Décider à la place de ses proches

Quand une personne malade ne peut pas prendre de décisions pour elle-même, quand elle est comme on dit incapable de discernement, comment s'assurer que les décisions médicales reflètent ce qu'elle aurait voulu? Parfois, c'est évident. Si j'arrive aux urgences inconsciente après un accident de la route, je serai soignée sans délai parce que c'est clair que c'est ce que voudrait toute personne. Ou suffisamment toute personne pour aller de l'avant sur cette base. Parfois, en revanche, c'est nettement moins clair. Si l'espoir de me sauver diminue, si je pourrais peut-être vivre un peu plus longtemps dans un mauvais état, faut-il me maintenir en vie artificiellement? Cela dépendra du degré d'espoir, de l'état où je suis, du temps probable, et surtout de mes priorités. Il deviendra très important de les connaître. Si je ne peux pas les exprimer, comment faire?

Depuis le premier janvier 2013, le Code civile donne à certains membres de la famille du patient le droit de décider à sa place. C'est un changement important. Suffisamment pour mériter deux billets. Le Conseil d'éthique clinique des HUG y a aussi consacré une recommandation. Ici, je vais commencer par aborder quelques points qui peuvent être au centre si la question est de décider à la place d'un proche. 

Ces mots sont pesés: c'est décider à sa place et non pas pour lui. La différence? Il s'agira de décider, autant que possible, ce que la personne elle-même aurait décidé. De déterminer comment elle aurait vu ses propres intérêts. Pas de décider ce que je veux, mais ce qu'elle voudrait.


Ce droit est donné par le nouveau Code civile selon un ordre de « proximité ». La priorité est d'abord donnée à la personne que le patient aurait désigné comme représentant thérapeutique dans une directive anticipée. S'il a un représentant légal nommé par un tribunal, il viendra en deuxième. C'est le choix du patient qui a donc la priorité. Ensuite, viennent dans l’ordre :
- son conjoint ou son partenaire enregistré, s’il fait ménage commun avec lui ou qu’il lui fournit une assistance personnelle régulière ;
- la personne qui fait ménage commun avec lui, et qui lui fournit une assistance personnelle régulière;
- ses descendants, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses père et mère, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses frères et sœurs, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière.

La notion d'assistance personnelle régulière n'est pas définie. Mais elle est censée signaler qu'il existe un vrai lien, fort, incarné dans une présence dans la vie de la personne, entre le patient et le proche. Si vous êtes mariés mais au milieu d'un divorce sanglant et que vous ne pouvez plus supporter de respirer le même air, on ne viendra pas vous demander s'il faut pratiquer une intervention sur votre mari ou votre femme. Ouf. En fait, cette liste vise un certain équilibre entre deux manières d'être proche: être un parent proche au sens des liens de parenté, et être un parent proche par le coeur. La proximité du coeur, évidemment, ne nécessite pas de lien de parenté. Elle peut exister à géométrie variable, être là plus ou moins, et compter quand même. La 'personne qui fait ménage commun' inclut par exemple ici à la fois l'amour de votre vie avec qui vous vivez sans être marié, ou un collocataire qui est un bon ami.

Ce droit, même dans les bonnes situations, comment l'exercer? On le voit, il va être difficile. D'abord, il faut être au clair sur ce qui est demandé.
Il y aura deux composantes ici: d'abord, que sais-je sur ce que la personne malade aurait voulu? Ensuite, que sais-je sur comment elle aurait vu, ici, son propre intérêt? Ensuite, c'est évidemment une responsabilité lourde, et que les personnes concernées perçoivent comme telle. Certaines sont hantées par ces décisions durant des années. En plus nous sommes tous, à un moment ou à un autre, débutants dans ce genre de décision.

En même temps, ce droit est important. C'est un droit à être inclus dans des décisions cruciales concernant ceux que nous aimons le plus, que nous connaissons le mieux. C'est un droit à être entendu, à rendre ce que nous savons de la personne malade plus visible. Une collègue norvégienne qui présente ses recherches dans le congrès où je suis ces jours a interviewé ces proches, et ils disent largement que cette inclusion, difficile, a été cruciale pour eux. Ils disent aussi une chose qui devrait être évidente: que vouloir être inclus n'est pas nécessairement vouloir décider soi-même, ni surtout vouloir décider tout seul. "Nous avons été écoutés, et ça a énormément compté; mais c'était aussi important qu'on nous laisse être d'abord des parents, ne pas devoir prendre les décisions des médecins". Décider ensemble, prendre les conseils des professionnels comme proches, prendre l'avis des proches comme professionnels, trouver ensemble les décisions qui conviennent le mieux à une personne malade. Un but qui devrait être très raisonnable...

Le côté très raisonnable de ce but, il mérite d'être rappelé. En donnant plus de droits aux proches, le nouveau Code civile peut soutenir ce partage de la décision. Mais il pourrait aussi être mal compris. Par exemple, il pourrait être compris comme donnant purement et simplement le pouvoir de tout décider aux familles, y compris pour des questions techniques et médicales. On peut comprendre qu'on serait, comme proche, souvent déroutés. Les professionnels le seraient aussi, si on se mettait à faire comme ça. Si les médecins se mettaient à demander 'alors, on fait quoi?' plutôt que 'expliquez-moi ce que votre proche aurait voulu' ou 'expliquez-moi qui est votre proche', comment réagirait-on? Pas tous de la même manière, sans doute. Mais de nombreuses personnes seraient alors démunies, laissée à elles-mêmes, comme contraintes à prendre des décisions dont certaines ne voudront pas: voilà le genre de malentendu qu'il faut à tout prix d'éviter.

Heureusement, c'est possible d'être aidé à traverser ces situations. Bien sûr, elles vont être intensément difficiles de toute manière. Mais il est possible d'être aidé. Les personnes qui les vivent sont soutenues si elles connaissent les priorités du malade, par exemple. En parler à l'avance avec sa famille, écrire des directives anticipées, c'est donc leur rendre service. Donner de la place aux soucis des proches dans l'hôpital, ça aide bien sûr aussi. Décider ensemble, c'est aussi accompagner au travers de la difficulté des décisions. Cela semble évident, et c'est en plus scientifiquement démontré. Mais là, même si des progrès ont eu lieu, il reste du chemin à faire. Nos hôpitaux restent trop souvent des lieux construits sans espaces pour cela, qui fonctionnent selon des logiques qui laisse trop peu de temps à cela. Oui, il reste du chemin. Bien comprendre ce que signifie décider à la place de ses proches, cela pourrait ici être un pas de plus...

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