Noël: plus intelligente générosité?

Certains d'entre vous sont dans une dernière ligne droite frénétique d'achats de Noël. Alors je profite pour vous souffler en douce, comme si vous aviez le temps, que parmi les cadeaux que nous recevons pendant les fêtes, peu sont en fait des choses auxquelles nous attachons du prix.

En tout cas, pas des choses auxquelles nous attachons du prix. Nous attachons du prix au fait de les recevoir, bien sûr, et surtout à ce qu'elles disent sur les liens qui nous unissent à d'autres. C'est la valeur affective, liée à la personne qui vous l'a offerte et au geste qu'elle a fait pour vous: tout cela ne nécessite pas à strictement parler d'être véhiculé par une chose qu'elle aurait achetée pour vous l'offrir. La même valeur s'attacherait à une sortie au restaurant, à une promenade en montagne, à une friandise cuisinée de ses mains expertes (ou même pas si expertes que ça). Mais il semble que si vous êtes représentatif, et honnête comme ça entre quatre zyeux, alors à la question "parmi vos cadeaux de Noël, quelles sont les choses auxquelles vous attachez vraiment de la valeur?" votre réponse se situera entre 'pas tous' et 'très peu'. Voir 'aucun'. Nous nous faisons très souvent des cadeaux pour le geste plus que pour l'objet.

Quel lien avec l'éthique?  C'est qu'à lier au geste un objet, on génère des conséquences humaines qui ne sont pas toujours visibles.

Des conséquences écologiques. Après 6 mois, seulement 1% des choses que nous achetons sont encore utilisées. Les matières premières qui ont servi à les fabriquer, en revanche, sont souvent perdues. Et la pollution qu'elles auront générée subsiste.

Des conséquences humaines, aussi. Nos appareils technologiques sont très friands de minéraux rares, et comme du coup ceux-ci rapportent très bien ils font l'objet de guerres sanglantes. Le tantale, le zinc, le tungsten, sont tous nécessaires pour nos téléphones et tablettes: une bonne part des mines sont aux mains des seigneurs de la guerre  de la République démocratique du Congo.

Finalement, il y a des conséquences plus difficiles à voir encore. L'argent que nous dépensons à nous donner les uns aux autres des cadeaux inutiles dont la fabrication est délétère, nous pourrions faire tellement mieux avec.

Alors plutôt que de courir après l'idée de la dernière minute pour acheter une chose à quelqu'un que vous aimez, voici quelques idées de gestes à lui offrir.

A la dernière minute, trop tard sans doute pour un poème ou un gateau (quoique cette recette de truffes à l'air fameuse et fichtrement rapide). Mais il vous reste les alternatives immatérielles. Vous pouvez leur offrir, par exemple, un bon pour faire un prêt sur Kiva, le site de micro-crédit entre particuliers. Un don à Because I'm a girl qui finance l'éducation des filles là où elle ne va pas de soi. Ou à une des organisations testées comme les plus efficaces pour sauver des vies là où c'est vivre qui ne va pas de soi. Vous pouvez financer en leur nom un rat entrainé pour détecter les mines antipersonnelles, ou la tuberculose. Ou aider en leur nom quelqu'un à se libérer de ses dettes via le site de Strike Debt, qui rachète pour une bouchée de pain les dettes de personnes qui ne s'en sortent juste plus, pour ensuite les pardonner purement et simplement. Vous pouvez leur offrir une inscription à la Déclaration de Berne, qui tente de rendre plus justes les règles du jeu sur le plan international.

Le bonus? Tout ça peut se faire en ligne. Rapidement, et sans affronter de foules.

Du coup, vous aurez peut-être même encore le temps de faire les truffe...

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Avorter peu, et en sécurité (1, sans doute...)

Hier, nous avons reçu sur papier journal du matériel de campagne de l'initiative pour le déremboursement de l'interruption de grossesse. Vous aussi, peut-être. Chez nous, une de mes filles a voulu le mettre à la poubelle aussi sec, mais je l'ai sorti pour qu'on puisse passer en revue les arguments en famille. Il y a beaucoup à dire. Assez pour plusieurs messages sur ce blog. Et peut-être que vous aurez aussi des commentaires. Mais, pour commencer, l'image.

Elle semble à première vue idyllique, cette image. Une jeune maman et son bébé, qui sourit comme sourient les bébés plus tout à fait nouveau nés, et juste avant Noël en plus. En dessous, un texte qui cible l'émotion: "Je ne veux tout de même pas cofinancer des avortements!"

Madame, je suis heureuse pour vous. Je trouve comme tout le monde votre image touchante. Voir une maman et son bébé heureux ensemble me rend heureuse moi aussi. Mais, cela étant dit, votre égoïsme me sidère.
Peut-être l'ignorez-vous, mais les complications d'une interruption de grossesse mal conduite incluent la stérilité, et peuvent aller jusqu'au décès. Le document auquel vous êtes associée voudrait faire de l'Autriche un exemple rassurant du contraire. Mais l'Autriche compte parmi les pays qui préfèrent ne pas tenir de statistiques de ce genre de choses. Il est facile, ensuite, de dire qu'on n'a rien observé. C'est aussi un pays où l'accès à l'interruption de grossesse est régulièrement remis en cause et qui pourtant a un des taux d'avortement les plus élevés d'Europe et nettement plus élevé que la Suisse. Les complications d'interruptions de grossesse mal conduites sont actuellement rares en Europe, mais elles existent encore là où l'avortement sûr n'est pas facilement accessible. L'Afrique du Sud a diminué de 90% les problèmes de santé liés l'avortement en le rendant légal, et le rendre légal c'est aussi le rendre plus accessible. 

Peut-être l'ignorez-vous Madame, mais devoir payer une intervention, quelle qu'elle soit, peut aussi la rendre inaccessible. Dans le seul canton où l'on ait osé faire cette étude, on a constaté que près de 30% des Suisses dont les salaires sont dans la tranche inférieure ont renoncé récemment à des soins médicaux car ils ne pouvaient pas se permettre leur part des coûts.

Madame, peut-être l'ignorez-vous encore, mais 48% des femmes qui interrompent une grossesse en Suisse ont déjà des enfants. Un nombre qui n'est pas dans les statistiques souhaiteront en avoir par la suite. En voulant limiter l'accès à l'interruption de grossesse médicale, correctement conduite, vous voulez refuser à ces femmes une part de la possibilité de vivre le bonheur que vous clamez dans tous nos ménages. Vous voulez refuser à leurs enfants une part de la sécurité de garder leur mère.

Alors oui, Madame, vous devriez vouloir co-financer des avortements. Ils rendent possible pour d'autres femmes ce que vous vivez: une relation heureuse et désirée avec un enfant. 


Mais peut-être, Madame, méritez-vous en fait que je sois plus douce avec vous: car après tout peut-être ignorez-vous aussi que votre image a été utilisée ainsi. Nous vivons après tout l'âge virtuel, et peut-être n'êtes-vous que l'image en ligne qui a été trouvée belle par les personnes qui font cette campagne...

Ces personnes, il faut espérer qu'elles seront minorisées le 9 février. Nous avons après tout voté il y a relativement peu de temps le régime des délais, et la Suisse fait figure d'exemple sur le plan des interruptions de grossesse: elles sont plutôt rares, et se font dans de bonnes conditions. Beaucoup de gens finalement savent ce que je viens de rappeler ici. La position qu'on vous prête a heureusement peu de chances d'être majoritaire.

Peut-être que ce qu'il faudrait rappeler à ces personnes, finalement, c'est qu'elles devraient se rassurer. Rembourser l'avortement ne l'augmente pas. Les pays qui rendent l'interruption de grossesse accessible n'en ont pas davantage. En fait c'est plutôt même le contraire: ils en ont moins. Non: rembourser l'avortement c'est une sécurité. C'est une mesure de prévention de ses complications lorsqu'il est mal fait. Cette sécurité est de toute manière accessible à ceux qui en ont les moyens. Garder l'interruption de grossesse dans l'assurance de base, c'est s'assurer que cette sécurité ne dépendent pas de nos moyens financiers.

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Don d'organe: quel consentement?

En Suisse, le Conseil des Etats à rejeté le passage au consentement présumé pour le don d'organes. Une mesure dont je vous avais déjà parlé et que le Conseil National avait accepté il y a quelques temps. Un dossier dont on reparlera certainement, donc. Du côté des services de transplantation, on a clamé que les droits des personnes en liste d'attente n'étaient pas respectés. Et comment faire, en effet? Car il est clair qu'il n'y a pas de droit à être transplanté. En même temps, il y a en revanche un droit à obtenir les soins dont on a besoin, a fortiori s'ils sont nécessaires à notre survie. En même temps toujours, ce droit ne s'étend pas à obtenir d'autrui un organe, qui lui appartient même après sa mort. Mais que cela signifie-t-il que mes organes m'appartiennent, lorsque je ne peux plus rien en faire, car après tout je suis déjà morte? La question de remplacer ou non le consentement explicite par le consentement présumé navigue entre ces difficiles questions.

Dans cette controverse, quelques points méritent d'être précisés. D'abord, il n'est pas exacte que le consentement présumé serait carrément 'non éthique'. Un commentaire récent dans le forum du Bulletin des médecins suisses a raison sur ce point. Sous le consentement présumé, nous garderions le droit d'être ou de ne pas être donneur d'organes, car nous garderions le droit de nous opposer. Nos proches garderaient eux aussi le droit de s'opposer à notre place, ce qui constituerait une protection pour les personnes qui n'auraient pas voulu faire la démarche du refus de leur vivant.

En fait, le problème principal du consentement présumé n'est pas une atteinte à l'éthique, qui est évitable, mais l'inefficacité. Changer le mode de consentement ne change pas la capacité du système à identifier les personnes décédées qui pourraient devenir donneuses d'organes. Cela ne permet pas non plus de lever le doute sur la volonté de la personne décédée, et c'est souvent ce doute qui motive le refus de ses proches. Quel que soit le mode de consentement choisi, donc, il faut aussi d'autres mesures si l'on souhaite faciliter le don d'organes. Les pays qui, comme l'Espagne, ont fortement augmenté le don d'organes le doivent probablement à d'autres mesures, comme la coordination, et la formation du personnel soignant à aborder la question de la transplantation.

Ce qui permettrait de lever le doute serait en revanche de demander à chacun de se prononcer. Lorsque je vivais aux Etats-Unis, on m'a demandé de faire figurer cette information sur mon permis de conduire. Non seulement ce n'était pas choquant, mais c'était en même temps une démarche de prévention routière. En Suisse, on pourrait imaginer de faire de même avec la carte d'assurés, par exemple. Dans le temps, j'avais appelé ça le consentement proposé. Je vous en avais déjà parlé ici, et j'en ai reparlé dans le journal de Swisstransplant. Cela soulagerait le fardeau des proches en clarifiant la volonté de la personne décédée, cela faciliterait l'expression de notre volonté et du coup sans doute aussi le don d'organes, cela ne porterait pas atteinte à notre liberté puisque l'on demeurerait libre de donner la réponse que l'on voudrait. Qui sait, peut-être qu'un jour on essayera...

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Nos susceptibilités génétiques

C'est un joli petit feuilleton qui se joue aux Etats-Unis. Il concerne une compagnie dont je vous avais déjà parlé il y a quelques années. 23andme, un des premiers vendeurs de tests génétiques en ligne, s'est vu interdire le marketing par la Federal Drug Administration. La raison? Ils n'auraient pas suffisamment démontré que leurs tests fournissaient des résultats fiables.

Une des choses qui rendent cet événement intéressant, c'est que fournir une analyse génétique exacte est un exercice difficile. Même lorsqu'on ne regarde qu'une variante génétique, il y a toutes sortes d'incertitudes: la variante est-elle effectivement présente? Après tout un test parfait ça n'existe pas. La variante est-elle associée à quelque chose, comme une caractéristique ou une maladie? Ce n'est pas toujours le cas. Si c'est le cas, quelle est la probabilité que cette caractéristique ou cette maladie soit présente chez la personne qui porte la variante génétique? Après tout, nos gènes ne sont pas notre destin, un tas d'autres facteurs sont à l'œuvre, bref il y a souvent loin du gène à la vie quotidienne. Les vendeurs ne le précisent pas.  En envoyant leurs résultats sous la forme d'un niveau de risque pour une maladie, ils ont tendance à laisser en place des malentendus. Et ces vendeurs se sont maintenant fait reprendre là-dessus. Les régulateurs argumentent que c'est tout le champ de la vente directe des tests génétiques qui doit être mieux surveillé et correspondre à des standards plus clairs. Ils ont raison.

Les vendeurs de tests répondent, bien sûr. Ils précisent que les autorisations de la FDA sont faites pour être demandées un test après l'autre, et qu'une analyse de salive qui test des millions de 'composantes de l'ADN' n'est pas faite pour un dossier dans ce format. Et bien sûr ils ont raison aussi.

La suite? Elle est à suivre. Pour le moment, 23andme continue d'offrir les mêmes analyses, mais ne parle plus d'analyse médicale. A la place, la compagnie se concentre sur l'autre but qui amène des clients chez elle: mieux connaître d'où viennent ses ancêtres. Plus exact, plus fiable? Non. Ici aussi, une analyse génétique permet de savoir certaines choses, mais pas tout, et avec un degré d'incertitude. La recherche de ses ancêtres, en attendant, est nettement moins strictement régulée que la recherche de la santé. Ils testent donc les mêmes choses, puisqu'ils testent les mêmes gènes, mais ils ne donnent pas les mêmes informations en retour.

Et c'est là que se niche sans doute la partie la plus intéressante de cette histoire. Car vous avez bien lu: en réponse à une critique sur la fiabilité de leurs tests, 23andme ne vont pas les changer. Non, ils vont continuer de faire les mêmes analyses, mais comme la question qu'on leur aura posée sera différente, la réponse qu'ils donneront sera elle aussi différente. Jusqu'à présent, 23andme ont vendu à leurs clients la promesse d'informations sur leur santé. Mais certains les avaient déjà critiqués pour cela. Car finalement, la conclusion d'une telle analyse est souvent beaucoup de bon sens, et parfois de l'angoisse dont on ne sait que faire. Les conseils que l'on peut retirer d'une analyse génétique de ce type sont habituellement les mêmes que ceux que l'on connaissait déjà: il est meilleur pour la santé de manger sainement, d'avoir une activité physique régulière, et surtout de ne pas fumer. On peut effectivement, en plus, connaître ses risques spécifiques pour toute une série de maladies pour lesquelles aucune prévention n'existe, mais ensuite que faire de cette information? Lorsque le clic est facile et le prix abordable, on ne se pose pas assez souvent cette question. Et parfois, l'utilité principale de ces informations n'est pas pour le client. Mais alors qui? 23andme est très explicite sur la question: ils ont pour projet de faire avancer la science génétique en permettant des analyses de population, sur de grands nombres d'échantillons. Ils semblent aussi très honnêtes sur ce point: ils annoncent ne se servir pour cela que d'échantillons dont les propriétaires ont consenti à ce qu'ils soient ainsi employés.

Si l'on résume, donc, 23andme vendent de l'information qui vise surtout à satisfaire la curiosité, sans nécessairement apporter de réelle aide pour la santé. Cette information peut être inquiétante. Et son but le plus clair est de permettre de nouvelles découvertes. Pour cela, les clients sont prêts à payer.

On voit se dessiner ici les ingrédients d'un joli noeud. Car même si les tests employés étaient bien validés, comme l'exige la FDA, le marketing qui promet des avantages de santé serait-il tellement moins problématique? D'autre part, si les tests ne sont pas bien validés, on voit mal comment l'usage des résultats pour la recherche serait acceptable. Ce point semble complètement hors sujet pour la FDA (pour les curieux, la lettre est là). On ne voit pas très bien pourquoi, et le changement de marketing de 23andme ne règle rien du tout sur ce plan.

Un début de régulation dans un domaine qui a besoin de plus de cadre, donc. Mais un début seulement. Il n'aborde que l'enjeu le plus 'classique', dans un domaine qui est loin de l'être.

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Mes collègues: moins, parfois c'est mieux

Parfois, il arrive même que mes collègues soient d'accord avec moi. Alors je ne vais pas me priver de vous le dire! Ici, c'est Bertrand Kiefer qui s'exprime dans Le Temps. Comme d'habitude, un extrait et le lien.

(...)la médecine doit apprendre à faire du «moins» son objectif. D’abord parce que l’actuel «toujours plus» coûte cher et menace à la fois la répartition équitable des soins et le remboursement d’innovations efficaces. Mais aussi à cause des nuisances que les tests et traitements inutiles infligent aux patients. S’impose donc, de manière croissante, une exigence éthique d’avancer vers l’inaction intelligente et l’économie juste des moyens. Plusieurs initiatives montrent que les médecins l’ont compris. Ainsi, depuis quelques mois, les articles médicaux consacrés au «Too much medicine» se multiplient. Dans la même veine, un mouvement international s’organise autour du thème «Less is more». Ou encore, l’American Board of Internal Medicine mène une vaste campagne intitulée «Choosing Wisely», campagne reprise par la Société suisse de médecine interne.

Ce n’est pas gagné.(...)


Peut-être, en effet, une idée dont l'heure arrive...

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Cas à commenter: numerus clausus en médecine

Une nouvelle de la semaine: le Conseil des États a décidé de laisser les cantons et les hautes écoles libres de poursuivre le numerus clausus à l'entrée des facultés de médecine. Sélectionner les étudiants pour l'accès aux études sur la base d'un test d'aptitude, c'est une des manières dont la Suisse contrôle le nombre de médecins formés dans notre pays.

Un sujet dont je vous avais déjà parlé, ça. La Suisse fait partie des pays qui ne couvrent pas entièrement leurs besoins en termes de professionnels de la santé, et qui comblent cela en important des médecins -et des infirmières- formés ailleurs. Actuellement, un peu plus de 25% des médecins exerçant en Suisse ont été formés à l'étranger. En Europe, les chiffres vont de 0.7% en Pologne à 37.5% en Grande-Bretagne. Les Etats-Unis emploient la moitié des médecins anglophones de la planète.

En Suisse nous semblons plutôt confortable avec cela. Nous nous disons qu'après tout les médecins qui viennent en Suisse quittent pour ça des pays qui ne vont pas si mal que ça. C'est vrai. Mais nos voisins, qui vont relativement bien, ont des voisins qui vont moins bien. Ils vont se tourner vers eux pour recruter des médecins dans les places laissées vacantes par ceux qui seront venus chez nous. Et ainsi de suite. Le résultat est prévisible. Les seuls pays qui n'auront pas de voisin plus pauvre vers lequel se tourner seront les plus pauvres de la planète. Le résultat net est une migration mondiale des professionnels de la santé qui s'éloignent des plus grands besoins de santé.

Notre bonne conscience a donc quelque chose d'un peu illusoire.

Mais il y a un autre enjeu ici, effectivement. Car il y aurait en théorie plusieurs manières de former plus ou moins de médecins.

1) Le numerus clausus, qui sélectionne avant l'entrée à l'université en général sur la base d'un test d'aptitude. Nous pourrions l'abolir ou l'élargir là où il se pratique. Nous pourrions aussi le remplacer par une des autres approches.

2) La sélection intra-universitaire, en général sur la base des matières enseignées en première année. Nous pourrions l'abolir ou (plus vraisemblablement) l'élargir là où elle se pratique. Ici aussi, nous pourrions aussi la remplacer par une des autres approches.

Augmenter le nombre de personnes ayant accès à la formation universitaire en médecine, quelqu'en soit le moyen, nécessiterait que l'on finance plus de places dans les facultés concernées et que l'on trouve un moyen de former également en stage des étudiants supplémentaires.

Mais il y a encore une troisième façon de contrôler le nombre de médecins qui, finalement, s'installe:

3)  La limitation (souvent implicite) du nombre de places de formation post-graduée dans telle ou telle spécialité.

Ici, il ne s'agit plus de former plus de médecins mais plus de spécialistes, y compris en médecine générale, dans les domaines insuffisamment représentés pour lesquels nous sommes soit face à des manques soit face à un recrutement accru de médecins étrangers.

Je vous en parle entre autres parce que je sais qu'il y a parmi vous des personnes qui ont un avis sur la question, certainement: comme étudiant, médecin, ou pour d'autres raisons...
Alors vous, vous en pensez quoi? Vous nous dites si vous êtes étudiant, à quel stade, médecin, à quel stade, ou si vous avez une autre position? Et surtout, vous nous dites quelle voie vous préféreriez, et pourquoi?

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L'importance des villes durables



"La moitié de l'humanité vit désormais dans des villes. Ce sont les villes qui doivent protéger le futur de la planète. Et à la ville de Genève, on veut licencier ceux qui font ça." Sur facebook on est plus bref que sur un blog, mais ici effectivement cela mérite un peu de développement. Voici donc. 

La moitié de l'humanité vit désormais dans des villes. Il s'est passé une chose remarquable en 2008: l'exode rural, commencé lors des premières fondations de villes il y a plus de 5000 ans, a atteint le point où la balance penche. 2008 est l'année à partir de laquelle plus de la moitié de l'humanité vit dans des villes. Il n'est donc pas surprenant que ce soit dans les villes, là où nous vivons, que le futur de l'humanité se joue. C'est dans ces villes, là où nous vivons, que les rapports entre nous et notre environnement, forcément, se joue.

Ce sont les villes qui doivent protéger le futur de la planète, donc. Ce futur, il ne se joue pas toujours à coup de grandes décisions politiques. Il se joue aussi à coup de tout un tas de mesures très locales, dont l'effet va être de rendre nos villes plus écologiques et aussi souvent plus humaines. Dans la vidéo qui ouvre ce message, Alex Steffen en détaille quelques unes. Et au fil de sa présentation plusieurs choses deviennent claires. La première, c'est qu'une ville plus respectueuse de l'environnement c'est en fait aussi une ville où il fait bon vivre. Tant mieux! Nous serions dans un joli pétrin si ce n'était pas le cas. La deuxième, c'est que les villes existantes peuvent faire beaucoup de choses pour prendre cette voie, et que ces choses vont largement profiter aussi à l'économie locale. Une partie de la raison est détaillée par un autre conférencier ici: la génération Y, de plus en plus, choisit de vivre dans ce genre de ville-là. Pour ceux qui veulent les employer, évidemment, cela va devenir un argument lorsqu'il s'agit de savoir où ouvrir une entreprise, où la fermer.

Ce constat, un nombre croissant de villes l'ont fait. Elles se sont dotées pour cela de services chargés de coordonner entre tous les départements concernés (tous, en fait) ces efforts parfois minutieux, parfois pas très glamour, mais essentiels pour maintenir nos villes durables, ou tout simplement vivables. 

A Genève, on veut licencier ceux qui font cela. En ville de Genève, ce service s'appelle l'Agenda 21. Il y en a dans toutes les villes du pays. Sauf qu'en ville de Genève, on veut le fermer. Les blocs politiques du conseil municipal se livrent une bataille autour du budget, et dans cette bataille ce service risque d'être sacrifié. Préoccupant, ça.

Les opposants s'organisent et ont appelé à une manifestation, organisé une pétition. Parmi eux, les syndicats: car évidemment il y aurait des licenciements à la clé. Parmi eux également, les principaux partis de gauche. Et ici si je puis me permettre: préoccupant aussi, ça. L'Agenda 21 soutient des associations citoyennes, coordonne et encourage des mesures qui soutiennent l'économie locale. En améliorant notre empreinte écologique, ces mesures visent à améliorer notre qualité de notre vie et notre sécurité, pas seulement pour maintenant mais aussi pour la période où nos enfants seront adultes. Tous cela, ce sont des buts dans lesquels tous les partis devraient en fait reconnaître une part d'eux-mêmes...

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1:12



Elle ne va sans doute pas passer, l'initiative 1:12 lancée par les jeunes socialistes. En tout cas, malgré des efforts très originaux pour convaincre de la part des initiants, les sondages la donnent perdante.


Malgré tout, je ne résiste pas à saisir l'occasion pour vous remontrer la vidéo qui ouvre ce message. Je vous en avais déjà parlé. Richard Wilkinson y détaille, clairement et tranquillement, les effets que les inégalités sociales ont sur les sociétés. Au fil des données, c'est un autre regard sur nos débats politiques du moment qui se dessine. Car avec l'augmentation des inégalités, c'est aussi l'insécurité qui avance. Les sociétés plus inégales ont plus de crime. Moins de confiance. Elles punissent plus sévèrement. Leurs prisons sont plus pleines. Côté santé, leur espérance de vie est plus courte, leur santé mentale moins bonne. Une société plus égalitaire (pas totalement égalitaire, plus égalitaire) c'est une société où, pour beaucoup de raisons, on vit mieux.

Une autre chose que montrent les chiffres de Wilkinson est que ce résultat est le même quel que soit le chemin par lequel on y parvient. Certaines sociétés 'fabriquent' plus d'égalité en limitant les écarts de revenus, d'autres en taxant progressivement plus les revenus de plus en plus élevés. Les unes et les autres en tirent les mêmes effets positifs. Certaines sociétés ne 'fabriquent' pas plus d'égalité, et elles s'en sortent moins bien.

Une fois qu'on a compris ça, on doit admettre que cela peut être du ressort d'un état de vouloir limiter les inégalités. Un des arguments souvent entendus, que limiter les écarts est une limite à la liberté personnelle des employeurs, est vrai. Sauf que l'état a parfaitement le droit de limiter la liberté des employeurs au nom de la protection de tiers. On n'a pas le droit de demander à son employé d'amener aussi travailler son enfant. On n'a pas non plus le droit de polluer n'importe comment, même si dans ce cas les personnes protégées sont moins faciles à identifier. Limiter les inégalités dans une société ressemble à ce deuxième exemple. Cherchez la victime, elle ne sera pas directe. Comment identifier quelle victime de cambriolage, ou d'infarctus, aurait été épargnée si nos sociétés étaient plus égalitaires? Passé un certain écart, ces victimes, existent pourtant bel et bien. Limiter les inégalités protège des tiers, et c'est là une des raisons qu'on admet comme acceptable pour mettre des limites à la liberté des personnes.

Alors, en Suisse, où en est-on? Côté inégalités de revenus, nous ne sommes pas au niveau des Etats-Unis. Encore moins, évidemment, au niveau des inégalités qui existe si on regarde la planète dans son ensemble. Non, en Suisse, si on nous compare avec d'autres pays de l'OCDE, on est à peu près au milieu. Un constat que plusieurs sources confirment.

Si on regarde de plus près on constate cela dit que les inégalités, comme pas mal de choses, cela varie selon les cantons. Dans cette petite animation vous pouvez sélectionner le vôtre à droite dans la liste, puis appuyer sur 'play' pour faire défiler le temps: plus la boule se déplace vers la droite, plus les revenus sont inégaux.

Ensuite, il semble que l'on arrive à des résultats différents selon les comparaisons que l'on fait. Par exemple, un chercheur publiait l'an dernier que "De 1998 à 2008, la part de revenus des 1% les plus riches par exemple a augmenté de 32%, celle des 50% les moins riches a baissé de 4%."
En calculant autrement, "Les revenus du 10e décile sont 72 fois plus importants que ceux du 1er décile." Mais c'est le revenu après les impôts qui compte, si on suit Wilkinson. Sur ce plan, l'Office fédéral de la statistique nous rassure en indiquant que le rapport entre le revenu disponible (ce qui vous reste après les impôts, les contributions sociales, les primes d'assurance et les pensions alimentaires) n'est que de 4.4 si on compare les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres: nettement moins que le rapport demandé par l'initiative. Si on regarde les données du rapport complet, en revanche, on constate que le point le plus élevé de la courbe du revenu disponible est à plus de 12'000.- par mois, et le point le plus bas à ... -1000.- par mois (c'est à la page 20 pour les curieux). Un rapport nettement plus grand, donc, même en tenant compte des impôts.

Tout ça, ça donne à l'arrivée un niveau vivable? Un peu plus, un peu moins, d'insécurité, de confiance mutuelle, de criminalité? Et à quel prix? Désaccords vénérables que tout cela. Ici, les avis vont certainement diverger. Mais en tout cas voilà un sujet dont on n'aura pas fini de parler dans dix jours.

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Avastin: et maintenant, quoi?

Un cas fascinant, l'histoire de l'Avastin et du Lucentis. Un mot de résumé d'abord. A l'origine, deux médicaments chimiquement très proches. L'un (le Lucentis) est dérivé de l'autre (l'Avastin). L'Avastin est un anticancéreux, qui se trouve également être actif contre la dégénérescence maculaire de la rétine (DMLA, car cette Dégénérescence Maculaire est aussi Liée à l'Age). On s'en rend compte autour de 2005. Le fabricant, Roche, développe alors le Lucentis, une molécule très proche et également active contre la  DMLA. En Europe, Roche s'allie à Novartis et lui confie la vente du Lucentis. Cette molécule arrive sur le marché. Détail: elle coûte 40 à 50 fois plus cher que l'Avastin.

On en parle. En 2008, une patiente dont le médecin lui avait administré l'Avastin contre une DMLA se voit refuser le remboursement, au motif que cette indication n'est pas enregistrée en Suisse. Le vice-directeur d'Assura tape alors sur la table: "La firme Roche parvient à élaborer gratuitement et franco une substance bon marché qui est efficace pour traiter une grave maladie des yeux. Au lieu d'en faire directement bénéficier les patients, elle modifie quelque chose à la substance pour pouvoir lui donner un nouveau nom, et ensuite, elle lui fixe un prix quarante fois plus élevé. Pour que cette pratique ne se remarque pas, elle en donne la licence à une firme concurrente pour la commercialisation. C'est un scandale."   Le prix du Lucentis fait l'objet de négociations et baisse. Il n'est à présent 'plus que' de 10x celui de l'Avastin en Suisse. Mais sur le problème subsiste.

Et maintenant? La Cour de justice européenne a décidé d'autoriser l'Avastin contre la DMLA. En Suisse, cependant, on ne pense pas suivre. Trois arguments sont sur la table:

1) L'Avastin n'est pas disponible dans une préparation adaptée pour le traitement de la DMLA, et doit être reconditionné pour cette indication. C'est cela dit une manipulation que les pharmaciens doivent être en mesure de faire, dans certaines conditions en tout cas. On peut donc s'imaginer décrire ces conditions et ces exigences. Pour surmonter cet obstacle il n'est point besoin de convaincre le fabricant de faire la modification.

2) Au départ c'est le Lucentis, et non l'Avastin, qui a fait l'objet des études cliniques pour la sécurité et l'efficacité dans la DMLA. Ce n'est pas surprenant, car tant que ce sont les fabricants qui font ces études il n'y a pas de raison de s'attendre à ce qu'ils financent des études qui seraient contraires à leurs intérêts. Pour ça, il y a le financement public de la recherche. C'est donc les National Institutes of Health américains qui ont fait l'étude d'équivalence de l'Avastin et du Lucentis. Les résultats sont bons: les deux molécules sont effectivement équivalentes. Cet argument devrait donc désormais tomber.

3) Le Lucentis est enregistré sur le marché suisse contre la DMLA, l'Avastin non. Normalement, ce sont les fabricants qui déposent ces demandes. Comme pour les études cliniques, cela dit, il n'y a pas de raisons de s'attendre à ce qu'ils le fassent contre leur propre intérêt. Pour que quelqu'un le fasse, il faudrait un dépôt de demande par une institution dont le mandat ne serait pas le profit du fabricant, mais quelque chose qui ressemble davantage au bien commun: l'intérêt des patients et des assurés de notre système de santé.

Classiquement, c'est pour ce genre de chose que nous nous dotons d'institutions publiques. Mais en Suisse on peut aussi imaginer que les assureurs le fassent. Ou une association de patients. Les uns et les autres manquent certainement d'habitude, cela dit, et pourraient avoir des difficultés à rassembler les documents nécessaires. Alors, qui cela va-t-il être? Avastin, donc: et maintenant quoi? Cette histoire est une très belle loupe posée sur nos institutions...

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Billet d'invité: Diagnostic préimplantatoire

Le diagnostic préimplantatoire est un sujet qui revient régulièrement. Je vous en avais déjà parlé par exemple ici, ici, et ici. Et vous savez aussi qu'un changement de loi est discuté ces temps dans notre pays. Sur ce dossier, qui semblait tout programmé pour réaffirmer le status quo, voilà qu'un changement pourrait se profiler. Un grand merci à Alex Mauron de nous faire un billet d'invité:

Le diagnostic préimplantatoire (PID): voilà un serpent de mer bioéthique d’une rare longévité dans notre pays. Ce blog s’est fait plusieurs fois l’écho des controverses concernant cette technique de diagnostic génétique précoce qui porte sur des embryons obtenus par fécondation in vitro. On sait que le DPI est interdit en Suisse, mais qu’il y a depuis pas mal d’années un consensus majoritaire dans les milieux médicaux et politiques pour l’autoriser sous conditions. En juin dernier, le Conseil fédéral avait proposé de lever l’interdiction et formulé un projet de règlementation très restrictif. Ce qui faisait problème, c’est principalement la limitation portant sur le nombre maximum d’embryons qu’il serait permis d’obtenir et de tester, ce nombre étant fixé à huit par cycle. C’était rendre tout la procédure très difficile, voire éthiquement discutable, au vu de la qualité dégradée du service ainsi proposé. C’était somme toute une façon habile de botter en touche et de cesser d’interdire le DPI sans l’autoriser vraiment.

Or une Commission parlementaire vient de jeter un pavé dans la mare. La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des États propose une réglementation du DPI plus ouverte sur deux points cruciaux. Le premier est justement l’abolition de la limite portant sur le nombre d’embryons. Le second est l’autorisation du dépistage d’aneuploïdie des embryons par le moyen du DPI. Pour la première fois, une proposition réaliste de légalisation du DPI est sur la table et il faut saluer le courage politique de le Commission, qui ne lui vaudra pas que des amis. Le second point, à savoir la question du dépistage d’aneuploïdie, n’est pas moins importante mais moins souvent évoquée. Le DPI « classique », celui qui a alimenté les discussions depuis vingt ans, vise le diagnostic d’une anomalie de tel ou tel gène particulier, associée à une maladie dite « mendélienne » d’ores et déjà présente dans la famille et que le couple souhaite éviter à sa progéniture. Ce DPI-ci s’adresse à un nombre restreint de couples, précisément parce qu’il présuppose une histoire clinique bien particulière. Le dépistage d’aneuploïdie, lorsqu’il sera réellement au point, visera une toute autre finalité. En effet, il cherche à identifier les embryons atteints de défauts chromosomiques majeurs, généralement incompatibles avec le développement de l’embryon au-delà des premiers stades. Or on estime que ces défauts fréquents contribuent à abaisser le taux de succès de la fécondation in vitro. Ce dépistage n’est donc pas un diagnostic génétique au sens strict mais plutôt une étape intermédiaire de la fécondation in vitro, destinée à améliorer les chances d’obtenir un embryon viable et une grossesse menée à terme. Il pourrait donc un jour faire partie intégrante d’un protocole normal de fécondation in vitro, pertinent pour une bonne partie des couples en traitement pour infertilité. Le champ d’application potentiel de ce DPI « nouvelle manière » est donc bien plus grand et les problèmes d’éthique soulevés en partie différents. On ne sait pas à ce stade laquelle des technologies en lice - principalement issues des progrès de la génomique - s’imposera en définitive pour le dépistage d’aneuploïdie, mais on peut parier que cette technique figurera en bonne place des méthodes de traitement de l’infertilité dans un proche avenir.

La majestueuse lenteur avec laquelle la politique suisse digère la question du DPI a fait que cette technique aura eu le temps de changer assez radicalement de nature. La leçon à en tirer ? Le traitement des questions bioéthiques, ce n’est pas le dessin d’académie. On ne peut pas demander aux technologies controversées de prendre la pose indéfiniment, jusqu’à ce que philosophes, éthiciens, scientifiques, politiciens et leaders d’opinion aient concocté un compromis acceptable. Il nous faut une bioéthique qui fonctionne en temps réel.

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L'initiative...pour les familles plutôt riches

L'initiative des familles, proposée prochainement dans nos urnes par l'UDC, a l'air toute simple en surface. Le texte intégral tiendrait presqu'en deux lignes:

"Art. 129, al. 4 (nouveau)
4 Les parents qui gardent eux-mêmes leurs enfants doivent bénéficier d'une déduction fiscale au moins égale à celle accordée aux parents qui confient la garde de leurs enfants à des tiers."

Elle semble avoir de bonnes chances de passer, cette initiative. C'est peut-être parce que les personnes qui répondent aux sondage sont pour le moment encore mal informées. Mais cela pourrait aussi être un signe de quelque chose de plus inquiétant. Pourquoi? Deux mots d'explications.

D'abord, il faut comprendre que si elle passe cette initiative va surtout profiter à des familles plus aisées. Normal: c'est une déduction fiscale. Si vous gagnez plus, vous payez plus d'impôts, donc en général une déduction vous économisera davantage. Une partie du soutien à l'initiative pourrait venir de l'idée qu'on va enfin faire quelque chose pour soulager un peu des familles dans le besoin. Sauf que...ce n'est du tout de ça qu'il s'agit ici. Si vous avez vraiment des difficultés à boucler vos fins de mois, vous économiserez peu. Peut-être même rien du tout, si vous êtes exonéré de l'impôt fédéral. Et en tout cas vous économiserez nettement moins que des gens plus riches que vous.

De toute manière, cette initiative ne vous concerne sans doute même pas. Car pour pouvoir être concerné il faut avoir le luxe (oui c'est souvent un luxe) de pouvoir vivre sur moins de deux salaires. Avec des enfants, il faut un revenu plus élevé que le minimum.

On ne vient donc pas en aide aux petites gens, ici, malgré le discours de surface. Mais plutôt aux classes moyennes à élevées. Il y a un joli graphique très clair derrière ce lien. Cette initiative est un cadeau fiscal à des personnes plutôt aisées.

Alors oui, on a bien sûr aussi remarqué que ça donnait en plus un incitatif pour renvoyer les mères à la maison. Ce sera souvent vrai. D'autant plus que contrairement aux arguments des initiants, une famille qui garde elle-même ses enfants disposerait d'un revenu disponible plus élevé que celle qui ferait appel à une aide extérieure. Ca, oui c'est un problème. Mais bien plus que de la guerre des sexes, ce texte relève de la lutte des classes. Et c'est en fait là qu'il pourrait être véritablement inquiétant. Car en période de précarité, réelle ou ressentie, ce n'est pas seulement les femmes qu'on risque de vouloir renvoyer aux fourneaux. C'est la solidarité sociale qu'on peut avoir tendance à renvoyer au placard. On oublie malheureusement alors qu'elle est le moyen le plus efficace que l'on ait trouvé pour nous protéger, justement, de la précarité.

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Pas plus, mieux...

C'est de nouveau la saison de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. D'abord, un extrait et le lien:

"Cherchez des exemples d’innovation et vous trouverez beaucoup d’exemples de comment faire plus. Face à un problème, on ajoute : un autre médicament, une autre intervention, un autre test. Hors de la médecine un autre logiciel, une autre option à sa voiture, un autre formulaire à remplir, une autre fonction dans l’organigramme… Ajouter à ce qui existe déjà est notre manière d’améliorer la plupart des situations.

Souvent (suffisamment pour nous convaincre) ça marche. Mais combien pourrions-nous faire en remplaçant le but d’en faire plus par celui de faire mieux ? Hors de la médecine, cette logique gagne du terrain. La fumée des foyers domestiques est un risque majeur pour la santé des pays pauvres ? Amy Smith, une chercheuse du MIT, a développé des briquettes combustibles quasi sans fumée, que l’on peut fabriquer à la maison avec ses propres déchets agricoles, sans déboiser, et vendre pour arrondir ses fins de mois. L’EPFL a lancé l’an dernier le programme Essential tech pour développer des technologies utilisables là où les besoins sont les plus grands et les ressources les plus rares. Des paramètres dignes des meilleurs ingénieurs. Et celui ou celle qui inventera l’échographie portative à énergie solaire trouvera certainement des applications partout dans le monde.

Cette idée que la simplification puisse être un défi intellectuel plutôt qu’un renoncement, une orientation de recherche plutôt qu’une «simple» affaire de bon sens, fait évidemment aussi son chemin en médecine."

Ensuite, une précision: cette logique de remplacer plus par mieux, de remplacer la 'simple' croissance par de l'intelligence, elle s'appliquerait sans doute tout autour de vous à tout ce qui, finalement, progresse ou avance. Comme l'indique cette jolie petite vidéo, en théorie ça pourrait presque être simple. Cela voudrait dire arrêter de se demander comme les enfants 'on arrive quand?' pour commencer à se demander (comme les adultes) 'on va où?'. Mais en pratique évidemment, que de choses à changer pour y parvenir...

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Et si on démocratisait les OGM? (4)

Voilà, c'est le dernier chapitre de ma partie du débat paru dans Moins! sur les organismes génétiquement modifiés. Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, puis la deuxième, puis la troisième, voici maintenant la dernière.

A point nommé pour vous en parler, on a rediscuté la semaine passée du riz doré. A point nommé car il s'agissait de savoir si l'ONG Greenpeace, qui s'oppose tous azimut aux OGM, allait ou non nuancer sa position. Car d'une part la science a fait beaucoup de progrès en matière de modifications génétique et permet désormais une technologie nettement plus précise et mieux contrôlée. D'autre part, c'est de plus en plus clairement démontré que le riz doré, un riz biologiquement enrichi en beta carotène, le précurseur de la vitamine A, pourrait sauver des millions de personnes par années de la mort ou de la cécité. Faucher les champs où on le teste, vu comme ça cela paraît carrément indécent.

Cette discussion illustre très bien la question qui fermait le débat paru dans Moins!: car il s'agissait justement d'examiner les conditions dans lesquelles une position sur les OGM devrait, ou non, changer. La question posée était la suivante: Dans le domaine des plantes génétiquement modifiées, les positions sont généralement très tranchées entre les défenseurs et les détracteurs. Chaque camp cite les études qui lui conviennent, études qui semblent souvent totalement contradictoires. Comment expliquer cette polarisation radicale ainsi que l'instrumentalisation de la science, qui n'en sort pas grandie?

"Les êtres humains croient plus facilement ce qui conforte leurs convictions. La démarche scientifique existe justement pour dépasser cette tendance. C’est une démarche extraordinairement exigeante d’examen critique des observations. Si vous faites partie d’un "camp" et que rien ne peut vous faire changer d'avis, alors ce que vous faites n’est pas de la science. Les opposants écologistes aux OGM sont ici dans une situation inconfortable, et certains s’en rendent d’ailleurs compte: la même démarche scientifique conclut que la modification génétique des plantes peut être sûre, et aussi que le réchauffement climatique d'origine humaine est réel. Alors ensuite, soit cette démarche est fiable, soit elle ne l’est pas! En s’opposant aux climato-sceptiques, certains ont dû réexaminer des arguments qu’ils avaient eux-mêmes utilisés en s’opposant radicalement aux OGM: en comprenant mieux comment la science se fait, y compris dans ce domaine, ils ont changé d’avis sur le génie génétique. Là, la science en sort grandie, et eux aussi."

La démarche scientifique, si on l'enseigne suffisamment pour que tous puissent comprendre comment elle marche, c'est un magnifique outil de démocratisation des connaissances. Vous ne savez pas si une observation est crédible ou pas? On vous explique comment on l'a faite, chacun peut la lire et la commenter, et vous pouvez ainsi comprendre par vous-même. Bien sûr, c'est difficile. Exigeant, plutôt. Ca mérite un effort de part et d'autre. Pour expliquer plus clairement, et aussi pour mieux comprendre. Il faut apprendre à faire le tri entre l'information réelle et toute une série de dénismes. Malgré tout cela la démarche scientifique laisse à chacun le choix: si je veux apprendre comment ça marche le génie génétique, comment on sait si les OGM sont sûrs, je peux le faire.

Je vous en parlais au sujet du PNR 59. Le Fonds National Suisse a récemment mis en ligne une trentaine d'études financées par des deniers publics en dans notre pays sur cinq ans ainsi qu'une revue internationale de la littérature disponible. Les résultats ont été résumés pour que tout un chacun puisse y avoir accès, et sont bien sûr également disponibles en français. Vous trouverez tout ça ici. 

Alors maintenant, des organisations comme Greenpeace sont prises dans la contradiction. La science: fiable ou pas fiable? La lutte: contre le réchauffement climatique ou contre les OGM? Dans des paysages comme celui qui ouvre ce billet, va-t-on planter des récoltes résistantes à la sécheresse ou 'planter' du désert? Pour qui souhaite un minimum de cohérence, il va falloir choisir...

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Mes collègues: le checkpoint de Lampedusa

Il écrit décidément très bien, Nicolas Tavaglione. Cette fois, c'est un billet d'une clarté dérangeante dans Le Courrier sur les 300 morts du naufrage du 3 octobre à Lampedusa. Pour une fois, plusieurs extraits avec le lien car cela mérite un peu de développement. Mais surtout allez le lire. Son article est ici.

Face à un tel drame, comment réagir? On a vu dans la presse de l'indignation, bien sûr. Mais il y eut aussi réactions lénifiantes:

Les cadavres étaient de jeunes gens pleins d’espoir. C’étaient des damnés de la Terre matraqués de «déboires, privations, maladies, violences des tyrans, mort des proches». Ils étaient tombés entre les griffes de «passeurs avides». Enfin, «ils venaient chez nous». On pense d’abord que la chroniqueuse exprime une émotion presque romanesque: mon dieu, nos invités sont morts en chemin – et dire qu’il n’y a pas trente minutes, je les avais au téléphone. Et on se trompe. Car le problème, c’est précisément qu’ils n’étaient pas invités: «Il nous est impossible de rester indifférents car nous savons que nous ne pouvons les accueillir, quand bien même nous le souhaiterions.»

Aaah, c'était des 'réfugiés économiques'? Circulez, il n'y a rien à faire...

Sauf que non:
"on sait que la misère «économique» a des causes politiques. La situation désastreuse de maint pays du Sud est le fruit de l’oppression et de la corruption domestiques – conformément à la logique de la faim exposée par Amartya Sen, Prix Nobel d’économie: les famines surviennent pour la plupart dans des Etats non démocratiques dont les dirigeants confisquent les richesses et, faute de contrôle populaire, n’ont aucune incitation à travailler pour satisfaire les besoins de leurs administrés. La situation désastreuse de maint pays du Sud est également le fruit de la domination internationale: rappelons-nous les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI dès les années 1980 aux nations endettées du tiers monde. Comme le rappelle l’anthropologue David Graeber dans sa corrosive histoire de la dette, il s’agissait là d’imposer des sacrifices à des populations innocentes au nom du remboursement de dettes contractées par des dictateurs – pour le plus grand profit des banques du Nord. Prétendre discerner clairement l’économique du politique dans cet embrouillamini, voilà qui tient de l’exploit mystique. "

Voilà qui mérite d'être répété: les personnes qui sont mortes à Lampedusa fuyaient les effets de politiques qui leur ôtaient l'espoir d'une vie digne, parfois d'une vie tout court. La question n'est donc pas d'abord 'doit-on les accueillir', mais plutôt 'comment cesser de soutenir ces politiques'...Car en plus, il s'agit nettement trop souvent de nos politiques.

Un autre philosophe, l'allemand-américain Thomas Pogge, a très bien décrit ça. Les inégalités du monde actuel comportent des injustices manifestes, mais on n'admets habituellement pas que nous, les habitants actuels des pays riches, puissent en être responsables. Les causes, c'est des acteurs locaux, des gouvernements inadéquats, ou alors des générations passées mais comment nous tenir pour responsables des actes des contemporains de nos grand-parents?

Sauf qu'il y a un hic. Trois hics, en fait. Tout d’abord, même si le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté mondial est immense –plus d’un milliard de personnes selon la Banque Mondiale- les inégalités matérielles sont désormais tellement grandes que doubler ou tripler le revenu de toutes ces personnes par une redistribution directe ne serait même pas vraiment ressenti dans les pays riches. Y remédier n’est donc pas disproportionnellement exigeant.

Ensuite, même en admettant qu’il soit possible de refuser en quelque sorte l’héritage historique des crimes passés qui sont à l'origine d'une partie des inégalités présentes, il est incohérent de prétendre le faire tout en continuant de jouir des avantages qu'on en retire. Ce serait vouloir prendre dans un héritage seulement les biens et pas les dettes. « Comment pouvons-nous accepter et défendre par la force les grand avantages de naissance qu’un processus historique injuste nous a arbitrairement octroyés sans aborder aussi les privations sévères que ce même processus injuste a arbitrairement imposé à d’autres ? »

Finalement, les règles actuelles qui régissent l’ordre international sont clairement du ressort de notre génération. Et bien sûr certaines de ces règles défavorisent activement les populations les moins bien loties de la planète. Il ne s’agit donc plus de savoir s’il est obligatoire ou simplement louable d’apporter une aide aux plus démunis. Il s'agit de s'abstenir de nuire. Et ça, ce n'est pas une question de charité ni une question de contrôle des frontières. C'est une question de morale beaucoup plus simple, ça, l'interdit de faire du mal à autrui.

Des exemples? Le plus frappant de ceux qui sont cités par Pogge est celui-ci: considérer un prêt aux dirigeants comme un prêt au pays, même lorsque le pouvoir a été saisi par la force et que l’argent n’est pas investi pour la collectivité, rend la ‘carrière’ de putschiste extraordinairement lucrative. C’est doublement au détriment de la population qui se verra d’une part affaiblie par une dette extérieure sans jamais avoir bénéficié du prêt, et verra d’autre part son pays devenir une proie attirante pour les prises de pouvoir par la force, et ainsi une zone de guerres civiles. Un autre exemple est le champ libre que nos règles laissent à des entreprises qui oeuvrent, sans surveillance et parfois au mépris des droits humains, dans des pays où les protections des personnes sont inexistantes.

Que des personnes fuyent ces situations par milliers, est-ce si surprenant? Et face au verrouillage de nos frontières, que certaines périssent est-ce si surprenant? Entre 1961 et 1989, 99 fugitifs d'Europe de l'est ont été abattus ou sont morts accidentellement en tentant de passer la frontière berlinoise, le fameux Mur de Berlin. "Depuis les années 1990, près de 20 000 personnes ont perdu la vie en tentant de rallier les États membres de l'Union". Face à un tel drame, donc, comment réagir? En regardant au-dela des questions de contrôle des frontières. Ces personnes n'arrivent pas par hasard à nos portes. Ce n'est pas la faute à pas de chance. C'est le résultat de décisions que nous acceptons, un tant soit peu, d'entretenir...

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Les mots de la science

Nos conversations sont pleines de mots scientifiques. Non, vraiment. Je ne veux pas parler de jargon, d'acide acétylsalicylique (vous vous rappelez les Inconnus?). Non, je veux parler des termes qu'on utilise dans le langage courant, mais qui ont un sens plus précis -ou différent- quand ils sont utilisés dans un contexte scientifique. Du coup, on a l'impression de les comprendre. Après tout, on les connait. Mais quand on parle de science, souvent en fait on ne les comprend pas vraiment. Ces mots, ils sont intéressants. Justement à cause des malentendus qu'ils peuvent causer, ils révèlent certaines des incompréhension qui tournent autour de la démarche scientifique tel qu'elle est comprise, ou pas, par des non scientifiques.

C'est donc très utiles quand quelqu'un les recense, et la très sérieuse revue Scientific American (la version anglophone de Pour la Science) l'a fait il y a quelques temps. Sept mots, et autant d'éclaircissements qui seront du rappel pour pas mal d'entre vous, mais sur lesquels ça peut être utile d'insister. L'original est ici.

Voilà la version courte et traduite:

1. Hypothèse: ce n'est pas une supposition, si intelligente et éduquée soit-elle. C'est une explication proposée pour quelque chose que l'on peut tester.

2. Théorie: ce n'est pas une idée théorique. C'est une explication d'une partie du monde naturel qui a été confirmée par la convergence d'expériences nombreuses et d'observations répétées. Une très bonne vidéo qui explique ça (en anglais malheureusement, mais à quand des sous-titres) est ici.

3. Modèle: ce n'est pas une voiture (ou un système solaire) en miniature. C'est...des choses différentes dans des sciences différentes. Parfois, le langage scientifique ne contribue pas à sa propre compréhension!

4. Sceptique: on décrit souvent ainsi des personnes qui n'acceptent pas un fait, ou une théorie. Par exemple, on utilise le terme 'climatosceptique' pour désigner les personnes qui ne croient pas que le réchauffement climatique est réel, ou que les humains le causent. Mais le terme sceptique n'est pas juste, ici. En fait, il a deux sens différents, dont un seul est utilisé en sciences. Le premier, philosophique, est une position selon laquelle il n'y a rien de certain. Le second qualifie les personnes qui doutent de ce qui n'est pas prouvé de manière incontestable. Dans ce second sens, un sceptique est donc ouvert aux observations et aux données scientifiques, et prêt à ré-évaluer ses conclusions en en tenant compte. Cela ne désigne donc pas quelqu'un qui ne croirait fondamentalement pas en un phénomène. Dans ce second sens, donc, c'est la posture scientifique par exellence. Carl Sagan aimait dire que tous les scientifiques doivent être sceptiques. C'est le mécanisme par lequel la science se corrige continuellement, et finalement celui par lequel elle progresse. Quelqu'un qui refuse fondamentalement une position, quelles que soient les données qui viennent la démontrer? C'est un déniste pas un sceptique.

5. L'inné et l'acquis: on les oppose habituellement dans le langage courant, comme si un phénomène devait être soit inné soit acquis. Mais en termes scientifique on sait qu'ils interagissent tout le temps et que l'on ne peut pas les opposer comme ça. Des facteurs environnementaux influencent l'expression de nos gènes, parfois de manière héritable. Et on ne peut même pas déterminer 'une fois pour toutes' la part de l'un et de l'autre. Un exemple classique: la taille à l'âge adulte. Prenez une population dont l'environnement est stable depuis quelques temps. Disons, l'américain moyen. (J'ai dit 'stable' pas 'bon pour la santé'). Mesurez la taille des adultes et celle de leurs parents à leur âge, et vous constaterez que c'est la taille des parents qui est le meilleur prédicteur de la taille de leurs enfants une fois adultes. Donc, c'est génétique. Mesurez maintenant la même chose chez les enfants d'immigrés, nés aux Etats-Unis de parents qui ont grandi au Vietnam, par exemple. Vous constaterez qu'il n'y a plus de lien entre la taille des parents et celle des enfants. Ces derniers sont nettement plus grands, le résultat d'une alimentation plus abondante dans l'enfance. Donc, c'est environnemental. Inné ou acquis? Les deux, bien sûr.

6. Significatif: en termes scientifiques, ça ne veut pas dire 'important'. Ca veut dire 'très probablement pas dû au hasard'.

7. Naturel: dans le langage courant on s'en sert souvent pour dire 'bon', 'bon pour la santé', ou même 'vertueux'. Naturel est un terme pour lequel il y a de nouveau plusieurs définitions, dans les sciences aussi. Les deux plus importantes sont 'qui est le propre du monde physique' (le contraire ici est 'surnaturel'); et 'qui n'est pas le résultat de l'action humaine' (le contraire ici est 'artificiel'). Mais vous avez vu: ces définitions n'ont rien à voir avec ce qui est bien ou mal. Mais comme disent les auteurs de l'article, 'l'uranium est naturel et si vous vous en injectez assez, vous allez mourir'.

Vous je ne sais pas, mais moi je suis à chaque fois très reconnaissante quand ce genre de chose est clarifiée...

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Don vivant d'organes: un très bon reportage

Vous avez vu le reportage que Temps Présent a diffusé cette semaine sur le don vivant d'organes? Il est vraiment excellent. Le don vivant est un sujet très dense. Un exercice à la fois magnifique et parfois périlleux,  qui pose plusieurs difficultés à la fois techniques et éthiques.  Comment choisir de donner un rein ou un lobe du foie? Comment choisir de ne pas le faire? Comment s'assurer, dans l'entrecroisement de relations humaines, qu'on évite l'exploitation des uns par les autres, qu'on permet les expressions de générosité? Un sujet difficile, traité jusqu'au bout de ces nuances l'autre jour. Si vous ne l'avez pas vu, vous pouvez rattraper ça ici sur le site web de la RTS.

Une note en bas de page cependant. Le reportage mentionne que la promotion du don d'organe est interdite en Suisse, pour le déplorer. Il y a un hic, ici: ce n'est pas vrai. Ce n'est pas la faute des journalistes, ils se sont trompés de bonne foi. Cette information, plein de personnes en Suisse la croient vraie. Du coup, nous avons des décisions sur la promotion du don d'organes qui se fondent sur l'idée qu'elle est interdite, ou au moins problématique sous l'angle légal. Comment ça se fait? J'avais posé la question il y a trois ans à Mélanie Mader, une jeune juriste devenue spécialiste de la question, et sa réponse avait été publiée dans notre revue de bioéthique Bioethica Forum. Le lien est ici, mais je vous résume les points principaux.

Tout commence en 1997, pendant la préparation de la Loi sur la transplantation d'organes. Le Conseil Fédéral s'exprime alors dans un message en faveur de la promotion du don d'organes: "[l]es receveurs en attente d'un organe sont toujours aussi nombreux et personne ne conteste la nécessité d'augmenter le nombre d'organes disponibles. La promotion du don d'organe revêt donc une grande importance". L'avant-projet de la loi intègre cette notion et fait de la promotion du don d'organes un des buts de la loi. En 2001, lors de la rédaction de la loi, on abandonne la promotion. Le Conseil Fédéral explique dans un autre message que «s’agissant du don d’organes, l’Etat ne doit pas faire de prosélytisme. Il est tenu de respecter la liberté de tout un chacun. Dans ces conditions, il serait déplacé qu’il s’engage dans la promotion du don d’organes ». C'est là dessus que se base l'idée que la promotion est interdite.

Il y a cependant plusieurs problèmes. Le premier, c'est que normalement pour interdire quelque chose cette chose doit être...interdite. Ici, en fait il ne s'agit pas de cela. La promotion du don d'organes n'est pas obligatoire, on y a renoncé. Comme on y a renoncé pour des raisons explicites, on conclut qu'il ne faut pas le faire. Mais cela revient à conclure que ce qui n'est pas obligatoire est interdit. On aurait pu, en 2001, interdire explicitement la promotion du don d'organes. Si on ne l'a pas fait, c'est certainement qu'on avait là aussi de bonnes raisons.

Le deuxième, c'est que ce message du Conseil Fédéral n'est pas le dernier mot sur la loi sur la transplantation. Lors de sa discussion au parlement, les chambres ont modifié le projet qui leur était présenté pour inclure l'alinéa suivant: "(La présente loi doit) contribuer à ce que des organes [...] soient disponibles à des fins de transplantation". Les parlementaires se sont alors majoritairement exprimés en faveur de la promotion du don d'organes par l'état.

Le troisième, c'est qu'une information neutre de l'état dans un enjeu de santé public est ce que Mélanie Mader appelle une anomalie. "L’information en matière de santé publique a généralement un caractère incitatif, tendant à influencer le comportement de la population (bougez plus; fumez et buvez moins; utilisez un préservatif)." Il est normal qu'il en soit ainsi. Mais alors pourquoi cette neutralité face au don d'organes? Le projet de loi initiale prévoyait que l'information au public vise la promotion du don d'organes. La loi entrée en vigueur n'a plus cette exigence. Et le changement a été interprété comme imposant une information neutre, non incitative. Ici à nouveau, il semble que ce qui n'est pas obligatoire soit compris comme étant interdit...

Finalement, la Suisse a ratifié en 2009 le Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine du Conseil de l’Europe. Nous avons fait trois réserves, qui concernent justement le don vivant mais qui ne concernent pas la promotion du don. Or, l'article 19 prévoit que "Les Parties prennent toute mesure appropriée visant à favoriser le don d'organes et de tissus."

Nous nous sommes donc engagés par traité international à promouvoir le don d'organes. Notre loi nationale ne l'interdit pas, et nous l'avons reconnu en ne demandant pas de réserves sur ce point alors que nous l'avons fait sur d'autres points. Il nous restent des pratiques fondées sur l'idée que la promotion du don d'organes serait interdite. Mais ici les difficultés sont d'ordre pratique et non d'ordre légal.

Demeure un souci parfois exprimé: que la promotion du don d'organes par l'état empiète sur la liberté individuelle. Car bien sûr il nous reste, et il doit toujours nous rester, le respect du choix individuel. Mais la promotion du don d'organes ne modifie en rien la liberté de chacun de devenir ou non donneur. Cette liberté est protégée par la loi, tout à fait indépendamment du mode d'information, neutre ou incitatif, choisi par les autorités.

Ma limite comme toujours est que je ne suis pas juriste. Mais l'auteur dont je vous résume la réponse l'est. S'il y en a parmi vous qui voyez une erreur ici, dites-le nous! Mais il semblerait que cette petite phrase 'En Suisse, la promotion du don d'organe est interdite' soit désormais erronée. Et cette erreur-là a des conséquences.

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Plus de protections dans la recherche internationale

Cette semaine est paru un excellent dossier de la Déclaration de Berne sur les failles dans l'éthique de la recherche internationale. Ils ont vraiment bien fait leurs devoirs, je vous recommande la lecture de ce document. Leurs demandes se trouvent ici et ici, et il y a un rapport sur le rôle de Swissmedic pour la protection des personnes vulnérables ici. C'est un chapitre important, et la Suisse est concernée à trois titres.

Premièrement, nous sommes des utilisateurs de médicaments. De plus en plus souvent, ceux-ci sont testés dans le monde entier, y compris dans des pays où les protections sont lacunaires, et les circonstances de base fragilisantes. Des protections inadéquates augmentent le risque que les droits des personnes ne soient pas protégés dans la recherche. Trop souvent, ces droits ne sont effectivement pas assez bien protégés. Cela signifie que, trop souvent, nous utilisons des médicaments qui ont été testés au prix de dommages à nos semblables.

Deuxièmement, nous sommes un marché du médicament dans un pays riche, où les protections nous importent et où nous avons les moyens d'en vérifier l'application. Les instances d'enregistrement des médicament ont ici pour tâche de vérifier que toutes les règles ont été appliquées lors des essais cliniques avec des personnes. Nos instances auraient en théorie les moyens de se mettre en rapport avec leurs homologues dans d'autres pays pour connaître les conditions locales, obtenir des informations, et partager les compétences. Cela permettrait d'offrir de meilleures garanties que les médicaments mis sur le marché en Suisse n'ont pas été testés de manière problématique. Cela permettrait aussi de partager les informations, les normes et les techniques de la protection des participants humain de la recherche sur le plan international.

Troisièmement, nous sommes un des pays de l'industrie pharmaceutique. Lorsqu'un problème survient à l'autre bout du monde, nous sommes, pour cette raison aussi, tous un peu concernés.

Les problèmes mis en avant par ces rapports sont:

1) La fragilité du consentement éclairé.
2) L'utilisation de placebo sans nécessairement remplir les conditions qui le permettent.
3) L'absence de dédommagement en cas d'effets secondaire des substances testées.
4) Le manque de suivi, en particulier de respect des normes internationales de mise à disposition d'un traitement à la fin de l'étude s'il s'est avéré bénéfique.

Certains des points soulevés sont des manquements caractérisés. D'autres peuvent prêter à controverse, car certaines normes ne sont pas arrêtées dans ce domaine. Les propositions qui sont faites sont intelligentes, cela dit. Ce sont de bonnes idées, les appliquer protégerait mieux des gens très mal protégés, nous aurions les moyens de les appliquer, et nous y gagnerions. Alors, convaincu(e), pas convaincu(e)? Lisez les liens, et venez nous en parler dans les commentaires...

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Mes collègues: un bon commentaire sur un sujet difficile

Dominique Sprumont, un collègue juriste qui est professeur à l'Université de Neuchatel, a écrit dans Le Temps une remarquable analyse de l'affaire du meurtre de la sociothérapeute de La Pâquerette. Si ce n'est pas déjà fait, allez le lire. Ce genre d'analyse est difficile, et vraiment très importante. Si cette affaire suscite tant d'émotions, c'est que l'on voit bien qu'elle mobilise des enjeux qui doivent être parmi nos priorités. Mais comment les protéger, ces priorités? Pas si évident au fond. Et sous le coup de l'émotion c'est encore plus difficile, alors même que ces émotions sont là parce que c'est important. Comme d'habitude, un extrait et le lien:

"Les attaques récentes dont fait l’objet le monde de l’exécution des peines au sens large, que ce soit dans l’affaire Carlos ou celle de Fabrice A., voient les problèmes par le petit bout de la lorgnette. Notre droit pénal repose sur plusieurs piliers. La protection de la société contre les individus en fait partie. L’objectif de réinsérer ces mêmes personnes dans notre société également. Ces deux objectifs ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Le premier ne peut être atteint sans le second. En effet, notre système, avec la part importante qu’il offre aux mesures thérapeutiques, permet de limiter les risques de récidive de manière relativement efficace en comparaison internationale. Lorsqu’un drame se produit, personne ne peut rester indifférent. Il s’agit d’un échec aux conséquences dramatiques, surtout pour les victimes et leurs familles. Mais pensons aussi à toutes les victimes qui ne l’ont justement pas été grâce au système de prise en charge des criminels dans notre pays. Il ne faut pas oublier cette souffrance évitée avant de proposer un renforcement de la répression dans les prisons au détriment de la réinsertion."

Une des choses les plus importantes ici est de distinguer les mesures thérapeutiques et sanctionnelles. Les deux sont importantes, leurs acteurs respectifs doivent pouvoir travailler ensemble, leurs objectifs sont en partie les mêmes, mais elles sont différentes et doivent être reconnues comme telles. Un autre extrait:

"La pratique médicale et particulièrement psychiatrique en milieu carcéral est une tâche complexe qui demande non seulement de maîtriser les règles de l’art médical, mais aussi de savoir s’intégrer dans un monde de contraintes et de contrôle. Les médecins et les soignants ne sont pas sous les ordres des autorités pénitentiaires, mais ils doivent collaborer étroitement avec elles. Chacun prend ses propres responsabilités, tout autant importantes du point de vue de la société. Vouloir mettre ces deux partenaires dos à dos ne peut que compliquer une situation déjà complexe." 

Cette différence entre partenaires, on a trop souvent tendance à la gommer. Et ça c'est toujours une mauvaise idée. Pour toute une série de raisons. 


Une dérive imaginable est qu'à trop confier aux uns la tâches des autres, des lacunes peuvent apparaître. Il est donc crucial de s'en garder, pour continuer de faire bien l'une et l'autre de ces tâches. 

Une autre dérive possible: on observe de plus en plus une tendance à vouloir médicaliser le crime. C'est une autre manière de mélanger, à laquelle il faut aussi résister. Ce mélange mène à vouloir que le psychiatre soit l'expert de toutes les dangerosités, qu'elles soient ou non dues à une maladie mentale. Un rôle problématique, pour une profession experte en ce qui concerne la maladie mentale, mais pas en ce qui concerne toutes les formes de dangerosité. 

Et puis médicaliser le crime, ça peut être rassurant: ça permet de penser que chaque crime violent s'explique nécessairement par une maladie. Ca nous permet de penser que la personne qui a commit ce crime n'est, fondamentalement, pas comme moi. Pas seulement parce qu'elle aurait commis un acte que je me sais incapable de commettre, ce qui après tout est vrai, mais plus fondamentalement que ça: on en vient parfois à considérer que cette personne serait en quelque sorte en dehors de la communauté des humains. C'est dangereux. C'est vouloir traiter certains accusés avec justice, et d'autres par la seule vengeance (une très bonne analyse de l'avocat Philippe Currat se trouve derrière ce lien). En plus c'est faux. Triplement faux. Parce que les criminels sont des humains, parce que les personnes atteintes de maladies mentales sont des humains, et parce que les criminels ne sont pas tous atteints de maladies mentales. Et bien sûr, la plupart des personnes atteintes de maladies mentales ne commettront jamais de crimes, violents ou autres. Sous le coup des émotions, chacun pourra comprendre que l'on fasse des raccourcis un peu rapides. Mais une fois ce temps initial passé, il est important de refaire, autant que possible, la part des choses. Ceux qui nous le rappellent font un travail crucial, et qui n'est pas tout simple.

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Billet d'invité: Suicides au sommet

La maladie, qui souvent frappe au hasard, ne le fait pas toujours. Les circonstances dans lesquelles nous vivons, l'environnement dans lequel se déroule nos vies, et même les intérêts bien pensés d'autres personnes, peuvent tous avoir une influence sur notre santé. On en a reparlé ces temps autour des cas tragiques que sont les suicides dans le monde du travail. Alors d'un côté, que la pression croissante à la productivité puisse broyer des gens, voilà qui ne devrait pas nécessairement nous surprendre. Mais c'est aussi un paysage mental où il est difficile de penser clairement. Car le sujet est douloureux. Un remerciement tout particulier, donc, à Alex Mauron de nous refaire un billet d'invité:

Un mois après le suicide du directeur général de Swisscom, Carsten Schloter, c’est le directeur des finances du groupe d’assurances Zurich, Pierre Wauthier, qui a choisi la mort volontaire le 26 août. Trois jours plus tard, le président du Conseil d’administration du groupe Zurich démissionnait, sur fond d’allégations de pressions qu’il aurait exercées sur son directeur financier et qui auraient joué un rôle dans ce drame.

Y compris lorsqu’elles atteignent des personnages publics, de telles tragédies personnelles appellent d’abord la compassion et la discrétion. Le silence plutôt que le bavardage. Mais la société du spectacle étant ce qu’elle est, on peut compter sur les médias pour y aller de leurs commentaires, plus ou moins pertinents et inspirés. Après le décès de Carsten Schloter, ceux-ci se partageaient entre l’éloge unanime, certainement mérité, les diagnostics posthumes des docteurs médiatiques sur les difficultés familiales et la dépression supposée du défunt, et enfin l’esquisse d’un discours victimaire. Selon un consultant en management interrogé par le quotidien zurichois Tages Anzeiger «les chefs de grandes entreprises sont observés en permanence, par les employés, la clientèle et la concurrence ainsi que par une presse hystérique. Ainsi, ils se soumettent à une autodiscipline permanente, au point qu’ils n’arrivent plus à se détendre dans les moments où ils ne sont pas sous les projecteurs. Et c’est alors qu’on devient vulnérable.». Suite au décès de Pierre Wauthier, le commentateur du Temps (30 août 2013) évoque « la fragilité de grands dirigeants que l’on croit habituellement revêtus d’une armure à toute épreuve ». Mais il évoque aussi la pression au travail et mentionne les suicides de Renault et France Télécom. Il est le seul à le faire, d’ailleurs.

Alors qu’en est-il ? Les grands patrons sont-ils les boucs émissaires d’une société du ressentiment, envieuse et voyeuriste ? Ou sont-ils, comme tout un chacun, vulnérables au stress sans cesse accru de la vie en régime hypercapitaliste ? Le malaise que suscitent ces réactions vient de leur cécité vis-à-vis de la réalité sociale qui sous-tend le suicide lié au travail. Certes, le stress et la pression ne sont pas vécus de la même façon chez les dirigeants d’entreprise et les salariés. Mais contrairement à ce que ces drames individuels surmédiatisés laissent entendre, le chemin qui mène de la pression insupportable au passage à l’acte suicidaire est bien plus court au bas de l’échelle sociale qu’au sommet. Et les données qui étayent ce constat existent. Elles sont assez détaillées au Royaume-Uni, depuis longtemps pionnier de l’épidémiologie sociale, à savoir l’étude des liens entre inégalités sociales, santé et longévité. Selon les chiffres colligés par l’Office des statistiques nationales britannique, la mortalité par suicide des salariés non qualifiés est de 3.6 fois supérieure à celles des cadres dirigeants et des professions libérales. En France, les données recueillies portent surtout sur le lien entre suicide et profession, sous l’angle de la médecine du travail. Les conclusions sont similaires : « Pour la tranche d’âge des 25-59 ans, le taux de mortalité standardisé par suicide est 4 fois plus élevé pour les agriculteurs exploitants et ouvriers comparé aux cadres et professions intellectuelles supérieures ». Le suicide ne se distingue donc pas des causes de morbidité et mortalité les plus communes, dont l’incidence est alignée sur l’échelle des catégories socioprofessionnelles. Et en Suisse ? Les données sont pauvres. Suicide et inégalités sociales sont un thème qui combine deux tabous, dont les second est particulièrement fort dans notre pays. Les drames récents pourraient-ils fournir l’occasion de nous ouvrir les yeux sur une réalité sociale dérangeante ?

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