Faire payer l'hôpital aux buveurs d'alcool

En rentrant de vacances j'ai manqué cet article dans Le Temps qui explique tout à fait sérieusement que "Les buveurs excessifs pourraient devoir payer eux-même l'hôpital". Un extrait et le lien, et ensuite brièvement une partie des raisons pour lesquelles le projet tel qu'il est présenté ici (la motion se trouve là) serait une très très mauvaise idée.

D'abord l'extrait:

"Les caisses maladie ne devraient pas assumer les coûts d’une fête trop arrosée qui se termine à l’hôpital. A l’issue d’une discussion de fond sur la prévention de l’alcoolisme, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) est entrée en matière sur un projet de modification législative allant en ce sens."

Pourquoi c'est une mauvaise, idée, ça? On nous précise même que "Comme l’auteur du texte, la majorité de la commission estime que les personnes qui abusent de l’alcool jusqu’au coma éthylique doivent assumer les conséquences de leurs actes. Une telle mesure permettra notamment de renforcer la responsabilité individuelle." Ça semblerait presque raisonnable, dit comme ça. Oui, bien sûr, on ne parle pas de pénaliser l'alcool, simplement de faire prendre leurs responsabilité à ceux qui abusent de manière clairement excessive. Et nous sommes tous d'accord que le coma éthylique relève de la consommation clairement excessive, qu'elle est dangereuse, qu'il serait bon d'en éviter autant que possible la survenue.

Alors, vous trouvez pourquoi c'est une mauvaise idée?

Premièrement, vouloir faire une différence entre boire un peu et boire beaucoup, c'est vouloir faire faire cette distinction à des personnes qui seront souvent déjà en état d'ébriété. Et l'alcool, c'est notoire, trouble le discernement. On veut donc responsabiliser des individus, mais des individus dont la lucidité sera souvent déjà atteinte. Étrange responsabilisation.

Deuxièmement, comme le souligne d'ailleurs l'article, certaines personnes sont véritablement malades de leur dépendance à l'alcool. Ne pas prendre en charge les conséquences de cette maladie alors que l'on prend en charge les conséquences d'autres maladies (pour des coûts et des effets comparables qui plus est) serait contraire au principe de solidarité. Cela pourrait aussi être contraire à l'égalité de traitement devant la loi, si on se base sur cet arrêt du Tribunal Fédéral qui fondait l'équité d'accès aux soins de santé dans ce principe...

Troisièmement, la consommation d'alcool jusqu'au coma est dangereuse. Nous étions d'accord sur ce point. Mettons, pour rester cohérent, qu'une personne comateuse ne soit pas apte à consulter elle-même. C'est donc d'autres qui devront appeler les secours. S'ils savent que cela peut entrainer des coûts considérables, et à une personne qui est pour le moment inconsciente, il y a fort à parier que certains ne le feront pas ou plus tardivement. Souhaitable, ça? Bien sûr que non. Un exemple de responsabilisation des individus? Pas vraiment non plus.

Quatrièmement, comment les caisses maladie sauront-elles qu'un coma est 'de la faute' de ce patient? A moins d'instaurer un devoir de dénonciation de la part des professionnels de la santé, il est difficile de voir comment une telle mesure pourrait être appliquée. Vous avez dit 'confidentialité'?

Cinquièmement, c'est appliquer une logique de la punition à une situation que nous réprouvons. Qu'on veuille la réprouver, cette situation, OK. Mais on applique cette logique de la punition ici à la place de la logique des soins à une personne malade. C'est une autre logique, la sanction: très différente de celle des soins aux personnes malades. L'une et l'autre importent, certes, mais il convient de ne pas les mélanger. Les garder distinctes exigerait ici de faire du coma éthylique un délit, plutôt qu'une maladie non prise en charge par la poche publique. C'est même un point central, en fait. Car déterminer la véritable part de responsabilité personnelle dans chaque cas est plus difficile qu'il n'y parait à première vue. Faire du coma éthylique un délit en ferait un enjeu à traiter au tribunal, avec des règles claires, un droit à une défense, la présomption d'innocence, tout ça. Mais si la mesure proposée était celle-là, de criminaliser le coma éthylique, l'accepterait-on? Pas dit...mais alors pourquoi accepter l'autre?


Sixièmement...

Mais c'est votre tour, peut-être. Je m'arrête. Qu'en pensez-vous, de votre côté?

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Et si on démocratisait les OGM? (3)

J'ai écrit récemment une des parties d'un débat sur les organismes génétiquement modifiés. Il est paru dans Moins! un journal que vous ne connaissez peut-être pas et dont voici le site pour les personnes intéressées. Petit coup de pub: allez le lire, en version papier donc car c'est la seule qui existe, au moins pour le débat en question...

Mais pour ceux qui n'y auraient pas accès, je vais vous donner ma partie, avec quelques commentaires, en chapitres successifs. Surtout que dans le débat 'pour et contre' il y a toujours une part de trop simple. Car au fond, si la question n'était pas si mais comment?

Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, puis la deuxième, voici donc la troisième partie:

Cette fois, la question est la suivante: L'année passée a été publié le PNR59, programme de recherche scientifique commandé par la Confédération pour prendre une décision « éclairée » quant à la fin du moratoire sur les OGM, approuvé par le peuple en 2005. Alors que les résultats de cette étude semblent plutôt positifs pour les OGM, le parlement a prolongé le moratoire jusqu'en 2017, date à laquelle un assouplissement est prévu. Comment jugez-vous la gestion du dossier OGM par le parlement et le gouvernement suisse?

"En annonçant la fin du moratoire, le parlement a tiré les conséquences des résultats du PNR59. C’est une application cohérente et responsable du principe de précaution. Vous commencez avec un doute légitime sur des conséquences environnementales ou sanitaires d’une technologie. Vous freinez son application pour pouvoir récolter les informations nécessaires. Quand elles sont disponibles, si le risque s’avère absent ou gérable, vous mettez en place la réglementation nécessaire et vous levez le moratoire. Cela ne signifie pas que vous autorisez tout. Si au lieu d’un moratoire sur « les OGM », on avait levé un moratoire sur « les médicaments », certains auraient toujours été interdits à la vente ou vendus uniquement sur ordonnance, sur la base de leur profil spécifique."

Ce PNR59, c'est une trentaine d'études financées par des deniers publics en Suisse sur cinq ans ainsi qu'une revue internationale de la littérature disponible. Les résultats ont été résumés pour que tout un chacun puisse y avoir accès, et sont bien sûr également disponibles en français. Vous trouverez tout ça ici.

Si on démocratisait les OGM? Il y aurait sans doute plus d'études financées ainsi par la main publique plutôt que par des entreprises ou des militants. Un des effets paradoxaux des débats, des fauchages, des obstacles aux OGM en général, a été de laisser largement le champ libre aux recherches financées par des fonds privés.

Cela a aussi encouragé la logique du "tout ou rien", alors que la bonne réponse n'est vraisemblablement ni l'un ni l'autre. S'agissant des médicaments, nous le savons. Lorsqu'on l'applique aux OGM, cette réponse est cependant inconfortable: nous n'avons actuellement pas tellement tendance à appliquer aux aliments les précautions qui entourent les médicaments.

D'une part c'est normal: nous voyons davantage les risques de substances très actives, comme les médicaments. D'autre part ce n'est pas vraiment logique. Certains aliments sont toxiques: pensez à certains champignons, au seigle dans lequel vient se mêler l'ergot. En plus, certains aliments sont inoffensifs en prise unique mais sont dangereux sur le long terme. Pensez...au sucre. Oui oui, aussi celui qui est dans les yaourts censés vous aider à digérer ou à combattre les infections hivernales. Effets bénéfiques qui sont par ailleurs rarement et chichement démontrés.

Plutôt que de réguler strictement les OGM, c'est sans doute toute la filière alimentaire qu'il faudrait soumettre à des réglementations plus strictes. Et les critiques "des OGM" ont raison sur un point: les critères appliqués devraient tenir compte non seulement de l'hygiène (ce qui est déjà le cas) et de la santé humaine plus généralement, mais aussi des effets environnementaux de la production et de la consommation. En revanche, appliquer cela au yaourt est aussi important que de l'appliquer au maïs. Une fois de plus, donc, rien de si spécifique aux OGM dans cette réponse...

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Plein de % nos semblables

L'empathie avec les pierres, ou même avec les êtres vivants non humains, nous en sommes bien sûr capables parce que nous sommes capables d'empathie envers...nos semblables.

Et semblables, nous le sommes à un point que nous imaginons rarement. Vous êtes intéressé? Alors pendant que vous êtes (peut-être) en vacances, profitez pour aller faire un des plus beaux voyages qui soit. Allez parcourir le monde par le regard des autres. De plein d'autres. Ca se passe sur le site du projet 7 milliard d'autres de Yann Arthus-Bertrand. Le principe est simple. Des questions très générales, et des milliers de personnes qui y répondent. On parcourt ainsi la planète entière. On parcourt aussi du même coup tout ce qui nous rapproche. Parfois, c'est ce que l'on considère comme le plus profondément notre. Vertigineux, de partager cela avec tant d'autres. A la question "Que voudriez-vous dire aux autres habitants de la planète?" une Sud-Américaine répondait quelque chose comme "Parfois, j'ai l'impression d'être bizarre, que personne d'autre n'est comme moi. Je voudrais demander aux autres habitants de la planète s'il leur arrive de se sentir comme ça, eux aussi."

Bon voyage, et racontez-nous ce que vous aurez vu...

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Don d'organes: le consentement proposé?

Lorsqu'une personne décède dans des conditions qui lui permettrait d'être donneuse d'organes, faut-il partir du principe qu'elle serait d'accord? Actuellement, ce n'est pas le cas. On part du principe qu'un consentement explicite est nécessaire, et le consentement n'est donc pas présumé. Il faut donc, dans notre pays, être porteur d'une carte de donneur ou s'être exprimé en faveur du don d'organes pour être donneur.

Ce n'est pas comme ça partout. Dans plusieurs pays, dont l'Espagne par exemple, le consentement est présumé. C'est-à-dire que, lorsqu'une personne est en mort cérébrale, on part du principe qu'elle searit d'accord de donner ses organes à moins qu'elle n'ait exprimé de son vivant un refus explicite. C'est une politique assez répandue chez nos voisins. En Suisse, plusieurs arguments ont récemment mené le Conseil fédéral à se positionner contre son introduction. Quelques-uns des arguments en présence:

En défaveur du consentement présumé, comment être sûr que 'qui ne dit mot consent' réellement? De nombreuses personnes ne sont tout simplement pas assez informées pour décider quoi faire, et leur corps leur appartient quand même: on ne peut pas prendre à leur place une décision comme celle-ci. En défaveur aussi, la dimension du 'don', d'un cadeau de vie, est amoindrie. Après tout si on présume le consentement ce n'est plus un cadeau mais un tranfert contre lequel vous avez une sorte de droit de veto.

En faveur du consentement présumé, on cite toujours l'espoir qu'il augmente le nombre d'organes disponibles pour la transplantation. Mais les chiffres ne sont en fait pas si conclusifs. Qu'importe, vous diront certains: la simple chance de pouvoir augmenter le nombre de donneurs vaut au moins d'essayer.

Tel est le débat. L'exigence d'un consentement explicite comme manifestation du droit à l'auto-détermination sur ce qui arrive à notre corps après notre mort d'une part, les chances d'augmenter les chances des receveurs potentiels de l'autre. Sauf que l'on pourrait résoudre cette tension en demandant à tout le monde de se prononcer. On pourrait même faire plus. Car quand on demande aux personnes normalement constituées de se prononcer, il se passe une chose étrange. Si on demande "cochez cette case si vous êtes d'accord d'être donneur d'organes après votre mort", la majorité des gens ne cochent pas la case. Si on demande "cochez cette case si vous n'êtes pas d'accord d'être donneur d'organes après votre mort", la majorité des gens...ne cochent toujours pas la case. Comme si l'effort de choisir faisait préférer ce qui est présenté comme le statu quo, la position par défaut. Mais alors, voici un troisième modèle. Appelons-le le consentement proposé. On pourrait imaginer de mettre sur nos cartes d'assurés une case à cocher si on ne veut pas être donneur d'organes, et si on voulait éviter toute pression (certains n'ont peut-être juste pas envie de répondre) on pourrait ajouter une case qui dirait "je préfère ne pas décider maintenant". Atteinte à la liberté? Aucune. Chacun reste libre de se déterminer comme il veut. Droit à l'autodétermination? Préservé. Chances d'augmenter les chances des receveurs potentiels? Il manque le recul, mais on peut au moins dire qu'elles ne seraient pas mauvaises. Alors, on essaie quand?

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