100% êtres vivants

Je vous parlais l'autre jour d'empathie avec les pierres. Eh bien vous vous en doutiez, nous partageons encore davantage avec les êtres vivants.

Cette fois, ce n'est pas la physique des particules, mais la génétique qui nous l'apprend. Car à quelques exceptions près, le code génétique est universel dans toutes les formes de vie découvertes jusqu'à présent. Et cela signifie que l'on peut y tracer des filiations à travers toute l'humanité, et tout le vivant. Génétiquement parlant, vous êtes un membre de l'espèce homo sapiens. Vous partagez des ancêtres avec la totalité de la population du globe, vos ancêtres ont probablement vécu sur plusieurs continents, certainement parlé une multitude de langues dont certaines existent encore aujourd'hui sans que vous soyez du tout capable de les comprendre.

En bonus, vous êtes apparenté à toutes les formes de vie découvertes à ce jour. C'est finalement ça, la réponse à l'idée que la génétique irait de pair avec la 'culture individualiste' par le biais de la connaissance de soi. Aucune connaissance de soi en génétique sans voir émerger l'interconnexion de toute la vie. Les singes sont vos cousins. Vous le saviez bien sûr. Mais le platane aussi. Et les algues, le corail, la levure de bière. Oh, cousins éloignés bien sûr. Mais cousins tout de même. Si vous avez du temps pendant les vacances, profitez-en pour lire le magnifique livre 'The Ancestor's tale - a pilgrimage to the dawn of life' (traduit en français ici).... ou bien si vous vivez près de Genève allez voir l'expo 'Génome': elle vient justement d'être prolongée et, franchement, elle vaut la peine. Ou bien allez voir d'autres œuvres d'Andy Goldsworthy. On en sort tout changé...

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50% protons

Les fêtes, c'est un bon moment pour se rappeler qu'on reproche souvent à la compréhension scientifique du monde de manquer de sens du merveilleux. De poésie. De morale. Et d'empathie.

C'est paradoxal, parce qu'en fait nous savons grâce à la découverte des particules élémentaires une chose ébouriffante: nous partageons la plus intime de nos structures avec tout ce qui se trouve dans l'univers.

De quoi, si l'on voulait en faire un exercice spirituel, parler d'un chemin vers l'empathie avec les pierres...

Je ne dis pas ça pour vous encourager, mais en tout cas, avouez que voilà une connaissance où le sens du merveilleux ne manque pas. Imaginez: vous et moi et l'ordinateur sur lequel vous lisez cela, le sol sous vos pieds, et cette magnifique sculpture de Andy Goldsworthy, sommes faits, à la base, des mêmes ingrédients. Pour faire très très simple: presque 50% protons, presque 50% de neutrons, et une fraction de % d'électrons. Mais quoi qu'il en soit, le cerveau qui a créé la sculpture de l'image est fait, à la base, des mêmes particules que les pierres. D'atomes nées dans le cœur d'une génération précédente d'étoiles. Comme l'a récemment dit un physicien de bonne humeur: "Oubliez le Christ, les étoiles sont mortes pour que vous puissiez être ici aujourd'hui". Et cela nous unis avec tout l'univers connu (attention, cette vidéo vaut le détour). Comment? Une très brève introduction est présentée ici.

En fait, nous partageons bien plus que les mêmes sortes de particules. Nous partageons littéralement les mêmes. Incroyable? Rappelez-vous de quelque chose qui vous est arrivé il y a, disons, 10 ans. Quelque chose que vous pouvez vous rappeler avec les couleurs, les sons, les odeurs, comme si vous y étiez. Et pourquoi pas? Puisque vous y étiez vraiment. Sauf que...vous n'y étiez pas. Bon, OK, vous y étiez. Mais aucuns des atomes qui vous constituent aujourd'hui ne faisaient alors partie de vous. Notre matière est constamment en train d'être échangée avec notre environnement. Au bout d'un temps suffisamment long 'nous' avons été intégralement remplacés. Alors bien sûr, notre structure 'nous' maintient dans la durée. Mais nous partageons, à cette échelle, littéralement les mêmes éléments que le reste du monde. La matière nous traverse, et ne se réunit que temporairement pour être 'nous'.

Ce monde, nous ne le voyons pas à l'œil nu. Probablement parce que voir la différence entre nos mains et le mur est plus utile que voir les similitudes. Mais ces similitudes sont là. Avec pour nous, en plus, la capacité de nous en rendre compte. Quelle chance...

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Les mots pour le dire...

Je continue de vous annoncer les colloques de l'Institut d'éthique biomédicale où je travaille, pour ceux qui ne vivent pas trop loin pour cela. Le prochain aura lieu le lundi 14 décembre, et il sera question des formulaires de consentement pour la recherche clinique.

Cette recherche, nous lui devons en grande partie les progrès de la médecine actuelle. Et les participants, les personnes qui acceptent de devenir sujets d'expérience, eh bien nous leur devons l'existence de cette recherche. Participer à une étude clinique est parfois utile pour eux, oui. Mais le but fondamental de la recherche n'est pas d'abord leur intérêt, mais celui de patients futurs. Il est bien sûr très important d'expliquer ces enjeux avec suffisamment de clarté. Participer à la recherche doit être une décision libre et éclairée. Difficile tâche que cela...

Les formulaires d'information sont une des pierres angulaires de ce devoir de clarté. Mais malheureusement, on sait qu'ils sont souvent mal compris. Leur langage est souvent compliqué. Mais il semble que la difficulté soit plus profonde car simplifier même radicalement ce langage n'améliore pas la compréhension. Comment faire? Ce colloque offrira un exemple d'une approche linguistique, appliquée à un problème d'éthique de la recherche clinique.

Ça aura lieu le lundi 14 décembre 2009, de 12h30 à 13h45. C'est aux Hôpitaux Universitaires de Genève, c'est-à-dire ici. Montez au 6e étage, c'est la salle 6-758 (6ème étage Bât. Principal – Médecine Interne - Bibliothèque).

L'orateur sera:

Nathalie Ilic
Institut d'éthique biomédicale

Elle donnera une conférence intitulée:

"Le formulaire d'information: une lettre anonyme?"

Voici le résumé qu'elle a donné:

Le formulaire d’information en vue d’une étude clinique est une lettre qui entraîne l’investigateur de l’étude et la personne invitée à y participer dans une communication conjointe. Il représente une des étapes essentielles et obligatoires du consentement libre et éclairé, un des critères d’une pratique éthiquement justifiable de la recherche clinique. Si les informations contenues dans le formulaire sont importantes, la manière de les exprimer l’est tout autant. Une analyse linguistique, réalisée dans le cadre d’un projet interdisciplinaire, sera présentée dans ce colloque. Il sera question des phénomènes langagiers qui influent sur la compréhension et le consentement du candidat potentiel à la recherche. Nous nous interrogerons sur les difficultés à la source de ces phénomènes, auxquelles les rédacteurs font face, ainsi que sur les répercussions éventuelles sur les lecteurs de ces lettres d’information.

Cette conférence est ouverte à toute personne intéressée. Vous en êtes? Alors à tout bientôt!

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L'éthique entre médecine et société

La médecine est une activité humaine au sens le plus fondamental du terme. Elle touche à l’intimité des personnes malades; les valeurs qui s’y déploient nous mettent face aux tensions, et parfois aux contradictions, de notre vie morale. Les difficultés éthiques y sont fréquentes et cela ne doit pas nous étonner: c’est là le résultat de la conjonction d’un terrain particulièrement difficile au contact des limites humaines, et de professionnels auxquels l’éthique importe. Des personnes raisonnables peuvent être en désaccord dans les dilemmes qui surviennent dans la pratique clinique.

Ces difficultés constituent une part de la raison d’être de l’éthique biomédicale. Constituée dans une rencontre entre des cliniciens confrontés à des difficultés éthiques profondes, et des philosophes, juristes, théologiens surtout à ses débuts, puis des praticiens de la jeune discipline théorique qu’était alors la bioéthique, elle a eu des débuts difficiles. En 1973, Daniel Callahan, un philosophe qui fut un de ses pionniers outre-Atlantique, avoue carrément:

'Je résistais, avec une pure panique, à l’idée de participer avec les médecins dans leurs décisions. Moi? Je préférais nettement la sécurité des questions profondes que je poussais vers eux. Mais je réalisais aussi en étant confronté à de véritables situations – et c’est là mon excuse – qu’il n’y avait rien dans ma formation philosophique pour me préparer à prendre une décision éthique claire à une heure donnée d’un après-midi précisé. J’avais été formé comme il faut dans une splendide tradition d’érudition et de pensée soigneuse qui laisse au moins un ou deux millénaires pour résoudre un problème.'

Cette rencontre, malgré ces difficultés, se passa bien, et fut utile aux uns et aux autres. Des philosophes se formèrent à la réalité des soins, des médecins prirent le temps d’apprendre sérieusement la théorie morale. Des consultants d’éthique issus de plusieurs disciplines furent accueillis dans les hôpitaux, où ils furent appréciés, et leur regard enrichit la pratique clinique . Un exemple en français est présenté ici. Je vous ai aussi mis dans l'image un lien vers quelques conférences de Harvard qui valent le détour.

Fondée il y a tout juste 20 ans en 1989, la Société Suisse d’Éthique Biomédicale (SSEB) est issue des mêmes origines. Elle a fêté ses 20 ans le 4 décembre 2009. Cette société a pour but d’offrir un forum au sein duquel les difficultés soulevées par les progrès de la médecine, mais également par sa pratique quotidienne, et par les sciences du vivant, peuvent être discutés librement et des solutions trouvées dans un échange interdisciplinaire respectueux. Ses membres sont médecins, philosophes, infirmiers, juristes, théologiens, éthiciens, entre autre. Fondamentalement, toute personne intéressée peut en devenir membre. Notre point commun n’est pas une formation identique, mais un intérêt commun pour les difficultés éthiques soulevées dans la médecine et les sciences du vivant.

Cet intérêt, vous le partagez aussi? Devenez membre! Nous publions Bioethica Forum, une revue interdisciplinaire de bioéthique trilingue (all/fr/ang) où paraît de la recherche en bioéthique mais aussi des discussions de sujets d'actualité, ainsi que Folia Bioethica, une série d’ouvrages brefs sur des sujets d’actualité. Ces ouvrages peuvent se commander séparément, mais franchement si vous êtes intéressés il vaut mieux devenir membre: vous recevrez ainsi tout ça automatiquement.

Comme on fait? C'est tout simple, il y a un lien en bas à droite, et pour faire simple je vous le remets ici...

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L'addiction, le côté obscure de l'apprentissage

'Faites en sorte, en construisant une théorie morale ou en projetant un idéal moral, que le caractère, la méthode de décision, et l'action prescrites soient possibles, ou perçues comme telles, pour des êtres comme nous.' ('principe de réalisme psychologique minimal', Owen Flanagan, 1991)

Vouloir séparer l'éthique de ce que l'on appelle en général 'la nature humaine', est illusoire. Mais tout repose sur ce que l'on entend par 'séparer' et 'nature humaine'... Sans doute aussi 'vouloir', 'éthique' et 'illusoire', en fait. Du coup, ce terrain est truffé de questions très intéressantes. Ces questions, les neurosciences se les posent de plus en plus concernant, justement, notre raisonnement moral.

Le cycle de conférences 'L'éthique, c'est tout naturel', organisé par le Centre de bioéthique et sciences humaines en médecine de Genève, se poursuit autour de cette interface entre ce que l'on apprend dans les neurosciences sur comment des être comme nous raisonnent, vivent des émotions, expriment des jugements moraux, et ce que peuvent en dire des philosophes sur un éventuel impact -ou pas- en philosophie morale et politique.

La prochaine conférence, c'est le 9 décembre. Elle sera intitulée 'L'addiction, le côté obscure de l'apprentissage', et sera donnée par le Professeur Christian Lüscher. Coup d'envoi à 18h30 au Centre médical universitaire. Venez nombreux!

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La discussion manquante?

On a beaucoup, ces derniers temps, commenté le résultat du vote suisse sur les minarets. Les avis sur les raisons de ce vote divergent. Sans doute y en a-t-il plusieurs. Un résumé retient: la méconnaissance de la communauté musulmane, une Suisse repliée, la perplexité -dans un pays qui s'est battu contre le pouvoir des Églises- devant une religion qui 'demande une visibilité', des craintes féminines, le manque de communication de la communauté musulmane...

Mais dans tout ça, quelques chiffres laissent songeur. Spécifiquement, ceux qui sont décrits dans le graphique qui ouvre ce message. Crainte d'une attaque contre la laïcité, ce vote anti-minarets? Pas évident du tout. Regardez ce graphique. En fait, il semble que plus on pratique une religion (et en général elle est chrétienne), plus on a accepté l'initiative... Plus la population d'un canton est fortement 'sans affiliation religieuse' et plus la proportion de personnes ayant rejeté l'initative est forte. En apparence du moins, ce ne serait donc pas tant l'identité suisse que l'identité chrétienne qui se serait sentie menacée. Pour les curieux, la source est ici et les chiffres peuvent être récupérés sur le site de l'Office Fédéral de la Statistique.

Le fait que le Parti évangélique veuille maintenant lancer une initiative pour 'inscrire l'empreinte chrétienne dans la Constitution helvétique', n'est qu'un signe de plus du même phénomène. Il semble que les chrétiens de Suisse se sentent (majoritairement du moins) menacés. Est-ce le cas? Cela devrait tous nous inquiéter. Pourquoi? D'abords, parce qu'une portion de la population qui se sent menacée ce n'est jamais bien dans une société pluraliste, et que c'est sympa pour eux de s'en inquiéter. En plus ils sont nombreux. Mais surtout parce que le sentiment de menace peut effectivement conduire à un repli identitaire. Les projets du parti évangélique sont dans ce sens d'une clarté limpide. En Suisse, la séparation entre l'église et l'état n'est réalisée que dans une minorité de cantons. Certains interdisent encore la danse le vendredi saint. Une radicalisation du christianisme pourrait donc trouver en Suisse un terreau plus fertile que l'on ne l'imaginerait a priori. Et la paix religieuse y est désormais fragilisée. Inquiétant, ce vote l'est aussi comme symptôme: une théocratie démocratique, c'est possible. Il suffit que suffisamment de personnes votent avec leur foi.

Nous devrions aussi nous inquiéter parce que les soucis des communautés religieuses sont difficiles à exprimer dans l'espace publique. Nous avons, en Suisse, parfois tendance à confondre la laïcité avec le silence poli. Alors bien sûr, séparer la religion et la politique ne signifie pas qu'il soit interdit d'en parler. Parfois, c'est justement le contraire. Pour protéger la liberté de religion (et la liberté d'absence de religion, qui va avec), il faut parfois...ben quoi, aborder le problème. Et si un vote doit être plus qu'un sondage d'opinion, ne doit-on pas d'abord en débattre? Nous avons eu ici un magnifique contre-exemple: même dans un sondage anonyme, même devant leur clergé (!), les personnes qui ont voté pour l'initiative anti-minarets n'ont pas osé déclarer leurs intentions de vote. Un sacré handicap, ça. Sans mauvais jeu de mots. Du coup, pas étonnant que ce soit sur un enjeu religieux qu'on ait l'air d'avoir besoin du débat après le vote.

L'aura-t-on, ce débat? Pas sûr. Là où les élus de certains pays ont l'habitude d'éteindre les feux politiques en 'jetant de l'argent dessus', nous avons souvent tendance en Suisse, à part quelques initiatives bienvenues mais isolées, à jeter dessus de la politesse et de la discrétion. Il est plausible que, sur un sujet pareil, ce réflexe sera encore renforcé. Comme on le disait au printemps à propos d'autre chose il semble que, ces temps, la foi ait des fragilités insoupçonnées...

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L'homme et l'ours

Le philosophe Peter Singer fait partie des plus admirés et des plus décriés dans le grand publique. Auteur de Animal liberation, un des livres fondateurs du mouvement actuel des droits des animaux, il s'est rendu célèbre entre autres en comparant la vie intérieure des grands singes et celles des petits enfants ... Son but était de défendre un plus grand respect des singes hominidés en particulier, et des animaux non humains en général. Mais cette comparaison, souvent citée hors contexte, l'a fait critiquer pour avoir, soit-disant, demandé que l'on respecte moins les enfants, ou les humains souffrant d'un handicap cognitif, bref toutes les personnes dont les facultés mentales ne sont pas celles d'un adulte humain en bonne santé. Il ne l'avait en fait pas faite, cette demande. Précisons. Mais vu le tollé que cette supposition avait soulevé, il est ironique de voir cette critique désormais doublée par l'opinion publique. Il semble qu'une partie d'entre nous n'ait désormais aucun problème à considérer la vie d'un ours comme plus précieuse, ou en tout cas plus digne qu'on s'en inquiète par écrit, que celle d'un humain handicapé.

L'histoire est la suivante: voyant qu'un sac en plastique était tombé dans l'enclos d'un ours, un jeune homme handicapé de 25 ans s'aventure dans cet enclos. L'ours l'attaque et le blesse, tant et si bien que l'on doit lui tirer dessus pour sauver l'humain. L'un et l'autre ont survécu, mais cette histoire a fortement ému l'opinion. Et c'est l'ours qui se trouve inondé de cadeaux, pots de miel, cartes de vœux (!) de bon rétablissement. Jusque là cela pourrait à la rigueur être plutôt mignon. Mais on aurait aimé voir au moins autant de souci de l'état de santé du protagoniste humain de l'histoire. Il s'est après tout fait sauvagement attaquer. On ne peut même pas se dire que c'était de sa faute: il n'était visiblement pas capable de se protéger lui-même, et quelqu'un aurait peut-être dû mieux s'en soucier.

Qu'est-ce qui se passe ici? Avouez qu'à la base, c'est plutôt étrange. Un ours n'est pas seulement une autre espèce, c'est une de celles qui peut se transformer pour nous en prédateur. Si vous croisiez l'animal de l'image sur un chemin de montagne, vous iriez lui souhaiter de joyeuses fêtes? Bien sûr que non. Vous lui laisseriez bien la place de passer, en espérant qu'il ne vienne pas être trop 'amical' avec vous. Alors oui, évidemment, c'est aussi un être vivant capable de souffrir, et qui a une vie intérieuse plus complexe que celle d'une abeille. Certes. Mais tout cela s'applique encore davantage dans cette histoire à sa victime.

Avons-nous vraiment passé dans un modèle où un animal vaut plus, aux yeux de l'opinion, qu'un humain handicapé? La question est légitime. Et inquiétante. Mais il y a au moins deux lectures alternatives. L'anthropomorphisme, la tendance à attribuer des caractéristiques humaines aux animaux (comme, pour prendre un exemple au hasard, savoir lire les cartes de vœux?) est forte. Cette histoire montre qu'elle peut être plus forte que notre tendance à attribuer, correctement cette fois, des caractéristiques humaines aux humains 'différents de nous'. A ruminer, cela. L'amour des animaux peut véritablement s'associer à une hostilité envers les humains. Ce qu'un ami a appelé la 'sensiblerie zoophile jointe au mépris des humains en général et des handicapés en particulier'. Cela a déjà donné des dérives. A l'heure où les droits des animaux ont le vent en poupe, ces dérives devraient nous faire réfléchir. Là où des intérêts humains et animaux sont réellement en tension, comme dans la recherche médicale par exemple, nous n'avons pas toujours brillé par notre capacité à réfléchir de manière sensée.

Une autre possibilité: que finalement on attribue tout simplement plus d'importance à l'histoire la plus touchante. Mais alors qu'est-ce qui fait qu'une histoire nous touche plus qu'une autre? Pas seulement la valeur que l'on attribue aux protagonistes. Une publicité géniale d'Ikea avait montré il y a quelques temps à quel point nos émotions peuvent être conduites par le bout du nez dans un joli récit. Regardez-là de nouveau. Ce petit film est un avertissement...

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La redoutable force des symboles

D'abord les chiffres. Selon le site swissinfo, 57.7% des Suisses ont accepté l'initiative anti-minarets. Seuls trois cantons et demi l'ont refusée: Bâle-Ville, Genève (le plus fort taux avec 59.7% de non, merci à tous mes voisins au bout du lac!), Vaud, et Neuchâtel.

Maintenant les commentaires. La stupeur est générale. Je suis bien sûr déçue, vous vous en doutiez. Mais en fait cela va plus loin que ça. Je sais que les lecteurs de ce blog ne sont pas tous en Suisse, alors si vous êtes ailleurs je vous avertis que je m'apprête à briser un des tabou de ma culture.

Voilà (on prend bien son souffle): le peuple s'est trompé.

Ça y est, je l'ai dit. Et ce n'est pas une chose que l'on dit ici à la légère. Mais cela arrive, il faut en prendre acte. La population suisse avait d'ailleurs également refusé le droit de vote aux femmes en 1959, après tout. Bon, à l'époque, il s'agissait bien sûr de la population masculine. Là aussi il faut prendre acte: ajouter les femmes ne rend pas infaillible.

Interdire les minarets est une erreur. Si cette décision reflète en effet des craintes qui doivent être prises au sérieux, que vont y changer des règles architecturales? Ces craintes seraient mieux abordées par une intégration plus grande, au contraire. La seule lecture optimiste de cette votation, c'est qu'elle reflète finalement la lenteur (ou la modestie?) des progrès dont sont capables les humains. Lorsque la logique de 'eux et nous' nous saisit, il est très difficile d'y résister. Les catholiques du canton de Vaud ont après tout dû attendre 1935 pour pouvoir mettre des clochers à leurs églises...

Mais ça, c'était avant la ratification par la Suisse de la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont l'article 18 précise que 'Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.'

Selon Amnesty International, ce texte rend l'interdiction des minarets en Suisse inapplicable. La Cour européenne des droits de l'homme devrait semble-t-il, si on le lui demandait, l'annuler. Reste à savoir si l'affaire arrivera jusque là, et qui l'y porterait. Mais ce serait ici l'occasion pour les représentants de la communauté musulmane d'Europe de jouer pleinement le jeu juridique européen de l'état de droit, et d'aller se faire donner raison contre la Suisse devant le tribunal des droits humains. Pour les auteurs de l'initiative, qui ont largement argumenté devant les médias la soit-disant incapacité de l'islam à reconnaître ces règles du jeu, ce serait là un magistral auto-goal. Certains signes sont d'ailleurs déjà là. Les auteurs de l'initiative se sont attaqués à un symbole pour pouvoir se défendre d'avoir attaqué la substance. Mais bien sûr, dans toute cette histoire des rapports entre religion et politique dans un état laïque, les symboles sont la substance.

Ah oui, peut-être le saviez-vous: le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a depuis quelques années une rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, chargée entre autres mandats de: 'poursuivre les efforts qu’elle consacre à l’examen des incidents et des mesures gouvernementales qui sont incompatibles avec les dispositions de la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, et à recommander les mesures à prendre pour y remédier, selon qu’il conviendra ;'

La Rapporteuse actuelle, Me Asma Jahangir, est une avocate citoyenne du Pakistan, titulaire d'un doctorat honoris causa de l'Université de St-Gall. Et bien sûr ce Conseil siège à Genève.

C'est sûr, notre petit coup de gueule de ce week-end va se voir.

Au fond, peut-être que tout ça finira bien après tout. Peut-être ce vote suisse va-t-il permettre à la communauté musulmane d'Europe de faire, en portant l'affaire au tribunal, un bel exemple. Les voilà après tout dans la rare situation de pouvoir parler la voix de la raison à deux formes d'extrémisme en même temps. A certains Européens inquiets, dire que l'islam peut être compatible avec les droits humains et qu'il en respecte parfois mieux les règles que ces populismes qui les réclament un peu rapidement comme une exclusivité culturelle bien à eux. Aux tenants d'un virage des droits humains vers une plus grande intégration de la charia, dire que la Déclaration des droits de l'homme protège les droits des communautés musulmanes d'Europe.

Peut-être que tout ça finira bien après tout, oui. Mais pas pour nous: dans ce scénario, si vous me passez l'expression, on va se payer carrément la honte. Et c'est là finalement l'avantage de la démocratie directe: on l'aura entièrement méritée.

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Bonté humaine!

'Dieu merci!' dit-on parfois lorsqu'on l'a échappée belle. Les Anglais substitue parfois 'Thank goodness!' Merci à la bonté. Cette expression, un des tous grands hommes de notre temps, le philosophe Daniel Dennett, lui a donné il y a quelques temps un sens plutôt littéral. Et il l'a fait dans un texte très touchant. A part le fait qu'il y confirme ses positions de défenseur publique de l'athéisme, ce qui n'est pas vraiment ici la question, il y remercie aussi très sincèrement ses médecins, ainsi que tous ses autres soignants. Et bien sûr personnellement je suis plutôt émue par ça: car c'est nettement plus rare que l'on pourrait le croire, de se faire remercier comme médecin. Même lorsque, comme on l'espère, les choses se passent bien. Et puis, il y présente un risque moral dont j'ai déjà parlé ici: celui de penser que l'on a fait quelque chose de bien, alors que les actes dont il s'agit là n'ont en fait rien à voir avec le bien ou le mal que nous faisons autour de nous. Finalement, et en fait surtout, ce texte est un véritable hymne à tout ce que nous autres humains pouvons faire collectivement, et qui n'existerait jamais sans la multitude de contributions de toutes parts que nous sommes capables de joindre ensemble. Plutôt que de vous raconter davantage, je vous traduit son texte intégral. C'est assez long (avertissement) mais comme à peu près tout ce qu'il écrit ça vaut le coup:

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"Il y a deux semaines, j'ai été précipitamment conduit en ambulance dans un hôpital où il fut déterminé par CT-scan que j'avais une 'dissection de l'aorte' - l'intérieur du vaisseau sanguin principal conduisant le sang depuis mon coeur s'était déchiré, créant un tuyau à deux passages là où il n'y aurait dû y en avoir qu'un seul. Heureusement pour moi, le fait que j'avais eu un pontage coronarien il y a sept ans m'a probablement sauvé la vie, puisque le mélange de tissu cicatriciel qui avait poussé comme du lierre autour de mon cœur dans les années d'intervalle a renforcé l'aorte, évitant une fuite catastrophique par la déchirure. Après neuf heures de chirurgie, pendant lesquelles mon cœur était complètement arrêté et mon corps et mon cerveau refroidis à environ 7°C pour éviter les dommages cérébraux causés par le manque d'oxygène jusqu'au moment où la machine cœur-poumon pourrait être démarrée, je suis désormais le fier propriétaire d'une aorte et d'un arc aortique tous neufs, fait de tube de tissu Dacron résistant cousu dans la bonne forme sur le moment par le chirurgien, attaché à mon cœur par une valve de fibre carbone qui fait un petit clic rassurant chaque fois que mon cœur bat.

Alors que j'entre maintenant dans une tranquille période de récupération, j'ai de quoi penser, sur cette expérience bouleversante et encore davantage sur l'inondation de messages de soutien que j'ai reçus depuis que les nouvelles de ma dernière aventure sont sorties.

Des amis étaient pressés de savoir si j'avais eu une expérience de mort imminente et, si oui, quel effet cela avait eu sur ma bonne vieille position publique d'athéisme. Avais-je eu une épiphanie? Allais-je suivre les pas d'Ayer (qui retrouva ses esprits et insista quelques jours plus tard "ce que j'aurais dû dire est que mes expériences ont affaibli, non pas ma conviction qu'il n'y a pas de vie après la mort, mais mon attitude inflexible à l'égard de cette croyance"), ou bien est-ce que mon athéisme était toujours intact et inchangé?

Oui, j'ai effectivement eu une épiphanie. J'ai vu avec une clarté plus grande que jamais dans ma vie auparavant que quand je dis 'Thank goodness' ce n'est pas seulement un euphémisme pour 'Thank God!' ('Dieu merci!') (nous autres athées ne croyons pas qu'il' existe un Dieu à remercier.) Ce que je veux dire est réellement 'thank goodness' ('merci à la bonté'). Il y a beaucoup de bonté dans le monde, et plus de bonté tous les jours, et ce tissu humain d'excellence est réellement responsable du fait que je suis en vie aujourd'hui. C'est un digne destinataire de la gratitude que je ressens, et c'est cela que je veux célébrer ici et maintenant.

Envers qui, donc, ai-je une dette de gratitude? Envers le cardiologue qui m'a gardé en vie et bien en vie pour des années, et qui a rapidement et sûrement rejeté le diagnostic initial de rien de plus grave qu'une pneumonie. Envers les chirurgiens, neurologues, anesthésistes, techniciens, qui ont gardé mes systèmes en route pendant des heures dans des circonstances effrayantes. Envers la douzaine, environ, d'assistantes médicales, les infirmières et les physiothérapeutes, techniciens de radiologie, et la petite armée de 'piqueuses' si habiles qu'on ne sait presque pas qu'elles prennent votre sang, et les personnes qui apportaient les repas, nettoyaient ma chambre, faisait les montagnes de lessive générées par un cas si salissant, poussaient ma chaise roulante en radiologie, et ainsi de suite. Ces personnes venaient d'Ouganda, du Kenya, du Liberia, d'Haïti, des Philippines, de Russie, de Chine, de Corée, d'Inde -et des États-Unis évidemment- et je n'ai jamais vu de respect mutuel plus impressionnant que lorsque ces personnes s'aidaient l'une l'autre et vérifiait mutuellement leur travail. Mais malgré tout ce travail d'équipe, cette troupe locale n'aurait pas pu faire son travail sans l'énorme bagage de contributions par d'autres. Je me souviens avec reconnaissance de mon ami décédé, et collègue à Tufts, le physicien Allan Cormack, qui partagea le prix Nobel pour son invention du CT-scan. Allan, tu viens de sauver à titre posthume une vie de plus, mais qui les compte encore? Le monde est meilleur grâce à ton travail. Merci à la bonté. Et puis il y a tout le système de la médecine, à la fois la science et la technologie, sans lequel les meilleurs efforts par des individus seraient à peu près inutiles. Je suis donc reconnaissant aux comités éditoriaux et aux réviseurs, passés et présents, de Science, Nature, le Journal of the American Medical Association, le Lancet, et toutes les autres institutions de la science et de la médecine qui continuent de sortir des améliorations, de détecter et de corriger des défauts.

Est-ce que je rends un culte à la médecine? La science est-elle ma religion ? Pas du tout; il n'existe aucun aspect de la médecine ou de la science moderne qui ne soit l'objet de l'examen le plus rigoureux, et je peux facilement identifier une série de problèmes sérieux qui ont encore besoin d'être corrigés. C'est facile à faire, évidemment, parce que les mondes de la médecine et de la science sont déjà engagés dans l'auto-évaluation la plus obsessionnelle, intensive, et humble jamais pratiquée par une institution humaine, et ils rendent régulièrement publiques les résultats de leurs auto-examens. En plus, cette critique rationnelle ouverte, aussi imparfaite soit-elle, est le secret de l'impressionnant succès de ces entreprises humaines. Il y a des améliorations mesurables tous les jours. Si j'avais éclaté mon aorte il y a dix ans, aucune prière ne m'aurait sauvé. Ce n'est pas exactement de la routine aujourd'hui, mais mes chances de survie n'étaient en fait pas si mauvaises que ça (ces jours environ 33% des victimes de dissections aortiques meurent dans les premières 24h sans traitement, et les risques augmentent ensuite d'heure en heure).

Une chose m'a particulièrement frappé en comparant le monde médical dont ma vie dépendait maintenant, avec les institutions religieuses que j'ai étudiées si intensément ces dernières années. Un des thèmes plus doux, plus soutenant que l'on trouve dans toutes les religions (à ma connaissance) est l'idée que ce qui compte vraiment est ce qui est dans ton cœur: si tu as de bonnes intentions, et si tu essayes de faire ce qui (d'après Dieu) est juste, c'est tout ce que l'on peut te demander. Mais pas dans la médecine! Si tu as tort - surtout si tu aurais dû mieux t'y connaître- tes bonnes intentions ne compteront à peu près pas du tout. Et, alors que faire le saut de la foi et agir sans davantage d'examen de ses options est souvent célébré par les religions, c'est considéré comme un grave péché dans la médecine. Un médecin dont la foi sincère en sa propre révélation sur comment traiter les anévrismes de l'aorte le mènerait à conduire des études non testées sur des êtres humains serait sévèrement réprimandé et sans doute chassé hors de la médecine entièrement. Il y a des exceptions, évidemment. Quelques pionniers aventureux, amoureux du risque, sont tolérés et (s'ils ont finalement raison) ultimement honorés, mais ils ne peuvent exister qu'en tant que rares exceptions à l'idéal de l'investigateur méthodique, qui exclut scrupuleusement les théories alternatives avant de mettre la sienne en pratique. Les bonnes intentions et l'inspiration ne suffisent tout simplement pas.

En d'autres termes, alors que les religions ont peut-être un effet positif en autorisant de nombreuses personnes à se sentir confortables avec le niveau de moralité qu'elles sont elles-mêmes capables d'atteindre, aucune religion ne tient ses membres au niveau de responsabilité morale exigé par les mondes laïques de la médecine et de la science! Et je ne veux pas parler des standards exigés 'au top' -parmi les chirurgiens et médecins qui prennent tous les jours des décisions de vie ou de mort. Je parle des standards de soins consciencieux pratiqués aussi par les techniciens de laboratoire et les cuisiniers. Cette tradition place sa confiance dans l'application illimitée de la raison et de l'enquête empirique, la vérification et re-vérification, et l'habitude sans cesse cultivée de se demander 'Et si j'avais tort?' En appeler à la foi ou à l'appartenance au groupe n'est jamais toléré. Imaginez la réception qui attendrait un scientifique s'il essayait de prétendre que d'autres ne pouvaient pas répéter ses résultats parce qu'ils ne partageaient pas la croyance des personnes de son laboratoire! Et, pour en revenir à mon point principal, c'est la bonté de cette tradition de la raison et de l'exploration ouverte du monde que je remercie d'être en vie aujourd'hui.

Mais, cela étant, que dire à ceux de mes amis religieux (et oui, j'ai pas mal d'amis religieux) qui on eu le courage et l'honnêteté de me dire qu'ils avaient prié pour moi? Je leur ai volontiers pardonné, car il y a peu de circonstances plus frustrantes que de ne pas pouvoir aider une personne qu'on aime, directement ou indirectement. J'avoue avoir regretté de ne pas pouvoir prier (sincèrement) pour mes amis ou ma famille lorsqu'ils avaient besoin d'aide, et je comprends ce besoin, même si j'en reconnais clairement l'inutilité. Je traduis les remarques de mes amis assez librement en une version ou l'autre de ce que mes amis sans religion me disent: "J'ai pensé à toi et espéré de tout mon cœur [une autre chose que l'on fait pour soi, inefficace mais irrésistible] que tu te sortirais de là sans problème." Le fait que ces chers amis aient pensé à moi ainsi, et aient fait l'effort de me le dire, est en soi, sans nul besoin d'apport surnaturel, un magnifique tonique. Ces messages de ma famille et de mes amis du monde entier m'ont, dans mon cas littéralement, chauffé le cœur, et je suis reconnaissant pour le boost à mon moral (à des niveaux carrément maniques j'en ai bien peur) qui en a résulté. Mais je ne plaisante pas quand je dis qu'il m'a fallu pardonner aux amis qui m'ont dit qu'ils priaient pour moi. J'ai résisté à la tentation de répondre "Merci, j'apprécie beaucoup, mais avez-vous aussi sacrifié une chèvre?" Je ressens à ce sujet la même chose que je ressentirais si l'un d'entre eux m'avais dis "Je viens de payer un médecin vaudou pour jeter un sort pour ta santé." Quel crédule gaspillage d'argent qui aurait pu servir à des projets plus importants! Ne vous attendez pas à ma gratitude, ou même à mon indifférence. Oui, j'apprécie l'affection et la générosité d'esprit qui vous a motivés, mais j'aimerais beaucoup que vous ayez trouvé une manière plus raisonnable de l'exprimer.

Mais ne suis-je pas terriblement dur? Certainement que ça ne fait aucun mal au monde si ceux qui peuvent le faire sincèrement prient pour moi? Non, en fait je ne suis pas du tout sûr de cela. D'abord, s'ils voulaient vraiment faire une chose utile, ils pourraient consacrer le temps et l'énergie qu'ils mettent à prier pour un projet urgent pour lequel ils peuvent quelque chose. Ensuite, nous avons maintenant des fondements solides (par exemple l'étude de Benson publiée récemment à Harvard) pour penser que la prière d'intercession ne fonctionne tout simplement pas. Toute personne dont la pratique méprise ces données fragilise subtilement le respect pour cette même bonté que je remercie ici. Si vous insistez pour garder en vie le mythe de l'efficacité de la prière, vous devez au reste d'entre nous une justification contre les données existantes. D'ici à ce que vous en ayez une, je vous excuserai de prendre plaisir à vos traditions; je sais à quel point les traditions peuvent être un réconfort. Mais je veux que vous reconnaissiez que ce que vous faites est, au mieux, moralement problématique. Si vous êtes capable même de contempler l'idée de faire un procès à un médecin qui ferait une erreur en vous traitant, ou à une compagnie pharmaceutique qui n'aurait pas conduit tous les tests contrôlés requis avant de vous vendre un médicament qui vous aurait causé un dommage, vous devez admettre que vous adhérez aux standards élevés de vérification rationnelle auquel le monde médical se tient lui-même, que vous continuez d'accepter une pratique pour laquelle il n'y a aucune justification rationnelle connue du tout, et que vous considérez faire ainsi une contribution. (Essayez d'imaginer votre réaction si une compagnie pharmaceutique répondait à votre procès en disant allègrement "Mais nous avons prié beaucoup et sincèrement pour le succès de ce médicament! Vous voulez quoi encore?")

La meilleure chose lorsqu'on dit merci à la bonté à la place de Dieu merci est qu'il y a en fait vraiment de nombreuses manières de repayer sa dette envers la bonté - en s'engageant à en créer davantage, pour le bénéfice de ceux qui nous suivront. La bonté existe sous de nombreuses formes, pas seulement la médecine et la science. Merci à la bonté pour la musique, par exemple, de Randy Newman, qui n'existerait pas pas tous ces magnifiques pianos et studios d'enregistrement, et bien sûr sans les contributions de tous les grands compositeurs de Bach à Wagner à Scott Joplin et les Beatles. Merci à la bonté pour l'eau potable dans nos robinets, la nourriture sur nos tables. Merci à la bonté pour les élections justes, le journalisme véridique. Si vous voulez exprimer votre reconnaissance à la bonté, vous pouvez planter un arbre, nourrir un orphelin, acheter des livres pour les écolières du monde musulman, ou contribuer de mille autres manières pour améliorer la vie sur cette planète, maintenant et dans le futur proche.

Ou bien vous pouvez remercier Dieu - mais l'idée même de repayer Dieu est ridicule. Que pourrait faire un Être omniscient et omnipotent (l'Homme Qui A Déjà Tout) d'un négligeable repayement de votre part? (Qui plus est, selon la tradition chrétienne Dieu a déjà racheté la dette pour toute l'éternité en sacrifiant son propre fils. Essayez de rembourser cette dette!) Oui, je sais, ces thèmes ne doivent pas être compris littéralement; ils sont symboliques. Je l'admets, mais alors l'idée que, en remerciant Dien vous faites véritablement quelque chose d'utile doit aussi être compris de manière symbolique. Je préfère le vrai bien au bien symbolique.

Néanmoins, j'excuse ceux qui prient pour moi. Je les vois comme des scientifiques têtus qui résistent à la preuve que les théories qu'ils n'aiment pas sont vraies, longtemps après qu'une admission gracieuse aurait été la réponse adéquate. Je vous applaudis pour votre loyauté à votre position - mais rappelez-vous: la loyauté à la tradition est insuffisante. Vous devez continuer de vous demander: Et si j'avais tort? Car finalement, je pense que l'on est en droit d'exiger des personnes religieuses qu'elles se tiennent aux même standards moraux que celles qui obéissent aux standards moraux laïques de la science et de la médecine."

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Évidemment, ceux qui connaissent ses écrits savent qu'il est lui-même un exemple sur lequel on pourrait ajouter 'et de la philosophie'. Merci à la bonté pour vous, Mr Dennett. Tiens, d'ailleurs voilà une excellente occasion de relire quelques uns de vos bouquins.

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Ce type est un génie


On entend en général trois sortes de soucis éthiques face à une avancée technologique importante. Ce truc est-il dangereux ? Est-il source d'inégalités sociales supplémentaires ? Est-il déshumanisant ? Là, je pourrais consacrer tout ce message à regarder ce que ces trois soucis signifient, quand ils sont justifiés ou non, tout ça. Mais en fait aujourd'hui je préfère vous montrer un contre-exemple.

Magnifique, le contre-exemple.

Pranav Mistry, un ingénieur indien qui travaile au MIT nous montre dans la video ci-dessus son système d'intégration du monde virtuel et du monde réel. Un truc qui vous remplace un écran d'ordinateur par une feuille de papier, vous aide à faire des courses plus écolo (/moins chères/plus soucieuse du traitement équitable des gens/etc/etc/etc), vous permet de prendre des photos avec vos mains et de les envoyer par email à partir du mur d'un musée. Elles pourraient même servir de système de communication pour les sourds et de lecture pour les aveugles. Ah oui, en plus vous pouvez aussi transférer des données d'une page à votre ordinateur, ou d'un ordinateur à un autre, d'un simple mouvement de la main comme on passe le sel à table. Et le tout à partir du même système, portable bien sûr.

Ces inventions, à part leur immense effet 'wow', sont tout le contraire de nos craintes. Dangereuses? Leur seul risque éventuel, en rendant plus facilement disponible des informations déjà publiques, serait de nous rendre plus prudents sur internet. Pas franchement un gros risque, donc. Déshumanisantes? Comment donc, si l'on complète des handicaps, soutient ce qui nous importe, et nous tire de devant nos écrans pour nous restituer à des biotopes plus, j'oserai ici le mot, naturels ? Sources d'inégalités? Mistry promet à la fin du film de mettre tout ça en open source. Un inventeur génial, qui en plus semble préférer être un héros qu'un milliardaire. Les cyniques parmi vous cherchent sans doute déjà l'erreur. Si vous la trouvez, les commentaires vous sont ouverts...

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Si proches...

C’est au bout du bip que j’ai appris que ma grand-mère était mourante. La personne qui m’appelait n’avait pas réponse à la moitié de mes questions. «Juste une minute, docteur, j’aimerais vous parler de (mon mari, ma mère, mon oncle, mon amie, mon grand-père …)». Ces phrases, nous les avons tous reçues entre deux portes, à la sortie des chambres, des salles de consultation, presque physiquement accompagnées d’une main sur la manche. On nous attrape. On doit bien, parfois. Le quotidien clinique fait trop rarement place à ces discussions. A la dernière question, la plus importante : «Que dois-je faire ?».

A l’époque, je n’ai pas hésité une seconde. J’ai traversé un océan et les plaques tectoniques d’un conflit familial vieux d’une génération pour aller m’occuper d’elle. Une femme de presque cent ans, vivant dans un monde différent de fond en comble, et pourtant si proche. Suffisamment d’autres ont eu ce réflexe pour assurer des soins à domicile. Nous n’avons pas eu à attraper de manches.

Cette réaction – participer à tout prix – varie. Et les institutions de la santé ne l’autorisent pas toujours. Combien le devrions-nous ? Tout le monde hésite. En Suisse, la révision du Code Civil donne un pouvoir décisionnel aux proches d’un patient incapable de discernement, mais prévoit un recours en cas de décision contraire aux intérêts du patient. Comment ne pas l’admettre : le seul but d’une famille n’est pas toujours le bien de la personne malade. Comme médecin, j’ai appris, très informellement, à jauger cette complexité humaine des relations affectives. «Elle a l’air de l’aimer ?», me demandait une cheffe de clinique pour évaluer la demande d’une épouse. Simpliste ? Sans doute. L’humilité est de mise. Mais comment détisser autrement la multitude de rôles d’où les proches peuvent exprimer un souhait ? Dans certaines familles, on ne voudrait à aucun prix être livré, inconscient, aux décisions des autres. On a parfois raison. Du coup, on ne s’étonnera pas que les patients aussi hésitent. Et pas uniquement par crainte ; par sollicitude aussi. On hésite à faire peser une responsabilité sur les personnes que l’on aime. Difficile, parfois, d’accepter qu’on s’occupe de soi.

Dans ce terrain difficile, il faut saluer le courage des auteurs de deux études récentes conduites dans des circonstances où, souvent, la voix du patient ne pourra être portée que par des directives anticipées, ou par les récits de sa famille. En Norvège, les proches de personnes décédées en EMS ont dit aux chercheurs l’ambivalence de leur situation, le manque d’information, mais aussi la difficulté à comprendre leurs propres motivations en participant aux décisions. A Genève, les personnes ayant été hospitalisées aux soins intensifs seraient souvent d’accord de déléguer la décision de participer à la recherche à un proche. Une solution que la loi actuelle ne permet pas, mais qui mériterait d’être creusée… Ces études valent la lecture. Au fil des résultats, on y voit se dessiner le difficile équilibre de ce que l’on a appelé l’autonomie relationnelle. Les patients norvégiens étaient souvent faussement identifiés comme incapables de discernement par les soignants ; leurs proches voyaient mieux leur lucidité, mais n’en tenaient pas toujours compte. Les patients genevois ont surpris les chercheurs en étant parfois d’accord de déléguer leur décision à un proche même dans le cas où ils seraient capables de décider eux-mêmes. Qui va tenir le fil d’une histoire personnelle dans la maladie ; à qui confier cela ; à qui demander cela. Délicat partage, qui ne va pas de soi.

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Lire les émotions dans le cerveau

'Faites en sorte, en construisant une théorie morale ou en projetant un idéal moral, que le caractère, la méthode de décision, et l'action prescrites soient possibles, ou perçues comme telles, pour des êtres comme nous.' ('principe de réalisme psychologique minimal', Owen Flanagan, 1991)

Vouloir séparer l'éthique de ce que l'on appelle en général 'la nature humaine', est illusoire. Et du coup cela pose une série de questions très intéressantes. Ces questions, les neurosciences se les posent de plus en plus concernant, justement, notre raisonnement moral.

Le cycle de conférences 'L'éthique, c'est tout naturel', organisé par le Centre de bioéthique et sciences humaines en médecine de Genève, se poursuit autour de cette interface entre ce que l'on apprend dans les neurosciences sur comment des être comme nous raisonnent, vivent des émotions, expriment des jugements moraux, et ce que peuvent en dire des philosophes sur un éventuel impact en philosophie morale et politique.

La prochaine conférence, c'est le 18 novembre. Elle sera intitulée 'Lire les émotions dans le cerveau', et sera donnée par le Professeur Patrik Vuilleumier. Coup d'envoi à 18h30 au Centre médical universitaire. Venez nombreux!

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Ma santé, ta santé

La santé, affaire collective ou affaire privée? Les maladies infectieuses nous montrent à quel point cette question est simpliste. Vouloir protéger sa santé tout seul est illusoire. Et pas seulement durant les épidémies. En Suisse, la discussion sur les soignants qui refusent de se faire vacciner montre à quel point cette question est difficile. Aux États-Unis, le passage de la réforme d'Obama devant le congrès (avec à peine 2 voix de marge) a sans doute dû quelque chose à l'arrivée, justement cette année, de la grippe H1N1.

Personnelle ou collective, la grippe? On en parle évidemment beaucoup autour de la question de la vaccination. Car oui, s'agissant de maladies infectieuses contre lesquelles un vaccin existe, le choix de les attraper (ou du moins d'en prendre le risque, c'est normalement cela qu'on veut dire), est individuel. Mais en même temps il ne l'est pas entièrement. Car, malade, on est également contagieux. Alors oui, la grippe ce n'est pas aussi grave que la variole. Du moins pas pour tout le monde. Mais c'est suffisamment grave pour certaines personnes pour que l'argument individuel ne soit pas tout seul à bords. Si l'on vit, ou travaille, dans l'entourage de personnes particulièrement à risque, mettre son choix individuel devant leur sécurité, et de surcroit sans leur donner leur mot à dire, et bien cela peut être difficile à justifier. L'OFSP a mis en ligne un test ici pour savoir si c'est le cas ou non. Cela ne concerne pas tout le monde: si on n'a personne de tel dans son entourage, effectivement il n'y a aucun problème. Mais cela concerne bien sûr les soignants.

Même pour les soignants, cela dit, cela ne concerne pas que la vaccination. L'enjeu ici est leur responsabilité professionnelle de protéger les personnes malades, et vulnérables à la grippe. Si la vaccination était la seule manière de faire ça, alors oui, il serait irresponsable de leur part d'accepter de continuer à travailler avec ces personnes sans être vaccinés. Dès lors que d'autres moyens existent, cela dit, la donne change. A Genève, on leur offre comme alternative le port du masque. Une autre manière de prendre au sérieux leur responsabilités, et de rassurer au passage les personnes dont ils s'occupent durant l'épidémie. Stigmatisant? J'ai donné récemment à ce sujet une présentation que les personnes intéressées trouveront ici. La version courte: le port du masque n'est pas plus stigmatisant que le T-shirt arboré par Mandela pour combattre la stigmatisation des victimes du VIH. C'est un signe visible, oui, mais qui ne signale pas l'opprobre. Puisqu'il vise à protéger les malades, ce serait même plutôt le signe d'un comportement admirable...

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Le coeur d'un autre

Comme ce blog est lu par des personnes qui peuvent être intéressées, et que certaines (certaines!) ne vivent pas trop loin, je continue de vous annoncer les colloques de l'Institut d'éthique biomédicale où je travaille. Le prochain aura lieu le lundi 9 novembre, et il sera question des questions philosophiques de l'identité confrontées à la greffe d'organes.

Faire vivre un autre grâce à une part de soi qui nous survit, peut-être que ça dépasse l'entendement. Vivre grâce à cet organe, grâce à une part d'une autre personne qui lui survit en nous, sans doute aussi...Intrus, miracle, objet dans un très beau film de la poursuite de l'amour maternel, dans un autre des soucis inachevés du donneur, un organe greffé, confié, n'est pas tout à fait une partie du corps comme une autre.

Ce colloque offrira un exemple de ce que la réalité de la médecine peut offrir à la philosophie. Ça aura lieu le lundi 9 octobre 2009, de 12h30 à 13h45. C'est aux Hôpitaux Universitaires de Genève, c'est-à-dire ici. Montez au 6e étage, c'est la salle 6-758 (6ème étage Bât. Principal – Médecine Interne - Bibliothèque).

L'orateur sera:

Simone Romagnoli, philosophe

Il donnera une conférence intitulée:

"Enjeux identitaires dans la greffe d'organes: le philosophe face à la réalité"

Voici le résumé qu'il a donné:

Le concept d’identité personnelle occupe une place de choix dans la tradition philosophique occidentale et tout particulièrement dans les débats contemporains. À l’intérieur de ces débats, le thème de la greffe d’organes – notamment la transplantation hypothétique de cerveau – est utilisé pour défendre ou critiquer une certaine conception de l’identité personnelle. La question qui sera abordée dans le cadre de ce colloque concerne l’impossibilité pour ces conceptions philosophiques de répondre aux défis soulevés par la transplantation réelle d’organes. Devrions-nous adopter un nouveau concept?

Cette conférence est ouverte à toute personne intéressée. Vous en êtes? Alors à tout bientôt!

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Le mélange explosif du religieux et du politique

La votation sur les minarets en Suisse comporte le risque d'un malentendu fondamental. Car elle mélange deux enjeux qui sont en fait très différents.

Le premier: l'ambivalence d'un grand nombre de personnes envers l'islam. On voit dans nos sociétés pluralistes, en lisant la presse et en regardant autour de soi, à la fois des personnes musulmanes qui vivent leur religion tranquillement de manière privée, et des personnes (elle sont plus présentes dans les journaux) dont l'intégrisme fait peur.

Le second: la place que nous voulons donner à la religion dans nos institutions et notre espace publique. Et en fait, le véritable enjeu est celui-ci et non le précédent.

La confusion entre ces deux enjeux est vite faite. D'autant plus qu'il y a actuellement plus d'exemples de pays musulmans théocratiques que d'exemples chrétiens. Il y a même une tentative, très critiquée, d'introduire une motion religieuse (l'interdiction du blasphème) dans la réglementation internationale.

Mais aussi facile soit-elle, cette confusion, il est pourtant crucial de l'éviter. Les tentatives d'immiscer le religieux dans le politique ne sont pas l'apanage de l'islam. La 'droite chrétienne' américaine en est un autre exemple. A l'inverse même si l'on décrit parfois la tolérance dans nos régions comme 'le fond de valeurs chrétiennes qui soutient le pacte démocratique', c'est une interprétation à laquelle les victimes de certaines guerres des siècles passés auraient eu du mal à souscrire. La tolérance, qui semble tout au moins ne pas avoir accompagné le christianisme depuis ses début dirons-nous, est avant tout une valeur humaine. Pragmatique presqu'autant qu'éthique. Fondée sur l'idée fort simple qu'il est meilleur dans un groupe humain de ne se point entretuer. Valeur humaine, elle peut comme bien d'autres être plus ou moins présente, quelle(s) que soit la ou les religions d'un groupe donné. Cette question n'est donc pas véritablement 'affaire de religion'; c'est une affaire émminemment citoyenne.

Combien de place des citoyens, donc, devraient-il donner au religieux dans la vie publique? Même si la réponse en Suisse sera forcément moins que la réponse en Iran ou encore aux Etats-Unis, il demeure souvent dans bien des pays une certaine ambivalence. Certains points, il est vrai, sont clairs pour tout le monde (on ne doit pas brûler les 'hérétiques'). D'autres, comme par exemple des questions touchant à l'avortement, la recherche avec les cellules souches, le maintien de mesures de nutrition artificielle en fin de vie, les campagnes de prévention du VIH, semble l'être nettement moins. Mais il faut alors à chaque fois se poser la question suivante: même si l'on reconnait l'importance de leur foi pour des individus, combien de contrainte doit pouvoir exercer, au nom de sa foi, une personne religieuse sur une personne qui ne partage pas sa croyance? La réponse est en général aucune. Et cela change la forme du débat.

Ne pas donner de place excessive au religieux dans le politique est l'enjeu principal de cette votation. Cela signifie qu'elle n'a en fait rien à voir avec un degré d'approbation ou de désapprobation d'une religion plutôt qu'une autre. Même si on est heureux de lire que les communautés chrétiennes de Turquie semblent pratiquer librement, donc, il faut bien se rendre compte que là n'est pas la question. Si ce n'était pas le cas, ce serait un signe que la religion est mélangée à la politique en Turquie...Et bien sûr ce ne serait pas un modèle à suivre. A aucun prix nous ne devons vouloir de cette structure sociale: l'Europe -et la Suisse- ont déjà payé au prix fort les dangers de ce mélange des genres.

Ce serait donc véritablement une catastrophe si l'initiative anti-minarets faisait un bon score. C'est d'autant plus important de le répéter que nos sociétés se trouvent dans ce qui ressemble bien à un tournant.
Lors du sondage Eurobaromètre de 2005, seule 48% de la population suisse avait répondu qu'ils 'croyaient qu'il existe un Dieu'. Une minorité, donc. C'est très important que ce virage, s'il s'opère, se fasse sans remettre en question la liberté de croyance. Même si être incroyant, sceptique, agnostique, athée, ne va pas automatiquement de pair avec un souhait de voir le phénomène religieux régresser, ou devenir moins visible, certains sans doute le souhaitent. Mais penser que l'initiative de dimanche irait dans ce sens est un leurre. Le dessin de Mix et Remix qui illustre ce message exprime très bien (comme d'habitude d'ailleurs) le danger que pourrait représenter une 'alliance paradoxale' des laïques et des fondamentalistes.

Si vous faites partie des 10-20% de Suisses qui se déclarent athées ou agnostiques
(le groupe dont la croissance est actuellement la plus rapide), ou de la proportion plus grande qui n'a simplement pas de croyance religieuse, ou ne s'est jamais sérieusement posé la question, il vous faut bien sûr voter contre cette initiative. Car plus que deux visions religieuses différentes, c'est bel et bien deux visions différentes de la place de la religion dans la politique qui sont à contraster. Ne nous leurrons pas. L'initiative contre les minarets a été lancée par ce que l'on a appelé 'la droite religieuse suisse'. En ciblant l'islam, elle revient en fait à promouvoir la primauté du christianisme. C'est accepter un des ingrédient d'une religion d'état. Un pas que les dirigeants des théocraties du monde ne renieraient sans doute pas.

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Un très très mauvais anniversaire...

Les commémorations se suivent et ne se ressemblent pas! Aujourd'hui, ce serait plutôt le contraire d'hier. Un très très mauvais anniversaire. Qu'on évitera soigneusement de souhaiter à qui que ce soit. Surtout aux médecins, aux habitants de Genève, aux membres de l'église unitarienne, aux amateurs de livres anciens, et en général à toutes les personnes qui préfèrent ne pas vivre en théocratie.

Le lien dans tout ça?

Il y a tout juste 456 ans aujourd'hui, le 27 octobre 1553, Michel Servet brûlait sur la colline de Champel.

C'est-à-dire pas loin de l'endroit d'où je vous écris.

Ce n'était pas n'importe qui, Michel Servet. Il est une des figures majeures de l'église unitarienne, et il a surtout été le premier à décrire la circulation pulmonaire du sang. Plusieurs décennies avant Harvey, à qui l'on attribue habituellement ça. Servet a depuis son procès une autre cause de célébrité, racontée dans un très beau roman: c'est l'auteur d'un des livres les plus rares du monde. Forcément me direz-vous: on en a condamné aux flammes tous les exemplaires en même temps que lui.

De quoi finir sur le bûcher, tout ça? Bon, aujourd'hui j'ose espérer que la réponse serait de toute manière non, quoiqu'il ait fait! Mais à l'époque, il rend Calvin furieux par son point de vue sur la trinité. OK, ça nous parait carrément très étrange que la trinité puisse avoir eu une importance pareille. Aujourd'hui on en fait des sketch! Mais à l'époque ça soulevait les passions. Calvin jure de ne pas laisser Servet vivre, et arrivera à ses fins en octobre 1553. Il sera brûlé vif. Littéralement. C'est-à-dire qu'il n'a pas été, comme c'était souvent le cas, étranglé auparavant.

Comme aurait dit Fenelon, 'nous sortons à peine d'une étonnante barbarie'.

Cette barbarie de Calvin, elle laisse encore quelques traces jusqu'au 20e siècle. Genève a depuis 1903 un monument à la mémoire de Michel Servet, mais il fut inauguré dans un lieu discret, a ce qu'il semble pour éviter de devoir en autoriser un plus visible, et son texte prend la défense de Calvin. On sent la gène. Nettement. Servet a sa rue et c'est à Genève...l'adresse de la Faculté de médecine. Mais la commémoration de sa mort ressemble à son monument: discrète.

C'est dommage. On aurait pu en faire l'occasion de rappeler que, oui, faire brûler quelqu'un pour un avis divergent sur la nature du Christ, dans la biographie d'une personne dont on célèbre encore la naissance 500 ans plus tard, ça fait tache.
On aurait aussi pu rappeler, surtout, qu'il est encore des lieux où l'on aimerait beaucoup, mais alors beaucoup, avoir le droit de reléguer le danger d'être condamné pour hérésie, ou pour apostasie, ou encore d'être assassiné au nom d'une idée, aux tiroirs de l'histoire...

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Un très très bon anniversaire!

Ci-contre, 'Joyeux anniversaire' en chinois. Petit clin d'œil à la langue la plus parlée de l'humanité. Car aujourd'hui est un anniversaire qu'il faudrait pouvoir souhaiter dans toutes les langues. A tout le monde. Et surtout aux millions de personnes qui, ces derniers 32 ans, ne sont pas mortes de la variole.

Le 26 octobre 1977 on a diagnostiqué la variole pour la toute dernière fois.

La dernière victime, heureusement a survécu. Mais la mortalité de la variole pouvait être redoutable. Cette maladie, qui nous suivait vraisemblablement depuis avant l'invention de l'écriture, a profondément marqué notre histoire. Elle toucha Mozart, Beethoven, Washington, Lincoln, Elizabeth I; et qui sait combien de personnes qui auraient pu être comparables elle tua dans l'enfance. Arrivée en Amérique avec les Européens, la variole est meurtrière: 90-95% des morts parmi les populations indigènes lui seraient dus. Certains de mes ancêtres ont ainsi vu plus ou moins tout le monde mourir autour d'eux. Certains des vôtres aussi: ce n'est 'que' une question de chronologie, car aucune région du monde n'a été épargnée.

Et maintenant, eh bien cette maladie n'existe plus. Son éradication (attention, image impressionnante), un effort immense de solidarité globale et de santé publique, est sans aucun doute un des grands événements du 20e siècle. Vous avez vu l'image sur ce dernier lien? Voilà, après coup c'est tout simple: aujourd'hui, nous n'avons plus à craindre ça pour nos enfants. Mais quelle prouesse que de réussir ça.

Et comment, justement, a-t-on réussi ça? La vaccination. A l'heure où la désinformation fait rage contre elle, ça méritait d'être rappelé, non?

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Le créationnisme européen

Si la science, la religion, la biologie, le créationnisme, et même l'éthique (ça fait beaucoup) vous intéresse, allez vite écouter le ballado de Scepticisme scientifique, Jean-Michel Abrassart interview cette semaine Antoine Vekris, alias OldCola.

Non, je ne vais pas vous le résumer: allez-y voir.

Bon, OK, je craque pour deux points que je vous résume quand même. Tout d'abords, le créationnisme n'est plus rangé bien tranquillement au delà de l'Atlantique. Tiens: en 2007, l'enseignement de la création biblique sur le même plan que l'évolution, dans un cours de biologie, a été corrigée in extremis avant la diffusion d'un manuel scolaire...bernois.

Le deuxième point est bien sûr éthique. Le discours actuellement le plus courant sur la science et la religion est le Non-Overlapping Magisteria (NOMA). L'idée que l'approche scientifique et la foi religieuse sont parfaitement compatibles car la science s'occupe de décrire le monde, et la foi s'occupe de 'questions de sens et de valeurs morales'. Laissons pour le moment le sens de côté, pas que ce soit sans importance, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. Concernant les valeurs morales, la doctrine du NOMA est simplement inexacte. Le domaine moral ne dépend pas des religions. Un 'détail' que, soit dit en passant, Platon avait déjà vu il y a pas mal de temps. Dans l'Euthyphron, il met en scène Socrate posant la question suivante:

'Une action est-elle bonne parce que les dieux l'ordonnent?

Ou bien les dieux l'ordonnent-ils parce qu'elle est bonne?'

Euthyphron commence par choisir la première option. Une action est bonne parce que les dieux l'ordonnent. Mais alors il faudrait, se voit-il rétorquer, obéir aux dieux même s'ils nous ordonnaient une chose ignoble? Pour prendre un exemple chrétien, quand avez-vous pour la dernière fois lapidé un membre de votre famille qui aurait eu une autre religion ? Pour citer un commentaire sans doute apocryphe : à cette époque, Notre Seigneur était encore bien jeune… Lorsqu’on lit un texte sacré pour y trouver des fondements moraux, on fait des choix, et c'est parfaitement légitimes.

C'est donc que les dieux ordonnent une action parce qu'elle est bonne, poursuit Euthyphron. Mais alors, poursuit Socrate, il y a quelque chose que les dieux reconnaissent dans une action, qui la rend bonne, et qui ne dépend pas d'eux...! Du coup, si nous sommes capables de faire des distinction entre les bons et les moins bons commandements divins, c’est que nous avons forcément nous aussi une source de jugement moral différente de la religion.

CQFD

Que le domaine moral ne dépende pas du domaine religieux doit nous soulager. Heureusement! Car si notre faculté morale dépendait de nos religions, notre éthique dépendrait ... de leur vérité. Vu le nombre d'énoncés religieux qui ont été falsifiés par la démarche scientifique au cours des siècles, on sera alors dans de beaux draps. Même les personnes croyantes, au fond, ne tirent pas leur éthique de leur foi. Si vous en êtes, posez-vous la question d'Euthyphron et vous verrez. Peut-être que vous associez votre foi et vos valeurs morales. Peut-être pensez-vous que Dieu vous surveille, peut-être vous aide. Mais tout cela est très différent.

Le rapport avec l'image? Elle montre à quel point c'est absurde de vouloir enseigner des 'théories' mythologiques sur le même plan que la vrai vie, comme souhaitent le faire les tenants du créationnisme et du 'dessein intelligent'. Mais donnerait-on le même statut à la 'théorie de la cigogne' dans un cours d'éducation sexuelle? The Onion, un des meilleurs journaux satiriques de la toile, a fait quelque chose de similaire avec une pseudo-théorie de la 'chute intelligente' comme alternative à la gravité. J'aime bien aussi le petit côté girl power de cette image. Mais si vous êtes une lectrice féministe et que vous trouvez que c'est trop objectifiant, que cette image est un reflet de détournement d'image des femmes, plutôt que d'humour et de confiance, voici une chanson pour me faire pardonner. Elle risque bien de plaire aux autres aussi, au fait...

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