Merci

«Dieu merci !» dit-on parfois lorsqu’on l’a échappé belle. Les Anglais substituent parfois «Thank goodness !» Merci à la bonté. Cette expression, reprise récemment par le philosophe Daniel Dennett pour remercier ses soignants après une opération du cœur, c’est maintenant à mon tour de la reprendre. J’ai vu ces derniers mois un grand nombre de collègues, un grand nombre d’entre vous, autour de la maladie d’une personne de ma famille. Comme médecin, comme soignant en général, on passe beaucoup de temps à vouloir faire mieux. Mais de temps en temps, il est également bon de se rappeler que notre niveau de départ n’est, disons, pas mal.

Merci à la bonté écrivait Dennett : «Il y a beaucoup de bonté dans le monde, et plus de bonté tous les jours, et ce tissu humain d’excellence est réellement responsable du fait que je suis en vie aujourd’hui.» A mon tour de remercier les chirurgiens, internistes, gastroentérologues, anesthésistes, pharmacologues, infectiologues, néphrologues, infirmières, aides soignants, physiothérapeutes, techniciens de radiologie, laborantins, ainsi que les personnes qui apportent à l’hôpital les repas, nettoient les chambres, font la lessive, poussent les chaises roulantes, et ainsi de suite. Ces personnes viennent du monde entier, et réussissent par des buts communs à s’aider et à vérifier mutuellement leur travail dans un respect impressionnant. Lorsqu’on travaille soi-même à l’hôpital on le sait, mais voilà une occasion de le dire. Et puis les équipes locales ne sont que la pointe de l’iceberg. Il y a derrière nous en permanence tout le système de la médecine – journaux, réviseurs, éditeurs, chercheurs, institutions – sans lequel les individus les mieux intentionnés pourraient si peu. Il y a tout le système de vérification, d’examen critique et rigoureux, de cette autoévaluation obsessionnelle et publique qui doit constituer la démarche scientifique. Dans son fond une des démarches les plus humbles jamais entreprises par des institutions humaines. Alors bien sûr, cette démarche est imparfaite. Mais elle est la raison des progrès qui permettent à une personne de survivre lorsque cela n’aurait pas été le cas il y a vingt ans. Et il y a la démultiplication des démarches quotidiennes de l’empathie humaine, par une foule de personnes souvent anonymes. Démarche imparfaite elle aussi mais en tout point indispensable. Merci à tous. Dennett ajoute encore «Merci à la bonté pour l’eau potable dans nos robinets, la nourriture sur nos tables. Merci à la bonté pour les élections justes, le journalisme véridique.» La médecine est un exemple parmi d’autres du meilleur dont nous autres humains sommes capables : lorsque nous parvenons à faire ensemble ce qu’aucun d’entre nous ne saurait faire seul. Il nous faut pour cela pouvoir compter sur des inconnus, nous rendre dignes à notre tour de la confiance d’inconnus, prendre et passer des relais ; il nous faut savoir que même si aucun d’entre nous ne maîtrise toutes les étapes, toutes les étapes seront, finalement, suffisamment, maîtrisées. Et pas seulement maîtrisées : vérifiées, critiquées, examinées pour tenter, encore, de faire mieux.

Il arrive sans doute à certains d’entre nous, de temps en temps, de prendre ces tentatives constantes d’amélioration pour une forme élaborée d’autoflagellation. Et parfois d’y résister. «Je vais te faire un rapport incident !» entend-on encore trop souvent. Quelle erreur. Ces efforts pour faire mieux, alors même que nous faisons tant de choses bien, sont l’hommage que nous devons à l’importance de tout ce que la médecine sait faire, et surtout de tout ce qu’elle ne sait pas encore faire. Et dans ces moments où l’on en dépend personnellement, on mesure ce que l’on doit à tous ceux qui, au fond, le savent. A vous tous, merci.

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