Tous plus intelligents?

Pour ceux qui ont l'impression (et parfois pas que!) d'abuser pendant les fêtes, une note de consolation. Il parait que le chocolat et le vin rouge, c'est bon pour le cerveau! L'histoire ne dit pas si après en avoir consommé, on est moins susceptible d'abuser la prochaine fois.

Ni si l'on arrive par là à dépasser le simple rétablissement de ses capacités après les fêtes, pour en arriver dans la zone du dopage mental. Ce sujet mériterait un commentaire plus long, mais la version courte est que dans un sondage publié cet année par la très sérieuse revue Nature 20% des scientifiques ayant répondu à un sondage en ligne admettent prendre des substances réputées cognitivement ergogéniques, c'est à dire censées doper le cerveau.

Si ces pratiques sont jugées dangereuses, rappelons-le, c'est d'abords parce que ces substances ont des effets secondaires qui peuvent l'être. Mais elles ont aussi fait l'objet de débats évoquant des risques moraux: dépasser les 'limites humaines', voilà qui inquiète. Et avec plus de ce genre de chose à disposition, ne risquerait-on pas d'exacerber nos tendances à la compétition à outrance, ou en tout cas de creuser les inégalités entre ceux qui y auraient accès et les autres?
Puisque c'est les fêtes et que j'ai très envie de vous dire que le vin rouge et le chocolat, c'est OK, je me permet de signaler l'autre bord de cette controverse. Pour une impressionnante brochette de chercheurs, et également dans Nature, chercher à améliorer nos capacités mentales 'au-delà du naturel' est une simple extension des autres moyens que l'humanité a utilisé jusque ici pour le même but, comme l'écriture, l'impression, l'internet... Il ne s'agit ni de tricherie, du moins pas plus que l'accès à des cours privés, ou à un expresso; ni d'un acte non-naturel, du moins pas davantage que ...la plupart de nos vie y compris porter des vêtements, vivre dans des maisons, soigner la méningite par des antibiotiques; ce ne serait pas non plus un abus de substance, du moins pour celles de ces substances qui ne représenteraient ni danger majeur ni potentiel addictif. En fait, un des enjeux est celui de tous les outils: quel but lui voulons-nous? Obliger les soldats à prendre des dopants mentaux: bien ou non? Prendre des ergogéniques cognitifs pour approfondir notre compréhension de la nature humaine, comme le propose un commentaire à l'éclairage bouddhiste: bien ou non? A vous de vous faire votre idée, mais il semble bien que le but change quelque chose.

Conclusion: tant que le chocolat et le vin rouge ne font pas dépasser à votre cerveau les 'limites humaines', pas de problème. S'il le font, peut-être malgré tout pas de problème. Mais en tout cas, que vous pensiez ou non qu'il ait problème, faites-en bon usage: si vous dépassez les limites, appelez Nez Rouge pour vous ramener chez vous. Et bonne année 2009!

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Pas si simple d'être égalitaire

Une boutade met ainsi en garde les femmes professionnelles:

"Pour être considérées comme aussi compétente qu'un homme, il vous faudra l'être deux fois plus." Et de conclure: "Heureusement, ce n'est pas si difficile".

On y repense ces temps en lisant une étude réalisée par des chercheuses de Göteborg. Apparemment, dans la science suédoise, et si vous êtes une femme, il vous faut 2.5 fois la productivité de vos collègues masculins pour être considérée comme équivalente.

Mais une partie de la réalité qui se cache derrière les boutades et les études scientifiques, c'est qu'il n'est pas si simple d'être juste. J'attends avec impatience la traduction française de 'Blink', l'excellent bouquin de Malcom Gladwell où il démonte à la fois les avantages et les inconvénients de nos conclusions immédiates, intuitives, qui parfois nous sauvent et parfois nous coulent.

Il y raconte l'histoire des orchestres européens, disons il y a quelques décennies. Ils étaient exclusivement masculins. Mysogynie? Pas du tout! Les juges entendaient un timbre différents chez les musiciennes, et fondaient leurs décisions en esthétique. L'unité de timbre, après tout c'est important dans un orchestre. Rien à dire.
Sauf qu'un jour on se mit à auditionner derrière un écran. Et là, vous le devinez, plus de différence de timbre. Il s'agissait pourtant des mêmes jurés, avec les mêmes goûts et les mêmes objectifs pour leurs orchestres. Mais leur théorie sur le timbre des musiciennes s'est effondrée derrière l'écran: ils n'entendaient tout simplement plus de différence s'ils ignoraient le sexe du candidat. Les orchestres devinrent mixtes.

Pas possible dans toutes les professions, ça.
Mais pause, là. Petite minute de compréhension pour toutes les personnes auxquelles on reproche parfois des intentions de barrer la route aux femmes, alors qu'en fait elles sont victimes d'une illusion d'optique.

Vous trouvez qu'il faudrait s'immuniser là-contre? Pas si simple. Vous pouvez faire le test. Non non, sérieusement. Un site web propose une série de tests auto-administrés sur nos biais implicites. En plus, il en existe dans plein de langues. Vous êtes un fervent égalitariste et êtes convaincu que vous n'associez aucun rôle particulier aux hommes et aux femmes, aucun jugement de valeur à l'appartenance ethnique, aux préférences sexuelles, ou autres âges de la vie? Vérifiez, c'est ici.

Deux avertissements s'imposent:

  • D'abord, on peut avoir un biais et décider de ne pas l'approuver. C'est justement ce que devraient faire les comités de lectures, en Suède et ailleurs. Aucune obligation, donc, de vous faire une raison d'accepter votre biais contre les personnes handicapées, par exemple, s'il s'avère que vous 'testez positif'. Vous pouvez paisiblement continuer de militer pour des droits égaux la conscience tranquille. Rejeter un biais n'est pas se trahir.
  • Mais par contre, on ne peut pas décider juste comme ça de ne pas avoir le biais. Gladwell raconte l'histoire d'une personne si effondrée à l'idée qu'elle avait un biais racial qu'elle a fait et refait des douzaines de fois le test, pour 'améliorer son score'. Peine perdue. Prête à abandonner. Et voilà que tout à coup, un beau jour, son biais avait disparu sans laisser de traces. La raison? Elle avait passé la matinée à regarder une retransmission des jeux olympiques, donc des athlètes noirs gagnant toutes les compétitions.
L'espoir est donc permis. Mais on n'est pas sortis de l'auberge.

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De mes yeux vu!

'Docteur, je veux bien mais pour être sûr il faudrait faire une radio, non?'

Cette phrase est un grand classique des jours où la salle d'attente est pleine. Que faire? Dire oui, laisser l'enfant être un petit peu irradié pour un petit peu de coûts de la santé -sauf que tout ça est inutile? Il arrive que l'on puisse savoir s'il y a ou non une fracture sans radiographie. Il arrive aussi que le traitement soit identique dans les deux cas, comme dans certains cas de fractures d'orteils par exemples. Va-t-on irradier l'enfant, ou faire attendre tous les autres patients 20 minutes de plus pour convaincre une mère inquiète que 'voir' ne changera rien au traitement de son enfant?

La phrase la plus répétée dans 'Dr House'? Je n'ai pas de chiffres à vous présenter, mais je parie que c'est 'faites une IRM'. Au point que je me suis demandée un temps si un fabricant sponsorisait la série.

Dans la même ligne mais plus ancien, vous vous rappelez cette magnifique scène dans 'Hannah and her sisters'? Le personnage hypochondriaque joué par Woody Allen s'imagine l'annonce de sa mort prochaine par un médecin -fictif- qui commence par afficher son scanner au négatoscope pour ensuite lui faire tout un discours qu'il ne peut entendre, obnubilé qu'il est par la peur de mourir.

Bon, pas toujours si fictif malheureusement. Mais le rôle de l'image est énorme. Elle garde à nos yeux une valeur presque sacrée. On a l'impression d'avoir bien vu, et tout vu, une fois qu'on a une image de l'intérieur de notre corps dans les mains.

Mais la réalité est plus compliquée. Les images sont techniquement très variables, souvent difficiles à interpréter, parfois inutiles.

Inutiles parfois parce qu'on ne verra rien. Une tumeur peut 'apprendre' à faire des métastases avant de devenir détectable.

Inutiles aussi parfois parce qu'on sait déjà sans avoir à 'regarder' autrement qu'avec les doigts, comme pour la fracture de l'enfant du début.

Risquées même parfois, parce qu'il n'est pas toujours certain que ce que l'on 'voit' a un lien avec le vrai problème. Celui qui cause une douleur par exemple.

Et finalement dans certains cas, inutiles parce que, on a tendance à l'oublier, on ne regarde pas qu'avec les yeux mais aussi avec le raisonnement. Voir peut ne pas suffire. Encore faut-il 'voir' (ça n'aide pas que ce soit le même verbe) que cette chose que l'on voit (avec les yeux cette fois) nécessite une action, que c'est un signe, comme on dit, significatif.

Sur ce sujet, l'excellent livre de Jérôme Groopman: 'How Doctors Think'. A recommander pour tout patient qui souhaite un peu mieux comprendre les raisonnements souvent mystérieux de son médecin diagnostiquant. Utile pour savoir où sont les pièges, mais aussi pour voir comment on peut 'voir', parfois même sans images...

Cette étape du raisonnement, nécessaire quand on regarde des images, mérite d'être dite. Les journaux parlent justement ces temps d'un cas où elle n'a pas donné le bon résultat. Où 'voir' qu'il y avait quelque chose n'a pas conduit à 'voir' que cette chose pouvait être dangereuse. Par inévitabilité ou par négligence? Dans ce cas précis, il faudra bien que la justice tranche.

Mais il faut le dire, dans de nombreux cas faire cette distinction peut être terriblement difficile. A grande échelle, les chiffres illustrent cette difficulté. Des études américaines montrent que lors de procès en négligence contre des médecins, la condamnation n'est pas très corrélée avec la faute. Elle est corrélée avec les conséquences pour la victime. Un médecin qui a commis un écart très important aux règles de l'art peut être acquitté si les conséquences pour la victime sont minimes. Au contraire, un médecin qui n'a commis au plus qu'un écart mineur (par exemple, sa main a involontairement tremblé au bloc opératoire), risque une condamnation importante si les conséquences pour la victime sont graves. Comme si la justice était d'abord compensatoire, avant de punir la faute elle-même.

Là aussi, il est parfois difficile de 'voir' la meilleure solution...

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Imprescriptibilité: les enfants d'abord!

Texte paru dans la Revue Médicale Suisse du 26 novembre 2008


Qui a soigné des enfants victimes de maltraitance et d'abus sexuels sait qu'on a le cœur brisé en pensant à ce qui leur est arrivé. Mais on apprend aussi beaucoup de prudence, et à quel point les bonnes intentions sont parfois nocives. D'où un profond sentiment de malaise comme spectatrice de la campagne sur l'initiative 'pour l'imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine'. Il arrive qu'on doive défendre des positions qui risquent d'être impopulaires. Ce n'est pas facile. Grand coup d'empathie, ici, pour les partis opposés à l'initiative, qui se sont mis tous ensemble pour dire leur désaccord et ont mis en exergue des points plutôt pragmatiques, moins risqués sur ce terrain que les arguments moraux.


Que répliquer, en effet, à des initiants qui souhaitent 'rendre inviolable le territoire de l’enfance impubère' ? Car faut-il le rappeler, nous sommes tous d’accord que violer un enfant est crime affreux. Mais malheureusement pour notre confort mental, la question n’est pas là. Malgré toutes les bonnes intentions, appliquer cette initiative pourrait donner lieu à une situation qu’on pourrait carrément décrire comme immorale.


Car le droit exprime des échelles de valeurs. Les crimes plus graves sont plus sévèrement punis ; leurs délais de prescription plus long. C’est d’ailleurs une des raisons de l’initiative : signaler ce crime comme plus grave que les autres. Plus grave que bien d’autres, certes il l’est. Mais plus grave qu’un meurtre ? Brrr, on comprend qu’on ne se pose pas volontiers la question. Mais courage. Et mettons-nous comme le proposent les initiants à la place des victimes. Préfère-t-on le meurtre ? Vraiment ? Et peut-on imaginer qu’il soit acceptable de donner ne serait-ce qu’un atome de raison de plus à un abuseur de tuer sa victime ? Il y a certes eu des époques (il y a encore des lieux) où certains parents préféraient voir leurs enfants morts plutôt que dépouillés de leur innocence. Mais enfin, faisons tout pour que ces temps soient révolus !


Or justement, dans un modèle légal qui connaît la prescription ailleurs, rendre un crime imprescriptible relève de la logique de la souillure, qui jamais ne disparaîtrait sans une action purificatrice. Le problème de cette logique est que le but d’une punition n’est pas de purifier. Elle n’annule après tout pas les faits. Non, son but est …de punir. Et de prévenir de tels actes à l’avenir. L’un et l’autre sont mieux atteints par la sévérité de la peine que par la durée de prescription. La logique de l’impureté n’est pas non plus dans l’intérêt de la victime. Elle entérine une vision où sa vie se résumerait à un acte subi.


Un des aspects troublants de cette initiative est qu’en définitive elle place les intérêts de la victime devenue adulte devant ceux de l’enfant qu’elle cherche à protéger.


Car effectivement, punir le coupable aide (peut-être) sa victime à aller de l’avant. Mais le contre-projet leur donnera jusqu’à l’âge de 33 ans pour porter plainte. Maintenir cette possibilité ouverte indéfiniment ne peut être souhaitable qu’en transformant la punition en une sorte de thérapie pour la victime adulte. Une manière, comme disent les défenseurs de la peine de mort, de trouver enfin la paix. Les initiants ont raison sur un point : laisser la parole aux victimes est essentiel. Laisser décider les victimes, par contre, c'est un parfait argument pour la vengeance personnelle: l'antithèse d'un état de droit.

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Quand on ne veut pas de sa descendance

Ils ont vendu leur enfant avant sa naissance. Et en plus ce n'est pas interdit...car la loi hollandaise, apparemment, prévoit qu'il est interdit de vendre un enfant pour l'exploiter, mais pas de le vendre tout court. Trop de précision, quoi. Le résultat choque sec. Parce qu'on se dit qu'il a fallu aux parents une situation terrible pour en arriver là. Parce qu'on se dit que ce n'est sans doute même pas la première fois qu'un tel cas se produit. Parce ça sent la traite et l'esclavage. Dans ce cas à tort, en fait, puisque l'enfant a été enregistré comme si de rien n'était comme l'enfant de ses parents adoptifs. C'est d'ailleurs ce que la loi est en mesure de leur reprocher, ce mensonge à l'état civil.
Mais même s'il n'y avait que cela, dur dur tout de même d'expliquer ça à cet enfant plus tard. Difficile de s'imaginer que cette loi ne change pas très bientôt.

Une autre loi aux conséquences similaires vient de l'être, changée. Plus dramatique, sans doute, car touchant des enfants plus grands et entièrement conscients de leur situation, l'incroyable autre histoire des difficultés à rendre la loi exactement assez précise. Là où la loi hollandaise est trop précise, celle de l'état du Nebraska, aux États-Unis, était trop floue. Une loi dite 'de sanctuaire' offrait l'immunité légale aux parents qui abandonneraient 'un enfant' dans un hôpital. On songeait aux nourrissons issus de grossesses non désirées. Ce n'est plus très courant, on est bien sûr plus heureux d'entendre que les familles sont heureuse quand arrive un enfant, mais c'est un moyen d'offrir une meilleure chance de survie à des enfants qui risqueraient sans cela d'être abandonnés en pleine nature. En Suisse aussi, d'ailleurs, une association opposée à l'avortement a installé en 2001 une 'boîte à bébé', anonyme et chauffée à 37°C, dans un hôpital du canton de Schwytz: quatre bébés y ont été déposés depuis.

Sauf qu'au Nebraska, une erreur dans le texte de loi a déclenché un drame: on n'avait pas précisé le terme 'enfant', qui couvre dans son sens légal -et dans cet endroit- toute personne de moins de 19 ans. Le résultat? Pas un seul nouveau-né ne fut confié au système de santé, mais à leur place, 36 enfants âgés de 1 à 17 ans, dont seuls six avaient moins de 10 ans, ont été abandonnés par des parents n'arrivant plus à suivre, ou excédés au delà de l'entendement. Certains les ont jetés sommairement hors de la voiture devant l'hôpital en criant derrière eux 'j'en ai fini avec toi!'. Mais d'autres leur cachaient leur plans, les laissant avec un goûter à la salle d'attente des urgences, sans avoir le cœur de rien leur dire. Une mère adolescente de 16 ans a aussi essayé de s'abandonner elle-même avec son bébé pour pouvoir bénéficier d'une aide de l'état. Précarité financière, familles décomposées, aide sociale pour le moins lacunaire, problèmes mentaux dans un état où les services de pédopsychiatrie sont tout juste esquissés: la pointe de plusieurs icebergs.

Cette loi a été corrigée le 21 novembre pour limiter la possibilité d'abandon aux enfants âgés de 30 jours au maximum. Les ados du Nebraska et autres enfants plus grands auront à nouveau la garantie de rester avec leurs familles. On a peut-être envie d'abord de s'en réjouir, mais ça laisse un goût amer, quand même...

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La crise...alimentaire

Allez vite voir sur le site de la TSR, pendant qu'il en est encore temps, l'excellent documentaire d'Histoire Vivante 'Vers un crash alimentaire mondial'. Si vous arrivez trop tard, trouvez un moyen de le voir autrement. Car pour une fois, s'agissant d'Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), on traite des problèmes humains. A savoir de ceux qui concernent l'accès à la nourriture, les rapports de pouvoirs dans la distribution mondiale des ressources, et tous ces lieux où les mécanismes du marché et les intérêts locaux ne vont, pour dire le moins, pas dans le même sens.

Et ces problèmes, qui ont trop souvent tendance à disparaître derrière des discussions sur la pureté de la nature, sont de taille! Lorsqu'une grande entreprise agro-alimentaire se sert du génie génétique pour obtenir un monopole alors que cette technologie pourrait servir à tant d'autres choses, le problème n'est moléculaire ni par le lieu où il se déroule ni -malheureusement- par son ampleur. Ce documentaire peut être dérangeant pour qui serait opposé par principe aux OGM, car il pose aussi l'espoir que pourrait receller, par exemple, une souche de soja capable de pousser dans les sécheresses du Sahel. Mais si vous êtes de ceux-là, laissez-vous déranger: on avance tous à ce prix.

Il y aura plein d'autres occasions de rediscuter de ce sujet ici. Mais en attendant allez voir ce document. Et ensuite, si vous avez le temps, jetez un œil sur le site 'Marathon OGM', qui a sur ce sujet un 'listing des mythes urbains' édifiant. Et qui n'a pour le moment récolté que très peu de commentaires...

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Stupéfiant?

Imaginez que vous êtes en expédition dans la jungle amazonienne. Vous décidez de faire étape dans un village des environs pour la nuit. Malheureusement, vous vous rendez compte en y arrivant que vous tombez particulièrement mal. Un groupe armé, qui souhaite en faire son quartier général, vient de rassembler toute la population sur la place centrale, et s’apprête à passer les 200 habitants par les armes. Dans cette histoire, vous êtes quelqu’un de très célèbre (libre à vous de choisir pourquoi). Tellement célèbre que le chef du groupe armé vous connait. Il vous admire beaucoup, et souhaite vous honorer. Il décide donc de gracier les habitants du village en votre nom. Sauf que bien sûr il y a un « mais ». Comme l’honneur qui vous est fait ne saurait d'après lui être réel sans cela, il les graciera tous mais à l’exception de deux que vous aurez le « privilège » de choisir et d’abattre vous-même.

Mince.

Vous êtes seul et sans armes : vous ne pouvez pas reprendre le village, même avec l’aide des habitants. Mais il vous reste quand même un choix. Vous, vous n’êtes pas prisonnier. Vous êtes donc libre de refuser ces conditions et de partir. Mais bien sûr, si vous partez, ils fusilleront tout le monde comme prévu…

Vraiment mince.


Que faites-vous?


Probablement, avant toute autre chose, vous allez profondément hésiter. Cette histoire, inventée par le philosophe anglais Bernard Williams dans un livre intitulé 'Utilitarianism: For and Against' , nous met face à l’une de nos tensions internes. Dans notre vie morale, nous voulons souvent –et avec de bonnes raisons !- une chose et son contraire. Ça s'appelle un dilemme. Ici, nous voulons sauver le plus de monde possible. Quoi de plus honorable ? Sauf que nous voulons bien sûr aussi ne tuer personne. Ou plus généralement, ne pas transgresser des règles qui nous semblent importantes.


Cette tension, c’est une manière de comprendre le référendum sur la modification de la LStup qui sera du coup soumise au peuple le 30. La Suisse autorise, en dernier recours, la prescription d'héroïne à certains toxicomanes qui ne peuvent échapper d'une autre manière à un milieu toxique qui maintien leur dépendance. Le texte sur lequel nous voterons dimanche comporte plusieurs aspects, mais c'est celui-ci qui 'fâche' le plus. En fait si l'on garde l'analogie avec l'histoire du village, le référendum se base sur le choix de partir. De 'garder les mains propres'. Donc de s’abstenir à tout prix d’offrir la prescription d’héroïne, une alternative jugée ici criminelle, à qui que ce soit.


Si le sujet vous intéresse, je vous recommande vivement la lecture de l’excellent article de fond paru lundi dans Le Temps, ainsi que la lettre de lecteur de ce jeudi 20 novembre, mais surtout de la remarquable thèse d’une collègue, intitulée 'Les enjeux éthiques des programmes de prescription médicalisée d'héroïne'. Pour ceux qui ont peu de temps, un résumé de certains enjeux se trouve ici, mais malheureusement il faut aller manuellement à la page 5. Car ce sujet est semé de malentendus. On peut passer de la désapprobation de l’addiction (qui met à peu près tout le monde d’accord) à la désapprobation morale des drogués (toujours d’accord ?), à leur 'prise en charge' sur le mode de la punition (et là ?), sans même nous en rendre compte. C’est la logique du drogué comme délinquant plutôt que comme malade. Alors qu’il est tellement évident que la question n’est pas si simple. Car si la première prise est un choix, l’addiction est….la limitation du choix. Sans l’être totalement puisque certains s’en sortent. Mais quoi qu’il en soit, punir une personne dont la responsabilité est limitée par le refus de soigner son problème de santé est disproportionné. Mais entre les deux la responsabilité navigue en eaux troubles et nous nous encoublons dans nos raisonnements. Ce qui n’est absolument pas trouble, par contre, c’est l’échec des traitements par la seule abstinence, si ils sont la seule option.


On est donc effectivement (un peu) dans la situation du début : va-t-on choisir de faire le plus de bien, ou (toute proportion gardée) de s’abstenir plutôt que de se 'salir les mains', même un tant soit peu, pour nos semblables ?


De l’autre côté, on a comme dans notre histoire amazonienne la volonté d’aider, à tout prix, même des patients comme l’une des miennes il y a quelques années. A 40 ans, dans les couloirs d’un hôpital où son âge tranchait avec celui d’autres patients, elle vacillait péniblement du haut de ses 40 kilos. Exiger d’elle l’abstinence après des années de galère ? Peut-être. Mais l’exiger d’elle comme unique alternative, alors qu’on sait qu’elle échouera presque certainement? Quelle hypocrisie…


D'ailleurs ce serait aller contre toute la politique suisse en matière de contrôle de stupéfiants et d'aide aux victimes depuis bientôt 20 ans.


Stupéfiant, finalement ce référendum ne l’est pas. Dans un dilemme de ce type, on a une sacrée tendance à trouver meilleure l’alternative qu’on voit le moins bien. Normal : la plus proche est la plus visible, et donc la plus visiblement désagréable. Or, entre les scènes ouvertes de la drogue démantelées dans les années 90 et le regain du dogme de l’abstinence qui a mené au référendum de ce dimanche, que de chemin parcouru! Aujourd’hui, à moins de les chercher activement, les personnes détruites par l’héroïne de rue sont presque invisibles. Leur offrir un cadre où elles trouvent une substance sûre sans devoir recourir à la criminalité, mais aussi des soins médicaux, un ancrage, et peut-être la stabilité si nécessaire à prendre les forces de s’en sortir…tout cela reste crucial, mais le besoin se fait moins remarquer. On pourrait donc avoir tendance à l’oublier, à choisir l’autre option, à partir, à laisser souffrir et mourir.


Raison de plus de ne pas nous voiler la face : allons voter, et acceptons la modification de la loi sur les stupéfiants.

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Assistance au suicide en Suisse: quelques observations

Doit-on pouvoir aider quelqu'un à se suicider? Jamais? Parfois? Dans quelles circonstances?

Les débats sur l'assistance au suicide soulèvent en général des désaccords importants, et souvent beaucoup d'émotions. Mais dans ces discussions, on a parfois des idées très différentes sur le genre de situations auxquelles font face ces personnes qui demandent à mourir. Et l'on sait que si on varie le scénario, on sera plus ou moins prêts à s'imaginer que le suicide assisté puisse être acceptable...ou non.

Qui sont donc ces personnes qui demandent à mourir? Ce point, une étude qui vient d'être publiée par des chercheurs de Zürich l'éclaire un peu. Même si ce n'est pas exactement la première à se pencher sur cette inhabituelle épidémiologie, c'est pour le moment clairement la plus complète réalisée en Suisse.

Mais d'abords un petit rappel. Dans notre pays, l'assistance au suicide est légale (art. 115 Code Pénal Suisse) pour autant que trois conditions soient remplies. La personne qui souhaite mourir doit réaliser elle-même le geste fatal, et doit être capable de discernement. La personne qui accepte de l'assister ne doit pas avoir de motifs égoïstes. Et c'est tout. Contrairement aux quelques autres lieux qui ont légalisé l'assistance au suicide et/ou l'euthanasie active, la Suisse n'exige pas dans son cadre juridique que le suicidant soit en fin de vie, ou même malade, ni que le suicide soit -comme on dit ailleurs- médicalement assisté. Assister un suicide pour motifs altruistes, c'est légal pour tout citoyen. Ce dernier point est d'ailleurs unique au monde. Toutes les autres législations qui autorisent l'assistance au suicide (Hollande, Belgique, Oregon...et depuis la semaine passée l'état du Washington) considèrent les médecins comme des gardes-fous nécessaires à cette pratique. La loi suisse, qui date d'il y a bientôt un siècle, est basée sur des scénarios bien lointains de l'hôpital. On songeait alors plutôt à des suicides d'honneur, ou à ne pas criminaliser des amants malheureux...pourquoi aurait-on mêlé un docteur à tout cela? Depuis, les moyens de la mort douce ne se trouvent plus que sur ordonnance, les motifs acceptés d'assistance au suicide sont devenus centrés sur la maladie terminale, et la question du rôle d'un médecin se pose autrement. Malgré cela, même si les occasions n'ont pas manqué, nous avons choisi en Suisse de ne pas changer notre loi. De toute apparence, elle nous va comme ça. Et une des conséquences en est que la pratique la plus visible du suicide assisté n'est pas celle de médecins, mais d'associations d'aide au suicide telles que EXIT ou Dignitas.

Dans cette situation tout à fait exceptionnelle, que révèle l'étude zürichoise? L'original peut être trouvé ici, mais en bref le principal. Les chercheurs ont recensé durant 4 ans les rapports de suicides annoncés par deux associations d'aide au suicide, EXIT-Suisse allemande et Dignitas, et y ont ajouté pour comparaison la statistique 1990-2000 d'EXIT-Suisse allemande.

Le fonctionnement des deux associations est très différent. EXIT assiste presque exclusivement des personnes domiciliées en Suisse, alors que Dignitas assiste principalement des personnes vivant à l'étranger, et qui viennent en Suisse dans le but de trouver une législation plus libérale sur l'aide au suicide. Comme ces personnes n'ont pas de domicile localement, leur mort se déroule dans les locaux de Dignitas, alors qu'EXIT pratique principalement l'assistance au suicide à domicile.

Dans les deux cas, les données récoltées semblent fiables. Elles sont basées sur les rapports de l'Institut de médecine légale de l'Université de Zürich, qui doit envoyer un médecin légiste lors de tout constat de décès 'non naturel', catégorie qui inclut les suicides.

Plusieurs points sont à relever:

Premièrement, même s'il y a des différences importantes entre les deux associations d'aide au suicide examinées, le nombre de suicides assistés est resté relativement constant sur la période d'observation.

La presse l'a relevé, un nombre plus important de femmes ont eu recours à l'aide au suicide. Deux interprétations sont proposées: elles pourraient demander de l'aide plus facilement que les hommes, ou pourraient être un groupe plus vulnérable à la dépression, qui ne serait pas toujours reconnue. D'autres hypothèses viennent à l'esprit: plus souvent veuves, elles survivent plus nombreuses dans des tranches d'âge où les maladies chroniques sont plus fréquentes...moins susceptibles que les hommes de choisir une mort violentes, elles se tourneraient plus volontiers vers une potion létale...Mais au fond le message à retenir est que tout ceci est très hypothétique. En fait la proportion de femmes n'a cessé de fluctuer durant la période d'observation, avec un minimum de 28% en 1999, et un maximum de 76% en 2003, puis 53% en 2004. Pas de quoi faire de grandes théories sur les hommes et les femmes, donc.

L'âge moyen des personnes est plus jeune en 2000-2004 qu'en 1999-2000. Prêt de la moitié ont entre 65 et 84 ans. Et l'on note aussi une augmentation du nombre de personnes 'ne souffrant pas d'une maladie incurable'. Ce résultat évoque l'image d'une personne en bonne santé et 'fatiguée de vivre'. Il a été très commenté. Peut-on accepter d'assister un suicide dans ces conditions? En Suisse, les directives éthiques rédigées par l'Académie Suisse des Sciences Médicales à l'attention des soignants l'interdisent en précisant que 'La maladie dont souffre le patient permet de considérer que la fin de la vie est proche'. Mais ceci ne concerne les associations d'aide au suicide que si elles souhaitent s'y référer. Il est donc crédible qu'elles puissent ne pas le faire. Si l'inquiétude suscitée par ce résultat devait mener à une plus grande surveillance de ces associations, ce serait soit dit en passant sans doute une bonne chose.

Mais les réactions à ce type de scénario, qui invoquent volontiers qu'il s'agit d'une dérive vers la banalisation de l'aide au suicide, illustrent en fait un point crucial. Que l'on soit favorable ou défavorable à la mort assistée, on l'accepte généralement davantage si deux conditions sont remplies:

1) Nous devons être convaincus que la souffrance du patient est irrémédiable: c'est généralement ce type de scénario que l'on a en tête en discutant d'aide au suicide. Il faut que toutes les alternatives aient été tentées, ou du moins considérées sérieusement par le patient.

2) Nous devons aussi être convaincus que le choix de mourir est l'expression d'une ultime liberté, d'un choix authentique. La force de conviction du documentaire 'Le choix de Jean' était d'ailleurs là. Un choix de mourir par une personne qui n'exprimerait 'pas vraiment son propre choix', sous l'emprise d'un épisode aigu de dépression ou de pressions économiques par exemple, ne rempli pas ce critère.

Otez un seul de ces éléments, et notre inconfort augmente. Le cas d'une personnes qui serait 'fatiguée de vivre' en est un exemple. De tels cas sont généralement refusés en Hollande. Le cas d'une personne qui souffrirait insupportablement mais qui ne demanderait pas à mourir et que l'on tuerait par compassion en est un autre. Ce cas serait en fait interdit partout, puisqu'il s'agirait alors d'euthanasie non volontaire. Admettre que l'assistance au suicide puisse être parfois légitime n'implique absolument pas d'accepter ces deux types de cas.

Mais s'agissant de l'étude zürichoise, cette discussion repose sur un malentendu. Les patients dont le nombre a augmenté étaient bel et bien malades, à cela près que leur maladie, chronique et bel et bien incurable, ne mettait pas leur vie en danger dans l'immédiat. Plutôt que de 'fatigue de vivre', on devrait donc plutôt parler de 'fatigue de souffrir'...
Assister un suicide dans de telles circonstances, est-ce toujours problématique? On le voit, la question a changé de forme. Plutôt que de savoir si aider une personne à se suicider 'par fatigue de vivre' est acceptable, la question est plutôt quel degré de souffrance nous semble constituer une raison légitime, peut-être quelle sorte de souffrance, et surtout qui doit pouvoir en juger.

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Les 'autres' votations américaines

Cela pourrait passer inaperçu dans la liesse internationale de voir Obama élu, mais les citoyens américains ont voté en même temps sur pas mal d'autres enjeux, dont certains auraient peut-être fait les gros titres en d'autres circonstances.

Dans le Colorado, on a présenté au peuple une loi qui aurait reconnu le statut de personne dès la conception. Selon le compte actuel il l'ont refusée à 73%.

Le Michigan a accepté une mesure autorisant la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines issues d'embryons surnuméraires de la fertilisation in vitro.

Le Dakota du Sud a rejeté une mesure qui aurait interdit l'avortement sauf en cas de viol ou d'inceste. Traditionnellement moins opposée, la Californie compte de son côté les voix sur une mesure qui exigerait que les médecins avertissent les parents (ou un autre adulte apparenté) d'une mineure au moins 48h avant de pratiquer un avortement.

Plusieurs états ont voté sur des lois interdisant le mariage homosexuel. L'Arizona et la Floride ont accepté ces interdictions, ainsi que la Californie où un refus était très attendu. L'Arkansas a accepté une loi leur interdisant l'adoption, en l'interdisant dans la foulée aussi au couples hétéro non mariés.

Le Michigan a aussi accepté l'usage médical de la marijuana.

Dans l'état de Washington (ne pas confondre avec la ville), le peuple a accepté à 59% d'autoriser, dans certaines conditions, l'assistance médicale au suicide. Cet état rejoint ainsi l'Oregon, la Hollande, la Belgique, et bien sûr la Suisse, où l'on reparle ces temps aussi d'assistance au suicide dans nos média justement.

Et finalement, pour mettre fin à l'idée qu'il n'y a qu'en Suisse qu'on est capables de se voter à soi-même des impôts plus élevés, les habitants du Massachusetts viennent de le faire aussi! Ouf, on se sent moins seuls tout à coup...

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La justice, les singes, et nous...

Là, je reviens des États-Unis. Congrès. Très chouette, pour qui aurait la sagesse d'éteindre la télévision en permanence; mais en fait je ne l'eut point. Le résultat: des clips de campagnes présidentielles toutes les cinq minutes. Littéralement. C'était l'Ohio, et la bataille y fait rage.

Au passage, cela dit, quelques discussions de l'état de la médecine outre-Atlantique. Et malgré l'impression très exotique que ça donne au premier abords, on se rend compte que certains trucs se trouvent partout. Par exemple, il y a aussi aux USA des gens qui pensent que c'est une bonne idée de déréguler le 'marché' de la santé, pour que la bonne vieille concurrence y fasse son œuvre: non mais vous vous imaginez? Si seulement on ne s'y reconnaissait pas...Juste au cas où, je vous mets aussi une voix critique: on ne sait jamais, vous pourriez en avoir besoin.

Cela fait maintenant quelques années que je fais des conférences sur des sujets qui tournent autour de la justice et de la solidarité dans le système de santé, et il y a une différence de base entre les publics européens et américains. Quand on introduit des valeurs comme l'équité, la solidarité entre malades et bien-portants, entre jeunes et vieux, tout ça, les auditeurs européens se mettent à faire 'oui' de la tête. Aux USA, ils prennent un regard où j'ai appris à comprendre 'quoi? vraiment? chez vous les gens soutiennent ce genre de chose? quelle chance vous avez!'

Montherlant
pensait (ou a du moins dit) que 'Les âmes communes n'apprennent le sentiment de la justice que lorsqu'elles ont eu des déboires'. Mais en fait, il semble qu'on naisse cablés avec un minimum de sens de l'équité. On a même pu démontrer que les singes capucins savaient reconnaître un salaire inégal...et se révolter contre! Première étape: vous apprenez à votre singe à être un bon capitaliste en lui enseignant que s'il vous apporte un caillou en guise de monnaie, vous lui donnerez à manger. Vous faites varier les prix en lui donnant contre le même genre de caillou soit un raisin, soit un bout de concombre. Deuxième étape, vous faites deux colonnes (cela nécessite plusieurs singes mais bon, pas de questions de justice sans être au moins deux), et vous leur faites la distribution en parallèle sans les laisser changer de file. Troisième étape: vous commencez à distribuer systématiquement des raisins dans une file, des concombres dans l'autre. Les singes désavantagés vont vous jeter le concombre à la figure. Ils préfèrent ne rien avoir qu'être moins bien 'payés'.

Bon, chez les humains il semble que la forme de l'environnement joue un rôle important: on a besoin d'avoir une impression minimale de contrôle sur ce qui nous arrive pour montrer notre sens de la justice en refusant un salaire inférieur pour un travail égal. Et l'expérience ne montre pas dans quelles conditions on est d'accord de sacrifier un avantage personnel pour aider un moins bien loti.

Alors, la différence entre le public européen et américain: une question d'impression de contrôler ce qui nous arrive? Je n'en sais franchement rien. Mais une fois qu'on a vu ce genre de chose on lit le journal autrement...

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Money money money...

Ces temps, on parle que de sous...

Du coup c'est peut-être le moment de se rappeler que s'agissant d'enjeux éthiques, on n'en parle peut-être pas assez souvent. Comme disait un collègue, le document qui reflète le mieux les valeurs d'un hôpital (par exemple) ce n'est pas la Charte Éthique, c'est le budget. A méditer.

Et dans l'interface entre l'argent et la médecine, il y a ces temps des bonnes et des mauvaises nouvelles.

Mauvaise nouvelle: certains américains se trouvent coincées entre les frais de médicaments, d'essence, de logement, devinez ce qu'ils font! Mince, vous avez raison...ils sacrifient leur traitement.
Une raison de mettre sur pied un système de santé à couverture universelle? Ca peut paraître évident vu d'Europe, mais aux USA pas si sûr: ce genre de chose est perçue comme chère, et pas en ligne avec l'idée que les personnes méritantes se débrouillent seules. Les personnes engagées pour un système qui élimine le statut 'sans assurance' aux Etats-Unis avancent d'ailleurs un argument qui nous paraîtrait exotique: un système universel permettrait d'économiser par rapport au 'système' avec lequel les Etats-Unis vivent maintenant. A nous de nous en rappeler si jamais il venait à l'idée de nos systèmes de couper dans la couverture nécessaire au nom de la crise financière.

Mais une bonne nouvelle quand même, l'avancée du fond d'impact sur la santé.

Petit résumé:
Actuellement, un nouveau médicament est breveté, la plupart du temps par une firme pharmaceutique, avec une date limite. Pendant ce temps, le fabricant a un monopole sur la vente de la molécule, et peut en déterminer le prix. Bon, dans la limite de ce que permettent, par exemple, les états qui négocient au nom de leur système de santé. Mais les pays sans système national, ou sans pouvoir de négociation, s'en tirent de toute manière mal dans ce système. Ces groupes comprennent bien sûr les populations les plus pauvres, dont les besoins de santé sont les plus criards. Et même dans les pays riches, des critiques sur le prix des médicaments ont fusé. Il y a bien eu depuis quelques années des cas où des exceptions au monopole ont été consenties, notamment concernant les médicaments contre le SIDA, mais cela reste exceptionnel.

Le problème principal est cependant ailleurs. Le système actuel promeut surtout la recherche industrielle sur des maladies qui touchent des personnes aisées, ou vivant dans des pays qui couvrent bien les traitements. D'où l'équation suivante: il est actuellement plus profitable pour une boîte pharmaceutique de lancer un programme de recherche sur la calvitie masculine, que sur la trypanosomiase...La faute aux firmes? Pas vraiment, en tout cas pas seulement, car elles ne font 'que' suivre leur intérêt dans un système décidé par d'autres, et modifiable.

L'idée du fond d'impact est simple à la base: en plus du système des brevets habituels, un fabricant peut en choisir un autre. Ce brevet 'type B', commenté dans un journal spécialisé récemment, ferait rémunérer la firme par un fonds international à la mesure de l'impact de sa molécule sur le fardeau mondial de maladie. En d'autres termes, il devient tout à coup dans l'intérêt de l'entreprise de 1) faire de la recherche sur les maladies orphelines des pays pauvres, 2) s'assurer que les patients ont accès au médicament et 3) mesurer l'impact. On souhaite plein de succès à ceux qui ont eu cette idée!

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Enfin de la vraie science!

Lisez le journal ces temps, et vous en sortirez convaincu que l'économie ne peut pas, mais alors pas du tout, être une véritable science.

Il se pourrait même que vous soyiez encore un peu plus inquiets en sachant que même Paul Krugman, tout fraîchement Nobelisé d'économie, semble d'accord avec vous: il aurait déclaré avoir choisi d'étudier ça parce que la science dont l'économie est le succédané (la 'psychohistoire' d'Asimov), et qu'il aurait voulu apprendre, n'existe encore que dans les romans de science-fiction.

Pour se remonter le moral ensemble, rappelons-nous qu'il reste quand même des choses certaines et scientifiquement démontrées, même si peu d'entre elles permettent de prédire la psychologie du marché international.

Quelques exemples:

-Les huiles omega-3 diminuent la mortalité des personnes souffrant d'insuffisance cardiaque. On trouve ça en pharmacie, mais aussi par exemple dans les poissons gras. A quand le remboursement du saumon par l'assurance maladie? Par ces temps de crise, ce serait une très très bonne nouvelle. Comment ça, ridicule? Pour une fois qu'une méthode prônée par une médecine parallèle est vraiment prouvée!

-La réanimation cardio-vasculaire est mieux faite si les réanimateurs ont en bruit de fonds une musique à environ 100 battements/minutes. Comme,...et on ne rit pas, 'Staying alive' des Bee Gees. Ça donne exactement le bon rythme pour les compressions thoraciques. Pour les samaritains en herbe qui ne sauraient plus trop bien comment on fait un massage cardiaque, une vidéo se trouve ici. Même si les gestes sont internationaux, elle est malheureusement en anglais. Merci d'avance pour vos suggestions de version en français.

-La bière est plus dangereuse que le champagne pour faire la fête, car certains avalent la capsule...

-On est plus heureux s'il y a plus d'égalité sociale. On est aussi en meilleure santé. Sous cet angle, être pauvre dans un pays riche mais inégal peut être pire qu'être pauvre dans un pays pauvre et plus égalitaire.

En fait, en Suisse, on vit plus vieux si on a un niveau d'éducation plus élevé. En bonne science fondée sur les preuves, ce n'est pas seulement le saumon que la LAMal devrait rembourser, mais les taxes universitaires...

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Them & Us?

Voilà, quelqu'un l'a dit: il se pourrait que la crise des marchés financiers rendent nos économies plus justes. Pourvu qu'il ait raison! Ce serait là pour le coup une circonstance atténuante de la crise actuelle. Car de la 'philia' d'Aristote au 'social capital' des théories d'aujourd'hui, une constatation somme toute banale: nos sociétés se portent mieux si nous avons tous l'impression d'en faire vraiment partie. D'en partager les hauts et les bas, et d'y être reliés les uns aux autres.
Est-ce pour ça que l'indignation est si forte face à la quasi absence de réglementations liées au sauvetage de l'UBS par la Confédération? En laissant, même en théorie, la porte ouverte à des bonus importants alors que le contribuable paie, la décision peut en effet sembler prendre aux pauvres pour donner aux riches. Doit-on transformer 'You & Us' en 'Them & Us'? A voir...

D'autres semblent avoir mieux compris le problème. Subitement, on parle de règlementations, ou plus modestement de changement d'incitatifs, un peu partout ces jours-ci. Et voilà que cela révèle qu'il y a quand même ça et là des avantages potentiels (même s'ils sont loin d'être certains) à ce que tout aille mal à ce point:

-D'abords, règlementer tout seul dans un marché interdépendant, c'est de l'ordre du dilemme du prisonnier. Les choix les meilleures pour tous sont parfois impossibles à faire unilatéralement. Une situation où il est vraiment clair qu'un changement est nécessaire, c'est aussi une occasion (malheureusement souvent manquée) de prendre ce genre de décisions. Et les incitatifs internationaux sont parfois pervers...Pour ne citer qu'un exemple, le FMI a longtemps mis comme conditions au prêt une croissance zéro dans le domaine social. Parmi les résultats, un booste énorme à l'émigration massive de personnel de la santé, formé aux frais des contribuables africains, sans emploi local, et dont l'influx vient subventionner les systèmes de santé des pays riches.

-Un autre exemple, pourtant ténu, rendrait presque espoir: tout à coup, peut-être que prêter aux pauvres qui travaillent et génèrent de l'économie réelle sera attractif. Le site de prêts entre particuliers kiva.org a vécu la semaine passée une pénurie de projets à financer, tant les personnes souhaitant prêter ont augmenté: un signe?

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La Suisse 'championne' de la dignité

Championne de morale? De ridicule? Un peu des deux? Les prestigieux et décapants prix IgNobel ont distingué cette automne du prix de la paix une commission de bioéthique helvétique 'et les citoyens suisses' pour avoir adopté un principe légal selon lequel les plantes ont une dignité.

Voilà ce qu'on précise sur le site officiel:

'PEACE PRIZE. The Swiss Federal Ethics Committee on Non-Human Biotechnology (ECNH) and the citizens of Switzerland for adopting the legal principle that plants have dignity.
REFERENCE: "The Dignity of Living Beings With Regard to Plants. Moral Consideration of Plants for Their Own Sake"
WHO ATTENDED THE CEREMONY: Urs Thurnherr, member of the committee.'


Ces prix, petits cousins satiriques et transatlantiques des prix Nobel annoncés cette semaine, distinguent la recherche 'qui fait rire, puis donne à penser'. Que penser, donc, de notre prix national? Il semble en tout cas avoir rempli les critères demandé. Dans la communauté scientifique, le but de faire rire est atteint. De très sérieux sites expliquent que l'hybridation des roses pourrait être menacée, ou encore que les carottes suisses ont désormais une dignité, mais que ça ne semble pas nous empêcher de les manger!

Mais le but de donner à penser semble atteint aussi, finalement. En termes bioéthiques, la dignité est ce qu'on pourrait appeler un 'truc à majuscule'. On est d'accord que c'est très important, même si c'est nettement (nettement!) plus difficile à définir que l'on pense. Et cette difficulté pose problème. Que veut dire respecter la dignité des plantes? Selon la commission helvétique, ne pas empêcher le développement normal pour leur espèce 'sans justification'. En d'autres termes, effeuiller la marguerite en se demandant si l'être aimé vous aime un peu, beaucoup, etc: OK. L'effeuiller juste comme ça: pas OK. Une exigence très limitée, donc. Et qui découle un peu inévitablement de l'inscription de la 'Würde der Kreatur' (traduit en Français par...'intégrité des organismes vivants') dans l'article 120 de la Constitution fédérale.
Que veut donc dire 'dignité'? Habituellement, c'est une caractéristique des êtres humains, qui selon Kant les distingue justement des autres entités du monde, y compris des autres êtres vivants. Elle fonde le respect qu'on doit à nos semblables. Si vous êtes intéressés, une discussion très complète du respect des personnes se trouve ici. La version courte, c'est qu'on assiste en bioéthique à deux mouvements autour de la notion de dignité. D'une part, on questionne l'utilité du concept de dignité, qui après tout signifie toutes sortes de choses que l'on pourrait sans doute exprimer plus clairement avec d'autres termes. D'autre part, on l'étend au-delà du domaine humain. Pour inclure les animaux, et -c'est là l'IgNobel suisse- les plantes.

Ces deux mouvements ne sont peut-être pas si contraires que ça, car plus on étend le champ de la dignité, plus le concept devient flou...Pas anodin, donc, de l'étendre aux plantes. Si on veut continuer de s'en servir tout du moins.

Mais en attendant, les prix IgNobel sont aussi l'occasion de mesurer le sens de l'humour des lauréats. 'Bravo' à tous, et soyons à la hauteur!

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A propos de ce blog


La bioéthique

C'est l'étude et la discussion de tous les enjeux éthiques soulevés par la médecine et les sciences du vivant. Un collègue en a fait une description ici, dans un très utile petit glossaire de bioéthique. C'est nécessaire d'étudier ces choses, parce que certains problèmes sont nouveaux, ou au moins rendus plus apparents par nos progrès scientifiques et les changements dans nos sociétés. C'est donc un champ de recherche, avec des institutions universitaires (je travaille par exemple ici) et des services de consultation d'éthique. C'est aussi toute une série de sujets de dialogue de société (en Suisse, par exemple, ici). L'éthique n'est pas un domaine où une vérité objective pourrait être découverte. En même temps ce n'est pas non plus une simple affaire d'opinion. Un grand nombre de valeurs nous sont communes. Mais elles ne le sont pas toutes, et nos priorités peuvent être différentes les unes des autres, ou dans le temps. Réfléchir et discuter est donc important pour trouver des solutions acceptables. Pour appliquer nos valeurs multiples d'une manière qui soit respectueuse des uns et des autres.


Samia Hurst

Bioéthicienne et médecin, je suis directrice de l'Institut Ethique Histoire Humanités (IEH2) à l'Université de Genève, et consultante d'éthique aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Mon profil complet est ici, et ma page web là. Les trucs (parfois, souvent) plus sérieux que j'écris ailleurs sont ici, ainsi que sur Google scholar.

Et surtout, si les sujets traités ici vous intéressent, vous devriez devenir membre de la Société Suisse d'Ethique Biomédicale. Ses membres font toutes sortes de choses dans la vie: notre seul point commun est d'être intéressés par les enjeux éthiques de la médecine et des sciences du vivant. Et si vous vivez près de Genève, venez à nos colloques et à nos conférences! Mes collègues et moi en donnons aussi de temps en temps ailleurs.

Mes collègues
J'invite depuis des années d'autres personnes qui s'occupent de bioéthique en Suisse à contribuer à ce blog. Alex Mauron, dont la page web est ici,  le fait régulièrement et ses billets sont régulièrement parmi les plus visités. D'autres sont plus occupés, certains sont timides (oui oui), ou tout simplement moins francophones. De temps en temps, je vous donne donc des échos de ce qu'ils écrivent dans la presse.

Ce blog
L'éthique, c'est l'affaire de tous les humains quelles que soient leurs origines, leurs langues, qu'ils aient ou non une religion, et bien sûr quelle qu'elle soit. Mais la blogosphère a ses travers...Il y manquait un blog de bioéthique régulier, en français, et qui ne soit pas sponsorisé par une église. C'est chose faite. Entre temps d'autres se sont sans doute créés. Si vous en voyez, faites-moi signe! Je les ajouterai à la page des blogs.

Parce que les sujets traités ici sont forcément controversés, et que les tensions peuvent monter autour d'eux surtout en temps de pandémie, les commentaires sont modérés. Ils l'étaient déjà depuis le début, en fait, car le spam ce n'est pas nouveau. Evidemment que je publierai les commentaires avec lesquels je ne suis pas d'accord, car cela fait partie des discussion autour de - justement - les sujets controversés. Deux avertissements cependant: je ne viens pas ici tous les jours, donc il peut y avoir des délais. Pas de panique si votre commentaire tarde un peu à venir, s'il vous plait. Et bien sûr je me réserve le droit de ne pas publier les commentaires qui seraient inutilement agressif, diffamatoires, sans aucun contenu pertinent avec le sujet, ou qui inciteraient à la haine. Je porte la responsabilité de ces décisions: chacun est libre de faire son propre blog après tout, ici c'est le mien.

Au plaisir de vous lire!


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Commission nationale d'éthique: médecine humaine
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