"Monsieur Jack Layton n'a pas perdu une bataille. Il est mort du cancer." disait récemment un oncologue après avoir soigné dans la dernière partie de sa vie le chef de l'opposition canadienne. "L'idée qu'il menait une bataille et qu'il l'a perdue le rabaisse. Je suis convaincu qu'il n'a pas cédé à un adversaire."
"Ne pas poser les armes". "Mourir après une longue maladie combattue courageusement". Lorsqu'il s'agit du cancer, les métaphores guerrières nous viennent comme spontanément. Depuis le fameux ouvrage de Susan Sontag Illness as Metaphor, elles font presque partie des lieux communs que l'on commente presque sans y penser.
Mais voilà, parfois il faut nous rappeler que ça peut faire des dégâts. Le médecin cité plus haut en pointe une sorte. Dépeindre le fait d'être soigné pour un cancer comme une bataille signale la défaite de ceux qui décèdent. Comme s'ils avaient moins bien combattu. Avaient eu moins de courage, de force, du bon état d'esprit. Comme si c'était, finalement, de leur faute. Troublant. Car décrire les choses ainsi, évidemment, a quelque chose de rassurant. Comme si la mort était quelque chose que nous pouvions tous vaincre, si seulement on se donnait un peu de la peine...Mais cette illusion d'optique flagrante, et qui se construit sur le dos des victimes, ce n'est pas très honorable.
Surtout que ce n'est pas 'seulement' une affaire de réputation posthume. Les malades qui font face aux choix parfois difficiles de poursuivre ou non une thérapie se heurtent eux aussi à ces images. Leur décision devrait pouvoir se fonder sur ce qui fait sens pour eux. Ici et maintenant. Sur ce qu'ils sont en droit -ou non- d'attendre d'un traitement, et sur leurs projets de vie. Aucun de ces choix ne devraient leur faire craindre de perdre la face...
Les mots, décidément, ne sont pas anodins. Et s'agissant du cancer c'est comme s'il y avait un monde d'apprentissage collectif à parcourir. Un autre homme célèbre, qui lui est encore en vie à l'heure actuelle, l'a dit avec une précision émouvante dans un article paru il y a bientôt un an. 'Je me suis demandé s'il y aurait une place pour un manuel de bonnes manières du cancer', explique-t-il. 'Et ce serait utile autant pour les malades que pour les bien portants'. Car les interactions humaines les plus élémentaires peuvent se transformer en grandes hésitations. 'On est généralement d'accord que la question 'Comment ça va?' ne vous met pas sous serment de donner une réponse complète ou honnête. Alors quand on me demande ces jours, j'ai tendance à dire quelque chose de cryptique comme 'C'est un peu tôt pour savoir' (...) Mais ce n'est pas vraiment possible non plus de prendre une position de 'rien demandé, rien dit' (...) Les amis et les membre de la famille, évidemment, n'ont pas vraiment le choix de ne pas s'enquérir avec bonté. Une manière de les soulager est d'être aussi honnête que possible, et de n'adopter ni euphémisme ni déni. Alors je vais droit au but et je dis quelles sont mes chances. La manière la plus rapide de faire cela est de noter que le truc avec le stade quatre est qu'il n'y a pas de stade cinq.'
Mais surtout cet article raconte, à travers les mots des bien portants, toute la maladresse dont nous sommes capables lorsque nous essayons de nous montrer solidaires sans avoir en fait aucune idée de ce que vit une autre personne. 'Un de mes cousins a eu le cancer' dit une gentille dame au début de l'article 'il est mort. C'était affreux. Affreux. On aurait dit que cela prenait une éternité. (...) Enfin, je voulais juste vous dire que je comprend exactement ce que vous traversez.' Le lecteur en bonne santé sera sans doute frappé par la dureté de ces mots. Le lecteur malade, peut-être, aura déjà vécu des situations semblables et aura sur ces mots un avis basé sur cette expérience. Mais l'auteur de l'article, lui, ne relève pas tellement la cruauté involontaire, ici. Ce qui le dérange le plus est que cette dame part du principe que son cousin et lui ont la même maladie. Et c'est peut-être effectivement là le mot le plus dangereux de tous. Le cancer. Alors que ce terme recouvre une multitude de maladies et que le présent et l'avenir des malades est très différent dans ces différents cas. 'On devient un peu élitiste sur le caractère unique de sa maladie personnelle. Si votre témoignage, de première ou de seconde main, est une histoire sur le cancer d'un autre organes, songez à me la raconter avec retenue (...) Cette suggestion est autant pour les histoires qui sont intensément déprimantes que pour celles dont l'intention est de transmettre de l'optimisme'.
Nous avons sur tous ces plans beaucoup de chemin à faire. C'est d'autant plus important que la durée de toute une série de cancers se prolonge, avec l'amélioration des traitement qui permettent une meilleure survie. Il est rassurant qu'on nous le rappelle. Car après tout il s'agit ici de pouvoir continuer de se parler. De coexister 'entre les habitants de la ville du cancer et de la ville de la santé'. De s'autoriser mutuellement à vivre sa vie, aussi. Avec ou sans cancer. Sans devoir craindre qu'à l'heure où d'autre raconteront la notre, on doive être décrits comme ayant été vaincus.
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4 commentaires:
Thank you, Samia, for this very important post. I agree with every word you say and this topic should remain on our minds. It is too tempting to use this vocabulary with the "winners" and we forget that it implies that there are "losers".
...and it sounds -even- worse in English, doesn't it? :-(
Un très beau et très utile texte.
Très beau texte, je suis tout à fait d'accord avec toi, Samia. On pourrait aussi épiloguer sur les gens qui se croient autorisés à décider de l'origine du cancer chez la personne en question. "Oui, il était toujours tellement stressé...", "Oui, elle sort d'un divorce difficile", etc, comme s'il fallait toujours décréter une CAUSE à la maladie, pour être sûr que ça ne vous arrive pas à vous! Cela rejoint ton idée que les gens attribuent, inconsciemment, une part de responsabilité à celui qui a contracté la maladie!
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