Glycémies dans la limite légale

Il y a, de plus en plus ces dernières années, une certaine rhétorique qui consiste à accuser les malades de leur maladie sous l'angle de la 'responsabilisation des patients'. Des guillemets sont de rigueur ici. Car des responsabilités pour notre santé, c'est pas que ça n'existe pas. Une part respectable de la santé publique consiste justement à nous rappeler que nous y pouvons quelque chose. Pas tout, mais quelque chose. Non, là où le bât blesse c'est quand cette rhétorique vise des situations dont les patients sont victimes plutôt que responsables. Et là, la Hongrie a le mois dernier frappé très fort. Car, "Pour réduire les dépenses de santé, le gouvernement a décidé de punir les diabétiques qui ne suivraient pas scrupuleusement leur régime en les privant d'accès aux meilleurs traitements subventionnés."

Rien que ça.

Pour comprendre combien cette décision est grave, quelques points. D'abord, le diabète est un très bon exemple de nos confusions autour de la responsabilité personnelle pour la santé. A première vue, la forme qui a tendance à débuter plutôt à l'âge adulte ressemble effectivement à un bon exemple de maladie dont on peut influencer le risque pour soi-même. Car il y a là beaucoup de liens avec l'hygiène de vie. Et donc avec des choix, pourrait-on être tentés de penser. C'est une maladie associée au surpoids, à l'alimentation, à l'exercice physique, des choses qu'on peut déterminer me direz-vous. Sauf que...c'est aussi une maladie liée au stress, à la possibilité matérielle de mener une vie saine, à la disponibilité d'aliments frais dans votre quartier (et c'est justement les quartiers défavorisés qui ont tendance à devenir des 'déserts verts'), à la dangerosité des environnements dans lesquels vous pourriez en théorie avoir une activité physique, au temps dont vous pouvez disposer à votre guise ou non...voilà qui est plus compliqué que prévu. Alors, est-ce bien un résultat de choix personnels, le diabète? Pas clair. Et je ne vous avais même pas encore dit qu'il y a une composante de risque génétique. Blâmer les malades? Pas si juste au fond...

Ensuite, bien sûr, prendre en charge correctement un diabète est une activité difficile et de longue durée. Pour ceux d'entre vous qui êtes au moins en partie anglophones, je vous recommande le récit de Sara Sklaroff sur le podcast Narrative matters du journal Health Affairs. Être diabétique, explique-t-elle, c'est un effort quotidien en plus de tous les efforts quotidiens que notre vie exige de nous. Blâmer ceux qui n'atteignent pas la perfection, c'est avoir envers eux des exigences que nous ne pourrions de loin pas tous atteindre. Pas très juste non plus, ça.

Mais la dernière raison pour laquelle la décision hongroise est grave est encore plus fondamentale. Car la médecine, à la base, sert à nous libérer des entraves de la maladie. C'est un outil très imparfait, soit, mais une de ses justifications premières est de nous rouvrir les choix de vie que la maladie, si efficacement, ferme devant nous. La version médicale de l'état policier que propose le gouvernement hongrois devrait donc particulièrement nous horripiler. Car non contents d'avoir instauré une surveillance obligatoire d'un paramètre clinique -et donc limité la liberté une première fois et qui plus est au nom de la médecine- ils ont en plus instauré une punition qui redouble en même temps le dommage et sa médicalisation: la limitation des moyens thérapeutiques, qui sont justement les moyens censés pouvoir rouvrir les choix de vie, et accessoirement sont censés donner aux malades les moyens d'avoir de bons paramètres cliniques. Et d'emprisonnés qu'ils étaient dans leurs circonstances et leur maladie, voilà ces patients enfermé doublement...Responsabilisation, vous disiez?

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Médicaments accessibles pour tous



Comment, se demandait-on récemment,  repenser le système qui donner à des acteurs puissants des raisons si pesantes d'agir contre l'intérêt des plus démunis? Il s'agissait des incitatifs liés aux brevets sur les médicaments. Je vous ai dit que je vous en reparlerais. La vidéo qui ouvre ce message, c'est cette occasion d'en reparler. Thomas Pogge, un philosophe politique qui est assez exceptionnel dans son mélange d'intelligence et d'activisme, y détaille sa version de comment des règles humaines, faites de choix humains, pourraient être changées pour que l'intérêt des malades qui ont la poisse de vivre dans des pays démunis ne soit plus si systématiquement négligé.

Je vous en parlais en fait déjà il y a trois ans. Mais l'idée a fait son chemin depuis. Actuellement, un nouveau médicament est breveté, la plupart du temps par une firme pharmaceutique, avec une date limite. Pendant ce temps, le fabricant a un monopole sur la vente de la molécule, et peut en déterminer le prix. Le problème c'est que ce système promeut surtout la recherche industrielle sur des maladies qui touchent des personnes aisées, ou vivant dans des pays qui couvrent bien les traitements. Il est actuellement plus profitable pour une boîte pharmaceutique de lancer un programme de recherche sur la calvitie masculine, que sur la trypanosomiase...La faute aux firmes? Pas vraiment, en tout cas pas seulement, car elles ne font 'que' suivre leur intérêt dans un système décidé par d'autres, et modifiable.

Et c'est justement cela l'idée de Pogge. A la base, le Health Impact Fund qu'il défend est relativement simple.  En plus du système des brevets habituels, un fabricant peut en choisir un autre. Ce brevet 'type B' ferait rémunérer la firme par un fonds international à la mesure de l'impact de sa molécule sur le fardeau mondial de maladie. En d'autres termes, il devient tout à coup dans l'intérêt de l'entreprise de 1) faire de la recherche sur les maladies orphelines des pays pauvres, 2) s'assurer que les patients ont accès au médicament et 3) mesurer l'impact. 

En plus pour les substances enregistrées dans le HIF, les prix seraient plus bas pour tout le monde.  Cela signifie que financer le pot commun pourrait être dans l'intérêt des états industrialisés. Sur les plus de 4 milliards dépensés par la Suisse chaque année en médicaments (rien que pour la médecine ambulatoire) un investissement dans le fond international pourrait être très rentable s'il se soldait par des prix plus bas à l'usage. De son côté, le fabricant y gagnerait quand même, car il verrait s'ouvrir des possibilité de vendre l'impact là où vendre le médicament lui-même aurait été impossible.

Pas mal, non?

Reste à prouver que ça peut être rentable. Car c'est là l'objectif: utiliser des incitatifs financiers au service des plus démunis. Mais du coup, ces incitatifs doivent être réalistes. Pogge cherche en ce moment à réaliser une expérience pilote. Si vous connaissez quelqu'un dans l'industrie pharmaceutique, envoyez-lui sa conférence...

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