Les dix plus grands enjeux moraux d'aujourd'hui?
Voici la liste:
1) Devrions-nous donner des droits aux animaux non-humains? Le commentaire: c'est compliqué, il y a différentes sortes de droits et ils ont une pertinence variable pour différentes espèces. Quels droits pour quels animaux?
2) Devrions-nous éditer le génôme de nos enfants? Si nous parvenions à le faire sans effets secondaires directs, il serait sans doute acceptable de le faire pour leur épargner des maladies sévères que nous traiterions sans hésiter après leur naissance. Dès que l'on va plus loin, dès que l'on s'éloigne de la thérapie pour aller vers des modifications qui s'apparentent davantage à de l'amélioration, cela devient nettement plus difficile. Par exemple, éditer le génome pourrait conduire à la disparition de certaines manières d'être humain. Un enjeu qui revient dans la question suivante:
3) Devrions-nous rendre tout le monde "normal"? Être conforme pourrait-être plus sûr, pour soi-même et pour les autres. Et nous avons des moyens de plus en plus puissants pour nous rendre plus conformes aux autres. Tentant? Non? Effectivement, cette perspective a aussi un côté terrifiant. Sur le plan individuel c'est clair. Et sur le plan collectif, en fait aussi: il n'est pas sûr que la conformité soit si bonne que ça pour nos groupes non plus. Une conférence intéressante à ce sujet, d'ailleurs, qui tourne autour de la non-conformité mentale qu'est le trouble du spectre autistique.
4) Devrions-nous abandonner la confidentialité en ligne? Ceux qui acceptent de sacrifier leur liberté pour la sécurité disait Franklin ne mérite ni l'une ni l'autre. Combien d'intrusion dans notre vie privée sommes-nous d'accord d'accepter aujourd'hui, et par qui?
5) Devrions-nous donner à des robots la possibilité de tuer? Cela semble absurde à première vue, si l'on a grandi au milieu de romans de science-fiction où des robots tueurs étaient une menace. Cependant, il arrive que nous soyons amenés à tuer: en guerre, ou dans les pays où la peine de mort est légale. Des robots pourraient être en mesure de le faire de manière mieux ciblée (insérer ici: moins de victimes civiles) ou plus équitable (moins d'innocents condamnés à mort). Deux objections à cela évidemment. Pour trouver qu'un robot qui tue de manière plus parcimonieuse est une bonne chose, il faut commencer par accepter la légitimité de tuer dans ces cas. Si on ne l'accepte pas, alors ce robot est une idée absurde, complice, immorale. La deuxième objection est qu'il est problématique de donner la possibilité de tuer à une entité qui n'est pas équipée d'un système moral. Pour le moment, donc, le consensus est assez clair: ce sera non.
6) Devrions-nous relâcher des formes de vie synthétiques dans la nature? Elles pourraient faire partie de la solution à de nombreux problèmes, capturer du CO2 et limiter le changement climatique, pousser dans des régions arides. Elles pourraient aussi avoir des effets difficiles à prédire sur les écosystèmes. Difficiles, OK, mais peut-être pas impossible cela dit. Si les risques sont prévisibles, peut-être qu'un jour ces organismes seront notre meilleur espoir pour des problèmes planétaires? Peut-être même que, si nous avons tort et que des super-plantes envahissent la planète, elles la préserveront mieux que nous...
7) Devrions-nous agir intentionnellement sur le climat? Nous avons déjà agi sur le climat inintentionnellement en sortant les hydrocarbures du sous-sol pour en libérer les produits dans l'atmosphère. Devrions-nous le refaire, exprès cette fois, pour limiter les effet de nos actes passés sur le climat? Pour répondre à cette question, il faudrait prendre en compte que ces techniques ne marcheront peut-être pas, auront peut-être des effet secondaires, auront des impacts différents sur différentes régions du globe. Il faudrait aussi prendre en compte que les seules alternatives sont d'éliminer notre utilisation des énergies fossiles complètement d'ici à 2070, ou de vivre dans un monde qui n'aura plus rien à voir avec celui dans lequel notre espèce s'est adaptée, ou de trouver un monde alternatif. Mince, une question que pessimiste celle-là.
8) Devrions-nous imposer un contrôle du nombre de personnes dans le monde? En contrôlant les naissances, par exemple? Sur le plan écologique, il pourrait être raisonnable de le faire. Pas tant dans les pays pauvres, car même si les naissances y demeures plus nombreuses que dans les pays riches, l'impact écologique de chaque personne y est nettement plus bas. Limiter les naissances dans les pays riches, par contre, pourrait être très utile. Historiquement, on doit cependant constater que ce genre de politique a presque toujours favorisé des abus de pouvoir, parfois violents. En plus, on considère déjà maintenant trop souvent que le nombre de naissances est une responsabilité des femmes: si le nombre d'enfant devient un enjeu moral ce serait encore une raison, donc, de blâmer les femmes abusivement et ça aussi c'est un problème. Les inconvénients seraient-ils plus grands que les avantages? Ou bien peut-être est-ce la longévité qu'il faudrait limiter, ou du moins cesser de vouloir prolonger davantage? On voit bien les problèmes que cela pourrait poser.
9) Devrions-nous coloniser d'autres planètes? Nous découvrons des exoplanètes, certes lointaines, mais la possibilité de les coloniser ne restera pas nécessairement entièrement théorique. Et si de la vie existait ailleurs? Aurions-nous le droit de la perturber, voir de la détruire? Selon la plus forte probabilité, il s'agirait de microbes. Sur terre, nous détruisons les microbes sans états d'âmes. Si nous détruisions des microbes ailleurs pour permettre aux humains d'y vivre avec un écosystème terrestre, aurions nous plus détruit ou plus créé? Les auteurs concluent que coloniser l'univers pourrait aussi poser problème si, après ne pas avoir préservé la terre, nous ne préservions pas non plus les mondes suivants où vivraient, peut-être, nos descendants. Devrions-nous donc renoncer pour des raisons de conservation galactique?
10) Devrions-nous arrêter de faire la science? La recherche scientifique nous apporte d'immenses avantages. Elle nous apporte aussi des risques, et des inconvénients. Des progrès scientifiques sont par exemple à l'origine de l'énorme croissance de la population mondiale et du changement climatique. Les avantages sont-ils suffisants pour accepter les risques et les inconvénients? Peut-être avons-nous eu de la chance jusqu'à présent, et qu'il serait prudent de s'arrêter pendant que nos gains sont plus importants que nos pertes. Mais peut-être que, justement, une grande partie de nos difficultés actuelles montrent que nous avons besoin d'apprendre plus de choses, de trouver de nouvelles solutions, et d'apprendre comment mieux appliquer celles que nous avons.
Ces questions sont difficiles. Mais bien sûr il est impossible de s'arrêter à ce constat pour simplement ne pas y répondre. D'une manière ou d'une autre, nous y répondons en permanence par une foule de choix que nous faisons, individuellement et collectivement. Comment, donc, améliorer nos choix et être confiants que l'amélioration en est vraiment une ? Vaste question que celle-là aussi.
Finalement: ces questions sont-elles les bonnes? Ce n'est certainement pas une liste complète des enjeux moraux de notre temps, ni un ordre objectif de leur importance. Quelles questions ajouteriez-vous dans la liste? Lesquelles enlèveriez-vous?
Billet d'invitée: Les soins infirmiers, c'est pour nous tous
Stop à la fragilisation du système de santé par un engagement massif de tous pour des soins permettant l’accès à la santé pour tous !
L’association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) prend les devants en lançant l’initiative populaire pour des soins infirmiers forts ( www.pour-des-soins-infirmiers-forts.ch ).
Selon l’ASI, la société est en droit d’attendre des infirmières, infirmiers, l’aide et le soutien nécessaires pour faire face à la maladie et au handicap. De son côté l’OMS, en 2002 déjà, souligne que l’évolution des besoins de la société implique un accroissement de la demande de soins infirmiers réactifs. L’augmentation des polypathologies et de maladies chroniques nécessite un soutien pour aider les gens à vivre avec des handicaps, à prévenir des complications. Ce sont des soins complexes à l’humain nécessitant des compétences élevées et avant tout infirmières. Cependant les décisions politiques et managériales ne permettent pas toujours et de moins en moins à la profession infirmière de répondre aux besoins de la population en Suisse.
Les décisions politiques concernant l’économie et le domaine santé-social ont de plus en plus pour conséquence une péjoration des conditions de travail des professionnels de la santé et du social voire à une impossibilité d’offrir l’aide et les soins nécessaires à la population. Cela amène de plus en plus de soignants à quitter la profession si ce n’est qu’ils tombent eux-mêmes malades et n’attirent pas la relève nécessaire. Cette situation actuellement déjà critique risque à l’avenir de devenir problématique. Manque de médecins, d’infirmières, limites financières mettent à mal les critères éthiques de justice, autonomie bienfaisance et non-malfaisance.
C’est dans ce contexte que se situe l’initiative populaire pour des soins infirmiers forts de l’ASI. Elle souhaite renforcer l’attractivité de la profession et améliorer les conditions de travail pour qu’il y ait moins d’infirmières et infirmiers qui quittent la profession par épuisement ou parce qu’ils ne peuvent travailler selon les valeurs professionnelles. Actuellement, les infirmières sont encore et toujours reléguées dans un rôle médico-délégué, ne peuvent se faire rembourser les soins sans ordonnance médicale, même pour les soins qui découlent des compétences infirmières et non médicales. Cet état de fait ne rend pas la profession attractive et ne permet pas à celle-ci d’endosser ses responsabilités face aux besoins de la population. L’initiative demande une modification de la constitution afin que confédération et canton reconnaissent les soins infirmiers comme une composante importante des soins et s’engagent pour que chacun ait accès à des soins de qualité. Cela implique des soins infirmiers en quantité et qualité suffisantes pour couvrir les besoins croissants de la population.
Cette initiative est importante parce qu’elle vise le respect des critères de justice (même accès aux soins pour tous), de non-malfaisance (respect de la sécurité) et de bienfaisance par des soins de qualité. Nous sommes donc tous invités à nous questionner, nous laisser interpeller, et à nous engager pro activement pour des soins équitables et de qualité, ce qui implique un discours éthique et politique. Dans ce sens j’invite le lecteur à s’informer sur l’initiative pour des soins infirmiers forts (www.pour-des-soins-infirmiers-forts.ch ), à la discuter et à se positionner selon son intime conviction, et, je l’espère, à la signer et inviter à la signer en ligne.
Objection de conscience
Pour commencer, il faut comprendre que le terme "objection de conscience" est souvent utilisé de manière trop large. On s'en sert comme si cela désignait toutes les situations où l'on refuse quelque chose pour des raisons morales. Mais nous prenons dans notre vie beaucoup de décisions, il est fréquent que des raisons morales y soient pour quelque chose, et nous refusons beaucoup de choses. Si j'ai promis d'aller chercher ma fille à la gare, qu'une amie m'invite à boire un verre, et que je lui dis non pour tenir ma promesse et remplir mon devoir de parent, je viens de refuser quelque chose pour des raisons (entre autres) morales. Ca ne suffit pas pour en faire une objection de conscience.
En plus du refus et de la conscience, il y a dans l'objection de conscience l'idée que je me refuse à quelque chose qu'en fait j'aurais dû faire. Ou que je me refuse à quelque chose qui est en fait requis par une autorité. Il y a l'idée de se soustraire à une obligation habituellement reconnue, pour des raisons de conscience personnelle. Ce n'est pas pour rien que l'exemple par excellence est l'objection au port d'armes et au service militaire. Pour faire une objection de conscience il faut une obligation, un refus de s'y soumettre, et une raison de conscience personnelle à ce refus.
Revenons donc à la médecine. Ici aussi, il y a plusieurs sortes de refus face à la demande d'un patient. Il arrive comme médecin de se voir demander des choses que nous ne pouvons pas faire, ou que nous n'avons pas le droit de faire. Un patient qui demande à être tué, par exemple, alors que l'euthanasie est interdite en Suisse. Une autorité qui demande à ce qu'un détenu capable de discernement soit nourri de force. Un patient qui devient amoureux et vous demande un rendez-vous galant. A tout cela, nous devons répondre que non. Ce sont des actes qui nous sont interdit, nous disons non pour cela: ce n'est pas une objection de conscience.
Il arrive aussi de se voir demander des choses qui sont autorisées, mais pour lesquelles nous ne sommes pas soumis à une obligation. En Suisse, l'exemple par excellence est l'assistance au suicide. Le droit d'être assisté dans son suicide est seulement un droit de non-ingérence. Il n'y a pas de droit à obtenir une telle assistance. Lorsque l'on demande à quelqu'un cette aide, cette personne est entièrement libre de dire oui ou non: il n'existe pas d'obligation à accepter. Un médecin qui refuse d'entrer en matière, donc, refuse simplement. Il n'y a pas d'obligation initiale, à nouveau ce n'est pas de l'objection de conscience.
Dans ces deux cas de figure, un médecin qui dit non dit simplement non. Il a le devoir de dire non dans la première sorte de situation. Il a le droit de dire non dans la deuxième. Il est inexacte d'appeler ça de l'objection de conscience, en revanche il est entièrement légitime de dire non.
L'objection de conscience, en médecine cela existe cependant aussi. Elle concerne des gestes pour lesquelles nous avons une obligation initiale, à laquelle certains ressentent le devoir de se soustraire pour des raisons de conscience personnelle. Premier exemple: l'interruption de grossesse. Elle est légale dans notre pays. L'accès des femmes qui en remplissent les critères est garanti. Et pourtant c'est une question qui divise durablement nos sociétés et sur laquelle des positions très diverses se retrouvent aussi au sein du corps médical. Un médecin qui refuse de procéder à un avortement, là c'est une objection de conscience. Alors, là, est-ce toujours légitime?
La réponse est que c'est légitime, mais dans certaines limites. Le principe fondamental est ici que le bien du patient vient avant. En d'autres termes, nous avons le droit à la protection de notre conscience personnelle, mais ce n'est pas au patient d'en payer le prix. La loi fixe donc une limite: le droit à l'objection n'existe que si l'on peut référer le patient (ou ici la patiente) à un confrère dans un délai qui ne modifie pas réellement son risque. L'objection de conscience, donc, est un droit d'abstention: c'est un droit à se soustraire à un geste, pas un droit à barrer la route au patient. Ce n'est pas non plus un droit de rejet du patient. Pas de carte blanche à juger, moraliser ou, pire, condamner. On doit s'assurer qu'un autre est disponible, puis se retirer, et c'est tout. Lorsqu'il est impossible de se faire remplacer, on doit procéder au geste. Comme je vous le disais il y a quelques temps, "Pour un médecin, avoir des valeurs personnelles est un droit et une nécessité, oui. En revanche, les imposer à ses patient(e)s ne l'est pas." Notre conscience est à nous, en faire porter le fardeau au patient serait un abus de pouvoir.
Ce droit, tout limité qu'il soit, est controversé. Dans certaines régions, les objections se multipliant, on assiste à un retrait de l'accès aux soins qui touche particulièrement les moyens de contraception et l'interruption de grossesse. Le bien du patient ne vient dès lors plus avant. C'est un problème. Du coup, un de mes collègues a écrit récemment un article défendant une limite plus stricte à l'objection de conscience. La raison? Les obligations qui découlent du rôle de médecin sont choisies. Contrairement au service militaire, où nous sommes recrutés, nous choissisons librement de devenir médecin, et par conséquent nous en endossons librement les obligations, avec les privilèges. Il est problématique de vouloir ensuite choisir seulement ce qui nous plait. De plus, il est relativement facile d'éviter de se trouver dans une situation qui heurte notre conscience. Un collègue qui se refuse à pratiquer des avortements n'a aucun besoin de devenir gynécologue, par exemple.
Donc, "Un médecin qui invoque sa clause de conscience face à une demande d'un patient, est-ce toujours légitime?" Dans certains cas, une objection de conscience est légitime. Sa condition est la possibilité de se faire remplacer afin que le fardeau de notre conscience ne tombe pas sur notre patient. Dans les cas où se faire remplacer n'est pas possible, alors l'objection de conscience n'est plus légitime. Certains souhaiteraient que ces limites soient plus strictes. Dans le même temps, dans de nombreux cas dire non au patient sera entièrement légitime sans être une vraie objection de conscience. Et dans ces cas-là, bien sûr, pas besoin de se faire remplacer. Ouf: le patient qui voulait sortir dîner, pas besoin de lui trouver une autre femme d'ici ce soir...
Vos questions d'éthique à vous
Nous allons faire un test, et si ça marche ce sera une nouvelle forme de billet dans ce blog. Les commentaires, sur la plateforme de blogger c'est un peu moyen. Plusieurs d'entre vous m'ont contactée pour me dire que ce n'était ni facile ni fiable, bref que vous ne parveniez pas à mettre des commentaires. Alors je teste un système interactif qui devrait permettre de faire plus facilement.
Ma première question sera simple: quels sujets aimeriez-vous voir traiter ici?
Dans le tableau ci-dessous, si tout va bien, vous devriez pouvoir écrire des propositions, commenter celles des autres, et voter sur les propositions. Les intitulés sont en anglais parce que, vaille que vaille, je n'ai pas trouvé de plateforme francophone qui fasse la même chose. Dites-moi si vous en connaissez une, je serais très reconnaissante!
Pour commencer, on va essayer sur le système anglophone. Cela devrait être simple:
1) Vous inscrivez votre nom sous "enter your name" et vous cliquez "Join".
2) Vous cliquez sur "Add an idea" en haut à droite, et voilà: vous pouvez évidemment écrire votre proposition en français.
Vous pouvez voter sur les propositions des autres en cliquant sur le rond blanc qui se trouve sur chaque billet. Vous pouvez commenter en cliquant sur l’icône de commentaire qui se trouve également sur chaque billet.
Une ligne ou un mot-clé suffira, comme je vous le dis on teste. Et n'oubliez pas de voter sur les propositions des autres!
Alors allons-y, on va voir si ça marche...
Mes collègues: qu'est-ce que le populisme?
Le livre est très court, et en plus l'auteur en fait une synthèse à la fin. Je vous offre donc cette synthèse, dans une traduction qui n'engage évidemment pas l'auteur.
"1. Le populisme n'est ni la part authentique de la politique démocratique moderne, ni une sorte de pathologie causée par des citoyens irrationnels. C'est l'ombre permanente de la politique représentative. Il existe toujours la possibilité pour un acteur de parler au nom du «vrai peuple» comme moyen de contester les élites actuellement puissantes. Il n'y avait pas de populisme dans l'ancienne Athènes; il y a avait de la démagogie, sans doute, mais pas de populisme, puisque ce dernier n'existe que dans des systèmes représentatifs. Les populistes ne sont pas contre le principe de représentation politique; ils insistent simplement que seuls eux-mêmes sont des représentants légitimes.
2. Il ne suffit pas de critiquer les élites pour être populistes. En plus d'être antiélitistes, les populistes sont antipluralistes. Ils prétendent qu'eux et eux seuls représentent le peuple. Tous les autres concurrents politiques sont essentiellement illégitimes, et tous ceux qui ne les soutiennent pas ne font pas partie du peuple. Lorsqu'ils sont dans l'opposition, les populistes insisteront nécessairement que les élites sont immorales, alors que le peuple est une entité morale et homogène dont la volonté ne peut pas errer.
3. Les populistes semblent souvent prétendre qu'ils représentent le bien commun, tel que voulu par le peuple. En y regardant de plus près, il s'avère en fait que ce qui compte pour les populistes n'est pas tant le produit d'un véritable processus de formation de volonté, ou d'un bien commun que n'importe qui peut glaner avec du bon sens. Ce qui compte davantage est une représentation symbolique du «peuple réel», à partir duquel la politique correcte est ensuite déduite. Cela immunise la position politique d'un populiste contre la réfutation empirique. Les populistes peuvent toujours faire jouer l'idée des «vrais gens» ou de la «majorité silencieuse» contre les représentants élus et le résultat officiel d'un vote.
4. Bien que les populistes demandent souvent des référendums, ces exercices ne visent pas à initier des processus ouverts de formation de la volonté démocratique parmi les citoyens. Les populistes veulent simplement être confirmés dans l'idée qu'ils se sont déjà faite de ce que les personnes réelles veulent. Le populisme n'est pas un chemin vers une plus grande participation politique.
5. Les populistes peuvent gouverner, et ils sont susceptibles de le faire en se basant effectivement sur l'idée qu'eux seuls représentent le peuple. Concrètement, ils procéderont à l'occupation de l'État, le clientélisme de masse et la corruption, et la suppression de tout ce qui ressemble à une société civile critique. Ces pratiques trouvent une justification morale explicite dans l'imagination politique populiste et peuvent donc être ouvertement déclarées. Les populistes peuvent aussi écrire des constitutions; ce seront des constitutions partisanes ou «exclusives» destinées à maintenir les populistes au pouvoir au nom de la perpétuation d'une soi-disant volonté originelle et authentique. Elles sont susceptibles de conduire à un conflit constitutionnel grave à un moment ou à un autre.
6. Les populistes doivent être critiqués pour ce qu'ils sont - un véritable danger pour la démocratie (et pas seulement pour le «libéralisme»). Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas les engager dans le débat politique. Parler avec les populistes n'est pas la même chose que parler comme des populistes. On peut prendre les problèmes qu'ils soulèvent sérieusement sans accepter l'angle sous lequel ils présentent ces problèmes.
7. Le populisme n'est pas un correctif de la démocratie libérale: il ne rapproche pas la politique «du peuple» et ne réaffirme même pas la souveraineté du peuple, comme on le prétend parfois. En revanche, lorsque certaines parties de la population ne sont pas représentées (des parties regroupées par des intérêts, ou une identité, ou les deux), il est utile de le signaler. Cela ne justifie pas l'affirmation populiste selon laquelle seuls leurs partisans sont les vraies personnes et qu'ils sont les seuls représentants légitimes. Le populisme doit donc forcer les défenseurs de la démocratie libérale à réfléchir davantage sur les échecs actuels de la représentation. Il devrait aussi les pousser à aborder des questions morales plus générales. Selon quels critères appartient-on à la collectivité? Pourquoi le pluralisme vaut-il la peine d'être préservé? Et comment peut-on répondre aux préoccupations des électeurs populistes, entendus comme citoyens libres et égaux et non pas comme des cas pathologiques d'hommes et de femmes conduits par la frustration et le ressentiment?"
L'auteur finit sur un espoir d'avoir au moins tracé des pistes pour répondre à ces questions. Il faut le lire, je vous dis.
Billet d'archives: L'âge des promesses non tenues
Pas qu'ils se portent moins bien que les minorités ethniques, ça non. Mais ils sont en perte de statut et ce n'est pas une chose anodine. Vous voyez la ligne rouge qui s'échappe des autres? C'est la mortalité des blancs américains, comparés aux hispaniques et aux citoyens de quelques autres pays. Avec un regard de médecin, cette ligne ressemble à une voiture qui sort de la route. La mortalité de tous diminue, et la leur elle augmente. Ils ne vont pas bien, je vous dis. Ce sont eux dont je vous parlais ici:
"Ce sont deux économistes qui ont signé ce papier, mais ils y parlent en fait de santé publique. Anne Case et Angus Deaton, le second tout fraîchement adoubé d’un prix Nobel d’économie, décrivent avec une sobre rigueur ce qui pourrait représenter les premières lignes d’une tragédie moderne. Après des années de recul, la mortalité a augmenté chez les Américains blancs âgés de 45 à 54 ans. Ce revers démographique ne touche ni les autres pays riches, ni les autres tranches d’âge, ni les autres groupes ethniques américains. Les Américains noirs par exemple ont toujours une mortalité plus élevée que celle de leurs concitoyens, mais elle continue tranquillement de diminuer. Non, ce sont les blancs parvenus à ce qui devrait être la moitié de leur vie qui sont ainsi touchés, prématurément, par un surcroît de décès. Cette conclusion a survécu à un barrage de critiques méthodologiques dont les plus pertinentes touchaient à la taille de l’effet : l’effet, lui, est bel et bien là.
C’est très impressionnant, ce genre de virage dans une grande tendance. Ça n’arrive pas si facilement. On l’avait vu en URSS, lorsqu’elle existait encore, sur les trois décennies qui en ont précédé la chute. Le signe, avaient déjà dit certains, d’une société qui ne tient plus vraiment ensemble. Cette fois aussi ce sont de grands nombres qui sont concernés par cette surmortalité. Les auteurs font un rapide calcul : si la mortalité de cette tranche d’âge était restée à son niveau de 1998, ce sont 96 000 décès qui auraient été évités. Si elle avait continué de chuter au même rythme qu’entre 1979 et 1998, on serait arrivé à un demi-million de morts en moins. Un taux comparable au total des morts américains du VIH jusqu’en 2015.
Les causes de décès sont impressionnantes elles aussi. En gros, ces personnes meurent de leur propre main. Le cancer pulmonaire ou le diabète ne tuent pas plus qu’avant : ce sont les suicides, les maladies chroniques du foie et surtout les empoisonnements qui ont augmenté.
L’interprétation des auteurs ? Ces personnes décèdent parce que l’histoire les a mises au placard. Ces décès touchent surtout les personnes les moins éduquées, qui meurent à présent 4,1 fois plus dans la même tranche d’âge que leurs concitoyens les plus éduqués. D’autres études montrent une chute simultanée de la santé mentale, de la capacité au travail, et une augmentation de la prévalence de la douleur physique. Des contrôles plus stricts sur la prescription d’opiacés ont conduit certains patients vers l’héroïne de rue. Vient s’ajouter à cela une augmentation de la précarité matérielle depuis 2008. Les délocalisations, le chômage sans filet social. Une sorte d’épidémie, donc, mais pas dans le sens usuel. Une population qui perd le fil de son histoire et voit son avenir se fermer. Une génération éduquée dans le « rêve américain », convaincue de pouvoir améliorer sa vie à force d’effort, pour qui ce récit ne fonctionne plus comme auparavant. Pour eux, le réveil déchante sans doute plus que pour des minorités ethniques d’emblée plus lucides. Une génération qui endure à nouveau la douleur physique sans aide réelle, et succombe à l’addiction. C’est l’âge des promesses non tenues.
Les auteurs, à la fin, sont prudemment optimistes. La douleur et l’addiction sont difficiles à traiter, mais méritent des efforts importants. La perte du récit de sa vie, en revanche, sera plus difficile à aborder. En Europe, nous ne sommes apparemment pas touchés. Nos filets sociaux et nos services publics nous permettent une vie plus sûre, un avenir moins angoissant. Notre faible mobilité évite que le déracinement ne vienne s’ajouter à la marginalisation. Un environnement de travail plus humain, une histoire en dehors du travail, tout cela est protecteur. Une conclusion à laquelle la science économique ne nous avait pas habitués…"
Cet optimisme -prudent il est vrai- sur l'Europe fait plaisir à entendre, mais ce n'est pas du tout dit qu'il soit justifié. Si quelqu'un a des chiffres sur la question, merci de les indiquer dans les commentaires. Mais les chiffres ne sont pas tout. Si l'on retient de l'histoire la 'perte du récit de sa vie', on la croise pourtant: moins souvent qu'aux Etats-Unis, c'est vrai, moins souvent aussi que dans d'autres pays d'Europe. On la croise pourtant: trop souvent, et tout autour de nous.
Mes collègues: légalisons le diagnostic préimplantatoire
"Comment décide-t-on qu'une mutation doit être dépistée par DPI ou non? Comment fixer la limite éthique de la sélection d'embryon?
Les critères ne sont pas foncièrement différents de ceux du dépistage et du diagnostic génétique prénatal qui portent donc sur un fœtus et non un embryon. De plus, le DPI implique de travailler sur une quantité minime de matériel génétique, donc, la faisabilité d'un test donné devient un critère décisif, ce qui contribue à restreindre l'application du DPI par rapport aux analyses génétiques classiques. La sélection d'embryons est motivée par l'absence d'une maladie génétique bien précise pour laquelle le couple a des antécédents et aussi par l'absence d'anomalies chromosomiques qui entravent le développement de l'embryon pendant la grossesse. Les trisomies 21, 18 et 13 sont aussi dépistables à cette occasion, comme d'ailleurs au cours de toute grossesse normale. On est donc très loin d'une sélection d'embryons qui viseraient à éviter des handicaps mineurs, voir à favoriser des traits physiques considérés comme désirables.
De plus, la nouvelle loi encadre la notion de maladie grave en précisant qu'il s'agit de maladies qui se déclarent tôt dans la vie et impliquent des souffrances importantes et des fardeaux particulièrement lourds. Pas question donc de dépister les futures personnes qui ont un risque accru de maladie d'alzheimer ou d'autres pathologies qui se déclarent à partir de l'âge mûr.
Dans les pays où il est autorisé, combien de couples en moyenne ont recours au DPI chaque année?
Nicolas Vulliémoz:
Nous disposons par exemple de données pour le Royaume-Uni, l'un des pays qui pratique le DPI depuis longtemps. Dans ce pays, 311 patientes ont eu recours au DPI en 2010 et 368 en 2011. Ce chiffre concerne les analyses sur les patientes porteuses d'une maladie génétique grave, comme la mucoviscidose.
Alexandre Mauron:
Le dépistage d'anomalies chromosomiques, c'est-à-dire non liées à une maladie monogénique (due à une mutation dans un gène particulier) peut faire augmenter le recours au DPI, mais de façon limitée car qui dit DPI dit fécondation in vitro et donc problèmes d'infertilité associés à des antécédents de fausses couches par exemple. Nul part, y-compris dans les pays les plus libéraux, il n'y a de DPI systématique chaque fois qu'il y a fécondation in vitro. Il faut des indications supplémentaires pour justifier le DPI comme dépistage des anomalies chromosomiques (dépistage des aneuploïdies). L'idée que des couples fertiles pourraient renoncer à faire des enfants selon la méthode traditionnelle et passer par la fécondation in vitro pour «sélectionner l'enfant parfait» relève du fantasme.
Bonjour, la question de l’eugénisme est certes mise en avant par les opposants. Pourtant, avec une loi plus large que le texte constitutionnel, n'y a-t-il pas un réel risque de sélection?
Il y a un malentendu sur le genre de sélections que le DPI rend possible. Ce qui a été présenté comme un élargissement de la loi par rapport au texte constitutionnel est motivé par le but d'augmenter le taux de succès de la fécondation in vitro. La sélection que le DPI rend possible est principalement celle d'embryons dépourvus d'anomalies majeures qui interrompront son développement bien avant la naissance. Le dépistage d'anomalies chromosomiques compatibles avec la survie, comme la trisomie 21, continuera d'être fait par les méthodes de dépistage prénatal classique qui s'adressent à toutes les femmes enceintes.
L'analogie avec l'eugénisme d'antan ne tient pas parce que celui-ci visait un effet sur la population en général et se servait de mesures autoritaires, comme la stérilisation des «indésirables». On est très loin des instruments actuels de diagnostic qui servent à donner aux femmes et aux couples un choix face à la perspective d'une maladie grave de leur enfant. Parmi toutes les méthodes d'analyse génétique existantes, le DPI est au fond celle qui a le moins de potentiel eugénique, précisément parce qu'elle est ciblée sur des catégories minoritaires de personnes, à savoir les couples qui ont des antécédents d'une maladie génétique précise et les couples infertiles qui ont une histoire clinique de fausses couches ou d'autres problèmes survenant au cours de la grossesse.
Bonjour, est-ce que le DPI permet de savoir si son enfant va voter à droite ou à gauche plus tard? Ou d'abord à gauche puis à droite et inversement? Merci de vos lumières scientifiques. G.
On se fait beaucoup d'illusions sur le pouvoir prédictif de l'information génétique. La génétique humaine est née de la médecine et elle est donc surtout bonne pour identifier les gènes impliqués dans des maladies. Elle est faible quand il s'agit d'identifier la base génétique éventuelle de traits de comportement. D'autant plus que ces traits de comportement sont souvent le résultat d'une interaction immensément complexe entre le génome, l'environnement et la biographie des personnes. Donc non, le DPI, ni la génétique en général ne permettront jamais de faire une telle prédiction."
Décidément, légalisons le diagnostic préimplantatoire
C'est aussi normal, ça. Vouloir interdire le DPI, ce n'est pas seulement vouloir défendre la vie des embryons. Si vous voulez interdire le DPI, vous ne voulez pas seulement éviter d'y avoir recours. Vous voulez aussi empêcher les autres d'y avoir recours. Vous voulez les contraindre à agir comme s'ils pensaient comme vous. Là est le hic, bien sûr... Car personne ne songe à rendre le DPI obligatoire. Il s'agit de savoir si cette option sera légale ou non. Si vous pensez qu'un embryon est une personne comme vous et moi, il est évident que vous n'allez pas avoir recours à cette technique. En revanche, on vous demandera s'il vous plait d'avoir le même respect pour ceux qui ne pensent pas comme vous.
Le peuple ne s'y est pas trompé l'an dernier. Les personnes qui ont recours au DPI n'ont pas de buts sinistres. Ce sont des personnes sensées, lourdement touchées par le sort. Certaines ont déjà perdu un enfant. Ces parents ne veulent pas un enfant parfait. Ils veulent un enfant tout simplement. Ces personnes méritent un peu de confiance. Il faut évidemment voter oui une nouvelle fois.
La RTS a fait un petit sujet au téléjournal l'autre jour. Il clarifie bien ce dont il s'agit. Regardez-le et dites-nous ce que vous en pensez. Et au passage, vous avez vu qu'ils ont quand même réussi à glisser une référence à GATTACA? Terrible, ça. Car évidemment le DPI ça ne permet en rien de manipuler les gènes des embryons. On regarde, juste. Et ça ne permet pas non plus de sélectionne un 'enfant parfait', évidemment. Il faudrait pour cela avoir un nombre d'embryons nettement plus grand que ce qui est possible. Un peu comme si certaines personnes pensaient, finalement, que les ovules sont aussi nombreuses que les spermatozoïdes. Eh bien non, ce n'est pas le cas, et cela veut dire que même si des savants fous avec un sinistre projet eugéniste existaient vraiment, ils se casseraient les dents sur cette limite...
Légalisons le diagnostic préimplantatoire
Comme nous allons voter à nouveau, et même si c'est sur la même question, un rafraîchissement est utile. Je me suis livrée à l'exercice dans Le Temps. Le lien est derrière le texte:
Maintenir l’interdiction du diagnostic préimplantatoire, c’est accabler les quelques parents concernés, sans réellement protéger personne. Le peuple l’a compris l’an dernier, lorsque nous avons largement accepté l’article constitutionnel. La loi sur la procréation médicalement assistée, sur laquelle nous voterons le 5 juin prochain, avait alors déjà été acceptée par le parlement. On a donc pu se prononcer en connaissance de cause.
Le diagnostic préimplantatoire, la plupart des pays d’Europe l’autorisent déjà. Sous l’angle technique, c’est une méthode pouvant être utilisée lors d’une fertilisation in vitro et qui ne concerne donc potentiellement que 2% des naissances en Suisse. Il permet d’analyser certaines caractéristiques génétiques d’un embryon très précoce pour décider s’il sera implanté, ou non.
Il y a deux raisons de faire cela, et les analyses autorisées seront limitées à ces deux raisons. La première est d’améliorer le taux de succès de la PMA. Certaines anomalies chromosomiques empêchent le développement normal de la grossesse. A ce stade, on ne fait pas une analyse fine. En termes géographiques, on regarde le nombre de cantons sur la carte. On peut voir s'il y en a un qui manque, ou s'il n'a pas la bonne forme, on ne voit pas s'il manque une personne ou qui a déménagé. Dépister ces anomalies, c’est éviter des fausses couches.
La seconde raison d’utiliser le diagnostic préimplantatoire, c’est qu’il permet de diagnostiquer des maladies génétiques. Là, en termes géographiques, on regarde si une personne spécifique est à la bonne adresse. Actuellement, les personnes qui savent qu’elles risquent de transmettre une maladie grave à leur descendance peuvent avoir recours au diagnostic prénatal et à l’interruption de grossesse. Lorsqu’un couple a recours à la PMA dans cette situation, la voie légale en Suisse leur dicte de commencer une grossesse « à l’essai ». Le recours au diagnostic préimplantatoire éviterait ces grossesses et ces avortements.
L’interdiction actuelle du diagnostic préimplantatoire accable donc les couples concernés. En même temps, cette interdiction protège des embryons précoces contre une conception sans implantation. Ceux qui mettent les intérêts de ces embryons devant ceux des couples s’opposent donc à l’autorisation de cette technique.
Qui d’autre est protégé par l’interdiction du diagnostic préimplantatoire ? En fait, personne. Le diagnostic préimplantatoire ne permet pas d’avoir un «enfant parfait». Il faudrait pour cela être capable de tout voir dans les gènes puis de choisir parmi un nombre immense d’embryons. Impossible de voir autant, c’est une limite technologique. Impossible d'obtenir autant d'ovules, ici c'est une limite biologique.
Interdire le diagnostic préimplantatoire ne protège pas non plus les personnes vivant avec un handicap. Les associations de défense du handicap ont alerté sur le risque de stigmatisation si des maladies venaient à être étiquetées comme raison de ne pas implanter un embryon. Ce souci a été entendu. Le cadre légal est neutre, strict, extraordinairement prudent, et ne fera aucun mal aux personnes qui vivent avec un handicap. Continuer d’interdire le diagnostic préimplantatoire ne leur serait en fait d’aucun secours. Refuser la loi serait une mesure alibi, tout juste bonne à nous donner un semblant de bonne conscience à bon marché. Cette impression d’avoir bien fait, on se l’offrirait sur le dos de parents déjà lourdement frappés par le sort, et de couples qui ne veulent rien d’autre qu’un enfant, tout simplement.
La décision de juin dernier était sage : il est temps de légaliser le diagnostic préimplantatoire.
Décidément, il est temps de légaliser le diagnostic préimplantatoire
Alors oui, décidément il est temps de légaliser le diagnostic préimplantatoire. Mais commencez par aller lire leurs histoires. Après, revenez pour nous dire ce que vous en pensez...
Il est temps de légaliser le diagnostic préimplantatoire (3)
Il y a plusieurs raisons. A mon avis, elles ne tiennent pas. En tout cas, elles ne tiennent pas comme raisons de continuer d'interdire le DPI. Mais c'est évidemment ici que je vais vous parler des désaccords. Dites-nous donc ce que vous en pensez dans les commentaires...
Alors allons-y:
Si le DPI soulève à ce point la controverse alors qu'il serait tellement décent de l'autoriser, c'est en partie parce qu’il touche à l’embryon. Et évidemment, le statut de l’embryon est une question qui nous divise. La loi actuelle, cependant, permet le diagnostic prénatal et l’interruption de grossesse. En d’autres termes, en interdisant le diagnostic préimplantatoire, nous protégeons davantage un embryon de huit cellules qu’un fœtus nettement plus formé de 14 semaines. Ce n’est pas défendable.
Certains craignent que l'autorisation d'analyser les gènes ne donne aux parents l'envie de choisir sur cette base un 'enfant parfait', 'zéro défauts', comme sur catalogue. Qu'ils en aient envie...sans doute: cela fait partie du fait de devenir parent, ça, d'avoir plein d'envies irréalistes et d'ensuite faire la connaissance d'une vraie personne qui est différente de tout cela et qui nous surprend. Qu'ils en aient envie, donc, oui sans doute. Mais la technique ne le permet tout simplement pas. Il faudrait pour cela être capable de tout voir dans les gènes, et ce n'est pas possible. Même si nos connaissances étaient beaucoup plus avancées, nos gènes ne nous résument en fait pas à ce point là. En plus, même en supposant qu'on puisse vraiment lire le destin entier de quelqu'un dans son génome, il faudrait ensuite un nombre immense d'embryons pour en choisir un qui soit 'parfait'. Pas possible d'obtenir autant d'ovules, c'est une limite biologique.
Le diagnostic préimplantatoire soulève aussi des craintes d’eugénisme. Mais en fait, les parents qui décident d’y avoir recours n’ont pas ce genre de motivation. En plus, il s’agit ici de leur donner des choix. On est donc loin de l’eugénisme. D'ailleurs un des problèmes de l'eugénisme était précisément l’intrusion de l’état dans des décisions reproductives personnelles. Même si on en reste de toute manière très éloigné, on s'en approche en fait plus en interdisant le DPI qu'en l'autorisant.
Certains craignent malgré cela que les parents se voient contraints par la pression sociale, que ce choix ne soit qu’une illusion. Mais alors la solution n’est pas l’interdiction du diagnostic préimplantatoire : c’est le conseil génétique non directif et la protection en consultation médicale de la liberté de choix des parents.
Certains ont aussi peur que l'autorisation du DPI ne devienne un moyen pour empêcher toujours plus d'enfants handicapés de naître. Cette crainte est touchante, parce qu'elle révèle à quel point nous exagérons le pouvoir de la génétique, et de la médecine en général. En fait, même si nous nous mettions tous à faire des enfants exclusivement in vitro et même si après cela nous avions tous recours au DPI, et encore même si nous examinions toutes les causes connues de handicap liées à la génétique, nous n'obtiendrions pas un monde sans handicap. On peut s'en réjouir ou le déplorer, mais l'important est de le constater. Un nombre croissant de handicaps sont actuellement liés à des causes qui ne sont pas génétiques. Même les causes génétiques ne sont pas toutes connues, et donc on ne sait pas les identifier. En plus, il n'est pas question d'autoriser l'examen de tous les gènes. Si le DPI est autorisé en Suisse, ce sera pour une catégorie très limitée d'anomalies génétiques. Et puis bien sûr, on ne s'attend pas vraiment à voir tout le monde remplacer subitement la procréation 'maison' par la médecine.
Finalement, les associations de défense du handicap nous rendent attentifs au risque de stigmatisation de personnes handicapées si leur maladie venait à être étiquetée comme raison de ne pas implanter un embryon. Ce souci, il faut l’entendre. La loi ne prévoit par conséquent effectivement pas de nommer de maladies mais définit à la place un cadre strict. C'est en fait ici que se situe les enjeux les plus réels. Le projet de loi a fait l'objet de discussions très nourries, et il est finalement arrivé à proposer une solution raisonnable, et très prudente, à un problème difficile. Le cadre, comme il est prévu, ne va pas faire de mal aux personnes qui vivent avec un handicap. Évidemment, on n'aura rien fait non plus pour elles avec cette loi. Leur situation restera inchangée. Cela aussi il faut l'entendre. Nous devons continuer de faire mieux, effectivement, pour donner à tous les moyens de vivre une vie entière et digne même lorsque leurs besoins sont différents.
Mais pour faire cela, continuer d’interdire le diagnostic préimplantatoire ne serait d’aucun secours. En fait, il s’agirait d’une mesure alibi. Elle serait tout juste bonne à nous donner bonne conscience à bon marché. Et on se ferait cette fausse bonne conscience sur le dos de parents déjà lourdement frappés par le sort, et de couples qui ne veulent rien d'autre qu'un enfant, tout simplement.
Nous avons donc interdit le DPI, mais en y regardant de plus près il n'y a pas de bonne raison de maintenir cet interdit. Alors en l'absence d'une bonne raison d'interdire, au nom de quoi, finalement, voudrions-nous décider à la place des couples concernés? Et voilà: une troisième raison pour laquelle il est temps de légaliser le DPI...
Il est temps de légaliser le diagnostic préimplantatoire (2)
Je vous le disais dans le dernier billet, c'est un geste un peu (pas mal) technique. Je vous avais déjà parlé de certains de ses enjeux ici et ici. C'est aussi un geste qui ne concerne directement que peu d'entre nous. Heureusement, les maladies héréditaires graves sont rares. Mais le DPI sert aussi à autre chose: il améliore l'efficacité de la fertilisation in vitro. Et là, nettement plus de personnes sont concernées. Là, vous connaissez en fait certainement (peut-être sans le savoir) quelqu'un qui aurait été heureux que le DPI soit légal en Suisse. Pourquoi? Pour le comprendre, il faut aller voir de plus près une autre histoire.
Imaginez cette fois que vous essayez de faire un enfant mais que cela ne marche pas tout seul. Vous finissez par consulter un médecin et il se trouve que vous allez devoir avoir recours à la fertilisation in vitro. Vous devrez ici remplir un certain nombre de conditions: être mariés, être suffisamment jeunes pour pouvoir élever votre futur enfant jusqu'à sa majorité. Si ces conditions sont remplies, vous (ou votre femme si vous êtes un homme) allez devoir subir une stimulation hormonale puis un prélèvement d'ovules. Ces ovules, en nombre variable mais forcément limité, seront ensuite mis en contact du sperme de votre mari. Le résultat, si tout va bien, sera un certain nombre d'ovocytes imprégnés.
A ce stade, la loi actuelle permet d'en développer trois jusqu'à un stade où ils peuvent être implantés. Les autres seront congelés et pourront servir à de nouvelles tentatives si ça ne marche pas la première fois. En 2013, 10'975 tentatives ont été faites chez 6180 femmes, et il en a résulté 1891 naissances. En fait, ça n'a marché que pour un peu moins d'un couple sur trois. Pas rien, mais pas non plus immense, comme résultat. Ensuite, évidemment, les couples chez lesquels ça ne fonctionne pas du premier coup peuvent recommencer, mais c'est à chaque fois très éprouvant, cela signifie des fausses couches en partie évitables, et en plus ce n'est pas (mais alors là pas du tout) gratuit.
Le rapport avec le DPI? En fait, une partie des embryons qui ne donneront pas de grossesse, ou qui donneront une fausse couche, on est capable de les identifier si on examine leurs chromosomes. Ce n'est pas une analyse génétique fine. Entre l'analyse génétique et l'examen des chromosomes, il y a une différence qui ressemble un peu (un peu) à la différence qu'il y a entre faire la liste du nom et du domicile de tous les habitants de Suisse d'une part, et d'autre part simplement regarder la taille et l'emplacement des cantons. Les chromosomes, c'est un peu comme les cantons. On voit s'il y en a un qui manque, ou s'il n'a pas la bonne taille ou pas la bonne forme, mais ça ne permet pas de savoir s'il manque une personne à telle ou telle adresse.
Sauf qu'avec la loi actuelle, regarder quels sont les embryons qui ne vont pas donner de naissance, c'est interdit. On est obligé de les implanter tous, trois par trois, et de vivre avec ce taux d'échec alors que l'on sait qu'une analyse assez simple permettrait d'améliorer la technique et de permettre plus de naissances, plus vite, chez un plus grand nombre de couples.
Et voilà, une deuxième bonne raison de légaliser le DPI.
Il est temps de légaliser le diagnostic préimplantatoire (1)
Voilà la première: imaginez qu’une amie vienne vous parler d’un cas de conscience. Sa famille vient de traverser une tragédie. Lors de la naissance de son premier enfant, une maladie génétique rare a été découverte chez lui. Cet enfant n’a jamais pu se développer normalement, et il est décédé en bas âge. A présent, elle et son mari souhaitent avoir un autre enfant. Seulement voilà, ils se savent désormais porteurs de cette maladie, qui peut également survenir lors d’une nouvelle grossesse. Que faire ?
Actuellement, la loi Suisse est claire. S’il veut éviter de revivre ce qu’ils viennent de traverser, ce couple peut adopter, renoncer à fonder une famille, ou alors ils peuvent mettre en route une grossesse ‘à l’essai’. Ils peuvent concevoir un enfant, le porter pour le premier trimestre, pratiquer un diagnostic génétique prénatal, puis interrompre la grossesse si le fœtus est porteur de la même maladie. Là est le cas de conscience que se pose votre amie : a-t-elle le droit de concevoir un enfant en sachant d’emblée qu’elle ne le gardera peut-être pas ?
Le diagnostic préimplantatoire permet d’éviter cela. Il s’agit d’un examen génétique, pratiqué dans le cadre d’une fertilisation in vitro et qui permet de voir avant l’implantation si un embryon est ou non porteur d’une maladie génétique grave. Actuellement cependant, cette technique est illégale en Suisse. Le projet soumis au vote ouvrirait la voie à sa légalisation.
Vu sous cet angle, le diagnostic préimplantatoire n’est pas un problème : c’est une solution. Il permettra une alternative à la ‘grossesse à l’essai’ aux parents. Il n'empêchera pas la venue au monde d'enfants qui, sans lui, seraient nés. Le DPI ne peut se faire que lors d'une fertilisation in vitro, impossible de faire ça dans une grossesse démarrée par soi-même. Et la fertilisation in vitro, on n'a le droit d'y avoir recours que si on est stérile ou s'il n'y a pas d'autre moyen d'éviter la transmission d'une maladie grave à sa descendance. C'est important de le comprendre. Le DPI ne va pas servir à dépister des maladies supplémentaires par rapport à ce qui est autorisé actuellement pendant la grossesse. Il ne permet pas de faire quoi que ce soit contre des enfants. Il permet en revanche de beaucoup aider les parents. Nous cesserions de leur imposer une grossesse à l'essai.
Voilà déjà une première raison de le légaliser.
Mes collègues: autoriser le DPI
"Certains considèrent que l’embryon marque le début de la vie et qu’il est sacré, quel que soit le nombre de cellules qui le composent. Dès lors, ces personnes refusent l’avortement, qu’il soit effectué sur un embryon ou un fœtus. De même, elles s’opposent au diagnostic effectué sur un embryon en laboratoire avant implantation dans l’utérus (diagnostic préimplantatoire ou DPI). Le plus souvent, leur opposition est totale, peu importe le motif médical qui sous-tend le DPI. Leur position est cohérente: la vie est absolument sacrée.Pour ceux qui n’ont pas ces convictions, il paraît difficile de s’opposer au DPI. Pourtant plusieurs groupes, notamment ceux représentant les intérêts de personnes handicapées, se sont récemment élevés contre le vote du parlement fin 2014 révisant la loi sur la procréation médicalement assistée; il est prévu de lever l’actuelle interdiction totale du DPI et d’autoriser celui-ci notamment pour dépister des trisomies. Leurs critiques se heurtent pourtant aux arguments suivants."
Diagnostic préimplantatoire: questions stratégiques
Pour rappel, sous l'angle technique, le diagnostic préimplantatoire c'est une méthode pouvant être utilisée lors de la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.
Toujours pour rappel, sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.
En Suisse, actuellement, ce geste est interdit. Cela pose problème, car une des conséquences est que les couples frappés par une maladie génétique grave et qui souhaite avoir un enfant malgré cela doivent passer par une "grossesse à l'essai". Concevoir un enfant, attendre pour pratiquer un diagnostic prénatal -qui est autorisé- tout en sachant que si la maladie est présente ils avorteront à ce moment et recommenceront.
Le Conseil Fédéral a proposé de légaliser le DPI, ce qui viserait à résoudre ce problème. Il s'est cependant positionné de manière vraiment très prudente. Si prudente, en fait, que le projet proposé aux chambres risquerait de rendre le DPI légal sans le rendre véritablement réalisable en Suisse. Il est par exemple proposé de limiter à huit le nombre d'embryons que l'on pourrait développer à chaque fois pour tester la présence de la maladie et en implanter un qui ne serait pas atteint. Selon les experts, cela aurait pour effet de rendre non rentable la pratique du DPI en Suisse. Les taux de succès ne feront simplement pas le poids par rapport à l'offre disponible à l'étranger. On autoriserait donc, mais virtuellement seulement.
Cette position très prudente a été suivie par le Conseil des Etats. Il a également suivi le Conseil Fédéral sur le projet d'interdire les diagnostics de trisomies. Il l'a encore suivi en acceptant d'interdire l'analyse des embryons pour la compatibilité HLA en cas de maladie d'un frère ou d'une soeur: ce que l'on appelle parfois le 'bébé sauveur'. Il a finalement interdit l'accès au DPI à tous les couples ayant recours à la fertilisation in vitro pour en limiter l'accès aux couples qui savent qu'une maladie héréditaire grave est présente dans leur famille.
Le Conseil national, lui, a vu les choses autrement. Sa proposition est de ne pas limiter dans la loi le nombre d'embryons que l'on pourrait développer. Ce nombre serait ainsi fixé par les limites biologiques (on ne fait pas un nombre infinis d'ovocytes par cycle, même sous stimulation), et par les règles de l'art médical. Il a aussi proposé d'autoriser le diagnostic des trisomies.
Alors maintenant, quoi? De toute manière, le peuple va à la fin devoir voter car il y a un changement constitutionnel à la clé. La discussion se trouve maintenant en résolution des différences, mais à la fin la décision porte sur quel texte soumettre au peuple. Un texte plus prudent, sans doute, aurait de meilleures chances de passer. On aurait ainsi légalisé le DPI, dans un cadre extrêmement strict. Un texte permettant réellement la pratique du DPI, en revanche, ne pourrait pas être aussi restrictif. Le vrai risque n'est donc sans doute pas de se retrouver à la case départ. Le vrai risque, cela pourrait être de proposer la prudence par souci de compromis, pour se retrouver ensuite avec un texte strictement symbolique, qui ne satisferait personne, et qui bloquerait la situation pour au moins une décennie...
Qui veut de bonnes universités ne se limite pas à une nationalité
Malgré l'image en forme de boutade qui ouvre ce billet, cette concentration d'excellence n'est sans doute pas due (c'est peut-être dommage) à notre consommation de chocolat. Elle est due, bien sûr, à un grand nombre de facteurs. Parmi eux, cependant, il y a la possibilité d'attirer dans nos Universités, nos Hautes écoles, nos laboratoires, les meilleurs chercheurs quelles que soient leurs nationalités. Ils amènent leur intelligence, mais aussi leurs réseaux, les chercheurs nés en Suisse en bénéficient comme étudiant d'abord, puis en allant à leur tour à l'étranger plus facilement grâce à des liens ainsi tissés, pour revenir contribuer à leur tour de retour au pays.
Pas étonnant, donc, que les représentants de la place scientifique suisse prennent ici position. Même si la science n'est 'que' l'un des secteurs parmi tant d'autres qui seraient tout aussi durement touchés, c'est un secteur où notre pays sort jusqu'ici du lot, et n'en sortirait plus à la suite d'un 'oui'. Voici donc un extrait et le lien:
"La libre-circulation des personnes avec l’Union européenne (UE) est à ce titre la voie royale pour maintenir l’excellence de la formation et de la recherche.
1. La libre-circulation facilite le recrutement de personnel scientifique hautement qualifié.
2. La libre-circulation permet aux étudiantes et étudiants suisses, mais aussi aux chercheuses et
chercheurs, de se perfectionner en Europe sans complication.
3. La libre-circulation est la condition préalable aux accords bilatéraux avec l’UE sur la formation et la recherche, qui ont fait leurs preuves."
Limiter l'immigration en la plafonnant, cela impliquerait en effet plusieurs conséquences. D'abord, un plafond quand on l'atteint on s'arrête. Donc si la personne suivante aurait apporté une contribution, peut-être même immense, on s'en prive avec pour seule raison sa place dans la liste d'arrivée. Ensuite, fixer des plafonds implique de négocier un secteur contre un autre. Alors bon, la science est importante certe, mais vous comprendrez qu'il faille renoncer au chercheur de génie alors que l'on manque cruellement d'infirmières dans certains secteurs, ou qu'il manque la main d'oeuvre pour construire des logements...mais non attendez, justement on aura cette année une infirmière de moins dans vos soins intensifs car il y a eu un couple de plus, une femme étrangère qu'un Suisse a voulu épouser. Comment ça elle ne comptera pas? Qui vous le dit? Ce n'est en tout cas pas précisé dans l'initiative, qui précise au contraire que "Les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées en vertu du droit des étrangers". Et bien sûr le droit du conjoint d'un Suisse à séjourner en Suisse est réglé par ce droit. Peut-être faudra-t-il au contraire attendre pour se marier que les hôpitaux aient fini de recruter, le bâtiment d'embaucher...et l'on aura même pas abordé ici la question du droit d'asile.
Très franchement, on a du mal à se l'imaginer concrètement. Mais alors c'est qu'il ne faut pas l'accepter. Tout simplement. Et heureusement, il semblerait bien que l'on s'en rende compte.
Mes étudiants: Avorter peu, et en sécurité (3)
Maintenant, ses questions. La première est en lien avec le fait de payer pour d'autres alors qu'on n'est pas d'accord avec eux. Je vous en avais déjà parlé.
Sa question: "Vous présentez le remboursement de l'avortement comme une responsabilité collective, un acte nécessaire pour le bien de la société. Pourtant certaines personnes considèrent cet acte comme un meurtre. Pensez vous juste que certaines personnes soit obligé de cotiser pour ce qu'ils considèrent comme un crime?"
Il a tout à fait raison que certaines personnes considèrent l'avortement comme un meurtre. Et si l'on pense cela, alors il est évident qu'il ne faut pas le faciliter. Et il peut sembler que le rembourser, c'est le faciliter. Il est cela dit tout aussi évident que si l'on pense que l'avortement est un meurtre, alors il ne faut pas non plus l'autoriser. En d'autres termes si c'est cela que l'on pense alors cette initiative n'est pas la bonne réponse. Premièrement, elle continue de cautionner l'interruption de grossesse en ne la criminalisant pas. Deuxièmement, toujours de ce point de vue, elle met en effet les 'coupables' face à une certaine responsabilité puisqu'il y a de l'argent à payer, mais de manière complètement inégale. Les sommes en question sont très faciles pour les unes, et impossible pour les autres. En plus...où sont passés les hommes? Au-dessus des lois, pour le coup. De celle-ci, en tout cas. Une bien étrange punition, qui ne frapperait que les plus défavorisées.
A nouveau, donc, il y a ici une question qui dépasse largement l'interruption de grossesse. Il s'agit, sur le principe, d'une question d'égalité devant le droit. Ni plus ni moins.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles même les représentants des églises ne soutiennent pas cette initiative pour sortir l'interruption de grossesse de la prise en charge collective. La conférence des évèques de Suisse n'a pas pris position sur ce texte, et aurait 'mis en doute la pertinence du texte soumis au peuple'. Vous trouverez également ici, ici, ici et ici une série de commentaires contre l'intiative d'un point de vue très explicitement catholique.
La fédération des Églises protestantes de Suisse, elle, s'est clairement prononcée contre l'initiative.
Ces positions sont touchantes à plus d'un titre. D'abord, elles ont dû donner lieu à de vraies difficultés. Penser que l'avortement est un crime et ne pas vouloir soutenir une initiative qui l'excluerait du remboursement n'est pas anodin. Mais du coup ces positions font preuve d'une grande honnêteté. On voit bien que, pour les églises, il serait difficile de défendre une position qui voudrait que l'avortement soit interdit, mais alors seulement pour les plus faibles et les plus humbles d'entre nous...
Un autre point crucial est que finalement tout le monde semble d'accord qu'il est important de voir diminuer le nombre d'avortements. Malgré une expression trop fréquente, donc, personne n'est réellement pour l'avortement. Les personnes décrites ainsi sont habituellement pour l'accès à un avortement dans des conditions de sécurité. Ces personnes sont aussi pour le droit des femmes à la sécurité et à la propriété de leur propre corps. Mais personne ne pousserait des cris de joie à voir le nombre d'avortements augmenter. Si tout le monde est d'accord sur ce point, cela dit, alors la question devient: qu'est-ce qui marche? Et il semble qu'en Suisse, notre système actuel marche en fait plutôt bien. Tranquillement, tenacement, les interruptions de grossesse tendent à diminuer. Si cette évolution se fait au prix d'un remboursement solidaire, alors c'est peut-être que c'est cela qui marche. Et cela, toutes les personnes qui se réjouissent de cette diminution devraient pouvoir le soutenir...solidairement.
Mes collègues: avorter peu, et en sécurité (2)
C'est une réalité très concrète. Interrompre une grossesse coûte, d'après les estimations disponibles, entre 500.- et 3000.-. Une somme qu'un grand nombre de personnes peuvent se permettre si elles l'estiment vraiment important. Ces personnes pourraient être tentées de penser que, du coup, ce n'est pas si grave si l'assurance ne payait plus. Mais il se trouve que l'Office fédérale de la statistique a posé récemment à la population suisse une question qui concerne justement cela. "Si vous deviez faire face à une dépense inattendue" nous a-t-on demandé (j'étais parmi les foyers questionnés) "pourriez-vous le faire?" et il était précisé, car on ne peut pas vraiment répondre sans cette précision, qu'il s'agissait d'une dépense de deux à trois mille francs. A peu près le coût, donc, d'une interruption de grossesse. Les résultats? 17% de la population a répondu que non. Parmi ces personnes, 18% des femmes et 16% des hommes. Pas une grande différence peut-être, mais elle est bel et bien là. Parmi les personnes n'ayant complété que la scolarité obligatoire, ce chiffre monte à 30%, parmi les personnes au chômage à 51%. Les personnes vivant seules de moins de 65 ans (au-dessus, les grossesses sont rares): 23%. Les familles monoparentales: 48%. Les couples avec enfants font mieux, mais ce n'est pas rose non plus: entre 15 et 20% ne peuvent pas faire face à une dépense inattendue de ce montant, cela varie selon le nombre d'enfants. Les personnes qui ont répondu non sont aussi plus nombreuses en Suisse romande (26%) et en Suisse italienne (25%) qu'en Suisse allémanique (13%). Impressionnant, comme au travers de cet indicateur on voit se dessiner les fragilités de notre société.
Que déduire de ces chiffres? D'abord, que Denis Müller a raison: dérembourser l'avortement défavoriserait les femmes défavorisées. Elle sont finalement une part substantielle de la population, mais le fait qu'elles soient néanmoins minoritaires les fragilise également ici face au vote à la majorité qui est la règle du scrutin populaire.
Ensuite, il a encore raison lorsqu'il parle ici de solidarité. Garder l'interruption volontaire de grossesse dans les prestations de la LAMal, c'est accepter de protéger, collectivement, ces femmes défavorisées contre les risques liés aux avortements clandestins, non médicalisés, dangereux. Il y a là des risques véritables, vérifiés historiquement et encore aujourd'hui dans les pays où l'avortement en sécurité n'est pas accessible. Ces risques, il est juste que nous payons collectivement pour les écarter. Il est juste que nous payons tous: les hommes aussi, ainsi que les femmes qui pourraient au besoin se payer une interruption de grossesse elles-mêmes, ou qui choisiraient personnellement de ne pas y avoir recours.
Cette prise en charge collective est juste, comme l'est toute une série d'autres prises en charges collectives pour des choses que nous n'utilisons pas tous, et qui parfois ne font pas consensus non plus. Les personnes sans voiture co-financent les autoroutes, les personnes sans enfants les subsides des crèches. Les membres convaincus du Groupe pour une Suisse sans armée co-financent comme tout le monde l'armée, les cyclistes militants participent au financement du réseau routier. Il est juste qu'il en soit ainsi: nous sommes une collectivité. Il y a ici un enjeu politique dont l'importance dépasse largement la seule interruption de grossesse.
Avorter peu, et en sécurité (1, sans doute...)
Elle semble à première vue idyllique, cette image. Une jeune maman et son bébé, qui sourit comme sourient les bébés plus tout à fait nouveau nés, et juste avant Noël en plus. En dessous, un texte qui cible l'émotion: "Je ne veux tout de même pas cofinancer des avortements!"
Madame, je suis heureuse pour vous. Je trouve comme tout le monde votre image touchante. Voir une maman et son bébé heureux ensemble me rend heureuse moi aussi. Mais, cela étant dit, votre égoïsme me sidère.
Peut-être l'ignorez-vous, mais les complications d'une interruption de grossesse mal conduite incluent la stérilité, et peuvent aller jusqu'au décès. Le document auquel vous êtes associée voudrait faire de l'Autriche un exemple rassurant du contraire. Mais l'Autriche compte parmi les pays qui préfèrent ne pas tenir de statistiques de ce genre de choses. Il est facile, ensuite, de dire qu'on n'a rien observé. C'est aussi un pays où l'accès à l'interruption de grossesse est régulièrement remis en cause et qui pourtant a un des taux d'avortement les plus élevés d'Europe et nettement plus élevé que la Suisse. Les complications d'interruptions de grossesse mal conduites sont actuellement rares en Europe, mais elles existent encore là où l'avortement sûr n'est pas facilement accessible. L'Afrique du Sud a diminué de 90% les problèmes de santé liés l'avortement en le rendant légal, et le rendre légal c'est aussi le rendre plus accessible.
Peut-être l'ignorez-vous Madame, mais devoir payer une intervention, quelle qu'elle soit, peut aussi la rendre inaccessible. Dans le seul canton où l'on ait osé faire cette étude, on a constaté que près de 30% des Suisses dont les salaires sont dans la tranche inférieure ont renoncé récemment à des soins médicaux car ils ne pouvaient pas se permettre leur part des coûts.
Madame, peut-être l'ignorez-vous encore, mais 48% des femmes qui interrompent une grossesse en Suisse ont déjà des enfants. Un nombre qui n'est pas dans les statistiques souhaiteront en avoir par la suite. En voulant limiter l'accès à l'interruption de grossesse médicale, correctement conduite, vous voulez refuser à ces femmes une part de la possibilité de vivre le bonheur que vous clamez dans tous nos ménages. Vous voulez refuser à leurs enfants une part de la sécurité de garder leur mère.
Alors oui, Madame, vous devriez vouloir co-financer des avortements. Ils rendent possible pour d'autres femmes ce que vous vivez: une relation heureuse et désirée avec un enfant.
Mais peut-être, Madame, méritez-vous en fait que je sois plus douce avec vous: car après tout peut-être ignorez-vous aussi que votre image a été utilisée ainsi. Nous vivons après tout l'âge virtuel, et peut-être n'êtes-vous que l'image en ligne qui a été trouvée belle par les personnes qui font cette campagne...
Ces personnes, il faut espérer qu'elles seront minorisées le 9 février. Nous avons après tout voté il y a relativement peu de temps le régime des délais, et la Suisse fait figure d'exemple sur le plan des interruptions de grossesse: elles sont plutôt rares, et se font dans de bonnes conditions. Beaucoup de gens finalement savent ce que je viens de rappeler ici. La position qu'on vous prête a heureusement peu de chances d'être majoritaire.
Peut-être que ce qu'il faudrait rappeler à ces personnes, finalement, c'est qu'elles devraient se rassurer. Rembourser l'avortement ne l'augmente pas. Les pays qui rendent l'interruption de grossesse accessible n'en ont pas davantage. En fait c'est plutôt même le contraire: ils en ont moins. Non: rembourser l'avortement c'est une sécurité. C'est une mesure de prévention de ses complications lorsqu'il est mal fait. Cette sécurité est de toute manière accessible à ceux qui en ont les moyens. Garder l'interruption de grossesse dans l'assurance de base, c'est s'assurer que cette sécurité ne dépendent pas de nos moyens financiers.