Tous plus intelligents?

Pour ceux qui ont l'impression (et parfois pas que!) d'abuser pendant les fêtes, une note de consolation. Il parait que le chocolat et le vin rouge, c'est bon pour le cerveau! L'histoire ne dit pas si après en avoir consommé, on est moins susceptible d'abuser la prochaine fois.

Ni si l'on arrive par là à dépasser le simple rétablissement de ses capacités après les fêtes, pour en arriver dans la zone du dopage mental. Ce sujet mériterait un commentaire plus long, mais la version courte est que dans un sondage publié cet année par la très sérieuse revue Nature 20% des scientifiques ayant répondu à un sondage en ligne admettent prendre des substances réputées cognitivement ergogéniques, c'est à dire censées doper le cerveau.

Si ces pratiques sont jugées dangereuses, rappelons-le, c'est d'abords parce que ces substances ont des effets secondaires qui peuvent l'être. Mais elles ont aussi fait l'objet de débats évoquant des risques moraux: dépasser les 'limites humaines', voilà qui inquiète. Et avec plus de ce genre de chose à disposition, ne risquerait-on pas d'exacerber nos tendances à la compétition à outrance, ou en tout cas de creuser les inégalités entre ceux qui y auraient accès et les autres?
Puisque c'est les fêtes et que j'ai très envie de vous dire que le vin rouge et le chocolat, c'est OK, je me permet de signaler l'autre bord de cette controverse. Pour une impressionnante brochette de chercheurs, et également dans Nature, chercher à améliorer nos capacités mentales 'au-delà du naturel' est une simple extension des autres moyens que l'humanité a utilisé jusque ici pour le même but, comme l'écriture, l'impression, l'internet... Il ne s'agit ni de tricherie, du moins pas plus que l'accès à des cours privés, ou à un expresso; ni d'un acte non-naturel, du moins pas davantage que ...la plupart de nos vie y compris porter des vêtements, vivre dans des maisons, soigner la méningite par des antibiotiques; ce ne serait pas non plus un abus de substance, du moins pour celles de ces substances qui ne représenteraient ni danger majeur ni potentiel addictif. En fait, un des enjeux est celui de tous les outils: quel but lui voulons-nous? Obliger les soldats à prendre des dopants mentaux: bien ou non? Prendre des ergogéniques cognitifs pour approfondir notre compréhension de la nature humaine, comme le propose un commentaire à l'éclairage bouddhiste: bien ou non? A vous de vous faire votre idée, mais il semble bien que le but change quelque chose.

Conclusion: tant que le chocolat et le vin rouge ne font pas dépasser à votre cerveau les 'limites humaines', pas de problème. S'il le font, peut-être malgré tout pas de problème. Mais en tout cas, que vous pensiez ou non qu'il ait problème, faites-en bon usage: si vous dépassez les limites, appelez Nez Rouge pour vous ramener chez vous. Et bonne année 2009!

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Pas si simple d'être égalitaire

Une boutade met ainsi en garde les femmes professionnelles:

"Pour être considérées comme aussi compétente qu'un homme, il vous faudra l'être deux fois plus." Et de conclure: "Heureusement, ce n'est pas si difficile".

On y repense ces temps en lisant une étude réalisée par des chercheuses de Göteborg. Apparemment, dans la science suédoise, et si vous êtes une femme, il vous faut 2.5 fois la productivité de vos collègues masculins pour être considérée comme équivalente.

Mais une partie de la réalité qui se cache derrière les boutades et les études scientifiques, c'est qu'il n'est pas si simple d'être juste. J'attends avec impatience la traduction française de 'Blink', l'excellent bouquin de Malcom Gladwell où il démonte à la fois les avantages et les inconvénients de nos conclusions immédiates, intuitives, qui parfois nous sauvent et parfois nous coulent.

Il y raconte l'histoire des orchestres européens, disons il y a quelques décennies. Ils étaient exclusivement masculins. Mysogynie? Pas du tout! Les juges entendaient un timbre différents chez les musiciennes, et fondaient leurs décisions en esthétique. L'unité de timbre, après tout c'est important dans un orchestre. Rien à dire.
Sauf qu'un jour on se mit à auditionner derrière un écran. Et là, vous le devinez, plus de différence de timbre. Il s'agissait pourtant des mêmes jurés, avec les mêmes goûts et les mêmes objectifs pour leurs orchestres. Mais leur théorie sur le timbre des musiciennes s'est effondrée derrière l'écran: ils n'entendaient tout simplement plus de différence s'ils ignoraient le sexe du candidat. Les orchestres devinrent mixtes.

Pas possible dans toutes les professions, ça.
Mais pause, là. Petite minute de compréhension pour toutes les personnes auxquelles on reproche parfois des intentions de barrer la route aux femmes, alors qu'en fait elles sont victimes d'une illusion d'optique.

Vous trouvez qu'il faudrait s'immuniser là-contre? Pas si simple. Vous pouvez faire le test. Non non, sérieusement. Un site web propose une série de tests auto-administrés sur nos biais implicites. En plus, il en existe dans plein de langues. Vous êtes un fervent égalitariste et êtes convaincu que vous n'associez aucun rôle particulier aux hommes et aux femmes, aucun jugement de valeur à l'appartenance ethnique, aux préférences sexuelles, ou autres âges de la vie? Vérifiez, c'est ici.

Deux avertissements s'imposent:

  • D'abord, on peut avoir un biais et décider de ne pas l'approuver. C'est justement ce que devraient faire les comités de lectures, en Suède et ailleurs. Aucune obligation, donc, de vous faire une raison d'accepter votre biais contre les personnes handicapées, par exemple, s'il s'avère que vous 'testez positif'. Vous pouvez paisiblement continuer de militer pour des droits égaux la conscience tranquille. Rejeter un biais n'est pas se trahir.
  • Mais par contre, on ne peut pas décider juste comme ça de ne pas avoir le biais. Gladwell raconte l'histoire d'une personne si effondrée à l'idée qu'elle avait un biais racial qu'elle a fait et refait des douzaines de fois le test, pour 'améliorer son score'. Peine perdue. Prête à abandonner. Et voilà que tout à coup, un beau jour, son biais avait disparu sans laisser de traces. La raison? Elle avait passé la matinée à regarder une retransmission des jeux olympiques, donc des athlètes noirs gagnant toutes les compétitions.
L'espoir est donc permis. Mais on n'est pas sortis de l'auberge.

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De mes yeux vu!

'Docteur, je veux bien mais pour être sûr il faudrait faire une radio, non?'

Cette phrase est un grand classique des jours où la salle d'attente est pleine. Que faire? Dire oui, laisser l'enfant être un petit peu irradié pour un petit peu de coûts de la santé -sauf que tout ça est inutile? Il arrive que l'on puisse savoir s'il y a ou non une fracture sans radiographie. Il arrive aussi que le traitement soit identique dans les deux cas, comme dans certains cas de fractures d'orteils par exemples. Va-t-on irradier l'enfant, ou faire attendre tous les autres patients 20 minutes de plus pour convaincre une mère inquiète que 'voir' ne changera rien au traitement de son enfant?

La phrase la plus répétée dans 'Dr House'? Je n'ai pas de chiffres à vous présenter, mais je parie que c'est 'faites une IRM'. Au point que je me suis demandée un temps si un fabricant sponsorisait la série.

Dans la même ligne mais plus ancien, vous vous rappelez cette magnifique scène dans 'Hannah and her sisters'? Le personnage hypochondriaque joué par Woody Allen s'imagine l'annonce de sa mort prochaine par un médecin -fictif- qui commence par afficher son scanner au négatoscope pour ensuite lui faire tout un discours qu'il ne peut entendre, obnubilé qu'il est par la peur de mourir.

Bon, pas toujours si fictif malheureusement. Mais le rôle de l'image est énorme. Elle garde à nos yeux une valeur presque sacrée. On a l'impression d'avoir bien vu, et tout vu, une fois qu'on a une image de l'intérieur de notre corps dans les mains.

Mais la réalité est plus compliquée. Les images sont techniquement très variables, souvent difficiles à interpréter, parfois inutiles.

Inutiles parfois parce qu'on ne verra rien. Une tumeur peut 'apprendre' à faire des métastases avant de devenir détectable.

Inutiles aussi parfois parce qu'on sait déjà sans avoir à 'regarder' autrement qu'avec les doigts, comme pour la fracture de l'enfant du début.

Risquées même parfois, parce qu'il n'est pas toujours certain que ce que l'on 'voit' a un lien avec le vrai problème. Celui qui cause une douleur par exemple.

Et finalement dans certains cas, inutiles parce que, on a tendance à l'oublier, on ne regarde pas qu'avec les yeux mais aussi avec le raisonnement. Voir peut ne pas suffire. Encore faut-il 'voir' (ça n'aide pas que ce soit le même verbe) que cette chose que l'on voit (avec les yeux cette fois) nécessite une action, que c'est un signe, comme on dit, significatif.

Sur ce sujet, l'excellent livre de Jérôme Groopman: 'How Doctors Think'. A recommander pour tout patient qui souhaite un peu mieux comprendre les raisonnements souvent mystérieux de son médecin diagnostiquant. Utile pour savoir où sont les pièges, mais aussi pour voir comment on peut 'voir', parfois même sans images...

Cette étape du raisonnement, nécessaire quand on regarde des images, mérite d'être dite. Les journaux parlent justement ces temps d'un cas où elle n'a pas donné le bon résultat. Où 'voir' qu'il y avait quelque chose n'a pas conduit à 'voir' que cette chose pouvait être dangereuse. Par inévitabilité ou par négligence? Dans ce cas précis, il faudra bien que la justice tranche.

Mais il faut le dire, dans de nombreux cas faire cette distinction peut être terriblement difficile. A grande échelle, les chiffres illustrent cette difficulté. Des études américaines montrent que lors de procès en négligence contre des médecins, la condamnation n'est pas très corrélée avec la faute. Elle est corrélée avec les conséquences pour la victime. Un médecin qui a commis un écart très important aux règles de l'art peut être acquitté si les conséquences pour la victime sont minimes. Au contraire, un médecin qui n'a commis au plus qu'un écart mineur (par exemple, sa main a involontairement tremblé au bloc opératoire), risque une condamnation importante si les conséquences pour la victime sont graves. Comme si la justice était d'abord compensatoire, avant de punir la faute elle-même.

Là aussi, il est parfois difficile de 'voir' la meilleure solution...

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