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Mes collègues: Assistance au suicide en situation non terminale



C'est un sujet difficile. Un de ceux qui nous divisent. Lorsqu'une personne demande une assistance au suicide, cette personne doit-elle être en fin de vie pour l'obtenir?

Cette question nous divise comme citoyens. Elle divise aussi le corps médical.  L'Académie Suisse des Sciences Médicales a récemment mis en consultation une directive qui autoriserait l'entrée en matière dès lors que "Les symptômes de la maladie et/ou les limitations des fonctions du patient lui causent une souffrance insupportable", et à condition (entre autres) que "Des options thérapeutiques indiquées du point de vue médical ainsi que d'autres aides et soutiens ont été recherchés et ont échoué ou sont considérés comme inacceptables par le patient". Le patient n'aurait donc pas besoin d'être dans un état laissant penser que sa mort est proche. La FMH a récemment annoncé son opposition à cette possibilité. Des médecins se sont cela dit aussi exprimés en faveur de cette solution et regrettent parfois même que l'ASSM ne soit pas allée plus loin.

Hans Stalder, qui écrit dans le Bulletin des Médecins Suisses, commente ainsi un cas imaginé:

Mon patient de 80 ans est fatigué de vivre. Sa femme étant décédée, ses enfants quasi absents, il ­refuse d’aller dans un EMS. Je lui réponds que selon la déontologie médicale actuelle, je ne puis l’aider que si son décès est proche, mais que selon les nouvelles directives [2], je devrais m’assurer que ses souffrances sont ­insupportables, en cas de doute appeler un spécialiste pour évaluer sa capacité de discernement et consulter une tierce personne pour confirmer que son désir de mourir est mûrement réfléchi. Mon patient me répond: «Pourquoi toutes ces conditions? Vous me connaissez de longue date et j’ai pleine confiance en vous.»

...
Qui ­décide que les souffrances sont insupportables? N’est-ce pas une attitude patriarcale d’en faire une décision médicale visant plutôt à rassurer le médecin qu’à aider le ­patient? De plus ces directives risquent de prolonger la souffrance inutilement, surtout en cas d’issue fatale proche, car elles exigent même pour le médecin de ­famille connaissant bien son patient, que la capacité de discernement soit évaluée en cas de doute par un spé­cialiste et que le désir de mort soit durable et confirmé après des entretiens répétés et par une tierce personne.  

Francis Thévoz lui répond ici que Les chiffres de la croissance importante des inscriptions à Exit et celle des aides en fin de vie révèlent un changement profond de l’opinion publique devant la souffrance et les douleurs qui précèdent une mort que les médecins annoncent tout en refusant d’aider à mourir. Personnellement, je comprends bien cette attitude médicale, mais c’est votre patientèle qui ne la comprend pas! Et le risque d’une réglementation existe qui pourrait ignorer et la volonté du malade, et celle du médecin de proximité.

La FMH a raison, c'est clair: l'évaluation d'une "souffrance insupportable" posera effectivement des difficultés aux médecins. Cela ne signifie pas forcément, pourtant, que l'exercice doive être interdit aux médecins qui l'accepteraient. Une vraie question, donc.


Et vous, qu'en pensez-vous?


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Don d'organes: reparlons du consentement proposé

J'ai donné une conférence récemment sur le consentement au don d'organes. En Suisse, comme dans un certain nombre d'autres pays, on songe régulièrement à passer du système actuel du consentement explicite au système du consentement présumé. C'est une question dont je vous avais déjà parlé ici. Je vous avais déjà dit que je trouvais qu'une troisième option était ici là bonne: le consentement proposé. 

Voilà comment on pose habituellement la question:

Lorsqu'une personne décède, on ne peut actuellement prélever ses organes que si elle a pris le temps de faire une carte de donneur. Or, la plupart des personnes ne prennent pas le temps de faire cette carte, même si en fait elles seraient d'accord de donner leurs organes après leur mort. En fait, c'est entièrement compréhensible que nous préférions ne pas penser à notre propre mortalité. Mais ici le résultat est que nous ne prélevons pas des organes de personnes qui auraient en fait été d'accord, et le résultat de ça c'est que des patients meurent en liste d'attente, faute de transplantation.

Lorsque l'on pose la question comme ça, c'est entièrement normal de se dire que le consentement présumé semble être la solution. Dans ce système, on part du principe que la personne qui est décédée serait d'accord de donner ses organes sauf si elle a fait la démarche de s'y opposer. L'idée est donc que hop, un petit changement de loi, chacun reste libre de dire non, et on aura augmenté le nombre de transplantations et ainsi le nombre de vies sauvées.

En fait, quand on regarde ce qui est arrivé dans les pays qui ont fait ça, les chiffres sont très décevants. Ce n'est tout simplement pas vrai que passer du consentement explicite au consentement présumé augmente le nombre de greffes. Ou plutôt, ce n'est pas sûr. Il y a des pays où ça a été le cas, d'autres où non, il y a même des pays où ça a été suivi d'une chute du don d'organes.

Que se passe-t-il? En Suisse, on sait en fait pas mal de choses sur les circonstances du don d'organes. Et il y a un fait plutôt méconnu qui transforme la question:

Lorsqu'une personne décède, on ne peut actuellement prélever ses organes que si elle a pris le temps de faire une carte de donneur, ou si ses proches consentent au don à sa place. Or, la plupart des personnes ne prennent pas le temps de faire cette carte, même si en fait elles seraient d'accord de donner leurs organes après leur mort. En fait, c'est entièrement compréhensible que nous préférions ne pas penser à notre propre mortalité. Nous n'en parlons souvent même pas avec nos proches. Le résultat est que lors de notre mort, ils ignorent si nous étions ou non d'accord de donner nos organes. Dans le doute, beaucoup de proches préfèrent dire non.

En Suisse, seul environ 5% des prélèvements d'organes chez des personnes décédées ont lieu sur la base d'une carte de donneur. Tous les autres se fondent sur le consentement de membres de la famille du mort. Tous les autres, c'est à dire presque tous. On n'en prend que rarement la mesure. Ces proches endeuillés, comment leur reprocher de préférer, souvent, et dans le doute, dire non? Mais aussi, comment s'attendre à ce leur situation change si nous passions au consentement présumé? Peu de gens prennent aujourd'hui une carte. Peu de gens s'opposeraient si nous présumions le consentement. Soit. Mais cela signifie simplement que la plupart des familles resteraient, comme aujourd'hui, dans le doute. Et comme maintenant, dans le doute beaucoup préféreraient dire non.

La solution, c'est de rendre obligatoire ou en tout cas nettement plus insistante la demande que chacun se détermine. On pourrait mettre une case à cocher sur la carte d'identité, ou la carte d'assurance, ou le permis de conduire. On pourrait même ajouter une case "je préfère ne pas encore choisir", mais on rendrait une coche obligatoire pour donner la carte en question. Je me suis trouvée devant cette situation en Amérique, où c'était sur le permis de conduire. L'employée du service des automobiles n'avait rien de menaçant: me rappeler que des accidents arrivent était plutôt utile, et en fait elle avait juste besoin que je lui dise oui ou non pour pouvoir me donner mon permis. Une situation anodine, pas inquiétante pour un sou.

Passer à l'exigence que nous disions tous à l'avance ce que nous voulons, ce n'est en fait pas la mer à boire. Cela soulagerait nos proches dans des circonstances difficiles. Et cela sauverait des vies. C'est cela que nous devrions faire: plutôt que de passer du "oui" que la plupart ignorent, au "non" que la plupart ignoreront, nous devrions mettre le choix à portée facile de chacun et ensuite l'exiger. Pas exiger un grand face à face avec notre propre mort, non. Ce n'est vraiment pas de ça qu'il s'agit. Mais on nous demande tant de choix et tant de décisions de moindre importance dans notre vie... Exiger un face à face avec les deux options, oui ou non, devant une employée que nous devions venir voir de toute manière, franchement ça semblerait acceptable, non?

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La médecine au service du reste de la vie

Cette fois, j'ai fait mon billet dans la Revue Médicale Suisse sur une des situations fréquemment référées en consultation d'éthique. Depuis quelques temps, je fais partie des deux équipes de consultation à Genève et Lausanne et la comparaison ne fait que confirmer que voilà des cas où les difficultés sont récurrentes. Comme d'habitude, je vous met le lien ici. Dites-nous ce que vous pensez.

"Les cas référés à une consultation d’éthique sont tous différents, bien sûr. Néanmoins, il existe aussi des schémas récurrents et, au fil des consultations, certains messages reviennent. Les plus fréquents sont, en apparence du moins, les plus simples. Le plus important est sans doute celui-ci : La médecine sert à rendre possible le reste de la vie. Cette idée, le philosophe américain Norman Daniels s'en est servi dans les années 1980 pour justifier l'accès universel aux soins de santé. Si nous devons garantir l’accès de tous à des soins équitables, disait-il, c’est parce qu’une société juste doit permettre à tous l’accès à un éventail suffisant de futurs possibles. La maladie, ça ferme des portes. La médecine, ça doit les rouvrir. C’est une des clés de nos systèmes de santé : la médecine sert à rendre possibles nos choix de vie.

A lit du malade également, cette phrase se révèle être un sésame. « Jusqu'où aller ? » demande-t-on dans plus de la moitié des consultations d'éthique clinique. Les détails varient beaucoup d'un cas à l'autre, mais l’enjeu est toujours le même. Lorsqu’une personne doit se confier à la médecine, c’est pour obtenir quelque chose. Dans le même temps, cela dit, la médecine peut représenter un fardeau, demander des renoncements, ne pas tout permettre. Il s’agit de regarder cela en face. D’identifier le point où les possibilités que nous ouvrons au patient s’amenuisent, où elles deviennent plus petites que celles que nous entravons. Il s'agit donc, là aussi, de se rappeler que la vie ne se résume pas à la santé mais que c'est la santé qui doit permettre la vie. Que signifie permettre la vie ? Quelles en sont, pour ainsi dire, les composantes ? Depuis longtemps, des philosophes s’intéressent à la vie bonne, au bien-être, ou au bonheur. Une des approches contemporaines, que l’on doit à Martha Nussbaum et Amartya Sen, décrit ainsi les capabilités ou libertés substantielles, dont chacun doit pouvoir disposer pour pouvoir vivre une vie pleine et entière :

1. Une vie de longueur normale et de qualité suffisante
2. La santé physique y compris la possibilité de se nourrir, de s’abriter
3. L’intégrité physique qui inclut la liberté de mouvement, la sécurité contre la violence, la satisfaction sexuelle et la liberté reproductive
4. La perception, l’imagination, la pensée, la possibilité de faire usage de son esprit d’une manière pleinement humaine, cultivée par une éducation suffisante et protégée par la liberté d’expression et de religion.
5. Les émotions, la possibilité d’avoir des liens avec des choses et des personnes hors de soi, d’aimer et de regretter, de vouloir, d’être reconnaissant ou indigné.
6. La raison pratique, ou la capacité de former une conception du bien et de planifier sa vie, ce qui inclut la liberté de conscience.
7. L’affiliation, la possibilité de vivre avec et pour d’autres, de s’engager pour d’autres humains, de s’imaginer à leur place, mais aussi les bases sociales du respect de soi et la protection contre la discrimination et l’humiliation
8. La capacité à vivre avec d’autres espèces animales ou végétales, et le monde de la nature.
9. Le jeu, rire et s’amuser
10. Le contrôle sur son environnement politique et matériel.

Se rappeler ces dimensions, c’est élargir le regard. C’est se rappeler que plutôt que de nous demander « Jusqu’où aller ? », on a meilleurs temps de se demander « Que pouvons-nous offrir, et qu’allons-nous empêcher ? » Ensuite, évidemment, les priorités de chacun compteront. Il s’agira de savoir si ce que l’on peut offrir vaut la peine, si le sacrifice demandé est acceptable. Mais poser la question ainsi, c’est déjà un pas dans la bonne direction."

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Quand nous parlons d'autonomie


L'autonomie, c'est important. En même temps, ce n'est pas toujours si bien compris que ça. Comme c'était de nouveau le moment de mon billet dans le Bulletin des médecins suisses, j'ai profité pour écrire quelque chose là-dessus. Je vous mets comme d'habitude l'article (ci-dessous) et le lien (ici). 

Les valeurs d’autonomie, d’auto-détermination, et de liberté sont importantes. Elles figurent en bonne place dans nos décisions cliniques et dans les considérations des politiques de santé. Lorsqu’on les étudie sous l’angle philosophique, ces notions sont riches et complexes. Lorsqu’on les rencontre lors de discussions autour de cas cliniques ou de conférences, il arrive souvent qu’elles soient mal comprises. Leurs aspects les plus importants peuvent pourtant être parcourus assez rapidement. Je vais donc à nouveau m’inviter dans votre quotidien, le temps peut-être d’une pause café, pour rappeler certains points essentiels dans leur mise en œuvre. 

Premier élément essentiel : respecter notre autonomie, c’est d’abord nous protéger contre des abus de pouvoir. Nous avons un droit fondamental à ne rien subir de la part d'autrui contre notre gré. Comme propriétaires de nous-mêmes, nous avons le droit d’opposer un refus à toute intervention sur nous. Les conditions ? Avoir compris les enjeux et être capable de discernement. Ce droit existe même quand l’intervention est clairement indiquée, voire vitale. En revanche, nous n'avons pas un droit symétrique à exiger des interventions. Protéger l'autonomie du patient c'est le protéger contre toute forme d'assujettissement, même bienveillant. Ce n'est pas faire tout ce qu'il veut, et surtout pas faire tout ce qu’il veut quelles qu'en soient les conséquences pour autrui. 

En effet, notre liberté s’arrête où commence celle des autres. Respecter l’autonomie des patients ne signifie pas leur octroyer le droit d’imposer des obligations à des tiers. Un patient âgé et dépendant qui souhaiterait rester à domicile, par exemple, serait en droit de refuser une hospitalisation. Il n’aurait en revanche pas le droit d’exiger que les professionnels de la santé imposent à ses proches l’obligation de s’occuper de lui à domicile. 

Cet exemple illustre aussi que les objectifs des patients dépassent ceux de la médecine. Lorsque nous demandons quelles interventions il convient d’utiliser ou de ne pas utiliser, de maintenir ou d’interrompre, les patients et leurs proches se focalisent plus globalement sur les circonstances de leurs vies. En fin de vie, leurs considérations incluent le souci de ne pas souffrir, mais aussi d’avoir complété sa vie, de contribuer à autrui, d’être respecté comme individu, de garder de bonnes relations, et de se trouver dans un lieu familier. Trop souvent, nos questions sont une sorte de liste à cocher d’intervention à accepter ou refuser. Il serait préférable de discuter des objectifs que la médecine peut soutenir, ou qu’elle risque d’entraver. 

L’autonomie n’est pas un appel à l’égoïsme. Personne n'est contraint de prendre une décision importante dans un splendide isolement au nom de sa propre autonomie. Nos patients ont le droit de discuter leurs décisions si et avec qui ils le souhaitent. Ils ont même le droit de se laisser influencer. Nos décisions sont souvent prises en concertation avec d’autres. L'influence dont nous devons protéger nos patients est celle qu’ils subissent, et non celle qu'ils choisissent. 

Finalement, l’autonomie doit inclure le droit de faire des erreurs. Respecter l’autonomie des patients, c’est reconnaître qu’ils sont comme nous des personnes qui font des choix dans leur propre vie. Comme tout le monde, ils peuvent se tromper. Certes, nous devons les aider à éviter, autant que possible, des erreurs graves. A la fin pourtant, nous ne pouvons pas les contraindre. C’est ainsi : sans droit de faire des erreurs, point de liberté…

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La conscience des professionnels

On reparle d'avortement, et cette fois c'est en Suisse. Un très bel article dans Le Temps analyse les différents obstacles qui se dressent devant les femmes qui demandent un avortement dans les régions plus conservatrices de notre pays.

Que des médecins, même de nombreux médecins, soient réticents ou carrément opposés à l'avortement, cela ne doit pas surprendre. Voilà un sujet qui divise toutes les sociétés, et il n'y a pas de raison que les médecins soient le seul groupe unanime sur la question. Oui, on attend de nos médecins qu'ils soient de vraies personnes avec des valeurs personnelles et que ces valeurs leur importent. Sur les enjeux où des valeurs entre en tension et nous divisent, il faut s'attendre à en trouver de part et d'autre de la question.

En même temps, il y a quand même un problème. Pour un médecin, avoir des valeurs personnelles est un droit et une nécessité, oui. En revanche, les imposer à ses patient(e)s ne l'est pas. Vouloir que nos patients se comportent comme s'ils étaient d'accord avec nous, c'est leur nier ce même droit que l'on revendique: celui d'avoir des valeurs personnelles dans une situation difficile. C'est même grave: c'est un abus de pouvoir. Et à ce titre c'est contraire aux exigences de la déontologie professionnelle.

Ce jeu d'équilibre entre nos valeurs personnelles et ce que l'on a le droit d'importer dans la consultation médicale, cela fait partie de ce que nous nous efforçons d'enseigner à nos étudiants en médecine. Oui, soyez des personnes vivantes avec des valeurs personnelles, scrutez-les, voyez-les évoluer au court de votre vie, reconnaissez qu'elles sont vitales et précieuses. En même temps, attention. Vous serez tentés de faire respecter ces valeurs, si importantes pour vous, par vos patients. Vous pouvez, jusqu'à un certain point seulement, essayer de les convaincre. Ensuite, vous devez exercer la retenue: reconnaissez que vos patients sont comme vous et que vous ne pouvez pas leur imposer votre point de vue. Ils sont à votre merci et cela augmente votre responsabilité envers eux. Vous ne pouvez pas en profiter.

Comprendre qu'il n'y a là aucune contradiction n'est pas facile, mais c'est possible. C'est ce que Véronique Fournier appelle, dans son beau livre sur la fin de vie, "le choix de l'accompagnement comme posture éthique". Pour ceux qui ne peuvent pas s'engager dans cette voie, il reste la possibilité de l'objection de conscience. Ce droit d'objecter au nom de sa conscience, cependant, comporte aussi des limites. C'est un droit à se retirer d'une situation. En aucun cas un droit à barrer la route à l'autre. C'est à la personne qui objecte d'assumer l'exigence de sa propre conscience et non aux patients. On doit référer ailleurs dans un délai 'raisonnable', qui ne fait pas payer au patient le prix de notre décision. Quand on ne le peut pas, on n'a pas le droit d'objecter.

Voilà des distinctions importantes et il semble que, pour les appliquer, il reste du chemin à faire...


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Cas à commenter: dépistage systématique par mammographies

Un avis d'experts relance la controverse autour de la mammographie de dépistage. J'ai assez envie de vous en faire un cas à commenter, car je sais qu'il y a parmi les lecteurs réguliers de ce blog plusieurs personnes qui connaissent plutôt bien ce genre de sujet.

Mais avant de vous passer la parole, un petit résumé et quelques clarifications. Le Swiss Medical Board a publié en début de semaine une recommandation contre le dépistage systématique du cancer du sein précoce par la mammographie. Oui, oui, je sais, ça ressemble à une attaque contre la santé des femmes (en pleine campagne de défense de l'accès à l'interruption de grossesse ça tombe mal), à un recul sur la prévention (alors qu'en Suisse on peut faire mieux sur ce chapitre), bref à une très très mauvaise idée. Mais ce qu'ils recommandent n'est pas de ne plus faire de mammographie. Encore moins de ne plus les rembourser. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour ou contre la mammographie elle-même. Non, ce qu'ils ont recommandé était de ne plus faire de programmes systématiques, avec courrier aux ménages et invitation à venir dans un centre de dépistage sur le seul critère du sexe féminin et de l'âge.

Leur raisonnement? Il y a des avantages à ces programmes, mais aussi des inconvénients parfois sérieux pour les personnes visées. C'est là-dessus que se focalise le rapport. Etant donné la possibilité réelle de dépister plus précocément d'une part, mais aussi le risque de voir quelque chose qui en fait n'est pas grave et de faire subir pour rien un traitement lourd, comment peser? La réponse des experts: en demandant aux femmes elles-mêmes, lorsqu'elles viennent en consultation, pour leur permettre de décider si elles trouvent que le jeu en vaut la chandelle. Et leur conclusion: on ne doit pas simplement les convoquer pour des mammographies, on doit leur en expliquer les avantages et les risques lorsqu'elles se présentent chez leur médecin. On ne doit donc pas, disent-ils, encourager les campagnes de dépistage systématique.

Ce qui est inconfortable, c'est qu'en Suisse en tout cas il semble que les campagnes de dépistage systématique soient surtout une spécialité romande. Elles ne sont certainement pas la seule différence entre les régions linguistiques dans la prise en charge du cancer du sein, mais toutes les différences prises ensemble donnent une mortalité plus faible de cette maladie en Suisse romande. Quel rôle joue spécifiquement le dépistage systématique dans cet effet? Ce n'est pas entièrement clair et sans doute serait-il utile de le clarifier.

Autre élément inconfortable: le rapport relève à juste titre que les informations fournies lors des campagnes de dépistage sont surtout positives, et qu'elles présentent parfois les chiffres sous un jour trop favorable à la pratique du dépistage. Mais les patientes initialement ne font que se rendre dans un centre de dépistage. La véracité de leur compréhension se jouera sur l'entretien qui s'y déroulera. En fait, les laisser choisir en connaissance de cause est parfaitement compatible avec la pratique du dépistage systématique.

Restent les coûts. Effectivement, améliorer l'information sur place suppose plus de personnel, plus de temps, finalement plus d'argent. Le jeu en vaudrait-il la chandelle sous cet angle-là? Ce point n'est pas examiné dans le rapport. La question du rapport coût-bénéfice, en revanche, l'est. Elle est même plutôt bien examinée puisque la comparaison est faite avec d'autres interventions pouvant améliorer, ici, la santé des femmes. Pas de problème de justice distributive entre les sexes a priori, donc. Mais pas de conclusion non plus. Le rapport demande si "les ressources consacrées audépistage systématique par mammographie nepourraient être utilisées de façon plus efficace et sauver ainsi plus de femmes. D’autres moyensde prévention, qui revêtent une importance toute particulière dans ce débat, vis-à-vis du cancerdu sein, relèvent du comportement personnel:on citeral’absence de surpoids, le renoncement àla prise d’hormones pendant la ménopause et l’absence de consommation excessive de denréesd’agrément comme l’alcool et le tabac." C'est une difficulté que l'on va certainement recroiser ces prochaines années, ça. Lorsqu'un moyen de prévention coûte quelque chose, il sera toujours meilleur marché de demander aux individus de se comporter de manière plus saine. La question qui se pose ici, vous devez apprendre à vous la poser à chaque fois: demander aux individus de se mieux comporter, est-ce que ça marche dans le cas de figure considéré ? La dernière fois que vous avez demandé, simplement demandé, à quelqu'un de perdre du poids ou d'arrêter de fumer, par exemple, que s'est-il passé?

Au sommaire, un rapport qui a beaucoup de bons points. Certaines critiques ont tiré à côté, d'autres ont été plus justes. Mais ce rapport a aussi des défauts, et ces défauts sont intéressants. Certains sont des problèmes que nous allons certainement recroiser.

Et vous, alors, qu'en pensez-vous?

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Don d'organe: quel consentement?

En Suisse, le Conseil des Etats à rejeté le passage au consentement présumé pour le don d'organes. Une mesure dont je vous avais déjà parlé et que le Conseil National avait accepté il y a quelques temps. Un dossier dont on reparlera certainement, donc. Du côté des services de transplantation, on a clamé que les droits des personnes en liste d'attente n'étaient pas respectés. Et comment faire, en effet? Car il est clair qu'il n'y a pas de droit à être transplanté. En même temps, il y a en revanche un droit à obtenir les soins dont on a besoin, a fortiori s'ils sont nécessaires à notre survie. En même temps toujours, ce droit ne s'étend pas à obtenir d'autrui un organe, qui lui appartient même après sa mort. Mais que cela signifie-t-il que mes organes m'appartiennent, lorsque je ne peux plus rien en faire, car après tout je suis déjà morte? La question de remplacer ou non le consentement explicite par le consentement présumé navigue entre ces difficiles questions.

Dans cette controverse, quelques points méritent d'être précisés. D'abord, il n'est pas exacte que le consentement présumé serait carrément 'non éthique'. Un commentaire récent dans le forum du Bulletin des médecins suisses a raison sur ce point. Sous le consentement présumé, nous garderions le droit d'être ou de ne pas être donneur d'organes, car nous garderions le droit de nous opposer. Nos proches garderaient eux aussi le droit de s'opposer à notre place, ce qui constituerait une protection pour les personnes qui n'auraient pas voulu faire la démarche du refus de leur vivant.

En fait, le problème principal du consentement présumé n'est pas une atteinte à l'éthique, qui est évitable, mais l'inefficacité. Changer le mode de consentement ne change pas la capacité du système à identifier les personnes décédées qui pourraient devenir donneuses d'organes. Cela ne permet pas non plus de lever le doute sur la volonté de la personne décédée, et c'est souvent ce doute qui motive le refus de ses proches. Quel que soit le mode de consentement choisi, donc, il faut aussi d'autres mesures si l'on souhaite faciliter le don d'organes. Les pays qui, comme l'Espagne, ont fortement augmenté le don d'organes le doivent probablement à d'autres mesures, comme la coordination, et la formation du personnel soignant à aborder la question de la transplantation.

Ce qui permettrait de lever le doute serait en revanche de demander à chacun de se prononcer. Lorsque je vivais aux Etats-Unis, on m'a demandé de faire figurer cette information sur mon permis de conduire. Non seulement ce n'était pas choquant, mais c'était en même temps une démarche de prévention routière. En Suisse, on pourrait imaginer de faire de même avec la carte d'assurés, par exemple. Dans le temps, j'avais appelé ça le consentement proposé. Je vous en avais déjà parlé ici, et j'en ai reparlé dans le journal de Swisstransplant. Cela soulagerait le fardeau des proches en clarifiant la volonté de la personne décédée, cela faciliterait l'expression de notre volonté et du coup sans doute aussi le don d'organes, cela ne porterait pas atteinte à notre liberté puisque l'on demeurerait libre de donner la réponse que l'on voudrait. Qui sait, peut-être qu'un jour on essayera...

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Don d'organes: le consentement proposé?

Lorsqu'une personne décède dans des conditions qui lui permettrait d'être donneuse d'organes, faut-il partir du principe qu'elle serait d'accord? Actuellement, ce n'est pas le cas. On part du principe qu'un consentement explicite est nécessaire, et le consentement n'est donc pas présumé. Il faut donc, dans notre pays, être porteur d'une carte de donneur ou s'être exprimé en faveur du don d'organes pour être donneur.

Ce n'est pas comme ça partout. Dans plusieurs pays, dont l'Espagne par exemple, le consentement est présumé. C'est-à-dire que, lorsqu'une personne est en mort cérébrale, on part du principe qu'elle searit d'accord de donner ses organes à moins qu'elle n'ait exprimé de son vivant un refus explicite. C'est une politique assez répandue chez nos voisins. En Suisse, plusieurs arguments ont récemment mené le Conseil fédéral à se positionner contre son introduction. Quelques-uns des arguments en présence:

En défaveur du consentement présumé, comment être sûr que 'qui ne dit mot consent' réellement? De nombreuses personnes ne sont tout simplement pas assez informées pour décider quoi faire, et leur corps leur appartient quand même: on ne peut pas prendre à leur place une décision comme celle-ci. En défaveur aussi, la dimension du 'don', d'un cadeau de vie, est amoindrie. Après tout si on présume le consentement ce n'est plus un cadeau mais un tranfert contre lequel vous avez une sorte de droit de veto.

En faveur du consentement présumé, on cite toujours l'espoir qu'il augmente le nombre d'organes disponibles pour la transplantation. Mais les chiffres ne sont en fait pas si conclusifs. Qu'importe, vous diront certains: la simple chance de pouvoir augmenter le nombre de donneurs vaut au moins d'essayer.

Tel est le débat. L'exigence d'un consentement explicite comme manifestation du droit à l'auto-détermination sur ce qui arrive à notre corps après notre mort d'une part, les chances d'augmenter les chances des receveurs potentiels de l'autre. Sauf que l'on pourrait résoudre cette tension en demandant à tout le monde de se prononcer. On pourrait même faire plus. Car quand on demande aux personnes normalement constituées de se prononcer, il se passe une chose étrange. Si on demande "cochez cette case si vous êtes d'accord d'être donneur d'organes après votre mort", la majorité des gens ne cochent pas la case. Si on demande "cochez cette case si vous n'êtes pas d'accord d'être donneur d'organes après votre mort", la majorité des gens...ne cochent toujours pas la case. Comme si l'effort de choisir faisait préférer ce qui est présenté comme le statu quo, la position par défaut. Mais alors, voici un troisième modèle. Appelons-le le consentement proposé. On pourrait imaginer de mettre sur nos cartes d'assurés une case à cocher si on ne veut pas être donneur d'organes, et si on voulait éviter toute pression (certains n'ont peut-être juste pas envie de répondre) on pourrait ajouter une case qui dirait "je préfère ne pas décider maintenant". Atteinte à la liberté? Aucune. Chacun reste libre de se déterminer comme il veut. Droit à l'autodétermination? Préservé. Chances d'augmenter les chances des receveurs potentiels? Il manque le recul, mais on peut au moins dire qu'elles ne seraient pas mauvaises. Alors, on essaie quand?

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Décider avec les proches

Quand une personne malade ne peut pas prendre de décisions pour elle-même, quand elle est comme on dit incapable de discernement, comment s'assurer que les décisions médicales reflètent ce qu'elle aurait voulu? Depuis le premier janvier 2013, le Code civile donne à certains membres de la famille du patient le droit de décider à sa place. Ce droit, il n'est pas tout simple à exercer pour les membres de la famille du patient. Il n'est pas non plus tout simple à reconnaître, et reconnaître correctement, pour les professionnels de la santé. J'y ai consacré un de mes billets dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, le lien est derrière l'extrait. Car ce changement du Code civile génère quelques craintes.

"Mais alors" entend-on par exemple, "comment va-t-on dire non aux familles ?" Cette question peut paraître aggressive si je suis un membre de la famille d'une personne malade, mais derrière elle il y a en fait des questions légitimes, et qui dénotent un vrai souci pour moi. Comment vais-je m'en sortir si on me demande de prendre des décisions médicales à la place des médecins? Comment vais-je le vivre? Et si je demande des choses qui me semblent justes mais seulement parce que je ne connais pas leurs effets, des choses qui seront contraires à l'intérêt de mon proche malade, par exemple? A la base de ces craintes, toujours la même idée : les proches pourraient tout décider pour le patient. Mais en fait ce n’est pas du tout ce qui est prévu. Tout comme le patient lorsqu’il est capable de discernement, les proches auront le droit de consentir – ou non – aux interventions médicales proposées. Pas moins, mais pas plus non plus. Ils n’auront pas le droit d’exiger des interventions non indiquées, une prise en charge dans telle ou telle unité, ou des ressources infinies. Comment dire non aux familles ? Avec difficulté, certes, comme dans tout désaccord entre personnes humaines normalement constituées. Avec difficulté, oui, mais de bon droit. Pourquoi avons-nous du mal à le voir ? Peut-être parce que nous avons aussi parfois du mal à dessiner les contours de l’autonomie qui est ici représentée : celle du patient.

Car en reconnaissant l’importance de l’autonomie du patient dans la médecine, on n’a pas toujours reconnu ce qu’elle pouvait avoir de complexe. Premièrement, même si la liberté nous évoque l’absence de limites, aucune de ses variantes n’est réellement illimitée. La liberté d’action au sens le plus large s’arrête, dit-on toujours, où commence celle des autres. C’est le principe du tort. Un patient ne pourra pas s’attendre à mon aide pour assassiner sa femme : c’est évident. L’autonomie qui importe dans la pratique clinique n’est pas une liberté totale, ni même la liberté dans les limites du principe du tort. C’est la souveraineté sur notre propre corps. Le droit de dire non à une intrusion dans notre sphère personnelle lorsque l’on rejette, en connaissance de cause, son bien-fondé. Ce droit est crucial, mais n’inclut pas celui d’exiger des interventions. Bien sûr, il arrive qu’un patient demande des choses qui restent raisonnables et dans ces cas on négocie.[4] Il en ira de même avec ses proches.

Cette forme de l’autonomie n’est pas non plus un devoir de décider dans une splendide solitude. Tenir compte des avis de ceux qui nous entourent, connaître les recommandations des professionnels, rien de cela n’est contraire à l’exercice de notre liberté. Plutôt que de prendre une posture de parfaite neutralité, respecter l’autonomie des patients exige des soignants quelque chose de plus subtil : que leur avis nous importe assez visiblement pour qu’ils puissent avoir la confiance de nous dire non. Difficile exercice. Mais leur refuser nos conseils serait, devant une décision compliquée, une bien étrange manière de les rendre plus libres. Les familles de nos patients vont elles aussi continuer d’avoir besoin de notre avis. Sans doute encore davantage. Exercer la liberté d’autrui ? Cela donnerait le vertige. Il s’agira en fait davantage de donner voix à ce qu’il aurait voulu, de fonder une décision sur la vision qu’il avait de son propre intérêt. Oui, cet exercice peut clairement être soutenu par une aide. Il est difficile lui aussi, et beaucoup seront débutants. Comment aider les familles ? Voilà une question bien différente… On devrait la poser aussi avec les patients : comment les aider à être autonomes ? Tout un programme, et qui n’est pas si paradoxal que ça.

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Décider à la place de ses proches

Quand une personne malade ne peut pas prendre de décisions pour elle-même, quand elle est comme on dit incapable de discernement, comment s'assurer que les décisions médicales reflètent ce qu'elle aurait voulu? Parfois, c'est évident. Si j'arrive aux urgences inconsciente après un accident de la route, je serai soignée sans délai parce que c'est clair que c'est ce que voudrait toute personne. Ou suffisamment toute personne pour aller de l'avant sur cette base. Parfois, en revanche, c'est nettement moins clair. Si l'espoir de me sauver diminue, si je pourrais peut-être vivre un peu plus longtemps dans un mauvais état, faut-il me maintenir en vie artificiellement? Cela dépendra du degré d'espoir, de l'état où je suis, du temps probable, et surtout de mes priorités. Il deviendra très important de les connaître. Si je ne peux pas les exprimer, comment faire?

Depuis le premier janvier 2013, le Code civile donne à certains membres de la famille du patient le droit de décider à sa place. C'est un changement important. Suffisamment pour mériter deux billets. Le Conseil d'éthique clinique des HUG y a aussi consacré une recommandation. Ici, je vais commencer par aborder quelques points qui peuvent être au centre si la question est de décider à la place d'un proche. 

Ces mots sont pesés: c'est décider à sa place et non pas pour lui. La différence? Il s'agira de décider, autant que possible, ce que la personne elle-même aurait décidé. De déterminer comment elle aurait vu ses propres intérêts. Pas de décider ce que je veux, mais ce qu'elle voudrait.


Ce droit est donné par le nouveau Code civile selon un ordre de « proximité ». La priorité est d'abord donnée à la personne que le patient aurait désigné comme représentant thérapeutique dans une directive anticipée. S'il a un représentant légal nommé par un tribunal, il viendra en deuxième. C'est le choix du patient qui a donc la priorité. Ensuite, viennent dans l’ordre :
- son conjoint ou son partenaire enregistré, s’il fait ménage commun avec lui ou qu’il lui fournit une assistance personnelle régulière ;
- la personne qui fait ménage commun avec lui, et qui lui fournit une assistance personnelle régulière;
- ses descendants, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses père et mère, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses frères et sœurs, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière.

La notion d'assistance personnelle régulière n'est pas définie. Mais elle est censée signaler qu'il existe un vrai lien, fort, incarné dans une présence dans la vie de la personne, entre le patient et le proche. Si vous êtes mariés mais au milieu d'un divorce sanglant et que vous ne pouvez plus supporter de respirer le même air, on ne viendra pas vous demander s'il faut pratiquer une intervention sur votre mari ou votre femme. Ouf. En fait, cette liste vise un certain équilibre entre deux manières d'être proche: être un parent proche au sens des liens de parenté, et être un parent proche par le coeur. La proximité du coeur, évidemment, ne nécessite pas de lien de parenté. Elle peut exister à géométrie variable, être là plus ou moins, et compter quand même. La 'personne qui fait ménage commun' inclut par exemple ici à la fois l'amour de votre vie avec qui vous vivez sans être marié, ou un collocataire qui est un bon ami.

Ce droit, même dans les bonnes situations, comment l'exercer? On le voit, il va être difficile. D'abord, il faut être au clair sur ce qui est demandé.
Il y aura deux composantes ici: d'abord, que sais-je sur ce que la personne malade aurait voulu? Ensuite, que sais-je sur comment elle aurait vu, ici, son propre intérêt? Ensuite, c'est évidemment une responsabilité lourde, et que les personnes concernées perçoivent comme telle. Certaines sont hantées par ces décisions durant des années. En plus nous sommes tous, à un moment ou à un autre, débutants dans ce genre de décision.

En même temps, ce droit est important. C'est un droit à être inclus dans des décisions cruciales concernant ceux que nous aimons le plus, que nous connaissons le mieux. C'est un droit à être entendu, à rendre ce que nous savons de la personne malade plus visible. Une collègue norvégienne qui présente ses recherches dans le congrès où je suis ces jours a interviewé ces proches, et ils disent largement que cette inclusion, difficile, a été cruciale pour eux. Ils disent aussi une chose qui devrait être évidente: que vouloir être inclus n'est pas nécessairement vouloir décider soi-même, ni surtout vouloir décider tout seul. "Nous avons été écoutés, et ça a énormément compté; mais c'était aussi important qu'on nous laisse être d'abord des parents, ne pas devoir prendre les décisions des médecins". Décider ensemble, prendre les conseils des professionnels comme proches, prendre l'avis des proches comme professionnels, trouver ensemble les décisions qui conviennent le mieux à une personne malade. Un but qui devrait être très raisonnable...

Le côté très raisonnable de ce but, il mérite d'être rappelé. En donnant plus de droits aux proches, le nouveau Code civile peut soutenir ce partage de la décision. Mais il pourrait aussi être mal compris. Par exemple, il pourrait être compris comme donnant purement et simplement le pouvoir de tout décider aux familles, y compris pour des questions techniques et médicales. On peut comprendre qu'on serait, comme proche, souvent déroutés. Les professionnels le seraient aussi, si on se mettait à faire comme ça. Si les médecins se mettaient à demander 'alors, on fait quoi?' plutôt que 'expliquez-moi ce que votre proche aurait voulu' ou 'expliquez-moi qui est votre proche', comment réagirait-on? Pas tous de la même manière, sans doute. Mais de nombreuses personnes seraient alors démunies, laissée à elles-mêmes, comme contraintes à prendre des décisions dont certaines ne voudront pas: voilà le genre de malentendu qu'il faut à tout prix d'éviter.

Heureusement, c'est possible d'être aidé à traverser ces situations. Bien sûr, elles vont être intensément difficiles de toute manière. Mais il est possible d'être aidé. Les personnes qui les vivent sont soutenues si elles connaissent les priorités du malade, par exemple. En parler à l'avance avec sa famille, écrire des directives anticipées, c'est donc leur rendre service. Donner de la place aux soucis des proches dans l'hôpital, ça aide bien sûr aussi. Décider ensemble, c'est aussi accompagner au travers de la difficulté des décisions. Cela semble évident, et c'est en plus scientifiquement démontré. Mais là, même si des progrès ont eu lieu, il reste du chemin à faire. Nos hôpitaux restent trop souvent des lieux construits sans espaces pour cela, qui fonctionnent selon des logiques qui laisse trop peu de temps à cela. Oui, il reste du chemin. Bien comprendre ce que signifie décider à la place de ses proches, cela pourrait ici être un pas de plus...

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Architecture du choix (1, probablement)

Un très joli dossier, dans Le Temps de ce week-end, sur 'l'angoisse du choix'. Si vous ne l'avez pas encore lu, l'article principal se trouve ici. Même s'il a un défaut important (j'y viendrai), vraiment je vous le recommande.

Le principe? On a en général l'impression que plus on a d'options, plus on a de choix, donc de liberté. Mais la réalité est un peu différente. Imaginez-vous que vous avez décidé d'acheter des céréales pour votre petit déjeuner. Un choix relativement simple. Sauf que lorsque vous arrivez au supermarché, vous tombez devant une centaine de mètres de rayonnages remplis de céréales. Tous sont différents, aucun ne vous est connu. La surcharge totale. Je parle d'expérience, cela m'est arrivé. La honte: j'ai été totalement incapable d'acheter un vulgaire paquet de muesli. Et je ne vous raconte pas les 200 sortes de sauce soja du rayon d'à côté. Face à tellement plus de choix, c'est comme si finalement on en avait moins. L'effort de choisir nous bloque. Ce n'est pas seulement basé sur des anecdotes non plus. C'est là un des résultats d'études tout à fait sérieuses sur ce que l'on pourrait appeler l'architecture du choix. Devant 15 sortes de confitures de fraises, moins de gens finissent par en acheter que devant seulement deux, par exemple. Plus...ce n'est pas nécessairement plus.

Il y a une autre raison pour laquelle plus de choix n'est pas nécessairement une plus grande liberté. Dans mes exemples de céréales, de confitures de fraises et de sauce soja, il ne s'agissait jamais que de choix alimentaires dont l'importance est finalement assez faible. En tout cas quand on les prend un par un. Pas vraiment de choix identitaire là-dedans. Le temps que l'on dépense à choisir une confiture ou une énième série télé, ce n'est pas vraiment le grand exercice de la liberté. On en viendrait même à se dire que si, pendant ce temps passé à faire ces choix anecdotiques, on ne se demande pas si l'on veut vraiment passer tout ce temps à manger des tartines devant la télé, alors on aura au final perdu de la liberté. Une conclusion plus dérangeante, celle-la.

Mais par ailleurs justement, il y a des choix identitaires auxquels il est important de pouvoir participer et qu'on ne peut pas mettre à la même enseigne que les choix de céréales. Parmi eux, les choix qui concernent nos traitements médicaux. Là, malheureusement, le dossier de ce week-end va trop vite en besogne. Il présente une discussion sur la décision médicale partagée. Un sujet inclus dans les études de médecine depuis un certain temps, et qui commence à l'être sous cet intitulé. Mais évidemment, il ne s'agit pas ici de faire choisir son traitement à une personne malade comme s'il s'agissait de son petit déjeuner. Partager les décisions médicales entre patients et médecins c'est une affaire importante, mais aussi une affaire sérieuse. Elle mérite...du soin. Des compétences et de l'adaptation. Respecter la liberté d'un patient, cela voudra parfois dire lui laisser une part importante des décisions, mais parfois aussi respecter son choix de ne pas être celui qui choisit. Être inclus dans la décision, pour certains cela signifie déjà simplement être informés suffisamment pour pouvoir, le cas échéant, donner leur avis. Certaines personnes qui préfèrent par ailleurs laisser décider leur médecin souhaitent quand même avoir toutes les informations les concernant. Dans la plupart des cas, cela signifie davantage: vraiment décider ensemble. C'est-à-dire discuter, pour le patient se faire son idée, pour le médecin accompagner une personne malade à travers une décision qui -oui- peut être délicate. Un exercice difficile, où la manière compte énormément. Il doit s'apprendre et s'affiner par l'expérience. Et parce qu'il ne s'agit que rarement de décisions triviales, cette liberté-là doit compter plus que celle de choisir sa confiture.

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Dépistage de la trisomie 21

Vous avez vu le nouveau lien à droite sous 'Une question médicale'? C'est le nouveau site Planete Santé. Allez le voir. Il va encore s'étoffer au fil du temps mais c'est déjà une très belle source d'informations sur toute une série de questions de santé, y compris des pages 'Que faire si...' vraiment très bien faites.

Et au passage, vous serez peut-être intéressé par un sujet d'éthique sur lequel on m'a posé récemment quelques questions dans la presse. Le contexte, c'est une tension autour du dépistage de la trisomie 21. La naissance d'un enfant atteint est un bouleversement important pour la famille concernée. Du coup, le dépistage est systématiquement offert et largement employé. Il devrait même être facilité prochainement par de nouvelles techniques. En même temps, même si la trisomie 21 est une maladie sérieuse, elle n’empêche pas pour autant les personnes de bien vivre. Pas question donc de rendre le dépistage obligatoire, c'est un choix laissé aux parents. Un choix difficile. Qui confronte de plus en plus de couples avec l'augmentation de l'âge maternel: c'est cela que montre l'image qui ouvre ce billet (attention, ce n'est pas des pourcents mais des pour mille). Ce choix soulève des inquiétudes. J'ai aussi conscience que c'est un sujet qui peut soulever beaucoup d'émotions, à juste titre. Si vous en pensez quelque chose, dites-le nous dans les commentaires...

Voici ce que j'avais dit. Comme d'habitude, le texte et le lien:

Quel est le principal enjeu éthique du dépistage de la trisomie 21?

Le dépistage doit être décidé librement par les parents et non interdit ou imposé. La naissance d’un enfant atteint de trisomie 21 implique un investissement personnel supplémentaire. Si leur choix est limité parce que le soutien disponible au cas où ils poursuivraient la grossesse est insuffisant, c’est un problème. On ne peut pas dire aux parents que faire le dépistage de la trisomie 21 est leur choix, et, d’autre part, leur imposer de se débrouiller seuls.

Le choix de l’avortement quasi systématique est-il une forme d’eugénisme?

Le problème n’est pas de confier un choix aux parents, mais de le leur ôter. Lorsque l’on parle d’eugénisme, il y a deux composantes: le but d’«améliorer l’espèce» par une sélection positive ou négative, et l’intrusion dans les choix reproductifs des couples. Donner un choix de plus aux parents est le contraire de l’eugénisme. Mais l’important est de protéger ce choix contre des pressions. Car si celles-ci augmentent, on diminue les possibilités des parents et on risque de déterminer à leur place leur décision. Nous vivons à une époque où l’appui est souvent jugé insuffisant par les familles atteintes, où l’on diminue les moyens de l’assurance invalidité. Si des parents peuvent se baser sur leur propre choix, non contraints, pourquoi ne pas alors leur faire confiance?

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Directives anticipées et participation du patient

Depuis quelques années, je soutiens une équipe qui fait un très joli travail pour aider des patients atteints d'insuffisance rénale et dialysés à rédiger, s'ils le souhaitent bien sûr, des directives anticipées. Eh bien, l'équipe a reçu lors de la journée qualité des Hôpitaux Universitaires de Genève la distinction 2011 'Participation du patient à sa prise en charge'. C'est un travail de longue haleine, qui se poursuit et se réalise avec soin et respect, qui est récompensé là. Bravo à toutes et tous.

Et la démarche présentée? Nous l'avons publiée il y a quelques temps dans la Revue Médicale Suisse. Je laisse donc les personnes intéressées découvrir l'original. Si vous avez des questions ou des commentaires, n'hésitez pas.

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Mes collègues (oui, j'en ferai d'autres à l'occasion)



Parfois, on est juste fier de ses collègues. Si vous ne l'avez pas encore lu, allez vite regarder le billet de Nicolas Tavaglione. L'école, parfois ça fait aussi réfléchir les parents mais là le moins qu'on puisse dire est que c'était sans doute inintentionnel. Voilà le début, avec le lien vers l'original comme il se doit:

"Ma fille rentrait de la première journée d’école de sa vie. En chemin, elle répétait qu’elle avait dans son sac un document qu’elle devait signer et ramener le lendemain. Elle était très sérieuse. Sa mère et moi avons bien rigolé. Elle s’est alors énervée. Nous avons ri de plus belle: «C’est fou, cette envie d’être grande». Ah les enfants! Mais le soir, en ouvrant la «fourre de communication» reçue par chaque écolier, il apparaît que notre fille n’avait pas fantasmé. Non. La fourre contenait une feuille où s’égrainaient les divers articles du règlement scolaire – parfaitement raisonnables au demeurant. Au bas de la page, une case pour la signature des parents. Et une autre pour la signature de l’enfant. La signature de l’enfant? Mais elle ne sait ni lire, ni écrire. Doit-elle vraiment signer? Oui, oui. (...)"

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