garder les meilleurs investisseurs chez vous?

-Diminuer les inégalités de revenu. Nos sociétés se portent mieux si nous avons tous l'impression d'en faire vraiment partie. D'en partager les hauts et les bas, et d'y être reliés les uns aux autres. Or, dans la plupart des pays de l'OCDE, on constate que le fossé augmente. Un phénomène particulièrement marqué aux USA, par exemple, et qui reste fortement ressenti localement, même si sur le plan global les inégalités ont heureusement plutôt tendance à diminuer. Une bonne part des personnes pauvres travaillent, et ne sont pas pour autant protégées. Et quand elles perdent leur emploi, ou même simplement leur temps plein, il n'y a plus que la collectivité qui puisse amortir la chute. Quand personne ne le fait, ça donne les 'villes de tentes' de Californie.

-...déréguler. Mais ciblé: on parle beaucoup de régulations supplémentaires et tant mieux. Mais certaines règles internationales mettent des barrières actives à la prospérité des pays pauvres. Quoique là aussi, il faudra peut-être plus de réglementations pour interdire ce genre de règles-là...

-La suivante est un éléphant dans le salon. Ôter une part de son attrait à la révolution violente en cessant de laisser les dictateurs s'endetter au nom des populations de leurs pays. Le philosophe Thomas Pogge a pointé ça du doigt il y a un certain temps déjà: tant que les pays riches acceptent d'acheter des ressources naturelles et de prêter de l'argent aux chefs d'état, quel que soit le moyen par lequel ils sont arrivés au pouvoir, être putschiste est une carrière trop lucrative pour le bien des populations. Qui se retrouvent ensuite avec la dette à repayer. Une part de notre prospérité est donc au prix d'un cycle de violences, de guerres civiles, et de corruption.

Cette liste n'est pas complète, y manque par exemple le travail des enfants. Et l'on voit bien que d'aborder tout ça demanderait plusieurs changements majeurs. Trop ambitieux? Peut-être. Mais en termes moraux le minimum n'est pas toujours le plus facile... Un exemple pour illustrer cette différence: la dette d'Haïti aurait démarré en 1825, lorsque la France, sa marine aux portes, aurait exigé en 'compensation de la perte d'une colonie d'esclaves' (en d'autres termes comme prix de la liberté) 150 millions de francs de l'époque. Valeur actuelle: 21 milliards. Les citoyens d'Haïti auraient ainsi acheté leur liberté, et payé les intérêts sur le 'prêt', jusqu'en 1972. Les conséquences sont difficiles à calculer. Même effacer la dette restante (largement contractée par les Duvalier, d'ailleurs), n'effacerait qu'une petite partie des dommages encourus depuis presque deux siècles. Difficile à réaliser, mais fortement requis.

Ce genre de problèmes, il serait totalement injuste de les faire porter aux seules banques. C'est une chose de demander des correctifs, une autre de faire des boucs émissaires. Car les problèmes éthiques liés au capitalisme, eh bien on baigne tous peu ou prou dedans. Alors, ces correctifs que l'on demande? Utiles, sans doute, mais pas de quoi parler de 'moralisation'. Ce serait exagération au mieux, imposture au pire. On est tout au plus dans le registre de la 'prudence' et du 'capital social'. Et le pas vers le moralisme rhétorique est vite franchi.
Faire mieux? Peu réaliste en temps de crise, sans doute. Mais songeons que c'est probablement impossible en temps de stabilité...

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Publicité, laïcité, pas pareil

Ne cherchez pas cette affiche en Suisse Romande. Au contraire. Les citoyens de Genève prennent depuis quelques temps les transports publiques avec de grandes affiches faisant la promotion de...Pâques. Bon, les vacances, tout le monde est d'accord que ça se fête. Mais là n'est pas le but: ces affiches sont celles d'une église qui proclame l'importance spirituelle d'une fête chrétienne.

A première vue, promouvoir 'l'état d'esprit' de Pâques, c'est plutôt sympa. Pour une fois une affiche qui n'en a pas après votre porte-monnaie. Quoique...? Une autre campagne, de source similaire, criait il y a quelques temps détresse devant la chute de l'impôt ecclésiastique. Mais bon, rien d'inhabituel à cela: faire de la pub, c'est toujours un peu un investissement stratégique, non?

Non, le détail qui gêne, c'est un peu qu'il s'agit de prosélytisme sur un espace géré par l'état. Mais surtout qu'une autre campagne, illustrée dans l'image, a été refusée par les transports publiques de toute une série de villes en Suisse, parce qu'elle prenait le contre-pied.

Petit résumé: il y a environ un an, en Angleterre, une journaliste se trouve dans les transports publiques de Londres, face à une affiche qui 'promet les flammes de l'enfer à certains passagers'. Elle s'énerve, et écrit une rubrique intitulée 'Atheists, gimme me five'. En anglais c'est un jeu de mots, 'gimme five' se traduisant à la fois par 'toppons-là' et 'donnez-moi une thune'. Dans cette rubrique, elle demande des dons de 5£. Le but? En collecter 5000 pour faire une campagne athée dans les bus de Londres. Et la récolte en est...à 150'000£. Du coup, la campagne prend de l'ampleur. Le Guardian a d'ailleurs récemment ouvert une section de débat autour du fait religieux. Elle devient aussi internationale. La version française, ci-dessus, insiste encore un peu plus que la version originale sur le fait que la foi n'est pas nécessaire à l'éthique en clamant 'fais le bien'. Le site suisse francophone est ici.

L'image qui illustre ce billet n'illustrera pourtant probablement pas les bus romands. Les raisons n'en sont pas la crainte de voir fleurir un débat métaphysique, ou une dispute sur le bien-fondé des églises, sur nos rues. Car après tout ça changerait du monde aseptisé des pubs plus habituelles. Ce n'est évidemment pas non plus un souci de laïcité: car sinon pourquoi autoriser les campagnes des églises? Non, à Genève, on annonce que si cette campagne sollicite les TPG, elle sera refusée en raison avant tout du risque de choquer les croyants. Alors bon, pas grand chose à voir ici avec la récente décision de l'ONU de déclarer que 'la diffamation religieuse' (en d'autres temps, aurait-on parlé de blasphème?) 'est un affront sérieux à la dignité humaine'. Et qu'elle serait contraire aux droits humains. Tout cela également par souci de ne pas choquer les croyants. Non, la décision de l'ONU, actuellement critiquée par toute une série d'ONG (209 au total), est soupçonnée d'avoir pour but de légitimer les restrictions à la liberté de parole dans les états théocratiques musulmans. Rien à voir avec notre petite Suisse Romande, donc. Mais il n'empêche que ces temps, il semble que la foi ait des fragilités insoupçonnées...

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L'éthique comme thermostat

'La bonté, mode d'emploi', le magnifique roman de Nick Hornby, commence ainsi: une femme médecin, sûre qu'elle est quelqu'un de bien parce qu'elle sauve des vies, constate stupéfaite qu'elle est capable de quitter son mari par téléphone. 'Ce genre de chose' se dit-elle, 'une fois que c'est fait on ne peut jamais se dire que ça ne vous ressemble pas.'

Ce qui est ainsi capturé de manière si saisissante, c'est le lien entre notre image de nous-même et notre comportement moral. Ce lien, des recherches ciblées en dessinent désormais les contours. Et il semble que nous soyons dotés d'une sorte de thermostat moral qui nous incite à mieux nous comporter...si notre image de nous-même est en souffrance.

Ed Young nous décrit l'exploration de ce difficile domaine dans son blog Not exactly rocket science: une psychologue américaine a demandé à 46 étudiants de copier une liste de mots qui étaient soit positifs ('généreux', 'soucieux des autres', 'bon'), négatifs ('déloyal', 'égoïste', 'âpre au gain'), ou neutres ('livre', 'clef', 'maison'). On leur expliquait qu'ils participaient à une étude sur la psychologie de l'écriture manuscrite, et qu'il leur fallait rédiger une histoire sur eux-mêmes contenant tous les mots fournis. Ensuite, ils passaient un test bref lors duquel on leur demandait s'ils voulaient faire un petit don à une bonne œuvre de leur choix.

Le résultat? Les étudiants qui se décrivaient en termes positifs donnaient la moitié de ceux qui avaient les mots neutres, et 1/5 de ce que donnaient ceux qui avaient reçu les mots négatifs.

En d'autres termes, si notre image de nous-même est menacée, nous avons davantage tendance à faire le bien, à être généreux, bref à faire en sorte d'améliorer notre opinion de nous-même. On se refait littéralement une conscience dans les bonnes œuvres. Par contre, si nous sommes plutôt contents de nous-mêmes, nous nous autoriserons plus de laxisme et de transgressions. Dans la vraie vie, cela donne des phénomènes eux aussi mesurables. Les personnes qui ont acquis la réputation de ne pas avoir de préjugés, par exemple en employant un membre d'une minorité ethnique, sont plus susceptibles de tenir des propos racistes.

Trois leçons à tirer de cela: premièrement, nous sommes moralement 'cablés' pour vivre dans les zones grises: comme dit Young, 'des bons pécheurs et des saints faillibles'. Deuxièmement, c'est l'insatisfaction qui est le moteur principal ici: même si une conclusion serait sans doute hâtive, on peut tout au moins émettre l'hypothèse que l'éducation joue ici en partie son rôle par l'établissement du curseur qui détermine quand nous sommes contents de nous. Plutôt que par l'apprentissage des règles que nous sommes censés suivre. Finalement, des 'règles de vie' qui n'auraient rien à voir avec le bien ou le mal que nous faisons autour de nous ne sont pas seulement superflues sur le plan moral, mais peuvent être carrément dangereuses. De quoi éclairer d'une nouvelle lumière ce lieu commun de la littérature qu'est le dévôt immoral, le Tartuffe, la mère supérieure au coeur sec, le 'juste' prêt à sacrifier des innocents à sa cause: peut-être ce type d'observance nous donne-t-il la mauvaise idée d'être trop vite satisfaits?

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Les limites de l'assistance au suicide

L'autorisation de l'assistance au suicide en Suisse est une des législations les plus libérales du monde en la matière. Trois conditions suffisent: la personne qui souhaite mourir doit réaliser elle-même le geste fatal, et doit être capable de discernement; la personne qui accepte de l'assister ne doit pas avoir de motifs égoïstes. Et c'est tout. La loi ne prévoit pas que la personne fournissant l'assistance soit un médecin, ni que la personne la demandant soit malade.

Cet accord, qui dit en substance que l'état ne se mêlera pas d'une décision prise entre particuliers, laisse en théorie une place très large à la liberté individuelle. A quel point? L'association d'aide au suicide Dignitas (non, je ne vous mettrai pas de lien ici) s'apprête à en tester l'étendue. 'Pour clarifier' la légalité de l'assistance au suicide d'une personne en bonne santé, son fondateur Ludwig Minelli s'apprête à assister un couple canadien dont seul le mari est malade. L'épouse, en bonne santé, veut accompagner son mari dans la mort.

On est touché, bien sûr, par la tristesse de cette situation. Mais au delà de l'aspect poignant, que faire? Est-ce si simple? Une poignée de main, l'accord mutuel, est-il suffisant pour autoriser l'assistance au suicide dans un tel cas? Il y aurait en fait là plusieurs problèmes.

Par ordre croissant:

-Vouloir clarifier une loi, qui plus est dans un but militant, cela constitue-t-il un motif égoïste? Ça ressemble à de la pinaillerie, mais si un tribunal suisse décidait que oui cela invaliderait du coup la démarche-même de 'tester les limites' et ainsi pas mal d'autres activités de Dignitas...On aimerait ajouter ici: 'nous verrons comment tranchera le tribunal', mais quelle décision de justice mérite qu'une personne meure pour la solliciter? Espérons ne pas en arriver là.

-Déclarer son intention de mourir avec son conjoint, est-ce un choix véritablement libre? Difficile question. Plus concrètement, si cette pratique était autorisée, en viendrait-on à douter de l'amour de ceux qui ne le choisiraient pas? La réponse n'est pas évidente, mais la question est hantée de l'histoire des bûchers funéraires où les veuves étaient brûlées, parfois pour éviter l'opprobre de l'avoir refusé...

-Dans quelle mesure quelques contactes avant un voyage 'en aller simple' suffisent-ils aux précautions et au souci requis par la gravité de l'assistance au suicide? Il s'agit là aussi d'une question mettant en jeu une part importante de l'activité de Dignitas.

Mais plus au fond des questions mobilisées ici, savoir s'il peut être admissible d'assister le suicide d'une personne en bonne santé questionne les raisons-mêmes pour lesquelles l'assistance au suicide est tolérée. De telles circonstances remettent en question la notion d'autonomie. Deux de ses composantes sont l'indépendance de pensée, et l'identification à soi (ou la conviction que l'on agit selon ce que nous percevons comme nos soucis les plus fondamentaux). Et qu'est-ce qu'être amoureux signifie, sinon que notre pensée n'est pas indépendante, mais que c'est cela même que nous considérons comme le plus fondamentalement notre? Difficile question, à laquelle une réponse n'est en fait pas nécessaire ici. Car l'acceptation de l'assistance au suicide là où elle est légale repose en général sur la co-existence de deux dimensions: un choix authentique, oui, mais aussi la présence d'une souffrance incurable. Quelque chose qui ressemble à une maladie est donc bel et bien requis, du moins par l'opinion. Le deuil peut-il être cela? Une maladie? Qui justifierait l'assistance au suicide? Ce serait là une médicalisation étonnante, vaste, et profondément paradoxale.

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Le jour international de l'esprit critique?

Vous avez lu le journal, regardé la télévision ou passé du temps en ligne aujourd'hui?

Et...vous avez trouvé les poissons d'avril?

Comme ils ne sont pas toujours dignes d'une anthologie, voici quelques uns des meilleurs, recensés par ce site des top 100 du palmarès.

Le N°1? Un reportage anglais de 1957 sur la récolte de spaghetti en Suisse! Aux spectateurs qui ont ensuite voulu faire pousser leur propre arbre à domicile, il fut répondu 'de mettre une pâte dans une boite de sauce tomate et d'espérer...' La vidéo est ici.

La liste commence vers 1708, lorsqu'un auteur satirique anglais prit une identité factice de voyant pour prédire la mort d'un 'voyant rival': cela marcha tellement bien que certains, qui croisèrent le 'mort' le jour J furent convaincus d'avoir affaire à un fantôme.

En 1965, plus innocemment, le journal danois Politiken annonça qu'une nouvelle réglementation routière exigerait désormais que les chiens soient peints en blanc pour être mieux visibles...

En 1976, un astronome anglais annonçait à la BBC qu'un alignement inhabituel de planètes allait faire diminuer la gravité sur terre à 9h47 précise, et que si les auditeurs sautaient en l'air à cet instant précis ils sentiraient un étrange flottement. Des centaines d'entre eux ont témoigné l'avoir ressenti, et une femme a même raconté que toute une tablée s'était élevée de leur chaise dans les airs spontanément pour flotter dans la pièce.

Moins sophistiqué (et pourtant), la National Public Radio américaine a annoncé en 1983 avec effroi le tarissement imminent de 'la dernière source naturelle de fondue sur sol américain', en avertissant que c'était un signe de plus des menaces sur les resources non-renouvelables de fromage...

Certains sont experts de l'humour noir. En 1994, la Tribune de Moscou a fait un micro-trottoir sur 'le nettoyage ethnique en Brutistan' et a reçu toutes sortes de commentaires de passants très soucieux de cette république inexistante.

Dans le genre du réalisme effrayant, mais sur un tout autre registre, le journal New Mexicans for Science and Reason a annoncé en 1998 que le parlement de l'Alabama, un état traditionnellement religieux et conservateur, avait voté pour changer la valeur de la constante mathématique Pi de 3.14159... à la 'valeur biblique' de 3.0.

L'Australie, qui avait passé des pouces aux mètres, a annoncé en 1975 l'introduction du 'temps métrique' avec des jours de 20 heures, des heures de 100 minutes, et des minutes de 100 secondes...

Le réchauffement climatique fut attribué en 2007 à la diminution de la population de moutons en Nouvelle-Zélande, dont la laine blanche aurait eu un effet réfléchissant sur le rayonnement solaire. Bien sûr, quand il fait plus chaud on achète moins de pull en laine, diminuant du coup encore la demande et donc le nombre de moutons, au secours!

En 2002, un supermarché britannique annonça l'arrivée de 'carottes sifflantes' génétiquement modifiées pour faire de la musique à la cuisson...

Le Daily Mail annonça en 1982 la présence sur le marché de 10'000 'soutien-gorges voyous' dont l'armature en cuivre, lorsqu'elle était en contact avec du nylon à température corporelle, interférait avec les communications du téléphone et de la radio. Les très sérieux British Telecom demandèrent immédiatement aux employées de déclarer la marque de leur soutien-gorge...

Burger King a annoncé en 1998 la sortie d'un hamburger pour gauchers, avec les mêmes ingrédients mais en rotation de 180°. Des milliers de clients l'ont demandé, ou au contraire ont précisé qu'ils voulaient la version traditionnelle pour droitiers...On espère que certains d'entre eux faisaient du deuxième degré, mais tous? Apparemment, un monument à la crédulité humaine.

Finalement, un poisson d'avril plus inconfortable. En 1993, un journal chinois tout à fait officiel a annoncé à la une du 1e avril que les détenteurs d'un doctorat seraient exemptés de la règle de l'enfant unique. L'article était identifié comme un faux sur la même page. Mais plein de gens y ont cru, et la 'nouvelle' a été rapportée à Hong Kong, par exemple, comme un fait avéré. La réaction officielle du gouvernement fut édifiante: le 1e avril fut condamné comme 'une dangereuse tradition occidentale', qu'un autre journal appela 'extrêmement dangereuse'.


Dangereuse? Ça dépend pour qui...! Car c'est effectivement un jour pas comme les autres, que celui-ci où l'on se demande à chaque article, à chaque page web, 'mais bon sang où est-ce que ça joue pas...???'.

Les autres jours, qui veut parier qu'on se laisse avoir plus facilement?

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