Un Conseil d'éthique clinique près de chez vous

Peu de gens le savent en dehors de l'hôpital, mais nous y avons un Conseil d'éthique clinique. Les membres sont des professionnels de la santé, des juristes, des citoyens intéressés. Votre servante est leur consultante éthicienne. De plus en plus d'hôpitaux se dotent de structures de ce type. Celui de Genève a déjà presque 20 ans, et s'inscrit dans une évolution Suisse récemment décrite dans des recommandations de l'Académie Suisse des Sciences Médicales concernant le 'Soutien éthique en médecine'.
Les missions du CEC des Hôpitaux Universitaires de Genève incluent (entre autres, le reste est sur le site):


Ce Conseil d'éthique clinique genevois, celui qui pour certains d'entre vous est près de chez vous, vient de mettre sur son site internet plusieurs recommandations générales. Comme toutes les recommandations de ces conseils ou comités d'éthique clinique, ces recommandations sont consultatives. C'est-à-dire qu'elles n'ont pas de valeur contraignante: on est convaincu, ou non. Mais le but est d'aider à la réflexion. Si l'on n'est pas d'accord, on aura progressé dans sa réflexion si grâce à un avis argumenté on sait mieux pourquoi. Comme ces recommandations ne contiennent pas d'informations confidentielles, elles sont publiques.
L'une d'entre elles concerne 'Le rôle des proches dans les décisions thérapeutiques'. Elle est importante, parce que le statut légal des proches va changer avec le nouveau code civile. Elle est importante, surtout, parce qu'accompagner les proches d'une personne malade au travers d'un chemin difficile est délicat et crucial. La version courte, dans le résumé qui se trouve à la fin de la recommandation, est celle-ci:

Le CEC [Conseil d'éthique clinique] considère que l’importance d’intégrer les proches dans les décisions thérapeutiques mérite un effort particulier tant dans la pratique que dans la compréhension de leurs rôles, et ce tout particulièrement dans la préparation de l’entrée en vigueur du nouveau Code civil en 2013. 


1) La plupart des demandes émanant de proches de patients ne soulèvent pas de difficultés dans les soins. Il importe avant tout de maintenir la décision centrée sur la volonté et l’intérêt du patient, de chercher un consensus, et de tenir compte aussi des besoins des proches. 

2) Dans les cas où un tel consensus ne peut pas être atteint, et lorsque le patient est incapable de discernement, le cadre légal actuel est celui d’une prise de décision médicale assistée par les proches : ils sont les témoins de la volonté présumée du patient. Avec le nouveau code civil, on passera à un cadre légal de prise de décision des proches accompagnée par les soignants. Les indications médicales restent cependant du ressort du médecin. 

3) Intégrer les proches représente une extension du respect de l’autonomie du patient, car ils peuvent se faire les témoins de sa volonté, mais pas seulement : il s’agit aussi de respecter le rôle qu’ont les proches dans la vie du patient, de tenir compte de l’impact qu’aura toute décision sur eux, et du fardeau que peut représenter pour eux le fait de prendre une décision concernant leur proche. La loi actuelle et les changements prévus sont compatibles avec tous ces aspects. Notamment, il n’est pas prévu d’introduire d’obligation de représenter le patient pour des proches qui s’en estimeraient incapables ou qui tout simplement ne le souhaiteraient pas. 

4) Dans le cas où un patient refuserait l’inclusion d’un proche dans les décisions le concernant, ceci devrait être discuté lors de la rédaction de directives anticipées et exploré lors de discussions des préférences d’un patient y compris lors d’admissions en milieu hospitalier.

5) Il est important que les collaborateurs disposent de séances d’information et de formation sur le rôle des proches dans la décision thérapeutique, notamment concernant les modifications apportées par l’entrée en vigueur du nouveau Code civile.

Si cela vous intéresse, allez jeter un œil à la recommandation entière. Elle est derrière le lien de l'extrait. Ensuite, revenez nous dire ce que vous en pensez...

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Dépistage sanguin de la trisomie 21

Je vous avais parlé il y a quelques temps des enjeux éthiques du dépistage de la trisomie 21. Entre temps, on m'a demandé de donner une petite conférence avec des collègues qui expliquent, eux, les aspects techniques du nouveau dépistage sanguin.

Cela vous intéresse? Voici le lien de la première conférence sur l'histoire du dépistage, la deuxième sur le nouveau test sanguin, et finalement la mienne sur les enjeux éthiques. Et revenez pour nous dire dans les commentaires ce que vous en pensez...

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N'étions-nous pas pourtant d'accord de faire mieux?

On m'a demandé cet été de faire la préface d'un rapport sur l'asile et la médecine. Un truc de plus, que j'ai commencé par me dire, le doigt presque déjà parti en direction de la touche pour répondre aussi gentiment que possible que non, ma foi ce n'était pas l'intérêt qui manquait, mais vous comprenez il y a tant de choses à faire...

Et puis je me suis reprise juste à temps. Car les liens entre l'accès aux soins, les devoirs des soignants face aux personnes malades, et les politiques de l'accueil ou non dans notre communauté helvétique, en fait c'est passionnant. Et problématique. Et souvent appliqué avec confusion, injustice, et approximativement. Avec confusion et approximativement donc avec injustice, auraient peut-être dit les philosophes antiques.

Le rapport en question, en plus, gagne à être lu. Ce sont des cas concrets, comparés aux règles que l'on a, démocratiquement, décidé d'appliquer lorsqu'une personne ayant demandé l'asile en Suisse se trouve également être malade. Inconfortable, comme lecture, mais je vous la recommande. Vous trouverez le texte intégral ici, mais en attendant je vous mets ma préface:


Selon une position que l’on appellera ‘nationaliste’, seuls les résidents légaux d’un pays y ont droit à des soins de santé car ce droit présuppose le droit d’être sur place. Selon une position ‘humaniste’, toute personne malade a droit à des soins de santé du seul fait qu’elle en a besoin. La reconnaissance d’un ‘droit à la santé’relève de la seconde tradition, et les politiques d’asile restrictives envers les personnes malades de la première. Ce droit est consacré notamment dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, la Convention relative aux droits de l'enfants (1989) et sur le plan régional par la Charte sociale européenne (1961). La pratique en Suisse ? La lecture du rapport qui suit est inconfortable, au sens salutaire. Elle nous met face à nos tensions. D’abord, celle qui oppose les cliniciens et mandataires du terrain aux autorités du droit d’asile. Les premiers, confrontés quotidiennement à la souffrance humaine concrète, tendent à l’humanisme. Les autorités du droit d’asile, fondé sur le droit de contrôler les frontières et donc de réguler l’immigration, nettement moins. Cette tension n’est pourtant pas inévitable. Car au fil des récits qui suivent  on devine parmi les personnes frappées les employés, les voisins, les parents, les contribuables. Des personnes impliquées dans la coopération qui fonde notre vie en commun, nos structures collectives, notre prospérité. Des membres sociaux,donc, envers lesquels même le modèle nationaliste nous reconnaîtrait desobligations morales lorsqu’elles tombent malades.

La deuxième tension est pratique. Entre le modèle nationaliste et le modèle humaniste, notre pays semble avoir suivi sa tradition de compromis. Le désir de participer à la vie collective (être un membre social) et l’état de santé (modèle humaniste) comptent parmi les conditions permettant l’octroi d’un permis B humanitaire. Dans la pratique cependant, on évalue insuffisamment les possibilités concrètes de traitement, on ne tient pas compte d’avis d’experts : on finit par dresser des obstacles à l’application du droit en vigueur. Même lorsqu’un compromis semble juste en théorie, son application exige qu’on s’en donne les moyens.
Les tensions génèrent des méfiances. Rappelons-le donc: les médecins ne sont pas seulement –ni toujours- défenseurs de leurs patients. Ils sont les experts de l’une des conditions prévues par le droit d’asile, parmi les garants de son application juste, et ils doivent être entendus.
Les tensions font aussi des victimes, ici toute désignées. Si la vulnérabilité est le risque accru de subir un tort, alors la première vulnérabilité n’est pas ici le risque que le droit d’asile limite l’accès aux soins. C’est que les droits des personnes en matière d’asile –y compris celui de voir leur état de santé pris en compte- ne soient pas respectés.

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La liberté de pouvoir être en bonne santé

C'est l'heure de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. D'abord, je dois vous dire que je l'ai écrit avant la votation sur la fumée passive, et que vous me prenez donc ici en flagrant délit de pessimisme. J'étais d'autant plus dépitée que, pour une fois que l'on défend bec et ongles (nicotinés) la liberté des individus, on s'est basé à ce qu'il me semble sur une notion très pauvre et passablement confuse de cette valeur.

Car dans le contexte de la médecine, quelle sorte de liberté est digne d’être voulue ? L’absence de contraintes extérieures limitant nos choix ? Sans doute, mais encore? La possibilité de l’auto-détermination, qui peut impliquer que nous disposions de moyens pour être libres ? On a tendance à l'oublier. La régulation de la fumée passive est presque un cas d'école pour une distinction devenue classique entre liberté négative et liberté positive. La première est l'absence de contrainte. Dans le dessin qui ouvre ce billet, l'absence de coquille une fois que le poussin est sorti. La seconde désigne la possibilité de faire quelque chose. Celle-là, le poussin ne l'aura pas encore véritablement acquise simplement en sortant de l’œuf. Ses moyens resteront très clairement limités, avec ou sans la contrainte de la coquille. Si on revient à la fumée, défendre une liberté négative pourrait faire critiquer comme paternaliste l’interdiction de fumer dans les lieux publics, a fortiori l’interdiction de la publicité pour le tabac. Alors que défendre une liberté positive pourrait conduire à prôner ces mêmes mesures. 

Alors maintenant, comme d'habitude, un extrait et le lien (ici): 

Au fur et à mesure qu’elles accèdent aux biens matériels, les sociétés ont tendance à écarter des risques comme la sous-nutrition, la pollution des foyers domestiques, la qualité de l’eau et des sanitaires. Tant mieux. Mais elles ont tendance à les échanger contre les risques du tabac, la sédentarité, l’obésité, la pollution urbaine et ceux de la route et du travail. En d’autres termes, des facteurs très fortement liés au mode de vie. Liberté, serait-on tenté de clamer ici aussi. Chacun doit pouvoir faire ses choix y compris s’ils sont nocifs. Oui, bien sûr : comment défendre une vie de contraintes au nom de la santé ? Sauf que les comportements en question ne sont, disons, pas vraiment entièrement libres. La santé publique sous nos climats est en passe de devenir fondée sur ce que Galbraith appelait la «manufacture des besoins». Si un vendeur peut fabriquer le besoin pour son produit, c’est très bon pour lui. Si son produit est nocif, c’est évidemment moins bon pour son client, qui n’en aurait pas eu un tel besoin sans lui. Alors : suis-je encore libre de choisir si on me matraque de messages publicitaires, si on organise millimétriquement mon supermarché pour augmenter au maximum la probabilité de chacun de mes achats ? Fascinante question. Le même BMJ publiait cet été une attaque en règle de la publicité comme facteur dans ces «décisions» : menace pour la santé physique, pour la santé mentale, exacerbation d’inégalité, ciblage des enfants. Que faire dans tout cela de la liberté de pouvoir être en bonne santé ?


Que faire en effet? Commencer, peut-être, par la protéger un peu mieux justement...Mais pour cela, il va falloir commencer par se rendre compte qu'une fois sorti de l'oeuf, le poussin, si on lui conditionne le comportement eh bien il ne sera pas tellement plus libre qu'avant...

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