Le vrai problème du VIH

On parle beaucoup du VIH ces temps. Du coup, n'oublions pas qu'un des problèmes les plus graves de cette épidémie, du moins en termes éthiques, est l'inégalité d'accès au traitement. Celui du VIH lui-même, mais aussi celui de maladies qui peuvent 'profiter' de sa présence, comme par exemple la tuberculose.

De manière générale, les inégalités se creusent actuellement dans de nombreux pays, même si elles diminuent au niveau global (un paradoxe très bien expliqué ici). Et elles sont mauvaises pour la santé. A cela s'ajoute une triste évidence: si vous êtes malade, vous avez de meilleures chances d'être soigné si vous vivez dans un pays riche, ou êtes riche vous-même, que si vous êtes sans le sou dans un pays sans couverture sociale digne de ce nom.

On a même vu récemment un défi d'un genre inhabituel. Un blog médical a proposé qu'une théorie de la justice sociale soit jugée sur la manière dont elle fonctionne, ou non, quand on l'applique à la santé. Alors à l'heure ou le VIH tue 2 millions de personnes par année, et où l'éradiquer est -en théorie du moins- abordable, l'impact d'actions touchants aux inégalités mondiales sur cette maladie doit tout au moins compter.

Et comment nous en tirons-nous? Pas très bien. L'église catholique dit vouloir le bien des pauvres, mais instrumentalise le VIH pour préconiser la chasteté. Le fond PEPFAR de l'ex-président Bush, affiché comme un moyen d'aider les victimes défavorisées de l'épidémie, avait longtemps financé exclusivement des programmes de prévention basés sur l'abstinence, et également préconisé des traitement fabriqués aux USA quitte à ne pouvoir soigner qu'une fraction des victimes que l'on aurait pu aider avec des médicaments génériques. Largement parlant, on est d'accord d'aider, parfois, mais surtout dans la mesure où l'on peut ce faisant servir nos propres intérêts. Médecins sans frontières, une des ONG les plus actives dans la promotion du traitement antirétroviral pour les personnes atteintes des pays pauvres, l'a d'ailleurs bien compris. Dans une campagne vidéo impressionnante, le VIH est dépeint sous les traits d'une boule destructrice qui touche le spectateur non seulement par les victimes qu'elle fait sur son passage, mais aussi en lui arrivant dessus à l'écran.

Alors, la justice, pour notre propre intérêt seulement? Peut-être. Mais même là nous devrions sans doute en faire davantage. Et même un peu plus pourrait faire une grande différence. Un article récent de Peter Singer dans le New York Times résumait ainsi la chose. Si nous pouvons apporter de l'aide sans en souffrir, ne sommes-nous pas d'accord que c'est ce que nous devrions faire? Selon une échelle de contributions qui ne toucherait véritablement pas le niveau de vie, les sommes récoltables si chacun faisait juste cela, et rien qu'aux USA, s'élèvent à 404 milliards de dollars. Assez pour éradiquer plusieurs fois le VIH, et faire aussi bien d'autres choses.

En Suisse, le revenu moyen brut des ménages est de 101'800.- par an. De quoi faire, si collectivement nous contribuions 5% (nettement moins que ce que Singer préconise) plutôt que les 0.5% du RNB réclamés par le parlement. Donner où? Il y a le choix. MSF n'en est qu'un parmi d'autres, qui vont d'actions de grande envergure à des initiatives de petits groupes comme le Fonds 1% pour le développement, en passant par le prêt sur Kiva. Mais si la prévention du VIH vous semble importante et que vous êtes déçu par les positions religieuses de ces temps, vous pouvez en plus envoyer un message. Alors oui, ces temps pour les déçus catholiques il y a le manifeste pour une débaptisation massive, qui a même son groupe sur facebook. Mais si je peux me permettre, j'ai une autre idée. Envoyez un don à une ONG active sur le terrain, comme MSF justement, mais faites-le au nom d'un opposant au préservatif. Inscrivez sur le bulletin 'en l'honneur de...' et prenez le temps de choisir. George W Bush, Benoit XVI, André Fort, ou pourquoi pas tous les trois?

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Exercice illégal de l'épidémiologie

Je sais, il y en a marre des commentaires catholiques sur le préservatif, et à y rétorquer une fois de plus on commence à leur donner trop d'importance. Mais voilà maintenant l'évêque d'Orléans qui s'improvise épidémiologue, et réitère les doutes religieux sur l'efficacité du préservatif. Par loyauté sans doute, pour défendre le point de vue du pape sur le préservatif. Très compréhensible, mais pas du tout scientifique. Sauf pour en emprunter les termes, et essayer d'en avoir, à bon marché, l'autorité. En déclinant récemment ce que des auteurs anglophones ont appelé le 'denialisme' (ou 'dénisme' en français), je ne croyais pas voir si vite autant d'exemples fleurir de toutes parts.

Sauf que ça se voit. Car en bref, faut-il le rappeler, le préservatif est efficace dans la prévention du VIH. Janet Stemwedel, sur son blog 'Adventures in ethics and science' offre cette semaine un cours de rattrapage gratuit sur l'éthique des déclarations scientifiques à Benoit XVI. Mais soyons juste. Dans les contorsions actuelles de l'église catholique, il y a quand même deux aspects à garder. D'abord, l'idée qu'il y a des circonstances dans lesquelles le préservatif est moins fiable. En fait, c'est vrai. Spécifiquement, lorsqu'on s'en sert mal, ou lorsqu'il est utilisé avec un lubrifiant à base d'huile (comme la vaseline par exemple). En bonne médecine, et en toute cohérence avec ses soucis présents pour la santé publique, le Vatican devrait prôner l'usage de lubrifiants à base d'eau. On ose à peine y penser. Surtout que pour compléter le tableau médical il faudrait aussi des cours sur le bon usage dudit objet. Ahem...

Mais à garder aussi, l'idée d'indiquer sur les moyens de prévention qu'ils n'ont pas une fiabilité totale. Excellente idée, ça. Sauf que la mesure la plus directement concernée serait...la promotion de l'abstinence. Car si l'abstinence est effectivement efficace elle aussi, la prôner l'est nettement moins. Les effets des programmes d'éducation basés sur l'abstinence et la monogamie ont pu être abondamment étudiés pendant qu'ils constituaient la base des plans de prévention financés par l'Amérique de Bush. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les résultats sont décevants . Même les jeunes qui prêtent formellement serment de virginité jusqu'au mariage n'attendent en moyenne pas le mariage, et ne retardent que de quelques mois leurs premiers rapports sexuels. Ils ont effectivement moins de partenaires, mais autant de maladies sexuellement transmissibles. On fait mieux comme résultat. Par souci de cohérence, on pourrait aussi mentionner à ce chapitre la prière. On croit rêver, mais voici l'histoire d'un pilote de l'aviation tunisienne condamné récemment par un tribunal italien pour avoir négligé son devoir lors d'un pépin en plein air. Au lieu d'enclencher les mesures d'urgences, il s'est mis à prier à haute voix. L'avion est tombé dans la Méditerranée, tuant 16 personnes. 'Fiabilité incomplète', aviez-vous dit?

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La musique apprend à entendre les autres

La musique adoucit les mœurs dit le proverbe. Et bien, il se pourrait qu'un des mécanismes en soit désormais mieux connu. Il semblerait que les musiciens soient, mieux que les non musiciens, capables de discerner les émotions d'autrui. Un des ingrédients de ce que l'on appelle l'empathie, la capacité à s'imaginer dans la situation, y compris émotionnelle, de quelqu'un d'autre.

Différente de la contagion émotionnelle (par exemple le fou rire) et de la sympathie, l'empathie ne contient pas nécessairement de partage des émotions d'une autre personne. Elle n'est pas non plus toujours axée sur le bien d'autrui: sans empathie, point de vraie cruauté par exemple. Mais sans empathie, pas de perception de la détresse d'autrui, et donc pas de réaction d'évitement d'un comportement qui en serait la cause: ce serait là tout un pan de notre vie moral qui serait écarté.

Dans cette étude, on a pris des musiciens et des non-musiciens, et on a testé leur capacité à faire la différence entre des types différents de pleurs de bébés. Un test vraiment très exigeant, comme le savent tous les jeunes parents. Et devinez: les musiciens s'en tirent mieux. Ce n'est pas le résultat d'un talent particulier: c'est l'entrainement qui fait la différence.

Entendre des indices subtils sur l'état émotionnel de votre interlocuteur, c'est important dans plein de situations. C'est particulièrement intéressant en médecine, où cette capacité se développe au cours de toutes sortes d'enseignements, mais surtout durant des années d'exercices pratiques au cours de milliers d'entretiens avec des personnes malades et leurs familles. Alors à quand des séances de musique pour compléter cet entrainement? En plus, ça ferait du bien entre deux gardes...

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Tabac, credo, et autres risques pour votre santé

Un dessin italien résume très bien la chose. Les préservatifs sont inutiles contre le HIV dit un protagoniste de derrière son journal. Depuis quand? demande son voisin...C'est tout récent, depuis que le soleil tourne autour de la terre.

C'est normal d'être choqué lorsqu'un représentant d'une autorité, quelle qu'elle soit, et si distante soit-elle d'une quelconque expertise médicale, décourage des personnes vulnérables de se protéger contre une menace vitale. Les déclarations ecclésiastiques contre le préservatif sont clairement dans cette catégorie. On espère même que dire son indignation a une certaine utilité. Si les déclarations du pape ont semé le doute, il faut après tout le lever, ce doute: non seulement l'usage du préservatif est efficace contre le HIV, mais ça marche beaucoup, beaucoup mieux que de prôner l'abstinence.

Il y a en fait effectivement une méthode qui marcherait mieux que l'usage du préservatif: dépister systématiquement et traiter toute personne VIH-positive sans attendre l'arrivée des symptômes. A la première indignation peut donc s'ajouter une seconde: non seulement s'opposer au préservatif coûte des vies, mais cela fait peser le poids de l'opprobre sur les victimes plutôt que sur le monde riche, qui serait techniquement capable d'éradiquer la pandémie...

Même avec de bonnes raisons de s'indigner, cela dit, n'oublions pas que des actions plus concrètes peuvent aussi être utiles. Stuart Rennie résume bien la situation sur son blog de bioéthique internationale. Face à un danger pour la santé publique, on commence par en mesurer l'impact et les effets, pour être mieux en mesure de les contrer. La surveillance de la grippe aviaire, des effets du tabagisme sur la santé mondiale, autant d'exemples de l'importance que l'on accorde à observer les sources de menaces sur la santé des populations. Eh bien, faisons-en autant pour les églises. Cet exemple récent, catholique par hasard peut-être, car d'autres sont en situation similaire, en illustre l'utilité. Un observatoire de l'effet des religions sur la santé. Pourquoi pas? Comme on l'a déjà fait pour les déclarations anti-VIH du président Mbeki en Afrique du Sud (environ 330'000 victimes) on compterait les victimes des déclarations papales contre le préservatif. Et, pourquoi pas, celles des avortements de rue, de l'infibulation, du refus parental de traitement pour leurs enfants pour raisons religieuses, etc, etc, bref de toute attitude encouragée en connaissance de cause par une religion organisée et délétère pour la santé. Des études observant le lien entre l'appartenance religieuse et la santé montrent des résultats complexes. On sait par exemple que les personnes fortement religieuses on plus tendance que d'autres, aux USA, à demander des mesure invasives de maintien en vie artificiel aux soins intensifs, là où d'autres verrait de l'acharnement thérapeutique. Un résultat qui peut être contre-intuitif. Quoi qu'il en soit, ces études se sont pour le moment limitées à des cas de figure très précis: des personnes ayant survécu jusqu'à un âge adulte plus ou moins avancé, dans des pays aisés, bien intégrées dans des communautés soutenantes. Elles étaient pour la plupart atteintes de cancer, une maladie dont la prévention (quand il y en a) est surtout basée sur le dépistage précoce et parfois la consommation de légumes, donc rien qui ne puisse gêner la moindre prescription religieuse. En bonne épidémiologie, il est temps d'élargir ces observations à d'autres types de situations...et d'en tirer des conséquences. Après tout, pour de nombreuses religions l'image d'un dieu guérisseur des corps est forte, et sert parfois d'argument pour convaincre les fidèles. Alors imaginez un monde où elles franchiraient le pas suivant, et respecteraient le précepte hippocratique de 'ne pas nuire'. Mieux, n'est-ce pas?

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La culture scientifique, c'est quoi?

Deux mauvaises nouvelles. La première, rapportée par Phil Plait dans 'Bad Astronomy', c'est que seuls 53% des américains savent qu'un tour de la terre autour du soleil prend un an. La deuxième, soulignée par Dr Goulu sous le titre 'inculture scientifique', eh bien c'est qu'en Europe, on ne fait guère mieux.

Et ce malgré le fait que la plupart des américains interrogés estiment que l'enseignement scientifique est 'absolument essentiel' ou 'très important'.

Une de ces études rapporte aussi une augmentation de la croyance à toute une série de phénomènes paranormaux. Plus inquiétant que la méconnaissance de faits (un an solaire...dure un an), donc, l'impression d'une inculture croissante sur ce qui fait qu'un énoncé est scientifiquement fondé.

J'avais déjà évoqué ici sous le terme de 'dénisme' l'usage de tactiques rhétoriques visant à donner l'impression qu'un débat légitime existe, quand ce n'est en fait pas le cas. Et le fait que ces stratégies marchent (en plus il y en a d'autres) est quand même un peu un signe de notre inculture scientifique...

L'importance de tout cela? Parfois, aucune. Que m'importe-t-il s'il vous plait de croire que la position des planètes a une influence sur votre vie amoureuse? Mais d'autres discussions où se révèle ce manque de culture scientifique sont plus inquiétantes. Notre longue épidémie de rougeole suisse n'en est qu'un petit exemple. Ce paysage est large, et s'étend de l'opposition à la vaccination jusqu'au négationnisme historique, en passant par le créationnisme biblique littéral et le dessein intelligent. Le fait que tous ces discours fonctionnent si bien devrait nous faire réfléchir. Manquer de culture scientifique, c'est renoncer à des outils d'orientation importants dans un monde où la science et la technologie tiennent une place importante: on parie notre vie sur elles à chaque médicament, à chaque ascenseur, tant qu'à faire autant savoir de quoi il en retourne. Plus grave: justement à cause de l'indiscutable importance de la science dans nos vies, il peut être très tentant de 'déguiser' un argument en approche scientifique, pour en obtenir l'autorité à moindre prix. Et évidemment, moins on sait faire la part des choses, mieux ça marche...

Apprendre le genre d'esprit critique qui fait la base de l'approche scientifique est en fait plus important que d'enseigner les connaissances qui en résultent. A cet exercice, quel serait votre niveau? Faites le test: c'est ici. Aux sept points résumés dans ce site, on aurait pu en ajouter un: la science questionne les apparences, et cherche l'explication la plus simple plutôt que celle qui 'semble la plus naturelle' (dans le sens qu'elle nous viendrait le plus spontanément). Une anecdote qu'on attribue à Wittgenstein illustre très bien ça:

'Je me suis toujours demandé'
aurait-il dit 'pourquoi les gens ont si longtemps pensé que le soleil tourne autour de la terre...'
A quoi un ami aurait répondu: 'Probablement parce que les apparences vont dans ce sens...'
Et Wittgenstein de rétorquer: 'Hmmm...et quelles auraient été les apparences si les apparences avaient été dans le sens que la terre tournait autour du soleil?'

Une manière rapide et relativement sûre de débusquer une démarche pseudo-scientifique est de poser à votre interlocuteur la question suivante:

'Quelles données vous faudrait-il pour vous convaincre que vous avez tort?'


Qui ne sait que répondre, écarte la question ou donne une réponse impossible, ne relève pas d'une approche scientifique. Qui prétend malgré cela que ne pas le croire est dogmatique ne sait pas de quoi il parle. Ou alors il cherche à vous manipuler. Dans un cas comme dans l'autre, il y a problème...

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Don d'organe: comparons les campagnes...





















Un lecteur a fait le commentaire suivant:

'Une des raisons de ce classement médiocre de la Suisse est trop politiquement incorrecte pour faire l'objet d'un vrai débat. Il s'agit de la campagne nullissime de l'Office fédéral de la santé publique pour "informer" sur le don d'organes.'

Ci-dessus, la campagne de l'OFSP, et une campagne brésilienne...on va dire moins neutre.

Notez que toutes les deux mettent en avant le fait qu'il s'agit d'un choix individuel!

Alors, des préférences? Les votes sont ouverts...

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Don d'organe: la Suisse mauvaise élève

'L'année dernière' disait il y a quelques temps une campagne britannique 'notre fils a fait une chose incroyable: il a eu 6 ans'.

Vivre grâce à l'organe d'un autre. Faire vivre un autre grâce à une part de soi qui nous survit. Peut-être que ça dépasse l'entendement. Du coup, on est un brin emprunté pour parler des personnes sur liste d'attente. Il n'y a après tout pas de droit à être transplanté... Ni de devoir de donner... Mais que puis-je faire de mes organes après ma mort qui soit tellement mieux que ce qu'en ferait une personne qui, grâce à mon don, serait encore en vie? Une autre campagne clamait 'Ne prenez pas vos organes au ciel, le ciel est au courant que nous en avons besoin ici!'...Et en effet, lorsqu'on demande qui est favorable à la transplantation d'organes, la plupart des gens répondent présents.

Pourtant, concrètement, la Suisse connaît une pénurie d'organes nettement plus importante que ses voisins. Sommes-nous moins généreux? Moins solidaires? Moins prêts à aborder la question du don d'organes? Tant qu'il s'agit d'un don de son vivant, pour un proche, comme c'est possible pour un rein ou un lobe du foie, il semble plutôt que nous y soyons de plus en plus disposés. C'est donc le don posthume qui est touché. Pourquoi? Notre réticence à nous projeter dans un avenir situé après notre mort y est sans doute pour quelque chose. Il y a sans doute aussi là une question (sans mauvais jeu de mots) d'organisation. Nommer des coordinateurs. Apprendre aux médecins non seulement à demander, mais aussi et surtout comment le faire. Et surtout informer.

Car lorsqu'on parle du prélèvement d'organes à transplanter, les malentendus sont légion. 'Est-on sûr qu'on est mort?' Oui, c'est crucial, et c'est pour cela que le diagnostic de la mort cérébrale lors du don d'organes est l'examen le plus détaillé jamais pratiqué pour établir un décès. 'Va-t-on renoncer à me soigner si je suis donneur?' Et vous, si vous aviez devant vous une personne gravement malade et que vous pouviez sauver, vous la sacrifieriez? Et pour un inconnu? Bien sûr que non. Non seulement il est impensable pour une équipe médicale de 'lâcher' un malade parce qu'il serait donneur, mais en plus on met leur indépendance sous protection supplémentaire en les ségréguant des équipes qui soignent les receveurs. En Suisse, ce principe est inscrit dans la loi.

Mais on le voit, tout ceci mobilise des sujets qu'on préférerait sans doute éviter. Une des politiques visant à augmenter le nombre d'organes disponibles, le 'consentement présumé', ressemble d'ailleurs furieusement à une autre manière de ne pas aborder le sujet. Sous ce régime, qui a été refusé en Suisse après avoir été transitoirement appliqué dans certains cantons, on part du principe que tout le monde 'a accepté' à moins d'un refus explicite. C'est l'inverse du système du 'consentement explicite', de la personne ou de ses proches. Le consentement présumé pose, entre autres, le problème du manque d'informations: comment savoir si 'qui ne dit mot consent' véritablement? Il élimine aussi la dimension du don, pour considérer les organes comme une propriété commune après notre décès. Mais surtout, c'est probablement un leurre en pratique. Car comment, humainement, prélever des organes à une personne décédée si ses proches s'y opposent? Les pays qui, comme l'Espagne, ont fortement augmenté le don d'organes le doivent probablement d'autres mesures, comme la coordination, et la formation du personnel soignant à aborder la question de la transplantation. C'est aussi le cas au Tessin, cité en exemple pour cela en Suisse. Choisir de devenir donneur ou non peut aussi prendre une dimension citoyenne. Au Canada, lorsque la crainte du HIV a fait exclure les homosexuels du don d'organe, certains ont milité pour y être réadmis.

Sous le régime du consentement explicite, c'est donc à chacun de décider pour soi. Il faut savoir que c'est possible à un âge nettement plus avancé que ce que l'on croit parfois. En cas de malheur, c'est un service que l'on rend à sa famille que de lui dire si oui ou non on est d'accord d'être donneur d'organes. J'ai vécu quelques années aux États-Unis, où mon accord figurait sur mon permis de conduire. Un brin morbide, d'accord, mais très pratique. Ici, le mieux est une carte de donneur. On les obtient ici pour la Suisse, et ici pour la France.

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Le magistère immoral?

C'est qui, ces gens, déjà?

Ah oui, c'est ceux qui sont considérés comme une autorité morale par un milliard 86 millions d'êtres humains.

Mais juste là on peine à y croire. L'église catholique vient d'excommunier la mère d'une fillette de neuf ans: l'enfant avait été avortée de jumeaux après avoir été violée par son beau-père; sont inclus dans la condamnation l'équipe médicale ayant pratiqué l'intervention, et qui avait estimé que poursuivre la grossesse mettait la vie de la fillette en danger. Le beau-père, lui, non.

Cet événement suscite beaucoup de commentaires, et l'indignation fuse vis-à-vis de cette décision. Y compris de la part des autorités brésiliennes. Tant mieux. Mais rappelons-nous que, s'il est compréhensible d'être choqué, la surprise n'est, elle, pas véritablement légitime. Cette condamnation est du ressort de l'église catholique, qui est après tout libre d'exclure de ses rangs qui elle veut selon les critères qui lui semblent bons. Elle est par ailleurs parfaitement cohérente avec ses positions sur l'avortement.

Non, en fait ce que cette histoire illustre, c'est justement la différence entre une position cohérente et (après tout) attendue de la part d'une église, et une position qu'il serait défendable d'appliquer à tous dans la sphère publique d'une démocratie. La raison-même pour laquelle, finalement, il est si important de ne pas laisser trop de place aux positions religieuses dans l'élaboration des lois d'un état de droit. Imaginez: si la position catholique était intégrée aux lois du Brésil, la mère de cette fillette et son équipe médicale seraient probablement en prison à l'heure qu'il est. Un commentateur récent sur Facebook écrivait: 'Les athées n'ont pas à aller se fourrer dans les affaires de l'Église tout comme l'Église n'a pas à aller faire les lois l'un pays'. Il a raison. Petit message à nos voisins Français: à la veille de la discussion des lois de Bioéthique il est, dira-t-on, salutaire de se rappeler, à tête reposée, ce sage principe.

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L'usage de la journée des femmes

A quoi cela sert-il d’avoir une journée ?

Une sur 365 ?

Sinon à affirmer que le reste du temps, c’est OK que de moins compter ? Ambiguïté de toutes ces actions qui cherchent à mettre un groupe négligé en exergue et risquent par là de confirmer son statut particulier, habituellement inférieur. On a ainsi critiqué aux Etats-Unis le mois de l’histoire noire américaine. Ne s’agit-il pas de la même histoire que celle des autres, sauf qu’elle s’en trouve enrichie ? Bien sûr, l’enjeu symbolique est tel qu’il semble difficile de simplement rayer notre journée fuchsia du calendrier. Alors tant qu’à faire, si on s’en servait comme date de mesure pour des choses qui comptent, elles, vraiment ?

Disons que chaque année, on compte comme réussie une journée des femmes non pas au nombre de colonnes dans les journaux, de pages web, et de discours politiciens, mais sur la base de progrès sur des marqueurs mesurables, comparés à l'année précédente. Certains seraient plus difficiles à mesurer que d’autres. Certains relèvent du vœu pieux. Mais si l’échec signifiait que quelqu’un doit avoir honte devant une caméra, ne serait-ce pas déjà un tout petit progrès ?

Quelques exemples de ce qu’on pourrait choisir :

-Le nombre de filles de moins de 15 ans allant à l’école à temps plein devrait avoir augmenté.

-Le nombre de mariages contractés avant l’âge de 16 ans devrait avoir diminué.

Mais que peut-on faire depuis chez nous pour des trucs comme ça? En fait, beaucoup. Ne serait-ce que parce que les deux mesures précédentes passent en partie par un accès plus large à la contraception. Et là, on peut à la fois aider et s'abstenir de nuire. Car quand on ne se protège pas, on est enceinte plus jeune, on se déscolarise, rien de surprenant à ça. Une éducation sexuelle efficace n’est pas un luxe, c’est la pierre angulaire: pour des millions de jeunes filles, le pré-requis à une éducation tout court. Pour leur pays, un facteur de prospérité mesuré depuis longtemps, mais qui reste en retrait pour des raisons souvent dogmatiques.

Par ailleurs:

-On observerait une régression des 'crimes d'honneur' et une augmentation des pressions sur les états qui les tolèrent.

-Les femmes opposées à l'infibulation dans les cultures la pratiquant recevraient un soutien international pour faire œuvre de pédagogie.

-La traite et les réseaux d'exploitation sexuelle seraient non seulement criminalisés, mais on prendrait des mesures concrètes à leur encontre et on en quantifierait l'efficacité.

-etc...etc...

La liste pourrait se poursuivre très très longuement. Il y a bien sûr aussi un certain nombre d’enjeux plus locaux : l’égalité des salaires, un congé paternité, le retrait progressif des stabilisants des plafonds de verre, pour qu’ils deviennent enfin solubles dans les compétences. Même si, personnellement, je donnerais volontiers un pourcentage de mon revenu ou du temps de congé parental si cela pouvait acheter un meilleur avenir ne serait-ce qu’à une adolescente africaine, il n’y a pas de vraie raison pour se dire que ça doit être l’un ou l’autre.

Plus symboliquement, Simone Veil, qui reçoit parait-il encore parfois des lettres d'insultes le jour anniversaire de la mise en œuvre de la loi qui porte son nom, les verrait se tarir complètement. Les églises devraient sans doute avoir fait au moins un pas mesurable vers la parité en leur sein, et diminué de, disons 10%, leurs déclarations contraires à la parité vis-à-vis de l'extérieur. Mais là je fais sans doute preuve de vision à court terme. A long terme, il serait sans doute plus constructif que le Vatican, par exemple, prononce au moins une mesure ridicule à l’encontre de la condition féminine par année. Tant qu’une église demeure une institution intrinsèquement contrainte de refuser la parité, mieux vaut qu’elle se discrédite un peu régulièrement. Un exemple : la condamnation, 300 ans après Galilée, des gender studies. Je suis jalouse : c’est pas tous les jours qu’un champ scientifique a le prestige d’être condamné par un pape.

Des rêves que tout cela? Malheureusement, peut-être. Mais le genre de rêves dont le changement, parfois, se nourrit. Et puis pragmatiquement, il y a quelque chose que vous pouvez faire là tout de suite. Chaque jour, des femmes –et des hommes- ont besoin d’appui pour sortir de la pauvreté. L’organisation Kiva en recense un certain nombre, et leur acheminera vos prêts en ligne. C’est ici, et c’est très simple : si vous passiez y faire un tour ?


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Justice substantielle, justice procédurale

Deux événements apparemment sans lien, mais qui devraient nous faire réfléchir.

Le premier est une sorte de feuilleton d’éthique de la recherche. Il y a quelques semaines, un tribunal américain a conclu que les victimes nigériennes d’un célèbre dérapage de l’expérimentation humaine que Pfizer est accusé d’avoir perpétré sur sol nigérien pouvaient être entendues devant la justice…américaine. Les familles des victimes auront donc une chance de bénéficier d’un procès dans les règles, et peut-être de dommages punitifs réellement dissuasifs pour ceux qui voudraient à l’avenir tenter un coup pareil.

Pour rappel, Pfizer est accusé d’avoir voulu hâter les tests sur un nouvel antibiotique en choisissant un lieu où sévissait une épidémie de méningite. Jusque là, OK. Mais ensuite, ça se corse. Ils auraient motivé un hôpital pour leur céder une unité utilisée jusque là par Médecins Sans Frontières, créé de toute pièce et antidaté un accord d’un comité d’éthique inexistant, et procédé à l’étude sans consentement valable. Ils auraient remplacé l’administration intraveineuse, plus difficile, par une administration intramusculaire: c’est un détail qui aurait pu être parfaitement acceptable, sauf que la plupart des enfants atteints avait si peu de masse musculaire qu’ils ont finalement reçu des doses insuffisantes d’antibiotiques pour contrôler l’infection. Résultat : le groupe expérimental s’en tira plus mal, en partie en raison de complications du traitement. Après tout ça, il est presque compréhensible que Pfizer soit également accusé de s’être soustrait à ses responsabilités légales sur place. Ce qui ne l’a pas empêché de soumettre les résultats de l’étude à la FDA pour faire enregistrer le médicament. C’est d’ailleurs pour ça que la justice américaine, désormais, s’en mêle.

Tant mieux, pense-t-on. Les seuls à le critiquer sont les juges de la minorité du même tribunal, qui trouvent franchement problématique de décider comme ça que des faits qui ont eu lieu en Afrique relèvent tout à coup de la justice américaine. On se dit qu’ils pinaillent. On veut voir les victimes compensées, les coupables punis. Une procédure qui nous offre cette possibilité semble bonne par définition. Sans doute a-t-on un peu raison pour cette fois, mais il faut se rendre compte que c’est un pis-aller. La justice américaine n’a pas vocation de tribunal international. Les suivants n’auront peut-être pas cette chance, ce qui introduit un degré d’arbitraire. L’argument des juges minoritaires a du sens : on aimerait dans un monde idéal voir aussi respecter la justice procédurale.

L'autre événement, c'est notre Une nationale des journaux de ces temps: la mise en cause du secret bancaire au nom du combat contre la fraude fiscale. Et la distinction, intenable dans le traitement du secret, entre la soustraction et la fraude (merci à lecombier pour son commentaire).

On doit à Montesquieu ce résumé très succinct de la raison pour laquelle nous payons des impôts : Les revenus de l'État sont une portion que chaque citoyen donne de son bien pour avoir la sûreté de l'autre, ou pour en jouir agréablement. Celui qui ne paie pas resquille, c’est en fait très simple. Malgré des discussions parfois très fournies qui commencent par questionner le bien-fondé ou non des impôts, n'oublions pas que ces décision sont internes aux états. La difficulté vient du fait que leur application, elle, dépasse leurs frontières. Alors comment identifier et punir les resquilleurs ? Et de surcroit dans un monde où les états ont des frontières, mais la fortune non ? Pour le coup, la difficulté internationale à assurer la justice n’est pas tant de déterminer s’il faut durcir le contrôle sur le délit fiscal, mais comment le faire d’une manière qui traite les uns et les autres à la même aulne, qui ne relève pas de l’arbitraire, ou des alliances du moment.

Ambitieux, ça. Surtout à un moment où les intérêts de tous sont sous pression…

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'Dénisme'

Alors que l'OMS demande d'intensifier les programmes de vaccination, l'épidémie de rougeole continue de s'étendre en Suisse. Et avec elle, la discussion autour de la vaccination obligatoire. Il y a là de vrais enjeux. Rendre la vaccination obligatoire restreint la liberté des parents, représente une intrusion physique. En même temps cela protègerait plus d'enfants contre une maladie grave, en protégerait certains contre la liberté de leurs parents, et ôterait la culpabilisation des familles de l'équation.

Oui, il y a là de vrais enjeux. Sauf que ce n'est souvent pas de ça qu'on parle. A la place, les discussions fusent sur des questions qui devraient être scientifiques, mais où tout à coup l'anecdote, l'opinion personnelle, voir la désinformation, sont traités sur pieds d'égalité avec des connaissances vérifiées. Si j'étais frappée d'une maladie grave quelques jours après m'être arrêtée à un feu rouge, et que j'attribuais mon mal aux règles de la circulation, qui me croirait? S'arrêter aux feux rouges est fréquent, et tout le monde verra que c'est une coïncidence. Ou devrait le voir: on croise dans les débats sur la vaccination des arguments qui ne valent pas mieux.

La mise en doute de la vaccination fait partie de ces choses que certains défendent de bonne foi, mais qui ne tiennent pas la route. Dans le cas de la vaccination, même l'auteur de l'article cité à l'appui d'un soi-disant risque d'autisme n'y croit plus: il a retiré son article. Alors je l'ai déjà dit ici, pour un parent moyen, savoir à quoi s'en tenir sur la vaccination relève de la quadrature du cercle. Mais il faut se rendre compte que défendre une position anti-vaccinale aujourd'hui n'est pas une position scientifique. Cela relève d'un phénomène plus large que certains ont appelé le 'dénisme'. L'usage de tactiques rhétoriques visant à donner l'impression qu'un débat légitime existe, quand ce n'est en fait pas le cas.

Voici une petite liste de stratégies que vous avez peut-être rencontrées:
1) La conspiration: on n'est pas d'accord avec vous? C'est la preuve que vous avez raison. Des intérêts puissants sont en jeu alors forcément qu'on va dire ça. Comparez-vous aux génies du passé qu'on n'a pas crus tout de suite. Citez Galilée, Einstein. Oubliez pour l'occasion qu'il ont tous démontré leurs théories, plutôt que d'attendre qu'on les croie par proclamation...
2) La sélectivité: une étude soutient votre thèse alors que des centaines d'autres montrent qu'elle ne tient pas? Citez cette étude-là, et ne lisez surtout pas les autres...
3) Les faux experts: trouvez quelqu'un avec des titres les plus impressionnants possibles, et ne mentionnez surtout pas que cette personne n'a aucune expérience dans le domaine sur lequel vous lui demandez de s'exprimer...
4) Les attentes impossibles: vous avez exigé une étude, on l'a faite, et elle a montré que vous aviez tort? C'est donc qu'une seule étude ne suffit pas, ou qu'il aurait fallu la faire dans un autre pays, un autre siècle, ou avec 100 millions de cas, autrement ça ne vaut pas. Changez vos critères au fur et à mesure qu'on satisfait vos attentes successives...
5) Les erreurs de logique: par exemple, je me suis arrêtée à un feu rouge, je suis tombée malade la semaine d'après, ergo s'arrêter au feu rouge est dangereux et ne devrait pas être obligatoire...

Ces arguments sont tous fallacieux, mais ils ont souvent une efficacité redoutable. S'il vous est arrivé de vous laisser prendre, ne soyez donc pas trop dur avec vous-même. Dites-vous simplement que vous voilà désormais averti.

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