La médecine au service du reste de la vie
"Les cas référés à une consultation d’éthique sont tous différents, bien sûr. Néanmoins, il existe aussi des schémas récurrents et, au fil des consultations, certains messages reviennent. Les plus fréquents sont, en apparence du moins, les plus simples. Le plus important est sans doute celui-ci : La médecine sert à rendre possible le reste de la vie. Cette idée, le philosophe américain Norman Daniels s'en est servi dans les années 1980 pour justifier l'accès universel aux soins de santé. Si nous devons garantir l’accès de tous à des soins équitables, disait-il, c’est parce qu’une société juste doit permettre à tous l’accès à un éventail suffisant de futurs possibles. La maladie, ça ferme des portes. La médecine, ça doit les rouvrir. C’est une des clés de nos systèmes de santé : la médecine sert à rendre possibles nos choix de vie.
A lit du malade également, cette phrase se révèle être un sésame. « Jusqu'où aller ? » demande-t-on dans plus de la moitié des consultations d'éthique clinique. Les détails varient beaucoup d'un cas à l'autre, mais l’enjeu est toujours le même. Lorsqu’une personne doit se confier à la médecine, c’est pour obtenir quelque chose. Dans le même temps, cela dit, la médecine peut représenter un fardeau, demander des renoncements, ne pas tout permettre. Il s’agit de regarder cela en face. D’identifier le point où les possibilités que nous ouvrons au patient s’amenuisent, où elles deviennent plus petites que celles que nous entravons. Il s'agit donc, là aussi, de se rappeler que la vie ne se résume pas à la santé mais que c'est la santé qui doit permettre la vie. Que signifie permettre la vie ? Quelles en sont, pour ainsi dire, les composantes ? Depuis longtemps, des philosophes s’intéressent à la vie bonne, au bien-être, ou au bonheur. Une des approches contemporaines, que l’on doit à Martha Nussbaum et Amartya Sen, décrit ainsi les capabilités ou libertés substantielles, dont chacun doit pouvoir disposer pour pouvoir vivre une vie pleine et entière :
1. Une vie de longueur normale et de qualité suffisante
2. La santé physique y compris la possibilité de se nourrir, de s’abriter
3. L’intégrité physique qui inclut la liberté de mouvement, la sécurité contre la violence, la satisfaction sexuelle et la liberté reproductive
4. La perception, l’imagination, la pensée, la possibilité de faire usage de son esprit d’une manière pleinement humaine, cultivée par une éducation suffisante et protégée par la liberté d’expression et de religion.
5. Les émotions, la possibilité d’avoir des liens avec des choses et des personnes hors de soi, d’aimer et de regretter, de vouloir, d’être reconnaissant ou indigné.
6. La raison pratique, ou la capacité de former une conception du bien et de planifier sa vie, ce qui inclut la liberté de conscience.
7. L’affiliation, la possibilité de vivre avec et pour d’autres, de s’engager pour d’autres humains, de s’imaginer à leur place, mais aussi les bases sociales du respect de soi et la protection contre la discrimination et l’humiliation
8. La capacité à vivre avec d’autres espèces animales ou végétales, et le monde de la nature.
9. Le jeu, rire et s’amuser
10. Le contrôle sur son environnement politique et matériel.
Se rappeler ces dimensions, c’est élargir le regard. C’est se rappeler que plutôt que de nous demander « Jusqu’où aller ? », on a meilleurs temps de se demander « Que pouvons-nous offrir, et qu’allons-nous empêcher ? » Ensuite, évidemment, les priorités de chacun compteront. Il s’agira de savoir si ce que l’on peut offrir vaut la peine, si le sacrifice demandé est acceptable. Mais poser la question ainsi, c’est déjà un pas dans la bonne direction."
Mes collègues: chimères
De quoi s'agit-il? On connait depuis longtemps les espèces hybrides: les mulets, par exemple, proviennent du mélange génétique entre les ânes et les chevaux. Cela survient sans aucune aide de la science. Les chimères, c'est quelque chose de différent. Ici, on a une cohabitation dans l'organisme de cellules issues de deux espèces. Par exemple, des chercheurs britanniques ont fait récemment une souris avec un pancréas de rat. Si l'on pouvait faire de même avec des cellules souches humaines -actuellement on ne sait pas si c'est possible- alors on pourrait par exemple obtenir des organes à transplanter qui auraient été générés dans des animaux.
Un des points à retenir est que la possibilité même des chimères nous rappelle à quel point nous sommes nous-même des animaux. A quel point nous sommes biologiquement proches. Cela contribue certainement au fait que cela nous dérange, mais au fond cette prise de conscience est salutaire. L'idée que des animaux puissent recevoir des cellules humaines nous questionne, nous pousse à nous demander si au fond on devrait accorder plus de respect à ces animaux.
C'est une bonne question, évidemment. Se la poser à ce moment-là, cela dit, c'est intéressant. En vertu de quoi une chimère humain-et-un-autre-animal devrait-elle obtenir un plus grand respect? Du fait que ces animaux auraient une part d'humanité dans le génome de leurs cellules humaines? Clairement, le génome n'a pas cette capacité de transmettre comme par contagion des parts de dignité humaine. Il faudrait si c'était le cas sacraliser bien davantage les cheveux qui restent dans nos brosses et qui contiennent dans leurs racines de l'ADN humain. Non, c'est plutôt l'idée que ces animaux auraient des capacités plus proches des nôtres qui nous questionne. Mais alors, qu'en est-il des animaux qui ont déjà ces capacités, si ce n'est pas une question de génome? Paradoxe: la décision récente des National Institutes of Health américains d'autoriser le financement de recherche sur ces chimères était dû en partie à leur décision de renoncer à la recherche sur les grands singes. L'espoir est donc ici de développer des alternatives qui remplaceraient la recherche avec des animaux trop proches de nous par leurs capacités. Visiblement, ce questionnement n'est pas réglé.
Alors concrètement, faire des chimères, est-ce légal en Suisse? Il semblerait que non, car la loi sur la procréation médicalement assistée semble interdire cela sans ambiguïté. Sauf que...un autre collègue avait publié il y a quelques temps dans la revue Bioethica Forum une analyse qui divergeait sur ce point.
Beaucoup de questions. Quelques très bonnes réponses dans l'émission. Allez l'écouter. Et vous avez peut-être un avis vous aussi. Dites-nous...
Une personne non humaine?
Cet événement mériterait des bibliothèques de commentaires, sauf que largement celles-ci existent déjà. Quelques niveaux de lecture pour commencer, et ensuite vous nous direz ce que vous en pensez dans les commentaires:
Premier niveau: c'est normal. Cela fait plusieurs décennies que l'exclusivité des humains sur le statut de personne et des droits qui s'y rattachent est contesté. Les grands singes, principalement, partagent avec nous toute une série de capacités que nous associons à notre propre statut de personne. Ils sont conscients d'eux-mêmes; ils ont des rapports sociaux entre eux et parfois avec les chercheurs qui les observent; ils sont conscients que d'autres individus ne savent pas tout ce qu'ils savent; ils utilisent des outils; ils peuvent transmettre des comportements non innés par la culture; ils peuvent communiquer, parfois avec nous. Une magnifique conférence à voir et à revoir explique ici pourquoi les humains n'ont une exclusivité que parce que nous savons faire certaines choses plus que d'autres espèces.
Deuxième niveau: c'est terrible. Cela jette un éclairage choquant sur nos priorités. Reconnaître des droits à la vie, la liberté, à la protection contre les dommages, à des individus non humains alors que tant de personnes au monde en sont encore privées? Si j'apprenais cela en allant travailler en Asie ou en Afrique pour envoyer une bouchée de pain à mes enfants que mes parents gardaient pour me permettre de vivre à l'usine, je serais outrée. Sous cet angle, celui du nombre d'êtres humains dont la vie est menacée et la liberté absente, les droits des animaux peuvent paraître comme un problème de pays riches. Riches et peut-être arrogants. Comme si les animaux de nos zoos nous importaient davantage que nos semblables, pourvu que ces derniers soient loin de nous.
Alors bon, me direz-vous: ce n'est pas parce que nous ne sommes pas capables de garantir l'application des droits de tous que tous n'ont pas des droits. Oui, et il est vrai que reconnaître des droits est important même lorsqu'ils ne sont pas respectés, car sans cela ils le seraient avec encore plus de difficulté. Au minimum cependant, cette deuxième lecture doit nous rendre humble sur l'effet que peut avoir la simple reconnaissance de droits si elle ne s'accompagne pas de mesures d'application efficaces.
Troisième niveau: c'est passionnant. Que faut-il pour être une personne? Certains défenseurs des droits des animaux avancent l'argument que reconnaître des personnes non humaines n'est pas nouveau. Leur exemple? Les corporations, auxquelles on reconnait dans certains pays des droits comme la liberté d'expression, ou de poursuivre en justice. Est-ce suffisant? D'autres avancent que pour être une personne il faut "être conscient de soi, comprendre le passé le présent et le futur, être capable de comprendre des règles complexes et leurs conséquences sur le plan émotionnel, avoir la capacité de choisir de prendre le risque de ces conséquences, l'empathie, et la capacité à avoir des pensées abstraites." Les corporations ont-elles ces capacités? Très très clairement elles ne les ont pas toutes. Et les animaux alors? Quels autres animaux que nous ont lesquelles de ces caractéristiques? Quelles autres mettriez-vous sur la liste? Ou peut-être n'utiliseriez-vous pas de liste? Mais alors comment faire? Que de miroirs, dans ce petit événement parmi tant d'autres...
Diagnostic préimplantatoire: questions stratégiques
Pour rappel, sous l'angle technique, le diagnostic préimplantatoire c'est une méthode pouvant être utilisée lors de la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.
Toujours pour rappel, sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.
En Suisse, actuellement, ce geste est interdit. Cela pose problème, car une des conséquences est que les couples frappés par une maladie génétique grave et qui souhaite avoir un enfant malgré cela doivent passer par une "grossesse à l'essai". Concevoir un enfant, attendre pour pratiquer un diagnostic prénatal -qui est autorisé- tout en sachant que si la maladie est présente ils avorteront à ce moment et recommenceront.
Le Conseil Fédéral a proposé de légaliser le DPI, ce qui viserait à résoudre ce problème. Il s'est cependant positionné de manière vraiment très prudente. Si prudente, en fait, que le projet proposé aux chambres risquerait de rendre le DPI légal sans le rendre véritablement réalisable en Suisse. Il est par exemple proposé de limiter à huit le nombre d'embryons que l'on pourrait développer à chaque fois pour tester la présence de la maladie et en implanter un qui ne serait pas atteint. Selon les experts, cela aurait pour effet de rendre non rentable la pratique du DPI en Suisse. Les taux de succès ne feront simplement pas le poids par rapport à l'offre disponible à l'étranger. On autoriserait donc, mais virtuellement seulement.
Cette position très prudente a été suivie par le Conseil des Etats. Il a également suivi le Conseil Fédéral sur le projet d'interdire les diagnostics de trisomies. Il l'a encore suivi en acceptant d'interdire l'analyse des embryons pour la compatibilité HLA en cas de maladie d'un frère ou d'une soeur: ce que l'on appelle parfois le 'bébé sauveur'. Il a finalement interdit l'accès au DPI à tous les couples ayant recours à la fertilisation in vitro pour en limiter l'accès aux couples qui savent qu'une maladie héréditaire grave est présente dans leur famille.
Le Conseil national, lui, a vu les choses autrement. Sa proposition est de ne pas limiter dans la loi le nombre d'embryons que l'on pourrait développer. Ce nombre serait ainsi fixé par les limites biologiques (on ne fait pas un nombre infinis d'ovocytes par cycle, même sous stimulation), et par les règles de l'art médical. Il a aussi proposé d'autoriser le diagnostic des trisomies.
Alors maintenant, quoi? De toute manière, le peuple va à la fin devoir voter car il y a un changement constitutionnel à la clé. La discussion se trouve maintenant en résolution des différences, mais à la fin la décision porte sur quel texte soumettre au peuple. Un texte plus prudent, sans doute, aurait de meilleures chances de passer. On aurait ainsi légalisé le DPI, dans un cadre extrêmement strict. Un texte permettant réellement la pratique du DPI, en revanche, ne pourrait pas être aussi restrictif. Le vrai risque n'est donc sans doute pas de se retrouver à la case départ. Le vrai risque, cela pourrait être de proposer la prudence par souci de compromis, pour se retrouver ensuite avec un texte strictement symbolique, qui ne satisferait personne, et qui bloquerait la situation pour au moins une décennie...
On reparle du diagnostic préimplantatoire
Ces précaution, ces limites, au nom de quoi les propose-t-on? Certaines sont entièrement raisonnables. Autoriser le DPI pour dépister une caractéristique génétique, OK, mais seulement si c'est un marqueur de maladie grave. Oui, c'est important: on ne voudrait pas autoriser le choix de la couleur des cheveux, de la taille à l'âge adulte.
D'autres arguments sont moins solides. Parmi eux, la crainte souvent exprimée que choisir un embryon plutôt qu'un autre pourrait exprimer que l'autre ne méritait pas de vivre. Cela pourrait aussi, craignent certains, nous décourager de faire des efforts pour rendre nos infrastructures plus faciles pour les personnes handicapées, par exemple. Ou de voir comme une richesse la diversité humaine que certains handicaps complètent. C'est une des raisons pour lesquelles les militants pour les droits des handicapés se sont souvent exprimés contre le DPI. Mais même si tout ça est important, le lien avec la possibilité ou non de pratiquer le DPI est très distant. Serions-nous vraiment plus ou moins capables de respecter nos semblables et de leur faire une place adaptée, simplement parce que quelques personnes auront réalisé une analyse génétique sur leur embryon? Il est de toute manière important défendre ces valeurs, et c'est en fait de cela qu'il s'agit et non du DPI.
Finalement, restent les soucis habituels pour la protection des embryons. C'est en fait apparemment l'enjeu central pour la plupart des opposants au projet. Un jour, c'est promis, je vous ferai un message de résumé des positions sur le statut moral des embryons humains. Mais en attendant, un défi que j'avais lancé il y a quelques temps tient toujours car je n'ai eu aucunes réponses. Je vous le livre donc à nouveau.
Disons que, juste pour aujourd'hui et pour les besoins de cette discussion, les embryons méritent comme certains le pensent la même protection que vous et moi. Acceptons cela, pour explorer l'étape suivante du raisonnement. Car ces embryons auxquels nous venons de reconnaître pour cette discussion le statut d'êtres humains à part entière, contre quoi, exactement, l'interdiction du DPI les protègerait-elle? Contre la privation d'un avenir à l'état de quelques cellules, congelé dans l'azote liquide? Contre une 'indignité' diront certains, mais laquelle exactement? Contre une existence de quelques jours sans souffrance ni conscience? Si vous pensez que cette protection-là est suffisamment importante pour justifier une interdiction, dites-nous pourquoi dans les commentaires. Je suis intéressée. Ce qui frappe ici, c'est surtout à quel point nos schémas peuvent être trompeurs. Quand on pense à un embryon, c'est parfois comme si on pensait à un tout petit-très très petit- bébé, qui allait devenir un jour un enfant puis un adulte. On pense au début d'une histoire, à l'alternative de naître. Mais dans la réalité un grand nombre d'embryons ne naîtront jamais même lorsqu'ils auront été conçus 'naturellement'. Et si l'on estimait important de leur épargner ce 'sort', on devrait alors songer à arrêter de faire des enfants...
Marchandisation du corps
Mais ensuite, venez dire ce que vous en pensez dans les commentaires. Il y a beaucoup de sujets. Certains sont des enjeux très controversés. Il serait donc surprenant que vous n'ayez aucune idée sur aucun d'entre eux. Mais pour le moment allez écouter, c'est ici...
Noël: plus intelligente générosité?
En tout cas, pas des choses auxquelles nous attachons du prix. Nous attachons du prix au fait de les recevoir, bien sûr, et surtout à ce qu'elles disent sur les liens qui nous unissent à d'autres. C'est la valeur affective, liée à la personne qui vous l'a offerte et au geste qu'elle a fait pour vous: tout cela ne nécessite pas à strictement parler d'être véhiculé par une chose qu'elle aurait achetée pour vous l'offrir. La même valeur s'attacherait à une sortie au restaurant, à une promenade en montagne, à une friandise cuisinée de ses mains expertes (ou même pas si expertes que ça). Mais il semble que si vous êtes représentatif, et honnête comme ça entre quatre zyeux, alors à la question "parmi vos cadeaux de Noël, quelles sont les choses auxquelles vous attachez vraiment de la valeur?" votre réponse se situera entre 'pas tous' et 'très peu'. Voir 'aucun'. Nous nous faisons très souvent des cadeaux pour le geste plus que pour l'objet.
Quel lien avec l'éthique? C'est qu'à lier au geste un objet, on génère des conséquences humaines qui ne sont pas toujours visibles.
Des conséquences écologiques. Après 6 mois, seulement 1% des choses que nous achetons sont encore utilisées. Les matières premières qui ont servi à les fabriquer, en revanche, sont souvent perdues. Et la pollution qu'elles auront générée subsiste.
Des conséquences humaines, aussi. Nos appareils technologiques sont très friands de minéraux rares, et comme du coup ceux-ci rapportent très bien ils font l'objet de guerres sanglantes. Le tantale, le zinc, le tungsten, sont tous nécessaires pour nos téléphones et tablettes: une bonne part des mines sont aux mains des seigneurs de la guerre de la République démocratique du Congo.
Finalement, il y a des conséquences plus difficiles à voir encore. L'argent que nous dépensons à nous donner les uns aux autres des cadeaux inutiles dont la fabrication est délétère, nous pourrions faire tellement mieux avec.
Alors plutôt que de courir après l'idée de la dernière minute pour acheter une chose à quelqu'un que vous aimez, voici quelques idées de gestes à lui offrir.
A la dernière minute, trop tard sans doute pour un poème ou un gateau (quoique cette recette de truffes à l'air fameuse et fichtrement rapide). Mais il vous reste les alternatives immatérielles. Vous pouvez leur offrir, par exemple, un bon pour faire un prêt sur Kiva, le site de micro-crédit entre particuliers. Un don à Because I'm a girl qui finance l'éducation des filles là où elle ne va pas de soi. Ou à une des organisations testées comme les plus efficaces pour sauver des vies là où c'est vivre qui ne va pas de soi. Vous pouvez financer en leur nom un rat entrainé pour détecter les mines antipersonnelles, ou la tuberculose. Ou aider en leur nom quelqu'un à se libérer de ses dettes via le site de Strike Debt, qui rachète pour une bouchée de pain les dettes de personnes qui ne s'en sortent juste plus, pour ensuite les pardonner purement et simplement. Vous pouvez leur offrir une inscription à la Déclaration de Berne, qui tente de rendre plus justes les règles du jeu sur le plan international.
Le bonus? Tout ça peut se faire en ligne. Rapidement, et sans affronter de foules.
Du coup, vous aurez peut-être même encore le temps de faire les truffe...
Billet d'invité: Diagnostic préimplantatoire
Le diagnostic préimplantatoire (PID): voilà un serpent de mer bioéthique d’une rare longévité dans notre pays. Ce blog s’est fait plusieurs fois l’écho des controverses concernant cette technique de diagnostic génétique précoce qui porte sur des embryons obtenus par fécondation in vitro. On sait que le DPI est interdit en Suisse, mais qu’il y a depuis pas mal d’années un consensus majoritaire dans les milieux médicaux et politiques pour l’autoriser sous conditions. En juin dernier, le Conseil fédéral avait proposé de lever l’interdiction et formulé un projet de règlementation très restrictif. Ce qui faisait problème, c’est principalement la limitation portant sur le nombre maximum d’embryons qu’il serait permis d’obtenir et de tester, ce nombre étant fixé à huit par cycle. C’était rendre tout la procédure très difficile, voire éthiquement discutable, au vu de la qualité dégradée du service ainsi proposé. C’était somme toute une façon habile de botter en touche et de cesser d’interdire le DPI sans l’autoriser vraiment.
Or une Commission parlementaire vient de jeter un pavé dans la mare. La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des États propose une réglementation du DPI plus ouverte sur deux points cruciaux. Le premier est justement l’abolition de la limite portant sur le nombre d’embryons. Le second est l’autorisation du dépistage d’aneuploïdie des embryons par le moyen du DPI. Pour la première fois, une proposition réaliste de légalisation du DPI est sur la table et il faut saluer le courage politique de le Commission, qui ne lui vaudra pas que des amis. Le second point, à savoir la question du dépistage d’aneuploïdie, n’est pas moins importante mais moins souvent évoquée. Le DPI « classique », celui qui a alimenté les discussions depuis vingt ans, vise le diagnostic d’une anomalie de tel ou tel gène particulier, associée à une maladie dite « mendélienne » d’ores et déjà présente dans la famille et que le couple souhaite éviter à sa progéniture. Ce DPI-ci s’adresse à un nombre restreint de couples, précisément parce qu’il présuppose une histoire clinique bien particulière. Le dépistage d’aneuploïdie, lorsqu’il sera réellement au point, visera une toute autre finalité. En effet, il cherche à identifier les embryons atteints de défauts chromosomiques majeurs, généralement incompatibles avec le développement de l’embryon au-delà des premiers stades. Or on estime que ces défauts fréquents contribuent à abaisser le taux de succès de la fécondation in vitro. Ce dépistage n’est donc pas un diagnostic génétique au sens strict mais plutôt une étape intermédiaire de la fécondation in vitro, destinée à améliorer les chances d’obtenir un embryon viable et une grossesse menée à terme. Il pourrait donc un jour faire partie intégrante d’un protocole normal de fécondation in vitro, pertinent pour une bonne partie des couples en traitement pour infertilité. Le champ d’application potentiel de ce DPI « nouvelle manière » est donc bien plus grand et les problèmes d’éthique soulevés en partie différents. On ne sait pas à ce stade laquelle des technologies en lice - principalement issues des progrès de la génomique - s’imposera en définitive pour le dépistage d’aneuploïdie, mais on peut parier que cette technique figurera en bonne place des méthodes de traitement de l’infertilité dans un proche avenir.
La majestueuse lenteur avec laquelle la politique suisse digère la question du DPI a fait que cette technique aura eu le temps de changer assez radicalement de nature. La leçon à en tirer ? Le traitement des questions bioéthiques, ce n’est pas le dessin d’académie. On ne peut pas demander aux technologies controversées de prendre la pose indéfiniment, jusqu’à ce que philosophes, éthiciens, scientifiques, politiciens et leaders d’opinion aient concocté un compromis acceptable. Il nous faut une bioéthique qui fonctionne en temps réel.
Plein de % nos semblables
L'empathie avec les pierres, ou même avec les êtres vivants non humains, nous en sommes bien sûr capables parce que nous sommes capables d'empathie envers...nos semblables.
Et semblables, nous le sommes à un point que nous imaginons rarement. Vous êtes intéressé? Alors pendant que vous êtes (peut-être) en vacances, profitez pour aller faire un des plus beaux voyages qui soit. Allez parcourir le monde par le regard des autres. De plein d'autres. Ca se passe sur le site du projet 7 milliard d'autres de Yann Arthus-Bertrand. Le principe est simple. Des questions très générales, et des milliers de personnes qui y répondent. On parcourt ainsi la planète entière. On parcourt aussi du même coup tout ce qui nous rapproche. Parfois, c'est ce que l'on considère comme le plus profondément notre. Vertigineux, de partager cela avec tant d'autres. A la question "Que voudriez-vous dire aux autres habitants de la planète?" une Sud-Américaine répondait quelque chose comme "Parfois, j'ai l'impression d'être bizarre, que personne d'autre n'est comme moi. Je voudrais demander aux autres habitants de la planète s'il leur arrive de se sentir comme ça, eux aussi."
Bon voyage, et racontez-nous ce que vous aurez vu...
Evidence-based politics?
"Un lien entre les politiques publiques et la santé ? A force de vivre dans la médecine, on le voit partout. Ce père de famille qui n’a pas le temps de faire du sport parce que le trajet entre le domicile qu’il a trouvé et le travail qu’il doit garder lui prend deux heures de voiture par jour. Cette employée en burnout qui s’occupe en plus de son travail de ses jeunes enfants et d’un parent âgé. Cette gentille dame démente qui ne sortira plus vraiment de chez elle parce qu’elle est devenue incapable d’apprendre le fonctionnement de la énième nouvelle machine des TPG. Les décisions politiques, après tout, servent à avoir un impact sur les conditions de vie des personnes. Et ces conditions ont évidemment un effet sur leur santé. Banal, me direz-vous. Sauf que non. Imaginez que l’on ait pour les décisions politiques la même exigence de «mise sur le marché» que pour des produits plus matériels : que l’on exige que leurs effets secondaires soient justifiés par leurs avantages, que tout cela soit chiffré, fasse l’objet d’une surveillance post-implémentation, et qu’une instance de
surveillance «retire» toute décision dont les effets s’avéreraient clairement délétères."
Vous venez après nous dire ce que vous en pensez dans les commentaires?
Diagnostic préimplantatoire: voyage aux limites de la démocratie
Sous l'angle technique, le diagnostic préimplantatoire c'est une méthode pouvant être utilisée lors de la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.
L'Académie Suisse des Sciences Médicales avait fait sur cette technique un factsheet très utile, auquel je vous renvoie pour les questions techniques.
Sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.
Sous l'angle éthique, c'est une technique qui soulève des passions contre elle. Je vous les avais décrites il y a quelques temps. Si on examine ces arguments, on constate en revanche que malgré tous les soucis soulevés, les points en faveur de la légalisation du DPI sont assez forts. On est - pour faire simple - face à un enjeu de liberté reproductive, un des droits personnels les mieux protégés, à laquelle on oppose des limites. Des limites peuvent en théorie être justifiées même si la liberté reproductive est importante, mais elles doivent avoir une justification. C'est là qu'est le hic: ici, leur justification est questionnable. A l'heure actuelle, interdire le DPI pour protéger des embryons équivaudrait par exemple à l'imposition à tous d'un avis de minorité sur le statut de ces embryons.
Ce n'est donc pas surprenant que le Conseil fédéral recommande la légalisation du DPI. Jusque là, c'est une bonne nouvelle.
Les choses se compliquent à l'étape suivante. Les limitations qu'il comporte font de ce projet une proposition extraordinairement prudente. A priori, pourquoi pas? On veut après tout éviter des dérives. Mais quelles dérives? Une des limites proposées est crédible: autoriser le DPI pour dépister une caractéristique génétique, OK, mais seulement si c'est un marqueur de maladie grave. Oui, c'est important: on ne voudrait pas autoriser le choix de la couleur des cheveux, de la taille à l'âge adulte. Les autres limites sont en revanche nettement plus discutables. Le problème le plus sérieux est que le projet limite le nombre d'embryons autorisés à huit. Dans la Constitution, rien que ça. Selon les experts, cela aurait pour effet de rendre non rentable la pratique du DPI en Suisse. Les taux de succès ne feront simplement pas le poids par rapport à l'offre disponible à l'étranger. On autoriserait donc, mais virtuellement seulement.
Cette limite de huit embryons, pourquoi huit? C'est assez mystérieux. Pour protéger les embryons, à nouveau? Mais alors pourquoi autoriser le DPI? Sans doute est-ce davantage pour pouvoir dire que la position proposée est un compromis. Pour la rendre plus acceptable. Nous allons devoir voter, après tout. Un article constitutionnel est en jeu. Si c'est là la raison, nous serions sur le point d'autoriser une technique, tout en la rendant irréalisable dans les faits. Nous ferions cela car il semblerait insoutenable devant le souverain de maintenir cette technique illégale, mais aussi de la rendre possible. Voyage aux limites de la démocratie, je vous l'annonçais en titre. Le débat devrait être intéressant à plus d'un titre, donc. A l'approche du vote, nous serons face à une expérience sociale peu banale. Un dossier à suivre...
Vos gènes à vous!
C'est une très très bonne nouvelle. Non seulement le brevet sur le BRCA était contraire aux principes de la protection des brevets (c'est ce que la Cour vient de reconnaître), mais il était aussi contraire à leurs buts. En obstruant la recherche, en obstruant l'accès aux bénéfices cliniques du test (un examen coûtait jusqu'à 3000$), il bloquait les deux raisons de protéger les brevets: l'encouragement à la recherche et à l'accès à l'innovation. Certains commentateurs disent à présent que la remise en cause de ce brevet "pourrait altérer la motivation des entreprises à investir dans le travail onéreux qu'il faut pour isoler et comprendre le matériel génétique", mais derrière ce langage qui semble si prudent se cache en fait une bonne part de mauvaise foi. Les entreprises n'ont jamais été vraiment motivées à investir dans la science fondamentale, et ici aussi le brevet reposait pour beaucoup sur des recherches financées par des fonds publiques. Les institutions publiques qui entreprennent ces recherches pourront maintenant le faire sans craindre d'être bloquées par Myriad. Les entreprises qui voudraient développer des tests diagnostiques concurrents pourront continuer à obtenir des brevets pour ces tests, car ici ce n'est pas le gène qui est breveté mais la technique du test, et ça ça restera possible. Mieux: maintenant que Myriad ne détient plus de brevet sur le gène lui-même, personne ne pourra plus les empêcher de le faire. Ce jugement a donc reconnu un principe important, et en même temps il a protégé les raisons d'avoir des brevets plutôt que le brevet lui-même. Il a fait tout ça en tranchant contre la logique du profit commercial, qui s'opposait ici à tout cela mais qui était néanmoins plutôt solidement défendue.
Une très très bonne nouvelle, je vous le disais...
Vos gènes à vous?
Nous sommes donc à la base dans un domaine où l'idée même de la propriété donne un peu le vertige. Précisons donc. Myriad Genetics a découvert les gènes BRCA1 et BRCA2, tous deux associés à certaines formes de cancer. Et maintenant elle défend l'idée qu'elle aurait le droit de permettre ou d'interdire tout test sur ces gènes. Tout test, c'est-à-dire celui que Myriad a développé et commercialise au prix fort, mais aussi tout autre test présent ou futur qui serait développé par une firme concurrente ou par un service public. Même (surtout) s'il est moins cher ou plus efficace. Aïe.
Il faut espérer qu'ils perdent, là. Mais surtout, il faut saisir cette occasion pour se (re)-demander à quoi, finalement, servent les brevets. A reconnaître la propriété sur une idée dont on est l'auteur, diront certains. Mais ici la découverte des gènes BRCA1 et BRCA2 a largement reposé sur des recherches publiques financées collectivement, et conduites par des foules de personnes. La propriété de Myriad Genetics, là? Elle vient du fait d'avoir déposé ce brevet et de l'avoir fait avant les autres, plus que du fait d'avoir 'été' la 'personne' dont la découverte émanerait.
D'autres vous diront que les brevets servent à promouvoir l'innovation en récompensant les personnes qui développent de nouvelles techniques. Mais ici c'est plus que discutable. En fait, ce brevet pourrait au contraire empêcher des recherches et des progrès futurs. Les chercheurs n'ont pas accès aux tests de ces gènes sans payer des droits considérables: cela freine la recherche fondamentale et aussi la recherche de tests alternatifs qui seraient plus performants.
Dans les deux cas, les droits de propriété intellectuelle sont censés améliorer le bien commun. Le font-ils? Pas toujours. Je vous parlais il y a quelques temps de l'affaire des médicaments génériques en Inde, un cas où la Cour suprême indienne a donné tort à l'industrie. Le cas de Myriad est très différent, mais il y est tout aussi clair que le brevet en question ne sert, ici, aucun bien commun. Une affaire à suivre, donc...
Que faire de nos biais?
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"On considère que les professionnels de la santé ont une obligation de traiter leurs patients de façon impartiale, mais de récentes études empiriques indiquent qu’il existe une nouvelle menace à cet idéal : les biais implicites. Les biais implicites sont des associations qui ne se font pas de manière consciente entre personnes qui appartiennent à un groupe social et un attribut négatif. Nous avons souvent des biais implicites envers des personnes d’une autre race lorsque nous n’avons pas de biais explicites racistes. Les biais implicites sont donc un vrai problème pour les professionnels de la santé qui tentent de traiter leurs patients avec impartialité. On peut alors se demander qui devrait assumer la responsabilité morale de ce phénomène : les professionnels eux-mêmes, les institutions de la santé? Les individus peuvent sembler impuissants face à ces biais étant donné qu’ils ne se font pas de manière consciente. Pourtant, des études empiriques montrent que l’on peut influencer ses biais implicites. Je tenterai de démontrer que les professionnels de la santé doivent assumer la responsabilité de minimiser leurs biais envers les patients."
Vous êtes curieux? Venez! C'est au 3e étage de l'hôpital cantonal, salle 3-797 au 3ème étage, et c'est ouvert à toute personne intéressée. Et oui une chose encore: c'est lundi 11 mars à 12h30.
Ethique et recherche internationale
Parfois, il faut regarder des conférences qui vous apprennent des choses même si elles comportent des erreurs. Un bel exemple ouvre ce message. Dans cette conférence, Boghuma Kabisen Titanji raconte l'histoire d'une rencontre, et à travers ce récit elle dresse un portrait des problèmes, des difficultés, de ce qu'elle appelle les énigmes éthiques que soulève la recherche clinique lorsqu'elle est conduite dans un pays pauvre.
Ces difficultés, elles existent et doivent être prises au sérieux. Les prendre au sérieux implique cela dit de bien les comprendre. Et ici, il y a un certain nombre d'erreurs dans la conférence. Certaines sont intéressantes. C'est pour ça que je vous la recommande quand même.
Regardez-là d'abords, pour vous faire votre propre avis.
Maintenant, je vous donne le mien. Précisons pour commencer qu'il y a un certain nombre de choses justes. Titanji raconte des faits, qui sont certainement vrais et sont surtout très représentatifs de la pratique de la recherche dans les pays pauvres. Un certain nombre de ses commentaires sont également justes. Par exemple, c'est tout à fait exact que le processus de consentement éclairé devrait être amélioré. En fait c'est même le cas partout. D'où une première inexactitude: ce n'est pas parce que l'on recrute des personnes illettrées ou pauvres qu'il faut faire particulièrement attention. C'est parce que l'on recrute des personnes tout court qu'il faut faire particulièrement attention. Les formulaires que Boghuma Kabisen Titanji décrit comme inadaptés à l'Afrique ne sont en fait véritablement adaptés nulle part.
On pourrait relever ainsi un certain nombre de points. Certains d'entre vous le ferez peut-être dans les commentaires.
Mais le problème central est que, malgré la place que donne la conférencière à la notion d'exploitation et malgré l'importance de ce concept dans le genre de situations qu'elle décrit, il ne s'agit en fait pas ici d'exploitation.
Pourquoi? On a parfois tendance à penser que dès qu'il y a une interaction entre une personne faible et une personne forte et qu'il y a un bénéfice dans l'histoire pour la personne forte, alors il y a exploitation. Lorsqu'on le dit comme cela, on se rend tout de suite compte que c'est faux. Si c'était le cas, alors il y aurait automatiquement exploitation chaque fois que l'on achète quelque chose à une entité plus puissante que nous (je sais pas, par exemple, Apple...). Non, pour qu'il y ait exploitation il faut qu'il y ait une interaction, oui, mais il faut aussi que le partage des fardeaux et des bénéfices soit disproportionné. Disons, si mon Mac m'était indispensable pour une raison ou une autre, coûtait 1.- à fabriquer et que je devais le payer un million. Là, oui, il y aurait exploitation.
Dans le récit de Kabisen Titanji, Céline a-t-elle été exploitée? Elle a encouru des risques, oui. Elle a aussi retiré des bénéfices, c'est tout aussi clair. Les bénéfices qu'elle a retirés étaient-ils disproportionnés par rapport aux risques encourus? C'est nettement moins clair. Le reproche le plus crédible est que le bénéfice qui lui a été donné, à savoir un suivi et un traitement antirétroviral, auraient dû être plus prolongés. Mais l'argument n'est pas que les risques de la recherche le justifiaient. Car après tout le rapport entre les risques et les bénéfices d'une étude où les participants viennent pour des contrôles, risquent des effets secondaires, et ont en revanche accès au diagnostic et pour un temps à un traitement anti-rétroviral n'est pas mauvais en tant que tel. Non, l'argument est en fait nettement plus intéressant que cela. Une fois le lien noué, une fois une personne malade transformée en participante de la recherche clinique, alors la laisser là à la fin de l'étude est une forme d'abandon difficilement acceptable. Y a-t-il là un problème? Sans doute. Il ne s'agit pas d'exploitation, mais d'un problème différent. Nous avons acquis envers cette personne des responsabilités, et ensuite nous y avons manqué. On est effectivement en droit d'y voir un problème.
Ce problème est d'autant plus gênant qu'il cache un paradoxe. Nos sociétés ont en fait justement développé un moyen de limiter les relations à une stricte interaction qui ne laisse aucun résidu relationnel. Cela s'appelle la monnaie. Payez une personne comme Cécile pour sa participation à la recherche, décemment bien entendu, et vous aurez clarifié l'histoire: la transaction finie, chacun s'en retourne de son côté et plus personne ne doit rien à personne. Ce sont les échanges non monnayés qui, d'ordinaire, ont des résultats relationnels. Je vous rends un service gratuit, vous me devez de la gratitude. Je vous sauve la vie en sautant dans le lac, il vous sera difficile de me refuser une aide personnelle que je viendrais vous demander à l'avenir. Je vous donne une gifle en pleine rue, vous voilà en droit d'être mon ennemi. Dans chacun de ces cas, une relation est née, ou a été affectée. Nous ne sommes pas quittes.
Le hic, c'est que dans la recherche, justement, nous refusons de monnayer la participation. Il y aurait à l'accepter bien des problèmes, dont certains d'ordre éthique. Nous refusons donc de monnayer la participation et avons pour cela des raisons qu'on peut qualifier de bonnes. Mais alors nous voilà coincés: car vouloir d'une part ne pas monnayer ça, et vouloir en même temps que cette interaction humaine ne se solde par aucune relation, par aucun devoir personnel entre les participants et les personnes qui conduisent la recherche, voilà qui ne va pas facilement aller ensemble...
Avortement: quelques voix du passé
En même temps, s'il est normal que ce sujet nous divise il est quand même plus délicat qu'il nous fâche. Car bien des sujets nous divisent et c'est une des conditions de notre vie commune que de savoir gérer ce pluralisme. Face à eux, la question la plus importante pour nos sociétés devient: comment faire des lois pour tous, alors que nous ne sommes pas d'accord? En d'autres termes encore, qu'a-t-on le droit d'imposer à d'autres (et au nom de quoi) alors qu'ils n'adhèrent pas aux mêmes avis que nous? Les législations qui autorisent l'avortement reconnaissent en général ce principe: l'imposer à qui n'en veut pas est un problème (d'où la possibilité de l'objection de conscience, d'où aussi l'illégalité de l'interruption de grossesse non consentie) mais l'interdire (en tout cas dans le cas d'une grossesse précoce) pose en fait le même problème. L'imposition d'une position morale non partagée. Je vous le disais il y a quelques temps:
"Pour penser que l'avortement devrait être illégal, il faut penser trois choses: que l'embryon a un droit à la vie dès la conception, qu'une femme a vis-à-vis de cet embryon un devoir de gestation, et que cette question (pourtant controversée) doit être tranchée par l'État plutôt que laissée au choix de chacun."
Pour être fâché, il faut non seulement avoir un avis tranché sur ces questions, mais aussi quelque chose de plus: penser que qui pense autrement est déraisonnable ou dangereux.
S'il a encore tendance à nous fâcher, ce sujet, c'est cela dit peut-être aussi parce que les pratiques ont changé si vite que le temps passé en deviendrait quasiment invisible. Du coup, peut-être est-il temps de regarder ces images d'archives de la TSR. Derrière le lien, un reportage assez long mais qui vaut la peine. Nous sommes en 1972, autant dire dans un autre monde. Avec, en Suisse, d'autres lois et d'autres habitudes. Le documentaire donne voix à toutes sortes de personnes, qui n'ont que très peu d'opinions en commun sur l'avortement. Elles ont en revanche en commun une grande intelligence. Et rapportent des expériences trop souvent oubliées. Un débat intelligent, donc, et utile. Un débat pas fâché. Il vaut le détour. Ensuite, revenez nous dire dans les commentaires ce que vous en pensez...
Diagnostic préimplantatoire: la consultation c'est maintenant
Sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.
En Suisse, actuellement, ce geste est interdit. Du coup, notre loi actuelle crée une situation où les couples frappés par une maladie génétique grave et qui souhaite avoir un enfant malgré cela doivent passer par une "grossesse à l'essai". Concevoir un enfant, attendre pour pratiquer un diagnostic prénatal -qui est autorisé- tout en sachant que si la maladie est présente ils avorteront à ce moment et recommenceront. C'est difficile d'imaginer à quel point cette démarche peut être tragique. Aux yeux de ces couples, donc, et des médecins qui les suivent dans leur parcours, il est évident que le diagnostic préimplantatoire, loin d'être un problème, est en fait une solution. Et pourquoi pas? Clairement, il est plus responsable d'y avoir recours que de prévoir en quelque sorte d'emblée une interruption de grossesse.
Cet aspect de la question est longtemps resté au second plan derrière le difficile enjeu du statut de l'embryon, que le DPI soulève bien sûr également. Mais un projet de loi est actuellement en consultation dans notre pays pour une autorisation encadrée du DPI. Il était temps, diront certains. D'autres pourraient y voir des problèmes, mais il semble que le projet présenté ait pour le moment récolté peu d'opposition. Peut-être n'est-ce pas surprenant. Légaliser le DPI, en Suisse, aujourd'hui, c'est sage. La loi actuelle, pourtant écrite sur de très bonnes intentions, ne protège en fait personne. Elle ne protège pas les parents, qui se trouvent face à des choix encore plus tragiques. Ce fardeau, la loi actuelle l'imposait au parents au nom de deux autres considérations, qu'elle ne remplit en fait pas non plus.
D'abord, elle ne protège pas les embryons. Ou alors, contre quoi? Même en faisant abstraction du fait que nos société n'ont aucun consensus sur le statut de l'embryon et le degré de protection morale qu'on lui doit, la réponse n'est pas simple. Disons que, pour cette discussion, on accepte que les embryons doivent être protégés comme vous et moi. Contre quoi, exactement, l'interdiction du DPI les protège-t-elle? Contre le fait d'être généré? Pour dire les choses très concrètement, contre une existence de cinq jours à l'état de quelques cellules, et dont l'alternative est de ne jamais avoir existé? Si vous pensez que cette protection-là est suffisamment importante pour imposer un fardeau aux parents, dites-nous pourquoi dans les commentaires. Je suis intéressée. Mais ce qui frappe, là, c'est surtout à quel point nos schémas peuvent être trompeurs. Quand on pense à un embryon, c'est parfois comme si on pensait à un tout petit-très très petit- bébé, qui allait devenir un jour un enfant puis un adulte. On pense au début d'une histoire, à l'alternative de naître. Mais dans la réalité un grand nombre d'embryons ne naîtront jamais même lorsqu'ils auront été conçus 'naturellement'. Et si l'on estimait important de leur épargner ce 'sort', on devrait alors songer à arrêter de faire des enfants...
Une autre raison de la loi actuelle est le souci que choisir un embryon plutôt qu'un autre pourrait exprimer que l'autre ne méritait pas de vivre. Cela pourrait aussi nous décourager de faire des efforts pour rendre nos infrastructures plus faciles pour les personnes handicapées, par exemple. C'est une des raisons pour lesquelles les militants pour les droits des handicapés se sont souvent exprimés contre le DPI, même si un certain nombre ne semble pas s'opposer au projet de loi en consultation. Alors oui, protéger les droits des personnes vivant avec un handicap, et défendre leur accès aux moyens de mener une vie digne et aussi libre que possible, c'est crucial. Mais ces personnes, justement, ne sont pas des embryons; interdire le DPI ne les protège pas. Serions-nous vraiment plus ou moins capables de respecter nos semblables et de leur faire une place adaptée, simplement parce que quelques couples auront réalisé une analyse génétique sur leur embryon? Il est de toute manière important défendre ces valeurs. Se dire que maintenir l'interdiction du DPI les protègera, cela ressemble à de la bonne conscience artificielle. Ces valeurs sont importantes. Beaucoup trop pour qu'on se rassure ainsi d'une mesure qui, en fait, ne les protège pas.
Alors oui, autoriser le DPI suppose un certain nombre de précautions, mais parmi les projets raisonnablement imaginables, celui qu'on nous propose est plutôt très prudent. Si vous avez le temps de le lire, dites-moi ce que vous en pensez...