Un magnifique cadeau de Noël

Juste pour la fin de l'année, un très très beau cadeau de Noël. Dans le monde entier, et à seulement quelques exceptions près, nous vivons plus longtemps. La mortalité infantile chute elle aussi de manière impressionnante. La maladie nous tue moins, moins vite en tout cas. Les maladies infectieuses sont particulièrement en recul. On peut même visualiser ça sur un joli tableau interactif ici. Et l'article principal se trouve ici.

Cadeau avec un bémol cependant. Car si nous survivons plus, nous ne survivons pas toujours mieux. Les maladies chroniques sont elles en progression. Logique: à vivre plus longtemps on a plus de temps pour en accumuler. A la malnutrition succède la malbouffe, avec son cortège de diabète, hypertension et autres maladies liées à l'obésité. Logique encore: une plus grand prospérité, par ailleurs une très bonne chose, aura souvent ces deux effets en même temps. Autre  bémol, si les maladies infectieuses tuent moins, elles tuent toujours encore beaucoup. Mais c'est l'augmentation -et la globalisation- des problèmes de santé chroniques qui impressionnent ici. Ce sont donc eux qui constituent la prochaine cible logique.

Ici, contrairement à la lutte contre les maladies infectieuses, pas d'antibiotiques à l'horizon. C'est par les modes de vie qu'il faudra passer. Entre les lignes, donc, un autre cadeau de Noël, moins visible celui-là. Car l'histoire que nous raconte ce rapport mondial sur la charge de maladie est celle du succès de mesures de santé publique. Assainissement des eaux, vaccination,  construction de toilettes: lentement mais sûrement, ça marche. Combattre les maladies liées à l'obésité, cela pourrait-il passer par des actions semblables? Peut-être. Certe, cela ne nécessiterait pas de construction d'ouvrages importants comme les canalisations publiques. Mais ce n'est pas non plus une 'simple' histoire de choix individuels. Là où des succès sont déjà là, ils ont passé par des réglementations de la qualité des aliments, et de la quantité de non-aliments que nous autorisons sur le marché. Atteinte à la liberté? Celle de choisir ce que l'on mange, non. Jetez un oeil à votre supermarché: on pourrait réglementer beaucoup et il vous resterait tout de même énormément de choix. La part de choix ôtée, très partielle donc, nous serions certainement d'accord de nous en passer en échange de l'accès facile à une nourriture qui ne nous ferait pas de mal. Ces mesures qui ont été appelées des 'ceintures de sécurité alimentaires', par analogie avec nos stratégies pour la sécurité routière. Un autre domaine où une -petite- part de liberté a été lâchée comme prix d'une sécurité jugée plus importante. Non, la liberté réellement atteinte serait avant tout celle de faire du profit sur le dos de la santé des gens. Mais je doute que vous perdiez beaucoup de sommeil pour celle-là...

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Fin de vie à la Française...

On reparle ces temps en France de fin de vie. Vu de Suisse, c'est impressionnant. Autour de ces thèmes, chez nos voisins, les plaques tectoniques sont si figées que le moindre frémissement ressemble à un tremblement de terre. Ici, il s'agit du rapport Sicard, publié il y a trois jours. Élaboré et publié à la demande du président Hollande, il entre-ouvrirait la porte à l'idée que peut-être, parfois, il pourrait être envisagé d'avoir recours à l'assistance au suicide.

Dans ce contexte-là, même cette simple évocation est impressionnante. La presse n'a d'ailleurs pas tari. Comme c'est les vacances et que vous avez du temps, le rapport intégral se trouve ici. Il vaut la lecture. Ne serait-ce que pour la description des conditions de la fin de vie chez nos voisins. Et puis parce qu'on parlerait donc d'un changement de loi. D'une demande à prendre au sérieux: "Il ne s'agit pas de revendications simplistes ou naïves de personnes qui n'auraient pas compris la question. Il s'agit d'une demande profonde des personnes interrogées, de ne pas être soumises dans cette période d'extrême vulnérabilité de la fin de vie à une médecine sans âme". Affaire à suivre, donc.

L'issue demeure cela dit très incertaine. Les cas qui ont défrayé la chronique en France, les histoires de personnes qui ont demandé à mourir, se ressemblent un peu toutes par un aspect qui nous semble, en Suisse, très exotique: la demande de mourir adressée personnellement au président de la République. Cette demande n'est pas anodine. Elle semble traduire une certaine logique de l'autorisation qu'on demande au souverain - à un roi, donc- de disposer de son bien à lui. Il y a erreur sur la personne, bien sûr. Un président garant d'un état de droit comportant un interdit de l'euthanasie ne peut que dire non. Il n'a pas de droit de vie et de mort sur les citoyens, lesquels ne sont pas ses sujets. Le malentendu est programmé.

Lorsque l'on vit dans cette logique, cela dit, comment autoriser l'assistance au suicide? Pas simple. Il faudrait presque pour cela repenser notre rapport à l'état. Comme le disait récemment un collègue, il est très peu probable que la France adopte une législation 'à la Suisse'. Mais la question a le mérite d'être enclenchée, et sur des bases factuelles. Les débats sur les choix de fin de vie ont parfois tendance à se dérouler un peu 'hors-sol', mais au fond les faits sont têtus. Une très belle citation ici: « On pense que ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants ».

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Faites-moi confiance...

On a parlé ces derniers temps de grippe, de vaccins, de masques, et de badges dans les hôpitaux. Alors bien sûr il y aurait bien des choses à dire sur le sujet. Comme par exemple, que la contre-information envers la vaccination continue apparemment de faire des victimes...mais là pour le coup c'était le moment de mon billet dans la Revue Médicale Suisse et j'ai pensé que c'était une bonne occasion de parler de la confiance. Difficile à décrire, la confiance. Précieuse, et ambiguë. Comme le dit Carolyn McLeod dans l'encyclopédie de philosophie en ligne (une belle ressource, que je vous recommande):

«La confiance est importante, mais elle est aussi dangereuse. Elle est importante car elle nous permet de former des liens avec d’autres et de dépendre d’autrui – pour de l’amour, des conseils, de l’aide avec notre plomberie, n’importe quoi- surtout lorsque nous savons qu’aucune force extérieure ne force ces personnes à nous donner ces choses. Mais la confiance implique aussi le risque que les personnes en qui nous avons confiance ne feront pas leur part pour nous; car, s’l y avait une garantie qu’elles la feraient, alors nous n’aurions aucun besoin de leur faire confiance. Ainsi, la confiance est également dangereuse. Ce que nous risquons en faisant confiance est la perte de ce que nous avons confié à d’autres, y compris notre respect de nous-même peut-être, qui peut être détruit par la trahison de notre confiance»

Comment faire, pour maintenir cela et en être digne? Et comment le faire collectivement? Comme d'habitude, je vous mets un extrait et le lien:

"Une fois donnée, cette confiance devient une des pierres angulaires de la médecine. Nos patients se confient. Sans cela, d’ailleurs, comment les soigner ? La médecine est une pratique qui requiert que soient mis entre ses mains nos corps, nos informations les plus intimes, et finalement notre sort. Jamais vraiment aveugle, la confiance n’est donc pas vide non plus. On a confiance que ; que la personne à laquelle on se confie se comporte d’une certaine façon. Qu’elle m’aide, et surtout qu’elle ne me fasse aucun mal.
Se laisser soigner par des inconnus, voilà qui requiert donc un engagement collectif. Les codes de déontologie qui accompagnent depuis leurs débuts les professions auxquelles nous nous confions servent à cela. Ils sont une promesse : nous serons dignes de votre confiance et s’il s’en trouve parmi nous qui ne le sont pas nous les corrigerons. La médecine exercée sans lien préalable est à ce prix. La création de liens thérapeutiques est à ce prix. La médecine exercée en groupe, en équipes, en institution, est certainement à ce prix."

Bien sûr, la question de la confiance ne résume pas les discussions autour de l'obligation de porter le badge en période de grippe. Si vous avez un avis sur la question, laissez-nous un commentaire...

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Un Conseil d'éthique clinique près de chez vous

Peu de gens le savent en dehors de l'hôpital, mais nous y avons un Conseil d'éthique clinique. Les membres sont des professionnels de la santé, des juristes, des citoyens intéressés. Votre servante est leur consultante éthicienne. De plus en plus d'hôpitaux se dotent de structures de ce type. Celui de Genève a déjà presque 20 ans, et s'inscrit dans une évolution Suisse récemment décrite dans des recommandations de l'Académie Suisse des Sciences Médicales concernant le 'Soutien éthique en médecine'.
Les missions du CEC des Hôpitaux Universitaires de Genève incluent (entre autres, le reste est sur le site):


Ce Conseil d'éthique clinique genevois, celui qui pour certains d'entre vous est près de chez vous, vient de mettre sur son site internet plusieurs recommandations générales. Comme toutes les recommandations de ces conseils ou comités d'éthique clinique, ces recommandations sont consultatives. C'est-à-dire qu'elles n'ont pas de valeur contraignante: on est convaincu, ou non. Mais le but est d'aider à la réflexion. Si l'on n'est pas d'accord, on aura progressé dans sa réflexion si grâce à un avis argumenté on sait mieux pourquoi. Comme ces recommandations ne contiennent pas d'informations confidentielles, elles sont publiques.
L'une d'entre elles concerne 'Le rôle des proches dans les décisions thérapeutiques'. Elle est importante, parce que le statut légal des proches va changer avec le nouveau code civile. Elle est importante, surtout, parce qu'accompagner les proches d'une personne malade au travers d'un chemin difficile est délicat et crucial. La version courte, dans le résumé qui se trouve à la fin de la recommandation, est celle-ci:

Le CEC [Conseil d'éthique clinique] considère que l’importance d’intégrer les proches dans les décisions thérapeutiques mérite un effort particulier tant dans la pratique que dans la compréhension de leurs rôles, et ce tout particulièrement dans la préparation de l’entrée en vigueur du nouveau Code civil en 2013. 


1) La plupart des demandes émanant de proches de patients ne soulèvent pas de difficultés dans les soins. Il importe avant tout de maintenir la décision centrée sur la volonté et l’intérêt du patient, de chercher un consensus, et de tenir compte aussi des besoins des proches. 

2) Dans les cas où un tel consensus ne peut pas être atteint, et lorsque le patient est incapable de discernement, le cadre légal actuel est celui d’une prise de décision médicale assistée par les proches : ils sont les témoins de la volonté présumée du patient. Avec le nouveau code civil, on passera à un cadre légal de prise de décision des proches accompagnée par les soignants. Les indications médicales restent cependant du ressort du médecin. 

3) Intégrer les proches représente une extension du respect de l’autonomie du patient, car ils peuvent se faire les témoins de sa volonté, mais pas seulement : il s’agit aussi de respecter le rôle qu’ont les proches dans la vie du patient, de tenir compte de l’impact qu’aura toute décision sur eux, et du fardeau que peut représenter pour eux le fait de prendre une décision concernant leur proche. La loi actuelle et les changements prévus sont compatibles avec tous ces aspects. Notamment, il n’est pas prévu d’introduire d’obligation de représenter le patient pour des proches qui s’en estimeraient incapables ou qui tout simplement ne le souhaiteraient pas. 

4) Dans le cas où un patient refuserait l’inclusion d’un proche dans les décisions le concernant, ceci devrait être discuté lors de la rédaction de directives anticipées et exploré lors de discussions des préférences d’un patient y compris lors d’admissions en milieu hospitalier.

5) Il est important que les collaborateurs disposent de séances d’information et de formation sur le rôle des proches dans la décision thérapeutique, notamment concernant les modifications apportées par l’entrée en vigueur du nouveau Code civile.

Si cela vous intéresse, allez jeter un œil à la recommandation entière. Elle est derrière le lien de l'extrait. Ensuite, revenez nous dire ce que vous en pensez...

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Dépistage sanguin de la trisomie 21

Je vous avais parlé il y a quelques temps des enjeux éthiques du dépistage de la trisomie 21. Entre temps, on m'a demandé de donner une petite conférence avec des collègues qui expliquent, eux, les aspects techniques du nouveau dépistage sanguin.

Cela vous intéresse? Voici le lien de la première conférence sur l'histoire du dépistage, la deuxième sur le nouveau test sanguin, et finalement la mienne sur les enjeux éthiques. Et revenez pour nous dire dans les commentaires ce que vous en pensez...

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N'étions-nous pas pourtant d'accord de faire mieux?

On m'a demandé cet été de faire la préface d'un rapport sur l'asile et la médecine. Un truc de plus, que j'ai commencé par me dire, le doigt presque déjà parti en direction de la touche pour répondre aussi gentiment que possible que non, ma foi ce n'était pas l'intérêt qui manquait, mais vous comprenez il y a tant de choses à faire...

Et puis je me suis reprise juste à temps. Car les liens entre l'accès aux soins, les devoirs des soignants face aux personnes malades, et les politiques de l'accueil ou non dans notre communauté helvétique, en fait c'est passionnant. Et problématique. Et souvent appliqué avec confusion, injustice, et approximativement. Avec confusion et approximativement donc avec injustice, auraient peut-être dit les philosophes antiques.

Le rapport en question, en plus, gagne à être lu. Ce sont des cas concrets, comparés aux règles que l'on a, démocratiquement, décidé d'appliquer lorsqu'une personne ayant demandé l'asile en Suisse se trouve également être malade. Inconfortable, comme lecture, mais je vous la recommande. Vous trouverez le texte intégral ici, mais en attendant je vous mets ma préface:


Selon une position que l’on appellera ‘nationaliste’, seuls les résidents légaux d’un pays y ont droit à des soins de santé car ce droit présuppose le droit d’être sur place. Selon une position ‘humaniste’, toute personne malade a droit à des soins de santé du seul fait qu’elle en a besoin. La reconnaissance d’un ‘droit à la santé’relève de la seconde tradition, et les politiques d’asile restrictives envers les personnes malades de la première. Ce droit est consacré notamment dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, la Convention relative aux droits de l'enfants (1989) et sur le plan régional par la Charte sociale européenne (1961). La pratique en Suisse ? La lecture du rapport qui suit est inconfortable, au sens salutaire. Elle nous met face à nos tensions. D’abord, celle qui oppose les cliniciens et mandataires du terrain aux autorités du droit d’asile. Les premiers, confrontés quotidiennement à la souffrance humaine concrète, tendent à l’humanisme. Les autorités du droit d’asile, fondé sur le droit de contrôler les frontières et donc de réguler l’immigration, nettement moins. Cette tension n’est pourtant pas inévitable. Car au fil des récits qui suivent  on devine parmi les personnes frappées les employés, les voisins, les parents, les contribuables. Des personnes impliquées dans la coopération qui fonde notre vie en commun, nos structures collectives, notre prospérité. Des membres sociaux,donc, envers lesquels même le modèle nationaliste nous reconnaîtrait desobligations morales lorsqu’elles tombent malades.

La deuxième tension est pratique. Entre le modèle nationaliste et le modèle humaniste, notre pays semble avoir suivi sa tradition de compromis. Le désir de participer à la vie collective (être un membre social) et l’état de santé (modèle humaniste) comptent parmi les conditions permettant l’octroi d’un permis B humanitaire. Dans la pratique cependant, on évalue insuffisamment les possibilités concrètes de traitement, on ne tient pas compte d’avis d’experts : on finit par dresser des obstacles à l’application du droit en vigueur. Même lorsqu’un compromis semble juste en théorie, son application exige qu’on s’en donne les moyens.
Les tensions génèrent des méfiances. Rappelons-le donc: les médecins ne sont pas seulement –ni toujours- défenseurs de leurs patients. Ils sont les experts de l’une des conditions prévues par le droit d’asile, parmi les garants de son application juste, et ils doivent être entendus.
Les tensions font aussi des victimes, ici toute désignées. Si la vulnérabilité est le risque accru de subir un tort, alors la première vulnérabilité n’est pas ici le risque que le droit d’asile limite l’accès aux soins. C’est que les droits des personnes en matière d’asile –y compris celui de voir leur état de santé pris en compte- ne soient pas respectés.

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La liberté de pouvoir être en bonne santé

C'est l'heure de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. D'abord, je dois vous dire que je l'ai écrit avant la votation sur la fumée passive, et que vous me prenez donc ici en flagrant délit de pessimisme. J'étais d'autant plus dépitée que, pour une fois que l'on défend bec et ongles (nicotinés) la liberté des individus, on s'est basé à ce qu'il me semble sur une notion très pauvre et passablement confuse de cette valeur.

Car dans le contexte de la médecine, quelle sorte de liberté est digne d’être voulue ? L’absence de contraintes extérieures limitant nos choix ? Sans doute, mais encore? La possibilité de l’auto-détermination, qui peut impliquer que nous disposions de moyens pour être libres ? On a tendance à l'oublier. La régulation de la fumée passive est presque un cas d'école pour une distinction devenue classique entre liberté négative et liberté positive. La première est l'absence de contrainte. Dans le dessin qui ouvre ce billet, l'absence de coquille une fois que le poussin est sorti. La seconde désigne la possibilité de faire quelque chose. Celle-là, le poussin ne l'aura pas encore véritablement acquise simplement en sortant de l’œuf. Ses moyens resteront très clairement limités, avec ou sans la contrainte de la coquille. Si on revient à la fumée, défendre une liberté négative pourrait faire critiquer comme paternaliste l’interdiction de fumer dans les lieux publics, a fortiori l’interdiction de la publicité pour le tabac. Alors que défendre une liberté positive pourrait conduire à prôner ces mêmes mesures. 

Alors maintenant, comme d'habitude, un extrait et le lien (ici): 

Au fur et à mesure qu’elles accèdent aux biens matériels, les sociétés ont tendance à écarter des risques comme la sous-nutrition, la pollution des foyers domestiques, la qualité de l’eau et des sanitaires. Tant mieux. Mais elles ont tendance à les échanger contre les risques du tabac, la sédentarité, l’obésité, la pollution urbaine et ceux de la route et du travail. En d’autres termes, des facteurs très fortement liés au mode de vie. Liberté, serait-on tenté de clamer ici aussi. Chacun doit pouvoir faire ses choix y compris s’ils sont nocifs. Oui, bien sûr : comment défendre une vie de contraintes au nom de la santé ? Sauf que les comportements en question ne sont, disons, pas vraiment entièrement libres. La santé publique sous nos climats est en passe de devenir fondée sur ce que Galbraith appelait la «manufacture des besoins». Si un vendeur peut fabriquer le besoin pour son produit, c’est très bon pour lui. Si son produit est nocif, c’est évidemment moins bon pour son client, qui n’en aurait pas eu un tel besoin sans lui. Alors : suis-je encore libre de choisir si on me matraque de messages publicitaires, si on organise millimétriquement mon supermarché pour augmenter au maximum la probabilité de chacun de mes achats ? Fascinante question. Le même BMJ publiait cet été une attaque en règle de la publicité comme facteur dans ces «décisions» : menace pour la santé physique, pour la santé mentale, exacerbation d’inégalité, ciblage des enfants. Que faire dans tout cela de la liberté de pouvoir être en bonne santé ?


Que faire en effet? Commencer, peut-être, par la protéger un peu mieux justement...Mais pour cela, il va falloir commencer par se rendre compte qu'une fois sorti de l'oeuf, le poussin, si on lui conditionne le comportement eh bien il ne sera pas tellement plus libre qu'avant...

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Architecture du choix (1, probablement)

Un très joli dossier, dans Le Temps de ce week-end, sur 'l'angoisse du choix'. Si vous ne l'avez pas encore lu, l'article principal se trouve ici. Même s'il a un défaut important (j'y viendrai), vraiment je vous le recommande.

Le principe? On a en général l'impression que plus on a d'options, plus on a de choix, donc de liberté. Mais la réalité est un peu différente. Imaginez-vous que vous avez décidé d'acheter des céréales pour votre petit déjeuner. Un choix relativement simple. Sauf que lorsque vous arrivez au supermarché, vous tombez devant une centaine de mètres de rayonnages remplis de céréales. Tous sont différents, aucun ne vous est connu. La surcharge totale. Je parle d'expérience, cela m'est arrivé. La honte: j'ai été totalement incapable d'acheter un vulgaire paquet de muesli. Et je ne vous raconte pas les 200 sortes de sauce soja du rayon d'à côté. Face à tellement plus de choix, c'est comme si finalement on en avait moins. L'effort de choisir nous bloque. Ce n'est pas seulement basé sur des anecdotes non plus. C'est là un des résultats d'études tout à fait sérieuses sur ce que l'on pourrait appeler l'architecture du choix. Devant 15 sortes de confitures de fraises, moins de gens finissent par en acheter que devant seulement deux, par exemple. Plus...ce n'est pas nécessairement plus.

Il y a une autre raison pour laquelle plus de choix n'est pas nécessairement une plus grande liberté. Dans mes exemples de céréales, de confitures de fraises et de sauce soja, il ne s'agissait jamais que de choix alimentaires dont l'importance est finalement assez faible. En tout cas quand on les prend un par un. Pas vraiment de choix identitaire là-dedans. Le temps que l'on dépense à choisir une confiture ou une énième série télé, ce n'est pas vraiment le grand exercice de la liberté. On en viendrait même à se dire que si, pendant ce temps passé à faire ces choix anecdotiques, on ne se demande pas si l'on veut vraiment passer tout ce temps à manger des tartines devant la télé, alors on aura au final perdu de la liberté. Une conclusion plus dérangeante, celle-la.

Mais par ailleurs justement, il y a des choix identitaires auxquels il est important de pouvoir participer et qu'on ne peut pas mettre à la même enseigne que les choix de céréales. Parmi eux, les choix qui concernent nos traitements médicaux. Là, malheureusement, le dossier de ce week-end va trop vite en besogne. Il présente une discussion sur la décision médicale partagée. Un sujet inclus dans les études de médecine depuis un certain temps, et qui commence à l'être sous cet intitulé. Mais évidemment, il ne s'agit pas ici de faire choisir son traitement à une personne malade comme s'il s'agissait de son petit déjeuner. Partager les décisions médicales entre patients et médecins c'est une affaire importante, mais aussi une affaire sérieuse. Elle mérite...du soin. Des compétences et de l'adaptation. Respecter la liberté d'un patient, cela voudra parfois dire lui laisser une part importante des décisions, mais parfois aussi respecter son choix de ne pas être celui qui choisit. Être inclus dans la décision, pour certains cela signifie déjà simplement être informés suffisamment pour pouvoir, le cas échéant, donner leur avis. Certaines personnes qui préfèrent par ailleurs laisser décider leur médecin souhaitent quand même avoir toutes les informations les concernant. Dans la plupart des cas, cela signifie davantage: vraiment décider ensemble. C'est-à-dire discuter, pour le patient se faire son idée, pour le médecin accompagner une personne malade à travers une décision qui -oui- peut être délicate. Un exercice difficile, où la manière compte énormément. Il doit s'apprendre et s'affiner par l'expérience. Et parce qu'il ne s'agit que rarement de décisions triviales, cette liberté-là doit compter plus que celle de choisir sa confiture.

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Mes collègues: dignité, dignité...

J'avais commencé ce blog sur une question de dignité. Celle des plantes, en l'occurrence. Le billet que je vous recommande aujourd'hui dans la série 'mes collègues' me fait donc particulièrement plaisir. C'est un concept qu'on n'explore pas assez, la dignité. On est trop souvent occupé à le brandir. Et il est bien, Nicolas Tavaglione. Comme d'habitude, un extrait et le lien:

Antonio Hodgers, face à Darius Rochebin sur la RTS, invitait cet été les Genevois à ne pas donner de l’argent aux mendiants. La voix est douce, le regard évangélique et l’argument inattendu: l’aumône contrarie la dignité humaine – dont le mendiant, M. Hodgers est humaniste, est tout autant porteur que l’honnête travailleur. Je me sens concerné par l’invitation, puisque, genevois, j’appartiens au public-cible. Et puis voilà un homme gentil qui recommande un acte sévère. Alors je suis forcé de réfléchir.(...)


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Une limite juste dans les soins?


Avant l'été j'ai participé à une émission sur les coûts de la santé. Comme elle est un peu difficile à trouver je vous indique qu'elle se trouve ici. Au cas où cela vous intéresserait...

Je dois avouer que j'ai hésité, cela dit. Pour cette raison, je vous prierai de ne tenir aucun compte de la pub sur les vêtements de la journaliste qui se trouve au début et à la fin. Carrément gênant. Gênant aussi pour elle. Petit moment de solidarité, là. Être journaliste scientifique et devoir être vêtue par un sponsor pour les besoins de l'émission ... vraiment pas sympa. Madame, vous avez bien fait votre boulot et j'ai admiré votre professionnalisme. Vous valez mieux que ça, voilà c'est dit.

Maintenant revenons au sujet. Comme le résume notre dessinateur national dans l'illustration qui ouvre ce billet, les coûts de la santé c'est une question de reconnaissance de limites. C'est aussi une question de justice. Entre autres choses.  Si vous avez le temps, regardez la vidéo. Ensuite, vous me direz ce que vous pensez de la question...



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Un enterrement littéraire? Ou scientifique?

J'étais hier à un enterrement.

Une circonstance triste, cela va sans dire.

Mais aussi parfois pas triste exclusivement, lorsque la maladie fut longue et la fin une forme de soulagement. Pour certains proches de personnes décédées, cela dit, après les épreuves de la maladie viennent celles de la lecture des évangiles. Les rapports aux églises sont parfois compliqués ... et dans la tristesse ils ne représentent pas toujours, ni pour tous, un soutien. J'ai été frappée - c'est la première fois que j'en étais à ce point témoin - par le nombre de personnes qui ont exprimé des regrets de ne pas connaître de textes non religieux qui toucheraient la note juste au moment d'un décès.

Personnellement, il se trouve que j'en connais un. Mais vous aussi peut-être? Indiquez-le(s) dans les commentaires, d'autres que moi vous en seront certainement aussi reconnaissants...Je vous mets déjà celui que je connais. Il est très beau. Comme il n'y avait pas de traduction française (l'original est en anglais, la référence est derrière le lien), je vous signale que celle-ci est de moi et que toute imprécision est donc à mettre à ma porte:

"Nous allons mourir, et cela fait de nous ceux qui ont de la chance. La plupart des gens ne mourront jamais, parce qu'ils ne seront jamais nés. Les personnes potentielles qui auraient pu être ici à ma place -mais qui ne verront en fait jamais la lumière du jour- sont plus nombreuses que les grains de sable du Sahara. Certainement, parmi ces fantômes sans vie, des poètes plus grands que Keats, des scientifiques plus grands que Newton. Nous savons cela, car l'ensemble des personnes rendues possibles par notre ADN dépasse si massivement l'ensemble des personnes existantes. Au nez et à la barbe de stupéfiantes probabilités contraires, c'est vous et moi, si ordinaires, qui sommes ici. "

Un peu plus loin:

"(...)Après avoir dormi au travers de cent millions de siècles, nous avons finalement ouvert nos yeux sur une planète somptueuse, étincelante de couleurs, débordante de vie. A bout de quelques décennies seulement, nous devons les refermer. Qui, sachant cela, ne bondirait pas de son lit, impatient de continuer à découvrir le monde, et heureux d'en faire partie?"

Et encore:
"Nous, ce petit nombre de privilégiés qui avons gagné la loterie de la naissance envers et contre tout, comment osons-nous gémir à l'idée de notre inévitable retour à cet état antérieur, dont l'immense majorité n'a jamais émergé?"


Que quelqu'un lise ça à mon enterrement, voilà qui m'irait parfaitement. Sous réserve bien sûr de tout ce qui sera écrit d'ici-là...et d'ici-là ça fera beaucoup j'espère! Mais vous de votre côté, des suggestions?

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Expériences d'étudiants

L'été, lorsqu'on travaille c'est l'occasion d'enfin terminer les choses qu'on n'a pas le temps de faire durant l'année...alors pour vous faire patienter je vous envoie ce très joli récit d'étudiantes. Leur stage  à Cuba leur inspire quelques réflexions qui méritent que l'on s'y arrête. Un extrait:

«En Suisse, nous plaçons un support spécial coûteux pour maintenir le pied en position verticale, explique Sofia. C’est très important pour éviter qu’il ne tombe sur le côté, ce qui provoque des lésions graves. Ici, où l’on manque d’équipements, la débrouille cubaine résout simplement le problème avec ces chaussures.»

Cette ingéniosité, certains l'ont poussée à l'extrême. Ils sont trop rares, malheureusement. Le Dr Seyi Oyesola, un médecin nigérian qui retourne au pays après des études à l'étranger, est un de ces exemples. Il a inventé un "hôpital dans une boite" qui permet d'arriver dans un hôpital démuni avec plus ou moins un bloc opératoire dans sa poche. Bon, pas vraiment. Mais presque. Impressionnant. Il le décrit dans cette vidéo. Attention, il décrit -et montre- aussi une série de problèmes qui peuvent, comme on dit, impressionner les personnes sensibles.

Entre les hôpitaux qui nous entourent en Suisse et les conditions matérielles à Cuba ou en Afrique, le décalage est lui aussi frappant. Si vous avez regardé la vidéo, c'était sans doute pour certains d'entre vous la première fois que vous avez vu un hôpital africain. Mais ce décalage est en même temps fructueux quand on se dépayse à ce point-là par le chemin de la médecine. Les (désormais plus de) 200 étudiants qui ont fait l'aller-retour pour Yaoundé depuis Genève, un autre stage décalant et passablement consacré, en sont un autre exemple. Mais le plus intéressant est finalement que, en sourdine, ces expériences façonnent nos collègues partout en Suisse. «On rencontre infailliblement dans les hôpitaux romands des médecins qui sont partis eux-mêmes et qui racontent tous une histoire similaire : ce stage a changé leur regard sur le monde, sur eux-mêmes, sur la médecine, sur leur propre pays, les a rendus plus conscients des enjeux sociaux de notre métier.» 


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Passé ce point vous n'aurez plus d'issue possible...


C'est de nouveau la saison de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. Ci-dessous, donc, un extrait et le lien. Et cette fois la photo choisie par Bertrand Kiefer est tellement bien que je la pique en espérant très fort qu'il me pardonnera. Le sujet est triste. Mais la votation prochaine sur l'assistance au suicide dans les EMS vaudois a suscité beaucoup de commentaires. Des commentaires et d'étranges zones d'ombre. La souffrance dans le grand âge. La difficulté d'en parler. Voilà des sujets qui nous résistent. Pour un récit honnête (et je dois dire courageux), combien de voeux pieux? Oui, des sujets qui nous résistent. Pour une fois je ne vous demande pas de me dire ce que vous en pensez. Ce serait une question fort indiscrète. Mais bien sûr si vous voulez nous le dire, laissez un commentaire...

Alors l'extrait, et le lien:

"(...)pourquoi a-t-on besoin d’une loi de plus ? Etrange chose : parce que l’assistance au suicide nous divise, certains EMS limitent ce droit. C’est aussi parce qu’elle nous divise que nous avons une telle envie de la réglementer. Que les directeurs d’EMS réclament un «droit à l’objection de conscience» alors que personne ne songerait un instant à les contraindre à assister personnellement un suicide. Que le contre-projet introduirait une première suisse en rendant une participation médicale nécessaire. Mais c’est encore parce que l’assistance au suicide nous divise, cependant, qu’elle doit pouvoir faire l’objet d’une décision strictement personnelle. Pourquoi a-t-on besoin d’une loi de plus ? Il est des droits sur lesquels il paraît nécessaire d’insister."

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Vous avez dit 'eugénisme'?

Il arrive -malheureusement assez souvent dans mon métier- que des débats soient mal emmanchés. Et qu'il faille corriger le tir. La semaine passée, deux de mes (futurs) collègues ont écrit un commentaire dans Le Temps, en se servant du terme d''eugénisme'. Un terme très employé dans beaucoup de débats de bioéthique concernant le début de la vie. Et souvent utilisé à toutes les sauces. Parfois il désigne des pratiques criminelles dans le style des politiques eugénistes du nazisme. Mais parfois certains s'en servent pour désigner, en fait, toute forme de contrôle des naissances quelles qu'elles soient. Bien pratique, alors, qu'il soit négativement connoté...

Du coup, j'ai corrigé le tir. Mais comme leur article est en ligne et que ma réponse ne l'est pas, je le corrige à nouveau en vous donnant le texte intégral. Dites-moi ce que vous en pensez!

De l’usage rhétorique de l’ « eugénisme »

Dans les pages du 30 mai, Vincent Menuz et Johann Roduit commentent la plainte déposée devant la Cour européenne des droits de l’homme par Mme Kruzmane, citoyenne de Lettonie. Son médecin ne lui a pas proposé de dépistage prénatal de la trisomie 21, puis la justice de son pays n’a pas reconnu que ceci constituait une transgression de ses droits. Elle demande que soit reconnu ici son droit de choisir pour elle-même de porter, ou non, une grossesse à terme.
Dans leur courrier, mes futurs confrères décrivent sa demande comme « une forme évidente d’eugénisme ». C’est faux. L’erreur qu’ils commettent ici est même assez fondamentale. Pour relever de l’eugénisme, une pratique doit avoir pour but un effet –perçu comme positif- sur le patrimoine génétique d’une espèce. Historiquement, c’est aussi une politique d’état qui limite dans ce but les libertés reproductives des individus. Non seulement on voit mal comment les buts de Mme Kruzmane viseraient la santé génétique de l’espèce, mais en plus elle ne fait rien d’autre que de réclamer, justement, sa liberté dans ses propres choix reproductifs. Rien d’eugénique là-dedans.

Alors bien sûr, on peut être d’accord ou non avec la légitimité de sa démarche pour d’autres raison: par exemple, selon que l’on pense que l’avortement est défendable ou non. Un débat social vénérable, dans lequel le peuple suisse a choisi en 2002 la solution des délais. Il y a fort à parier que l’ONG chrétienne citée par les auteurs serait d’un autre avis, et il est de bonne guerre de présenter son avis dans un débat publique. Le hic, c’est que se borner à répéter « eugénisme, eugénisme » pour qualifier des pratiques qui n’en sont pas, ce n’est pas un argument. Il serait plus véridique de dire « je pense que c’est très vilain ». Et les bonnes manières des discussions publiques exigeraient que l’on explique pourquoi…

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Mes collègues...

Je vous le disais, parfois on est juste fière de ses collègues. Même (surtout?) si c'est pour des commentaires qui portent sur des sujets dont, collectivement, on ne peut pas vraiment l'être. Cette fois, si ce n'est pas fait, allez vite voir la Carte blanche d'Alex Mauron dans la Revue Médicale Suisse de cette semaine. Comme d'habitude, un extrait et le lien: 


Le titre, c'est : Le goût du risque (pris par les autres, s'entend). Je vous le dis, allez voir... 

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Assistance au suicide: les cas qui font débat

On m'a interviewée récemment sur un sujet controversé, dont je vous avais déjà parlé il y a quelques temps. Alors comme d'habitude, un extrait et le lien. Le voici:


"Ils ont 75, 80, 85 ans et sont fatigués de souffrir. Pas d’un cancer en phase terminale. Mais d’arthrose, de cécité, de problèmes de mobilité, d’incontinence… Une série de maladies de vieillesse, pas mortelles mais incurables, et qui, s’accumulant les unes aux autres, rendent leur existence insupportable sans espoir d’amélioration. Ces aînés-là, et c’est nouveau, sont de plus en plus nombreux à mettre fin à leurs jours via les organisations d’aide au suicide."

Des situations difficiles, où l'assistance au suicide est autorisée par la loi mais n'est pas soutenue par un consensus comme c'est largement le cas dans les situations de fin de vie. Et qui du coup posent aussi la question de qui doit pouvoir juger d'une motivation de demande d'assistance au suicide, dès lors que la personne principalement concernée est capable de discernement et fait ce que l'on va appeler un 'suicide rationnel'. Et bien sûr aussi la question des conditions dans lesquelles de telles décisions sont prises. Et si je suis seule? Et si je dois lutter pour ma survie matérielle et cesse d'en avoir la force? Et si j'avais des raisons de penser que ma survie devient problématique pour des personnes que j'aime? Des questions que la situation légale suisse va maintenir à l'agenda des discussions encore longtemps, sans doute. Et où s'entrecroisent nos choix individuels, et toute une série de choix sociaux sur les circonstances dans lesquelles se déploient nos vies...

Vous, vous en pensez quoi?


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Glycémies dans la limite légale

Il y a, de plus en plus ces dernières années, une certaine rhétorique qui consiste à accuser les malades de leur maladie sous l'angle de la 'responsabilisation des patients'. Des guillemets sont de rigueur ici. Car des responsabilités pour notre santé, c'est pas que ça n'existe pas. Une part respectable de la santé publique consiste justement à nous rappeler que nous y pouvons quelque chose. Pas tout, mais quelque chose. Non, là où le bât blesse c'est quand cette rhétorique vise des situations dont les patients sont victimes plutôt que responsables. Et là, la Hongrie a le mois dernier frappé très fort. Car, "Pour réduire les dépenses de santé, le gouvernement a décidé de punir les diabétiques qui ne suivraient pas scrupuleusement leur régime en les privant d'accès aux meilleurs traitements subventionnés."

Rien que ça.

Pour comprendre combien cette décision est grave, quelques points. D'abord, le diabète est un très bon exemple de nos confusions autour de la responsabilité personnelle pour la santé. A première vue, la forme qui a tendance à débuter plutôt à l'âge adulte ressemble effectivement à un bon exemple de maladie dont on peut influencer le risque pour soi-même. Car il y a là beaucoup de liens avec l'hygiène de vie. Et donc avec des choix, pourrait-on être tentés de penser. C'est une maladie associée au surpoids, à l'alimentation, à l'exercice physique, des choses qu'on peut déterminer me direz-vous. Sauf que...c'est aussi une maladie liée au stress, à la possibilité matérielle de mener une vie saine, à la disponibilité d'aliments frais dans votre quartier (et c'est justement les quartiers défavorisés qui ont tendance à devenir des 'déserts verts'), à la dangerosité des environnements dans lesquels vous pourriez en théorie avoir une activité physique, au temps dont vous pouvez disposer à votre guise ou non...voilà qui est plus compliqué que prévu. Alors, est-ce bien un résultat de choix personnels, le diabète? Pas clair. Et je ne vous avais même pas encore dit qu'il y a une composante de risque génétique. Blâmer les malades? Pas si juste au fond...

Ensuite, bien sûr, prendre en charge correctement un diabète est une activité difficile et de longue durée. Pour ceux d'entre vous qui êtes au moins en partie anglophones, je vous recommande le récit de Sara Sklaroff sur le podcast Narrative matters du journal Health Affairs. Être diabétique, explique-t-elle, c'est un effort quotidien en plus de tous les efforts quotidiens que notre vie exige de nous. Blâmer ceux qui n'atteignent pas la perfection, c'est avoir envers eux des exigences que nous ne pourrions de loin pas tous atteindre. Pas très juste non plus, ça.

Mais la dernière raison pour laquelle la décision hongroise est grave est encore plus fondamentale. Car la médecine, à la base, sert à nous libérer des entraves de la maladie. C'est un outil très imparfait, soit, mais une de ses justifications premières est de nous rouvrir les choix de vie que la maladie, si efficacement, ferme devant nous. La version médicale de l'état policier que propose le gouvernement hongrois devrait donc particulièrement nous horripiler. Car non contents d'avoir instauré une surveillance obligatoire d'un paramètre clinique -et donc limité la liberté une première fois et qui plus est au nom de la médecine- ils ont en plus instauré une punition qui redouble en même temps le dommage et sa médicalisation: la limitation des moyens thérapeutiques, qui sont justement les moyens censés pouvoir rouvrir les choix de vie, et accessoirement sont censés donner aux malades les moyens d'avoir de bons paramètres cliniques. Et d'emprisonnés qu'ils étaient dans leurs circonstances et leur maladie, voilà ces patients enfermé doublement...Responsabilisation, vous disiez?

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Médicaments accessibles pour tous



Comment, se demandait-on récemment,  repenser le système qui donner à des acteurs puissants des raisons si pesantes d'agir contre l'intérêt des plus démunis? Il s'agissait des incitatifs liés aux brevets sur les médicaments. Je vous ai dit que je vous en reparlerais. La vidéo qui ouvre ce message, c'est cette occasion d'en reparler. Thomas Pogge, un philosophe politique qui est assez exceptionnel dans son mélange d'intelligence et d'activisme, y détaille sa version de comment des règles humaines, faites de choix humains, pourraient être changées pour que l'intérêt des malades qui ont la poisse de vivre dans des pays démunis ne soit plus si systématiquement négligé.

Je vous en parlais en fait déjà il y a trois ans. Mais l'idée a fait son chemin depuis. Actuellement, un nouveau médicament est breveté, la plupart du temps par une firme pharmaceutique, avec une date limite. Pendant ce temps, le fabricant a un monopole sur la vente de la molécule, et peut en déterminer le prix. Le problème c'est que ce système promeut surtout la recherche industrielle sur des maladies qui touchent des personnes aisées, ou vivant dans des pays qui couvrent bien les traitements. Il est actuellement plus profitable pour une boîte pharmaceutique de lancer un programme de recherche sur la calvitie masculine, que sur la trypanosomiase...La faute aux firmes? Pas vraiment, en tout cas pas seulement, car elles ne font 'que' suivre leur intérêt dans un système décidé par d'autres, et modifiable.

Et c'est justement cela l'idée de Pogge. A la base, le Health Impact Fund qu'il défend est relativement simple.  En plus du système des brevets habituels, un fabricant peut en choisir un autre. Ce brevet 'type B' ferait rémunérer la firme par un fonds international à la mesure de l'impact de sa molécule sur le fardeau mondial de maladie. En d'autres termes, il devient tout à coup dans l'intérêt de l'entreprise de 1) faire de la recherche sur les maladies orphelines des pays pauvres, 2) s'assurer que les patients ont accès au médicament et 3) mesurer l'impact. 

En plus pour les substances enregistrées dans le HIF, les prix seraient plus bas pour tout le monde.  Cela signifie que financer le pot commun pourrait être dans l'intérêt des états industrialisés. Sur les plus de 4 milliards dépensés par la Suisse chaque année en médicaments (rien que pour la médecine ambulatoire) un investissement dans le fond international pourrait être très rentable s'il se soldait par des prix plus bas à l'usage. De son côté, le fabricant y gagnerait quand même, car il verrait s'ouvrir des possibilité de vendre l'impact là où vendre le médicament lui-même aurait été impossible.

Pas mal, non?

Reste à prouver que ça peut être rentable. Car c'est là l'objectif: utiliser des incitatifs financiers au service des plus démunis. Mais du coup, ces incitatifs doivent être réalistes. Pogge cherche en ce moment à réaliser une expérience pilote. Si vous connaissez quelqu'un dans l'industrie pharmaceutique, envoyez-lui sa conférence...

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Encore et encore et encore la Syrie

Un peu de retard, car cela m'arrive, mais c'est de nouveau l'heure du billet dans la Revue Médicale Suisse. Alors je le reprends, bien sûr avec un lien vers l'original comme d'habitude, en vous reproduisant l'article. Oui, il y a des sujets sur lesquels on doit pouvoir répéter sans se lasser:

"Jour après jour, se décline sur nos écrans la guerre civile syrienne. En toile de fond, des crimes contre des soignants, «coupables» d’avoir osé faire leur métier avec un courage hors normes ; des traitements inhumains et dégradants à l’encontre de malades, «coupables» d’avoir osé demander des soins. Et une donnée compliquée à intégrer : Bashar El-Assad est lui-même médecin.
Si cette dernière touche change peu le regard que l’on peut porter sur ses actes, sans doute change-t-elle quelque chose. C’est un surcroît dans l’atrocité. Mais c’est aussi une occasion – terrible – d’examiner des choses inconfortables.

Car le fait est qu’il y eut régulièrement des médecins aux côtés des tortionnaires... Rien que pour les Etats-Unis dans la dernière décennie, 60 000 pages recensent la participation médicale à la «guerre contre la terreur», y compris aux «interrogations coercitives». Comment en arrive-t-on là ? Peu à peu. A titre d’exemple, l’histoire des médecins qui participent à la peine capitale. Elle commence généralement par un appel aux bons sentiments. «Venez vérifier que rien ne dérape», dit-on «vous n’aurez rien d’autre à faire que surveiller». Puis une veine périphérique est introuvable, un gardien cherche une voie centrale… : effroi, passage de main, «ce sera plus facile la prochaine fois…». Brrr. Le glissement vers la torture serait semblable. La demande de vérifier l’inaptitude d’un détenu, la participation à l’élaboration d’un protocole «plus humain», le doigt dans l’engrenage. Vient s’ajouter l’exhortation à la loyauté, la compréhension de la menace.

Profondément inconfortable : les mécanismes à l’œuvre ici font partie de ce que nous devons combattre à tout prix, mais aussi de ce qui nous constitue. Nous jugeons volontiers notre comportement en regardant autour de nous. Plutôt mieux, plutôt pire ? Etre entouré par l’horreur c’est risquer de la commettre avec moins de scrupules. «Une fois que l’on autorise la torture de prisonniers pour une raison quelle qu’elle soit (…), le cancer se propage. A la fin il se propage aussi aux soignants, et les transforme en complices.» Il s’est trouvé jusqu’à des officiers de camps de concentration pour se considérer moralement bons après avoir corrigé leurs collègues sur… des choses dont je ne vous parlerai pas par égard pour votre journée. Toute bonne conscience qu’ils en retiraient était bien sûr profondément usurpée.


La Syrie actuelle est un chapitre de cette sombre histoire. Une histoire qui tarde à être rattrapée par la justice. Les médecins condamnés dans les 50 dernières années pour avoir participé à la torture ou à un génocide sont, au regard des événements concernés, peu nombreux. Il reste – comme dit le collègue qui les a recensés – du chemin à faire.


Mais c’est peut-être un élément positif dans ce sombre tableau  La justice est ici en progrès. L’horreur peut être contagieuse, mais les obstacles que nous dressons contre elle aussi. Devant une victime, les témoins peinent à s’interposer. Mais qu’un seul le fasse, d’autres suivront. Nous nous comparons aux autres. Tenir des procès. Et puis dire non, clairement, autant que possible sans attendre d’aller trop loin. Voilà qui est crucial.

Chez nous, l’Académie suisse des sciences médicales vient de publier un rapport intitulé «Autorité de l’Etat et éthique médicale», et une annexe a ses directives sur la médecine auprès de personnes détenues. C’est un tout autre registre, mais il y est question de renvois, de nutrition forcée, et d’engrenages à éviter. Vous devriez le lire… "

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Une maman plutôt âgée

Il arrive que des choses contraires au sens commun doivent nous faire réfléchir. J'ai eu une occasion de cette sorte il y a quelques temps, lorsqu'on m'a demandé de commenter l'histoire de cette femme de 66 ans qui venait de donner naissance à des jumeaux conçus par fertilisation in vitro.

Je vais vous mettre comme d'habitude un bout de texte et le lien vers l'interview. Mais avant, je voudrais vous raconter deux histoires. La première, c'est celle d'une femme qui semble (sur une photo que je ne vous indiquerai pas), avoir une trentaine d'années. Son image a fait le tour de la toile récemment. Belle. Iconique. Enceinte, et survivante d'un cancer du sein. Une image forte, commentée par des milliers de personnes. Un triomphe de la vie.

La deuxième histoire est celle de ma filleule (qui porte un nom que je ne vous donnerai pas). A 11 ans, elle est magnifique. C'est un des grands bonheurs de ma vie que de faire partie de la sienne. Ce ne fut pas sans heurts, car elle est née (très) avant terme et nous avons passé, tout autour d'elle, des années à ne pas trop oser espérer que tout aille véritablement bien. Et puis, oui. Magnifique, je vous dit. Sa mère a eu beaucoup de courage. Son père, encore plus: il avait presque 70 ans quand elle est née.

Alors voyez-vous, lorsque l'on m'a demandé de commenter l'histoire d'une personne qui m'était inconnue, dont j'ignorais, comme nous tous finalement, les réflexions, les doutes, et les capacités, je n'ai pas eu le cœur de répéter le sens commun. Il l'aurait sans doute condamnée, le sens commun: on n'a pas d'enfants à 66 ans, surtout si l'on a le mauvais goût d'être une femme et donc ménopausée, c'est une forme d'égoïsme, contraire à l'intérêt de l'enfant. Mais je me suis rappelée cette autre femme, fière après un cancer de sa grossesse, conçue sans savoir si sa rémission serait durable...Pourquoi celle-ci serait-elle un triomphe de la vie et pas celle-là?  N'ont-elles pas vaincu l'une et l'autre des limites pour donner la vie? Et ne parle-t-on pas un peu vite d'égoïsme dès que le choix exprimé n'est pas celui que nous voulons? Cela laisserait même une certaine impression de paradoxe car lorsqu'on décide de ne pas en avoir, d'enfants, c'est quelque chose que l'on entend aussi. Alors que nous choix reproductifs sont parmi ceux que nous considérons comme les plus intimement nôtres, les plus dignes d'être défendus contre toute intrusion extérieure, nous avons ici une sacrée tendance à vouloir que d'autres fassent ce que nous considérons -personnellement- comme le bon choix. Et lorsque de nombreuses personnes le pensent...cela donne le sens commun.

Mais une vie plus courte pour l'élever direz-vous peut-être...Oui. Mais pourquoi une espérance de vie plus limitée que la moyenne des jeunes parents serait-elle si déterminante? A ce prix, il y a cent ans aucune femme n'aurait eu le droit d'avoir un deuxième enfant, de peur de laisser le premier orphelin. Entourer ses enfants au cas où nous viendrions à disparaître. Voilà une chose que devraient sans doute faire tous les parents. Et que l'on imagine volontiers ces parents-là faire plus, ou plus souvent, que les autres. J'ai pris, je dois dire, envers ma filleule des engagements sans doute plus sérieux que dans une autre situation. Et s'il s'agissait, au fond, de cela? Étrange, donc, que de cela personne n'ait parlé. Comme si le crime était d'être à la fois parent et mortel...

Alors ensuite, il y a les vrais problèmes. Ici, le lien: "L’intervention d’une donneuse d’ovule représente en revanche un enjeu éthique important. Dès lors, en effet, la technique de procréation peut potentiellement reposer sur l’exploitation d’autrui. Dans de nombreux pays, les donneuses sont rémunérées et il arrive que cette somme dicte leur choix. «Le traitement hormonal est lourd (...) l’argent offert aux donneuses ne change généralement pas le cours de leur vie de façon décisive, l’information qu’elles reçoivent est incertaine, leur liberté de choix est limitée: tout cela n’est donc pas acceptable.»" Protéger les donneuses. Un enjeu important, et que le sens commun focalisé sur la mère et son âge risquerait presque de cacher. Mais alors: vaut-il mieux maintenir nos interdit, ou encadrer une pratique qui serait, cette fois, autorisée? Et si c'était le cas, que ferions-nous de situations comme celle-ci? Des questions qui ne vont pas s'en aller...

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Epilogue de l'affaire Rappaz

Vous avez vu ça, dans Le Temps de samedi dernier? C'est bien, non? Comme d'habitude, un bout de texte et le lien:

"Les autorités valaisannes ne pourront plus contraindre un médecin à alimenter de force un détenu en grève de la faim. Le Conseil d’Etat valaisan a discrètement modifié son règlement sur les établissements de détention pour y inscrire désormais l’obligation de respecter la volonté d’un détenu de ne plus se nourrir. L’alimentation forcée reste un moyen d’intervention possible, qui pourra être demandé par l’administration pénitentiaire au corps médical, mais ne pourra être imposé."

L'Académie Suisse des Sciences Médicale (ASSM) a aussi publié récemment un document où elle clarifie sa position sur la prise en charge médicale de personnes en jeûne de protestation, confirmant là encore l'attitude prise par les équipes genevoises. Le texte et le lien, ici aussi, c'est un extrait car l'original est assez long et comporte d'autres aspects sur lesquels nous reviendrons. Mais voilà pour cette fois:

"Les médecins et soignants exerçant en milieu pénitentiaire sont régulièrement confrontés à des détenus en grève de la faim. Celle-ci doit être comprise comme un acte de protestation –
souvent ultime – d'une personne qui ne se sent plus en mesure d'être entendue d'une autre
façon. Le gréviste de la faim ne veut pas mourir; il veut avant tout que sa revendication
aboutisse. Il sait qu’une issue fatale est possible si la situation se dégrade au point de devenir
un conflit insoluble.


Lors du choix de la procédure adéquate, il est important de bien distinguer les différentes
situations dans lesquelles une alimentation artificielle (au moyen d'une sonde gastrique ou
d'une perfusion) est évoquée chez un gréviste de la faim :


1. La personne détenue est capable de discernement, elle décline l'alimentation artificielle et sa vie n'est pas en danger immédiat. Une alimentation forcée dans cette situation a été qualifiée de torture par la Cour Européenne de Justice.


2. La personne détenue est capable de discernement, elle décline l'alimentation forcée et la poursuite de la grève de la faim met sa vie en danger.


3. La personne détenue est devenue incapable de discernement suite à la grève de la faim, elle a consigné son opposition à l'alimentation artificielle dans des directives anticipées valides et le renoncement à l'alimentation artificielle signifie qu'elle encourt un danger de mort imminent.


4. La personne détenue est incapable de discernement (ou bien à la suite de la grève de la faim ou d’une autre cause), elle ne dispose pas de directives anticipées valides, qui interdisent une alimentation artificielle dans cette situation, et le renoncement à l'alimentation artificielle signifie qu'elle encourt un danger de mort imminent.


Selon les directives de l'ASSM, du point de vue médical, une alimentation artificielle n'est indiquée que dans la situation 4 et peut être administrée sans emploi de force dans la majorité des cas. Dans les autres situations, elle serait en contradiction avec les directives et les règles de l'art médical."
 

Le calme est revenu. La preuve: loin des feux des projecteurs, voilà que l'on prend tranquillement les bonnes décisions. On prend acte des incompréhensions et on en profite pour clarifier dans l'espoir de limiter ainsi des difficultés futures. C'est plutôt rassurant, tout ça.

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Encore et encore la Syrie

On continue, malheureusement, à devoir parler de la Syrie. Sans presque l'ombre d'un espoir que cela change la moindre chose (les seuls à apparemment encore parvenir à fournir de l'aide sont ici: si vous voulez bien, aidez-les à le faire). Mais une autre collègue (je vous l'ai dit, des fois on est fiers) a publié dans la Revue Médicale Suisse de cette semaine un billet au titre éloquent, "La médecine comme arme de guerre"...

Comme d'habitude, un extrait et le lien:
"De tout temps et de façon ubiquitaire, des professionnels de santé ont mis leur «science» au service des bourreaux. Dans l’histoire récente, cela a été dénoncé par les survivants de ces pratiques : on pense au témoignage de Boukovsky sur son expérience de dissident dans les hôpitaux psychiatriques de l’URSS, ou par des médecins eux-mêmes, par exemple dans le contexte de la «guerre contre le terrorisme» menée par les Etats-Unis dans la prison d’Abou-Ghraib, en Irak, ou celle de Guantanamo.

Il semble cependant qu’un degré supplémentaire soit franchi, en Syrie. Non seulement les victimes du conflit ne sont pas soignées dans les hôpitaux publics, mais elles y risquent leur vie : les témoignages du rapport de MSF montrent que des blessés ont été torturés au sein même de certains hôpitaux, ce qu’Amnesty International mentionnait déjà en octobre dernier et que confirme un éditorial du Lancet. Mais encore, comme le prouvent ces mêmes sources, les professionnels de santé sont eux-mêmes traqués, arrêtés, torturés, tués."


La médecine comme arme de guerre. On ose à peine s'imaginer les conditions dans lesquelles nos collègues en arrivent là. On a décrit cela à l'occasion des scandales d'Abou-Ghraib: "Une fois que l'on autorise la torture de prisonniers pour une raison quelle qu'elle soit, comme l'a fait ce Président, le cancer se propage. A la fin il se propage aussi aux soignants, et les transforme en complices."



Mais c'est peut-être aussi une occasion de rappeler que si la participation médicale à la torture est universellement condamnée en principe, sa condamnation devant les tribunaux est encore comme disait un autre collègue récemment "un travail où il reste du chemin à faire". Dans l'article qui est derrière le lien, écrit en 2010, il décrit les étapes (on ose à peine dire) typiques de ce genre de processus:

"Etape I: des nations comme la Libye ou la Corée du Nord répriment la discussion de la participation de médecins à la torture.
Etape II: des nations comme l'Egypte, les Etats-Unis, l'Angleterre, les Philippines ou le Vénézuela condamnent la complicité médicale dans la torture en principe mais n'ont pas puni des médecins employés par l'état et qui y ont participé.
Etape III: des nations comme la Grèce ou l'Afrique du Sud se sont concentrées sur un médecin ou un incident symbolique.
>Etape IV: des nations comme l'Argentine, le Brésil, le Chili ou l'Uruguay ont créé des systèmes pour régulariser la punition de médecins pour avoir participé à la torture ou à des crimes contre l'humanité.
(...) Ces différences nationales sont des étapes, pas des types, dans la mesure où elles suggèrent une progression et des objectifs selon lesquels mesurer le succès du travail des droits humains lorsque des nations passent de l'Etape I à II puis III et IV."

Oui, du chemin à faire en effet...

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cerveau féminin - cerveau masculin

J'ai vu récemment deux documentaires impressionnants sur le statut social et les droits civiques des femmes. A voir si vous en avez l'occasion. Et dites-nous ce que vous en aurez pensé dans les commentaires.

Mais cela m'a aussi rappelé un échange virtuel d'il y a quelques temps entre deux gens vraiment très bien: la neurobiologiste Catherine Vidal et notre collègue neurogénéticien Yvan Rodriguez.

L'une soutenait que: "en ce qui concerne les fonctions cognitives, comme le raisonnement, la mémoire ou le langage, il y a une telle diversité que les différences entre les individus sont plus grandes que les différences entre les sexes. D’un point de vue anatomique aussi: en regardant un cerveau, il est impossible de dire s’il appartient à un homme ou à une femme."


L'autre rétorquait que: "Les mécanismes de la sélection naturelle ont produit des espèces représentées chacune par deux sexes génétiquement dissemblables." Je m'empresse de préciser que c'était une opposition purement scientifique. Pas de désaccord aucun sur la légitimité de l'égalité entre les personnes. Ici, la phrase suivante était d'ailleurs: "Ce qui se traduit par des individus différents, complémentaires et égaux, dont l’égalité n’est pas conditionnée à l’absence de différences."

Ce qui est intéressant dans cet échange n'est donc pas une différence de point de vue politique ou éthique. Sur un point crucial, et qui valait à lui seul déjà sa réaction, le Prof. Rodriguez a parfaitement raison. Il n'y a pas de lien entre l'existence ou non d'une différence biologique et la justification ou non d'une différence de statut social. Et il est important de ne pas l'oublier. Lorsque ce point passe à la trappe, cela ne donne pas que des images simplistes. Cela peut aussi déclencher des mélanges toxiques où une description politiquement déterminée de la réalité scientifique peut supplanter la description...réelle. Non. Les deux auteurs parlent bel et bien de la structure et des origines de notre cerveau, et non pas de comment il faut en traiter les détenteurs. Mais alors, qui a raison? Différence entre cerveau masculin et cerveau féminin, ou pas?

Le plus intéressant est que la réponse pourrait être...les deux. Car c'est exactement le genre de question dont on doit en fait se méfier. Pour l'illustrer, un exemple. Voyons ce qui se passe si on remplace les termes qui parlent de notre cerveau par des termes qui parlent de notre taille:

Version 1: en ce qui concerne la taille, il y a une telle diversité que les différences entre les individus sont plus grandes que les différences entre les sexes. D'un point de vue anatomique aussi: en regardant la longueur d'un corps, il est impossible de dire s'il appartient à un homme ou à une femme.

Version 2: Les mécanismes de la sélection naturelle ont produit des espèces représentées chacune de deux sexes génétiquement dissemblables.

Y a-t-il une différence entre la taille de hommes et la taille des femmes? Oui.
Si je vous dis qu'un individu mesure 1m67, êtes-vous en mesure de me dire si cet individu est un homme ou une femme? Non.

Aïe, qu'est-ce qu'il se passe?

Ce qui se cache là derrière, c'est d'abord que nous avons effectivement tendance à croire plus facilement une description du monde qui colle avec nos convictions. Une bonne partie de la démarche scientifique consiste d'ailleurs à combattre cette tendance, à laquelle notre vie quotidienne laisse trop souvent libre cours. Mais il y a autre chose: nous avons une tendance à diviser l'univers en deux. La dichotomie, l'idée que des pôles opposés définissent le monde, semble présente dans tellement de cultures qu'elle a été proposée comme l'un des universels humains. Du coup, quelque chose qui n'est pas dichotomisé, mais réparti, nous pose des difficultés. Oui, il peut à la fois y avoir des différences entre deux groupes, mais aussi tellement de différences entre les individus que c'est cela qui prime. L'image qui ouvre ce message, et qui représente la répartition de la taille chez les citoyens américains d'origine européenne entre 20 et 39 ans, illustre très bien cela. Attention, ne prenez pas ces chiffres comme s'ils s'appliquaient au cerveau, et encore moins à l'intelligence. Les courbes pour le quotient intellectuel des hommes et des femmes, par exemple, sont quasiment superposées.

Mais de toute manière peut-être bien, oui, que les deux ont raison...

Et puis oui, bien sûr, les deux ont aussi raison sur le plan politique. Si je vous dis qu'un individu mesure 1m67, vous n'êtes pas non plus en mesure de me dire si sa place est à la cuisine ou au parlement. Mais ça vous le saviez déjà, n'est-ce pas?

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