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Mes collègues: la vache parfaite, c'est quoi?





C'est un sujet cher aux Helvètes, pour toutes sortes de raisons. L'émission Vacarme a fait récemment une série sur l'usage de la génomique et du génie génétique pour améliorer les vaches. Améliorer, avez-vous dit? C'est quoi, ça, d'abord? Une vache qui donne plus de lait? Du meilleur lait? Qui survit mieux? Qui relâche moins de gaz à effet de serre? Qui est plus - allons, lâchons le mot - heureuse? Et si les vaches doivent être plus heureuses, c'est quoi exactement? Ma collègue, la philosophe Christine Clavien, a participé à l'émission. Ça vaut le détour.

Il y a quelques années, j'avais accompagné dans les Alpes un petit groupe de collègues venus en Suisse pour une semaine d'atelier. En traversant les alpages du Simmental, l'un d'entre eux était devenu de plus en plus silencieux, puis de plus en plus troublé: "J'ai rencontré des vaches heureuses!" s'était-il exclamé "j'ai toujours pensé que c'était une invention!" Avait-il raison? Certes, nous étions en été et les vaches étaient paisibles au milieux de l'herbe et des fleurs, face à des paysages pour lesquels un certain nombre d'humains est prêt à débourser des sommes certaines d'argent. Cela dit...c'est quoi, le bonheur d'une vache? Sommes-nous seulement capables de le déterminer? Jusqu'à un certain point sans doute, mais peut-être pas plus que tant. Nous sommes cela dit certainement capables d'identifier aussi jusqu'à un certain point le malheur d'une vache, et peut-être que cela suffit.

Et puis comment fait-on quand l'intérêt du paysan est poussé au point où il doit faire le choix entre l'intérêt de ses vaches et la survie de sa ferme? Pour avoir le beurre, jusqu'à quel point sommes-nous prêts à payer l'argent du beurre? Et si nous n'y sommes pas prêts, comment faire? Allez écouter, c'est intéressant. Et revenez nous dire ce que vous en pensez...

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Et si on démocratisait les OGM? (4)

Voilà, c'est le dernier chapitre de ma partie du débat paru dans Moins! sur les organismes génétiquement modifiés. Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, puis la deuxième, puis la troisième, voici maintenant la dernière.

A point nommé pour vous en parler, on a rediscuté la semaine passée du riz doré. A point nommé car il s'agissait de savoir si l'ONG Greenpeace, qui s'oppose tous azimut aux OGM, allait ou non nuancer sa position. Car d'une part la science a fait beaucoup de progrès en matière de modifications génétique et permet désormais une technologie nettement plus précise et mieux contrôlée. D'autre part, c'est de plus en plus clairement démontré que le riz doré, un riz biologiquement enrichi en beta carotène, le précurseur de la vitamine A, pourrait sauver des millions de personnes par années de la mort ou de la cécité. Faucher les champs où on le teste, vu comme ça cela paraît carrément indécent.

Cette discussion illustre très bien la question qui fermait le débat paru dans Moins!: car il s'agissait justement d'examiner les conditions dans lesquelles une position sur les OGM devrait, ou non, changer. La question posée était la suivante: Dans le domaine des plantes génétiquement modifiées, les positions sont généralement très tranchées entre les défenseurs et les détracteurs. Chaque camp cite les études qui lui conviennent, études qui semblent souvent totalement contradictoires. Comment expliquer cette polarisation radicale ainsi que l'instrumentalisation de la science, qui n'en sort pas grandie?

"Les êtres humains croient plus facilement ce qui conforte leurs convictions. La démarche scientifique existe justement pour dépasser cette tendance. C’est une démarche extraordinairement exigeante d’examen critique des observations. Si vous faites partie d’un "camp" et que rien ne peut vous faire changer d'avis, alors ce que vous faites n’est pas de la science. Les opposants écologistes aux OGM sont ici dans une situation inconfortable, et certains s’en rendent d’ailleurs compte: la même démarche scientifique conclut que la modification génétique des plantes peut être sûre, et aussi que le réchauffement climatique d'origine humaine est réel. Alors ensuite, soit cette démarche est fiable, soit elle ne l’est pas! En s’opposant aux climato-sceptiques, certains ont dû réexaminer des arguments qu’ils avaient eux-mêmes utilisés en s’opposant radicalement aux OGM: en comprenant mieux comment la science se fait, y compris dans ce domaine, ils ont changé d’avis sur le génie génétique. Là, la science en sort grandie, et eux aussi."

La démarche scientifique, si on l'enseigne suffisamment pour que tous puissent comprendre comment elle marche, c'est un magnifique outil de démocratisation des connaissances. Vous ne savez pas si une observation est crédible ou pas? On vous explique comment on l'a faite, chacun peut la lire et la commenter, et vous pouvez ainsi comprendre par vous-même. Bien sûr, c'est difficile. Exigeant, plutôt. Ca mérite un effort de part et d'autre. Pour expliquer plus clairement, et aussi pour mieux comprendre. Il faut apprendre à faire le tri entre l'information réelle et toute une série de dénismes. Malgré tout cela la démarche scientifique laisse à chacun le choix: si je veux apprendre comment ça marche le génie génétique, comment on sait si les OGM sont sûrs, je peux le faire.

Je vous en parlais au sujet du PNR 59. Le Fonds National Suisse a récemment mis en ligne une trentaine d'études financées par des deniers publics en dans notre pays sur cinq ans ainsi qu'une revue internationale de la littérature disponible. Les résultats ont été résumés pour que tout un chacun puisse y avoir accès, et sont bien sûr également disponibles en français. Vous trouverez tout ça ici. 

Alors maintenant, des organisations comme Greenpeace sont prises dans la contradiction. La science: fiable ou pas fiable? La lutte: contre le réchauffement climatique ou contre les OGM? Dans des paysages comme celui qui ouvre ce billet, va-t-on planter des récoltes résistantes à la sécheresse ou 'planter' du désert? Pour qui souhaite un minimum de cohérence, il va falloir choisir...

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Et si on démocratisait les OGM? (3)

J'ai écrit récemment une des parties d'un débat sur les organismes génétiquement modifiés. Il est paru dans Moins! un journal que vous ne connaissez peut-être pas et dont voici le site pour les personnes intéressées. Petit coup de pub: allez le lire, en version papier donc car c'est la seule qui existe, au moins pour le débat en question...

Mais pour ceux qui n'y auraient pas accès, je vais vous donner ma partie, avec quelques commentaires, en chapitres successifs. Surtout que dans le débat 'pour et contre' il y a toujours une part de trop simple. Car au fond, si la question n'était pas si mais comment?

Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, puis la deuxième, voici donc la troisième partie:

Cette fois, la question est la suivante: L'année passée a été publié le PNR59, programme de recherche scientifique commandé par la Confédération pour prendre une décision « éclairée » quant à la fin du moratoire sur les OGM, approuvé par le peuple en 2005. Alors que les résultats de cette étude semblent plutôt positifs pour les OGM, le parlement a prolongé le moratoire jusqu'en 2017, date à laquelle un assouplissement est prévu. Comment jugez-vous la gestion du dossier OGM par le parlement et le gouvernement suisse?

"En annonçant la fin du moratoire, le parlement a tiré les conséquences des résultats du PNR59. C’est une application cohérente et responsable du principe de précaution. Vous commencez avec un doute légitime sur des conséquences environnementales ou sanitaires d’une technologie. Vous freinez son application pour pouvoir récolter les informations nécessaires. Quand elles sont disponibles, si le risque s’avère absent ou gérable, vous mettez en place la réglementation nécessaire et vous levez le moratoire. Cela ne signifie pas que vous autorisez tout. Si au lieu d’un moratoire sur « les OGM », on avait levé un moratoire sur « les médicaments », certains auraient toujours été interdits à la vente ou vendus uniquement sur ordonnance, sur la base de leur profil spécifique."

Ce PNR59, c'est une trentaine d'études financées par des deniers publics en Suisse sur cinq ans ainsi qu'une revue internationale de la littérature disponible. Les résultats ont été résumés pour que tout un chacun puisse y avoir accès, et sont bien sûr également disponibles en français. Vous trouverez tout ça ici.

Si on démocratisait les OGM? Il y aurait sans doute plus d'études financées ainsi par la main publique plutôt que par des entreprises ou des militants. Un des effets paradoxaux des débats, des fauchages, des obstacles aux OGM en général, a été de laisser largement le champ libre aux recherches financées par des fonds privés.

Cela a aussi encouragé la logique du "tout ou rien", alors que la bonne réponse n'est vraisemblablement ni l'un ni l'autre. S'agissant des médicaments, nous le savons. Lorsqu'on l'applique aux OGM, cette réponse est cependant inconfortable: nous n'avons actuellement pas tellement tendance à appliquer aux aliments les précautions qui entourent les médicaments.

D'une part c'est normal: nous voyons davantage les risques de substances très actives, comme les médicaments. D'autre part ce n'est pas vraiment logique. Certains aliments sont toxiques: pensez à certains champignons, au seigle dans lequel vient se mêler l'ergot. En plus, certains aliments sont inoffensifs en prise unique mais sont dangereux sur le long terme. Pensez...au sucre. Oui oui, aussi celui qui est dans les yaourts censés vous aider à digérer ou à combattre les infections hivernales. Effets bénéfiques qui sont par ailleurs rarement et chichement démontrés.

Plutôt que de réguler strictement les OGM, c'est sans doute toute la filière alimentaire qu'il faudrait soumettre à des réglementations plus strictes. Et les critiques "des OGM" ont raison sur un point: les critères appliqués devraient tenir compte non seulement de l'hygiène (ce qui est déjà le cas) et de la santé humaine plus généralement, mais aussi des effets environnementaux de la production et de la consommation. En revanche, appliquer cela au yaourt est aussi important que de l'appliquer au maïs. Une fois de plus, donc, rien de si spécifique aux OGM dans cette réponse...

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Et si on démocratisait les OGM? (2)


J'ai écrit récemment une des parties d'un débat sur les organismes génétiquement modifiés. Il est paru dans Moins! un journal que vous ne connaissez peut-être pas et dont voici le site pour les personnes intéressées. Petit coup de pub: allez le lire, en version papier donc car c'est la seule qui existe, au moins pour le débat en question...

Mais pour ceux qui n'y auraient pas accès, je vais vous donner ma partie, avec quelques commentaires, en chapitres successifs. Surtout que dans le débat 'pour et contre' il y a toujours une part de trop simple. Car au fond, si la question n'était pas si mais comment?

Je vous ai mis la première partie il y a quelques temps, voici donc la deuxième partie:

Cette fois, la question est la suivante. Que vous inspire l'utilisation du génie génétique dans l'agriculture, dans le monde en général et en Suisse en particulier ?

"L’utilisation du génie génétique n’est qu’un moyen: les avantages et les inconvénients qui y seront liés dépendront forcément des buts poursuivis. Quels sont les avantages et les inconvénients de la métallurgie, ou de l’électricité? L’électricité peut servir aux transports publics comme à l'exécution des condamnés à mort, et entre ces deux buts tout change. Il est évident que légiférer sur ces deux buts séparément est une démarche plus intelligente que d’interdire l’électricité elle-même. Interdire l’électricité rendrait les transports publics moins efficaces, aurait des retombées écologiques négatives... et cela ne rendrait pas la peine de mort impossible. 

Le génie génétique peut servir à accentuer des inégalités de pouvoir et de revenu, mais aussi à mettre dans les mains des paysans des plantes qui augmenteront leur sécurité ou leur santé. Là aussi entre ces deux buts tout change. Là aussi, interdire limiterait beaucoup les dimensions positives et n’empêcherait pas les négatives. Une discussion véritablement responsable ne devrait donc pas se demander si « le génie génétique » a plus d’avantages ou d’inconvénients, mais quels devraient en être les buts admis, dans quelles conditions ce moyen est sûr, ou encore, comment faire pour que ses bénéfices et ses risques soient équitablement répartis." 

J'ai été très contente de voir un très bel exemple détaillé récemment dans un excellent message blog que vous trouverez intégralement ici. Voici l'extrait, il s'agit du Golden rice dont l'image ouvre ce billet:

"(...) une étude de 2009 a confirmé que le Golden Rice apporte bien des vitamines A aux humains qui en consomment. Ahhh ! Frankenstein ! Euh, c’est une enzyme qui existe déjà dans le riz, mais s’exprime dans les feuilles pas dans les graines. On prend la version d’une plante qui l’exprime dans des graines que l’on mange déjà (le maïs, vous suivez ?), et on le fait exprimer dans les graines de riz. Il n’y a pas de pesticides, rien de potentiellement plus dangereux que de prendre un complément de vitamine A avec son bol de riz. 

Par ailleurs, les brevets sont gérés par une ONG, et les paysans n’ont aucun frais à payer (le riz est au même prix que du riz standard) jusqu’à une production de $10’000, ce qui couvre apparemment les 99% des paysans des zones pauvres visées. Après il faut payer pour l’exploitation commerciale. Mais dans tous les cas les paysans ont le droit de replanter." 

Alors, le Golden rice, plutôt transports publiques ou plutôt exécution capitale? Vu comme ça, cela semblerait pourtant assez clair...Si on démocratisait les OGM? Il y aurait sans doute plus d'utilisations de ce type, et moins d'utilisations exploitatives. Il y aurait peut-être aussi plus de ce genre de brevet-là. Car c'est un bel exemple, non? Un brevet qui sert à maintenir le prix abordable, plutôt qu'à l'enfler...

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Manger de la viande

Bon, je vous ai fait pas mal de billets sur des questions d'éthique humaine, faisons-en un pour une fois sur l'éthique animale. Pour commencer, un billet d'introduction donc.

Les personnes (et il y en a statistiquement sans doute parmi vous) qui s'abstiennent de manger de la viande avancent en général quatre sortes d'arguments: leur propre santé, le souci de la souffrance animale, l'opposition à l'exploitation des animaux, et le coût écologique de l'élevage.

Ces arguments ne sont bien sûr pas sur le même plan. Vous aurez noté que le premier et le dernier sont surtout une question de quantité. Manger moins de viande, oui c'est bon pour la santé et aussi pour la planète. Mais cela ne fera pas de vous un végétarien. Allons même plus loin: si vous êtes médecin et soucieux de la prévention, vous aurez sans doute meilleurs temps de recommander à vos patients de manger moins de viande car ce sera là un objectif plus réaliste et ils seront donc certainement plus nombreux à l'adopter. Si vous êtes soucieux de la consommation de ressources naturelles dans l'élevage, vous aurez sans doute avantage à faire le même calcul.

Et les arguments pour manger de la viande? Le New York Times s'est intéressé l'an dernier à la question, et a récolté toute une série de textes. L'un d'entre eux, c'est d'ailleurs celui qui a récolté le plus de votes, est écrit par la présidente de People for the Ethical Treatment of Animals. Son argument? Il est désormais possible de fabriquer de la viande in vitro, sans rien faire du tout à un être vivant. Un argument un peu exotique peut-être, mais qui risque de ne pas rester longtemps irréaliste. Les autres? En très bref, car derrière le lien se trouvent les textes complets, voici les autres:

-L'élevage animal est un complément plus écologique à la culture des plantes que ses alternatives sur une ferme bio et manger de la viande est donc nécessaire pour que les cycles soient clos.

-Manger de la viande élevée dans des circonstances correctes est moralement acceptable, davantage que manger des plantes cultivées dans des circonstances incorrectes.

-L'élevage animal est un échange, fondé sur un accord implicite millénaire: nous fournissons les conditions d'une vie meilleure qu'à l'état sauvage, et en échange nous 'récoltons' une part du troupeau.

-Manger de la viande pose un problème moral, mais tant de choses dans notre vie posent un problème moral que vivre sans faute morale est irréalisable. Nous savons par exemple - dit l'auteur- qu'il y a des considérations morales forte pour donner son argent pour aider les démunis plutôt que pour s'acheter des choses chères, ou pour adopter des enfants plutôt que d'en concevoir. Nous savons que la morale exige de nous plus que nous ne sommes capables de faire. Le monde moral est tragique. Dans la vraie vie, la véritable question ne devrait donc pas être 'peut-on vivre hors de tout blâme' mais 'pour quelles raisons devrions-nous être blâmés'. Manger de la viande, donc, requiert que l'on soit en mesure de montrer pour quelles raisons nous le faisons, et de justifier cet acte par le poids moral de ces raisons. 

-Et finalement, le dernier est presque un clin d’œil puisqu'il est en fait un argument pour ne pas manger de la viande. Tuer des animaux, dit l'auteur, est moralement justifié car la plupart des animaux ne subissent pas de tort en étant tués. Pourquoi? Il y a deux manières de subir un dommage. Si votre qualité de vie est diminuée à un moment donné, et la mort rapide ne fait pas cela. Ou si quelque chose empêche votre vie dans son ensemble d'être améliorée. Or, une fois que les animaux ont une vie qui remplit certaines conditions de survie de base, leur vie ne peut plus s'améliorer dans son ensemble. Une mort rapide dans ces conditions, donc, ne leur cause pas de tort. Néanmoins, poursuit l'auteur, il est meilleur de ne pas manger de viande. Pourquoi? Parce que nous sommes horrifiés par l'idée d'un être vivant tué pour nous nourrir. D'autant plus si ses conditions de vie et de mort ont été indécentes, comme c'est trop souvent le cas. Donc, pour nous améliorer notre vie à nous, nous ne devrions pas manger de viande.

Vous remarquerez qu'un nombre important de ces arguments repose sur des conditions spécifiques d'élevage et d'agriculture. Des arguments pour manger certaines sortes de viandes, donc. En Suisse, on est relativement bien lotis en termes de conditions d'élevage des animaux, mais c'est relatif. Il y a certainement des choses à dire sur les sources de viandes qui rempliraient, ou non, les conditions supposées dans la plupart de ces textes. Allez les lire, si vous lisez l'anglais. Et de toute manière, dites-nous ce que vous en pensez...

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Et si on démocratisait les OGM? (1)

J'ai écrit récemment une des parties d'un débat sur les organismes génétiquement modifiés. Il est paru dans Moins! un journal que vous ne connaissez peut-être pas et dont voici le site pour les personnes intéressées. Petit coup de pub: allez le lire, en version papier donc car c'est la seule qui existe, au moins pour le débat en question...

Mais pour ceux qui n'y auraient pas accès, je vais vous donner ma partie, avec quelques commentaires, en chapitres successifs. Surtout que dans le débat 'pour et contre' il y a toujours une part de trop simple. Car au fond, si la question n'était pas si mais comment? J'ai croisé samedi en rentrant du marché le livreur de Moins! qui venait nous apporter ce numéro. Les bras pleins de paniers de plantons, il n'a pas dû se rendre compte que c'était moi qui avais écrit la défense des OGM dans son journal. Quand on pense OGM, on ne pense pas jardinage mais industrie. Pas liberté mais exploitation. Et si c'était différent? Et si, pour reprendre le titre de ce billet, on démocratisait les OGM? Plein de choses changeraient, certainement. Petit arrêt sur image. Plein de choses, vous dites? Ne serait-ce pas intéressant ici, si les questions soulevées par les OGM changeaient du coup aussi? Car quand une technologie pose des questions différentes suivant comment on l'applique, alors c'est que la question réelle n'est pas de savoir si on est pour ou contre mais plutôt comment on veut l'appliquer. Et si, donc, on démocratisait les OGM? Voilà une question qui n'a pas eu la place dans le débat du journal. Pas par manque d'intérêt, sans doute, mais les limites de place sont ainsi. Alors je vais profiter d'aborder ça ici, chapitre par chapitre. Et pour lire l'autre partie, eh bien il faudra acheter le journal. Curieux? On y va...

Les critiques et les questions sur les OGM sont de plusieurs ordres. On craint des risques pour la santé humaine. Pour la santé des écosystèmes. Une technologie sans précédents et donc non maîtrisée. Une atteinte à la pureté de la nature. L'exploitation des paysans. Bref, il y a beaucoup de points différents, et beaucoup de mélanges. J'en avais déjà parlé il y a quelques temps. Et puis, ça tombe bien, Nature vient de publier dans l'intervalle un numéro spécial que je vous conseille vivement. Mais prenons point par point.

Pour commencer s'agit-il ici d'une technologie qui serait 'sans précédent'? Bien sûr, ça dépend. Mais fondamentalement, la réponse est non:

"Le génie génétique agricole est en fait dans la droite ligne de deux histoires débutées avec la révolution néolithique. La première est alimentaire, la seconde sociale. Elles sont liées, mais face aux enjeux soulevés par l’une ou par l’autre les réponses adéquates seront différentes.


Sur le plan alimentaire, la domestication des plantes a permis aux humains d’améliorer la stabilité et la sécurité de leur alimentation. La qualité nutritionnelle s’est souvent appauvrie, mais il y avait plus à manger et la population a augmenté. D’emblée, les agriculteurs ont modifié, par la sélection et les croisements, les plantes qu’ils ont domestiquées. L’ancêtre sauvage du blé n’est pas reconnaissable aujourd’hui à des non-spécialistes. 

Sur le plan social, la domestication des plantes a profondément restructuré les sociétés humaines. Il y eut pour la première fois des surplus, la possibilité de soutenir des personnes dont l’occupation n’était plus de produire de la nourriture. Il y eut des villes, la diversification du travail, la propriété de la terre, bref les ancêtres directs de nos sociétés actuelles.

L’agriculture a permis ce qu’il y a de plus beau dans nos actes collectifs, mais aussi façonné des injustices graves et persistantes. Certaines formes d’assujettissement, de domination, d’exploitation, n’existeraient pas sans elle. Ces deux faces sont liées, mais les distinguer est important. Vouloir plus de justice pour les petits paysans, moins d’exploitation par des multinationales, moins de monopole, voilà qui relève du versant social. C’est un combat vénérable: les premiers législateurs de l’histoire se trouvaient déjà confrontés à des questions de répartition des terres, d’endettement, d’oppression. C’est un combat juste: il vise les moyens d’une vie décente pour ceux qui nous nourrissent.Mais ce combat n'est pas botanique : il porte sur l’organisation des sociétés humaines. Ici, vouloir interdire les OGM, c’est manquer la véritable cible."


Si on démocratisait les OGM? On en fixerait les objectifs en se référant aux besoins d'un plus grand nombre de personnes. On pourrait en théorie faire cela en limitant la possibilité de breveter des plantes génétiquement modifiées. Ou des plantes tout court, qu'elles soient génétiquement modifiées ou non. Un autre enjeu, ça: la question des dépôts de brevets sur des plantes issues de la sélection traditionnelle illustre à quel point le risque d'exploitation des faibles ne se limite pas à l'usage des OGM. Mais même sans changer le droit des brevets il est concevable qu'une ONG prenne ces brevets et ensuite s'abstienne de les appliquer. Un brevet, après tout, ce n'est rien d'autre qu'un droit d'empêcher l'utilisation d'une invention par d'autres personnes. Si vous voulez laisser d'autres appliquer la technologie en question, donc, libre à vous de le faire. Votre brevet ne servirait dans ce cas 'que' à empêcher une autre personne à prendre ce brevet pour en faire un autre usage. 

Un exemple de ce que l'on sait faire d'autre que l'exploitation, avec des OGM? Il est dans l'image. Une équipe de l'école polytechnique fédérale de Zurich travaille sur au développement de variétés transgéniques de manioc qui résisteraient mieux aux maladies spécifiques à l'espèce, et dont l'apport nutritif serait amélioré. Mettre ces plantes, moyennant que leur sécurité soit attestée, entre les mains des paysans, voilà qui serait le contraire de l’assujettissement. Peut-être qu'effectivement, la question des OGM n'est pas si mais comment...

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Grève de la faim: exemples contrastés...

Difficile de faire plus différent. En Suisse, on a reparlé récemment de prise en charge de grèves de la faim lors du décès d'un prisonnier dans le canton de Zoug. Ce canton avait récemment changé sa législation pour interdire la nutrition forcée d'un détenu en grève de la faim, du moment entre autres qu'il serait capable de discernement. Un certain nombre de cantons l'ont fait, cela, à la suite de la grève de la faim de Bernard Rappaz. Alors oui, qu'un décès survienne suite à un jeûne de protestation, c'est triste. Mais dès lors qu'une personne décidée refuse d'être nourrie, exprime ce refus en toute lucidité, ce n'est pas la pire issue possible.

Difficile de faire plus différent. Dans le monde entier, on a reparlé récemment de nutrition forcée des prisonniers de Guantanamo. Plus d'une douzaine de détenus y sont nourris artificiellement, dont certains de force. Le commentaire d'Amnesty International:
« La situation actuelle renforce le besoin pour les détenus de bénéficier de manière continue et régulière d’examens et de soins médicaux indépendants, et la nécessité pour l’ensemble du personnel de santé de respecter l’éthique médicale ». 

Alors oui, difficile de faire plus différent: nous sommes en Suisse, dans un état où le droit est appliqué, et là on parle d'une zone de non-droit. Mais quand même. On a d'abord pu voir que la discussion en Suisse s'est pacifiée. Tant mieux. L'Académie Suisse des Sciences Médicales avait publié à l'époque quelques documents plutôt clairs et qui y ont sans doute contribué. Mais là nous avons aussi pu voir sur la scène internationale un aspect de ce à quoi nous avions échappé. Car après avoir commencé une alimentation forcée, vient la fuite en avant: OK, le détenu est nourri, mais de manière inhumaine et brutale. Et puis ensuite, on fait quoi au juste? On continue? Vraiment? Et pour combien de temps? Difficile en pratique. Mais en théorie c'est simple: on devrait arrêter, et le plus vite possible...

Et à Guantanamo s'arrêter là serait bien sûr manquer l'essentiel. Les demandes des détenus, dont un bon nombre ne font plus l'objet d'accusations, sont justifiées. C'est une prison maintenue par des obstacles politiques uniquement. Il est clair qu'il faut la fermer, tout aussi clair que c'est extraordinairement difficile de le faire. Si vous voulez mettre votre grain de sel, il y a une pétition ici.

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La liberté de pouvoir être en bonne santé

C'est l'heure de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. D'abord, je dois vous dire que je l'ai écrit avant la votation sur la fumée passive, et que vous me prenez donc ici en flagrant délit de pessimisme. J'étais d'autant plus dépitée que, pour une fois que l'on défend bec et ongles (nicotinés) la liberté des individus, on s'est basé à ce qu'il me semble sur une notion très pauvre et passablement confuse de cette valeur.

Car dans le contexte de la médecine, quelle sorte de liberté est digne d’être voulue ? L’absence de contraintes extérieures limitant nos choix ? Sans doute, mais encore? La possibilité de l’auto-détermination, qui peut impliquer que nous disposions de moyens pour être libres ? On a tendance à l'oublier. La régulation de la fumée passive est presque un cas d'école pour une distinction devenue classique entre liberté négative et liberté positive. La première est l'absence de contrainte. Dans le dessin qui ouvre ce billet, l'absence de coquille une fois que le poussin est sorti. La seconde désigne la possibilité de faire quelque chose. Celle-là, le poussin ne l'aura pas encore véritablement acquise simplement en sortant de l’œuf. Ses moyens resteront très clairement limités, avec ou sans la contrainte de la coquille. Si on revient à la fumée, défendre une liberté négative pourrait faire critiquer comme paternaliste l’interdiction de fumer dans les lieux publics, a fortiori l’interdiction de la publicité pour le tabac. Alors que défendre une liberté positive pourrait conduire à prôner ces mêmes mesures. 

Alors maintenant, comme d'habitude, un extrait et le lien (ici): 

Au fur et à mesure qu’elles accèdent aux biens matériels, les sociétés ont tendance à écarter des risques comme la sous-nutrition, la pollution des foyers domestiques, la qualité de l’eau et des sanitaires. Tant mieux. Mais elles ont tendance à les échanger contre les risques du tabac, la sédentarité, l’obésité, la pollution urbaine et ceux de la route et du travail. En d’autres termes, des facteurs très fortement liés au mode de vie. Liberté, serait-on tenté de clamer ici aussi. Chacun doit pouvoir faire ses choix y compris s’ils sont nocifs. Oui, bien sûr : comment défendre une vie de contraintes au nom de la santé ? Sauf que les comportements en question ne sont, disons, pas vraiment entièrement libres. La santé publique sous nos climats est en passe de devenir fondée sur ce que Galbraith appelait la «manufacture des besoins». Si un vendeur peut fabriquer le besoin pour son produit, c’est très bon pour lui. Si son produit est nocif, c’est évidemment moins bon pour son client, qui n’en aurait pas eu un tel besoin sans lui. Alors : suis-je encore libre de choisir si on me matraque de messages publicitaires, si on organise millimétriquement mon supermarché pour augmenter au maximum la probabilité de chacun de mes achats ? Fascinante question. Le même BMJ publiait cet été une attaque en règle de la publicité comme facteur dans ces «décisions» : menace pour la santé physique, pour la santé mentale, exacerbation d’inégalité, ciblage des enfants. Que faire dans tout cela de la liberté de pouvoir être en bonne santé ?


Que faire en effet? Commencer, peut-être, par la protéger un peu mieux justement...Mais pour cela, il va falloir commencer par se rendre compte qu'une fois sorti de l'oeuf, le poussin, si on lui conditionne le comportement eh bien il ne sera pas tellement plus libre qu'avant...

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Architecture du choix (1, probablement)

Un très joli dossier, dans Le Temps de ce week-end, sur 'l'angoisse du choix'. Si vous ne l'avez pas encore lu, l'article principal se trouve ici. Même s'il a un défaut important (j'y viendrai), vraiment je vous le recommande.

Le principe? On a en général l'impression que plus on a d'options, plus on a de choix, donc de liberté. Mais la réalité est un peu différente. Imaginez-vous que vous avez décidé d'acheter des céréales pour votre petit déjeuner. Un choix relativement simple. Sauf que lorsque vous arrivez au supermarché, vous tombez devant une centaine de mètres de rayonnages remplis de céréales. Tous sont différents, aucun ne vous est connu. La surcharge totale. Je parle d'expérience, cela m'est arrivé. La honte: j'ai été totalement incapable d'acheter un vulgaire paquet de muesli. Et je ne vous raconte pas les 200 sortes de sauce soja du rayon d'à côté. Face à tellement plus de choix, c'est comme si finalement on en avait moins. L'effort de choisir nous bloque. Ce n'est pas seulement basé sur des anecdotes non plus. C'est là un des résultats d'études tout à fait sérieuses sur ce que l'on pourrait appeler l'architecture du choix. Devant 15 sortes de confitures de fraises, moins de gens finissent par en acheter que devant seulement deux, par exemple. Plus...ce n'est pas nécessairement plus.

Il y a une autre raison pour laquelle plus de choix n'est pas nécessairement une plus grande liberté. Dans mes exemples de céréales, de confitures de fraises et de sauce soja, il ne s'agissait jamais que de choix alimentaires dont l'importance est finalement assez faible. En tout cas quand on les prend un par un. Pas vraiment de choix identitaire là-dedans. Le temps que l'on dépense à choisir une confiture ou une énième série télé, ce n'est pas vraiment le grand exercice de la liberté. On en viendrait même à se dire que si, pendant ce temps passé à faire ces choix anecdotiques, on ne se demande pas si l'on veut vraiment passer tout ce temps à manger des tartines devant la télé, alors on aura au final perdu de la liberté. Une conclusion plus dérangeante, celle-la.

Mais par ailleurs justement, il y a des choix identitaires auxquels il est important de pouvoir participer et qu'on ne peut pas mettre à la même enseigne que les choix de céréales. Parmi eux, les choix qui concernent nos traitements médicaux. Là, malheureusement, le dossier de ce week-end va trop vite en besogne. Il présente une discussion sur la décision médicale partagée. Un sujet inclus dans les études de médecine depuis un certain temps, et qui commence à l'être sous cet intitulé. Mais évidemment, il ne s'agit pas ici de faire choisir son traitement à une personne malade comme s'il s'agissait de son petit déjeuner. Partager les décisions médicales entre patients et médecins c'est une affaire importante, mais aussi une affaire sérieuse. Elle mérite...du soin. Des compétences et de l'adaptation. Respecter la liberté d'un patient, cela voudra parfois dire lui laisser une part importante des décisions, mais parfois aussi respecter son choix de ne pas être celui qui choisit. Être inclus dans la décision, pour certains cela signifie déjà simplement être informés suffisamment pour pouvoir, le cas échéant, donner leur avis. Certaines personnes qui préfèrent par ailleurs laisser décider leur médecin souhaitent quand même avoir toutes les informations les concernant. Dans la plupart des cas, cela signifie davantage: vraiment décider ensemble. C'est-à-dire discuter, pour le patient se faire son idée, pour le médecin accompagner une personne malade à travers une décision qui -oui- peut être délicate. Un exercice difficile, où la manière compte énormément. Il doit s'apprendre et s'affiner par l'expérience. Et parce qu'il ne s'agit que rarement de décisions triviales, cette liberté-là doit compter plus que celle de choisir sa confiture.

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Glycémies dans la limite légale

Il y a, de plus en plus ces dernières années, une certaine rhétorique qui consiste à accuser les malades de leur maladie sous l'angle de la 'responsabilisation des patients'. Des guillemets sont de rigueur ici. Car des responsabilités pour notre santé, c'est pas que ça n'existe pas. Une part respectable de la santé publique consiste justement à nous rappeler que nous y pouvons quelque chose. Pas tout, mais quelque chose. Non, là où le bât blesse c'est quand cette rhétorique vise des situations dont les patients sont victimes plutôt que responsables. Et là, la Hongrie a le mois dernier frappé très fort. Car, "Pour réduire les dépenses de santé, le gouvernement a décidé de punir les diabétiques qui ne suivraient pas scrupuleusement leur régime en les privant d'accès aux meilleurs traitements subventionnés."

Rien que ça.

Pour comprendre combien cette décision est grave, quelques points. D'abord, le diabète est un très bon exemple de nos confusions autour de la responsabilité personnelle pour la santé. A première vue, la forme qui a tendance à débuter plutôt à l'âge adulte ressemble effectivement à un bon exemple de maladie dont on peut influencer le risque pour soi-même. Car il y a là beaucoup de liens avec l'hygiène de vie. Et donc avec des choix, pourrait-on être tentés de penser. C'est une maladie associée au surpoids, à l'alimentation, à l'exercice physique, des choses qu'on peut déterminer me direz-vous. Sauf que...c'est aussi une maladie liée au stress, à la possibilité matérielle de mener une vie saine, à la disponibilité d'aliments frais dans votre quartier (et c'est justement les quartiers défavorisés qui ont tendance à devenir des 'déserts verts'), à la dangerosité des environnements dans lesquels vous pourriez en théorie avoir une activité physique, au temps dont vous pouvez disposer à votre guise ou non...voilà qui est plus compliqué que prévu. Alors, est-ce bien un résultat de choix personnels, le diabète? Pas clair. Et je ne vous avais même pas encore dit qu'il y a une composante de risque génétique. Blâmer les malades? Pas si juste au fond...

Ensuite, bien sûr, prendre en charge correctement un diabète est une activité difficile et de longue durée. Pour ceux d'entre vous qui êtes au moins en partie anglophones, je vous recommande le récit de Sara Sklaroff sur le podcast Narrative matters du journal Health Affairs. Être diabétique, explique-t-elle, c'est un effort quotidien en plus de tous les efforts quotidiens que notre vie exige de nous. Blâmer ceux qui n'atteignent pas la perfection, c'est avoir envers eux des exigences que nous ne pourrions de loin pas tous atteindre. Pas très juste non plus, ça.

Mais la dernière raison pour laquelle la décision hongroise est grave est encore plus fondamentale. Car la médecine, à la base, sert à nous libérer des entraves de la maladie. C'est un outil très imparfait, soit, mais une de ses justifications premières est de nous rouvrir les choix de vie que la maladie, si efficacement, ferme devant nous. La version médicale de l'état policier que propose le gouvernement hongrois devrait donc particulièrement nous horripiler. Car non contents d'avoir instauré une surveillance obligatoire d'un paramètre clinique -et donc limité la liberté une première fois et qui plus est au nom de la médecine- ils ont en plus instauré une punition qui redouble en même temps le dommage et sa médicalisation: la limitation des moyens thérapeutiques, qui sont justement les moyens censés pouvoir rouvrir les choix de vie, et accessoirement sont censés donner aux malades les moyens d'avoir de bons paramètres cliniques. Et d'emprisonnés qu'ils étaient dans leurs circonstances et leur maladie, voilà ces patients enfermé doublement...Responsabilisation, vous disiez?

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