Barrières financières à l'accès aux soins


Les 'barrières financières à l'accès aux soins', c'est le terme poli qu'on emploie pour dire que quelqu'un qui a besoin de voir un médecin ne peut pas se le permettre. Dans un système à couverture universelle, comme le notre, on est censé avoir largement ou complètement éliminé cela. Si nous payons tous les mois notre prime d'assurance maladie, c'est justement pour avoir ensuite accès aux soins dont nous avons besoin.


Et pourtant, dès qu'avoir recours à la médecine n'est pas entièrement gratuit cela tombe sous le sens que certains seront mis en difficulté. La quote part du patient prévue par notre système, d'ailleurs, repose là-dessus. Le but de faire payer quelque chose au malade lui-même, c'est de le faire 'réfléchir à deux fois'. On tente ainsi d'éviter des consultations superflues, en comptant sur chacun de vouloir dépenser son argent à bon escient seulement. Mais voilà, parfois on a si peu d'argent qu'à faire cette réflexion on conclu que voir un médecin est moins important que d'autres factures pressantes, même quand notre besoin est réel. On observe donc, chez nous aussi, qu'un taux de la population dit ne pas avoir été consulté alors qu'ils en auraient eu besoin, pour des raisons financières. Entre 11 et 14 pour-cent de la population interrogée en Suisse rapporte ainsi avoir renoncé à des soins pour raisons financières dans l'année écoulée. Si l'on se concentre sur la 'tranche' la plus pauvre ce chiffre monte en dessus de 30%.

C'est beaucoup, c'est peu? Une étude du Commonwealth fund vient de sortir et nous permet maintenant de nous comparer à d'autres systèmes de santé de pays riches. Les chiffres principaux sont dans l'image. Pour tous les pays indiqués, ils ne concernent que la population dont le revenu est en dessous de la moyenne nationale. En Suisse, 11% ont répondu qu'ils avaient eu besoin de voir un docteur mais n'avaient pas pu en raison des coûts. Si vous comparez, vous verrez que d'autres systèmes ont des résultats très différents, qui vont de 1% en Grande Bretagne à 39% aux Etats-Unis. La ligne suivante, c'est le pourcentage de personnes qui ont renoncé à faire les examens recommandés, à suivre la thérapie, ou à retourner pour le contrôle prévu. La troisième, ce sont ceux qui ont renoncé à acheter les médicaments prescrits ou qui ont sauté des doses, en raison des coûts. Etc.


Première conclusion: on ne s'en tire pas si mal. Pour certains paramètres on est même plutôt bons. Par exemple, seuls 3% ont répondu que le médecin qu'ils avaient vu était moyen ou mauvais. Petite tape sur l'épaule à mes collègues, là. Seuls 4% ont rapporté devoir attendre plus de 6 jours pour un rendez-vous. Même si on attend souvent trop longtemps dans un service d'urgence, en particulier quand notre angoisse commence à monter et monter, on s'en tire en fait mieux sur ce point en Suisse que dans presque tous les autres pays examinés. Sur d'autres points en revanche on est moins bon. On a plus souvent du mal à obtenir des soins le soir ou le week-end en Suisse qu'en Grande Bretagne. Sur les barrières économiques, on est 'moyens à plutôt mieux'. 

Mais la deuxième conclusion doit être que c'est un problème quand même. En payant tous la même prime, nous sommes censés payer tous le même prix pour le même service. Ce que révèlent ces chiffres, c'est que certains payent et ensuite n'ont pas. C'est d'autant plus injuste que c'est peut-être parfois parce qu'ils payent, parce que le budget devient très serré après avoir réglé l'assurance, qu'ensuite ils n'ont pas accès au service qu'ils sont censés avoir acheté.

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Assistance au suicide: les paradoxes du 'modèle suisse'

C'était il y a quelques temps le moment de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, je vous mets un extrait et le lien. Dites-nous ce que vous en pensez...

Au printemps dernier, EXIT a fait les gros titres de la presse nationale en changeant ses critères pour accepter d’assister le suicide de personnes atteintes de «polypathologies du grand âge». Il n’y a bien sûr pas de statistiques si rapidement, mais à en croire les collègues qui reçoivent ces demandes il semble qu’il y ait eu depuis lors une augmentation du nombre de ces situations. Il semble aussi que cela mette ces collègues devant des problèmes difficiles.Je veux bien le croire. Face à une demande d’assistance au suicide, les cas dit «ordinaires» sont déjà délicats. Imaginez une personne atteinte d’une maladie terminale, d’un mal physique. Si cette personne vient à demander une assistance au suicide, nous serons sans doute d’accord qu’il faut commencer par discuter avec elle des alternatives qui pourraient lui rendre la vie plus supportable. La médecine, et plus spécifiquement les soins palliatifs, sont ici conviés comme tout naturellement. Avec une alternative décente, souvent (pas toujours mais souvent), on préfère en fait vivre.

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Planning familial par l'employeur

Deux mots sur l'annonce récente que Facebook et Apple allaient offrir la congélation sociale des ovocytes à leurs employées. Cette technique, qui permet de préserver quand on a 20-30 ans ses ovules pour s'en servir plus tard dans une fertilisation in vitro.

Elle a à première vue des avantages, cette technique. De plus en plus de femmes retardent leurs grossesses. Suffisamment pour que l'âge moyen à la première grossesse soit en progression constante. C'est basé sur du réjouissant et du moins réjouissant. Réjouissant: retarder ses grossesses est un fruit de l'optimisme et de la prospérité. L'ethnologue Susan Blaffer Hrdy l'a décrit il y a déjà des années: les femmes, un peu partout, mettent la qualité avant la quantité. Si elles pensent que les circonstances de leur vie seront meilleures plus tard, elles auront tendance à attendre, pour donner à leur futur enfant de meilleures chances dans l'existence. Moins réjouissant: si ce sera mieux plus tard, parfois c'est parce que c'est vraiment difficile maintenant. Bien sûr, les moyens mis à disposition des parents pour s'occuper de leurs enfants - du temps libéré du travail rémunéré, des crèches, des aides - seront déterminants. Moins ils sont disponibles, plus il faut les payer de sa poche et cher, plus les grossesses risquent d'être retardées par des femmes qui se disent qu'elles seront plus tard plus riches ou moins précaires, et pas nécessairement dans une meilleure position pour avoir des enfants par ailleurs.

Alors maintenant l'annonce de Facebook et Apple. C'est à la surface un cadeau substantiel. Plusieurs dizaines de milliers de dollars, pour une technique qui aiderait vraiment des femmes à avoir des enfants dans des circonstances de plus en plus fréquentes: le recours à la FIV pour une grossesse tardive. Si on se base sur les statistiques, on devrait être contentes, non?

Evidemment, il y a aussi une face plus sombre. La mesure annoncée fait même tellement bien des erreurs tout à fait classiques que c'en serait presque drôle.

Problème 1: si on a des ovocytes congelés, peut-être n'est-il pas entièrement irrationnel de craindre plus de pression pour avoir des enfants plus tard. Une femme qui prend un congé maternité à mi-carrière est habituellement dans une situation que l'employeur va bien devoir tolérer. En essayant de l'affranchir de 'l'horloge biologique', il pourrait vouloir s'en affranchir aussi.

Problème 2: le but affiché de la mesure est d'aider les employées à planifier la coexistence de leur famille et de leur carrière. Mais alors pourquoi ne subventionner que ce moyen-là? Et la garde des enfants pour celles qui préfèrent la conception plus traditionnelle?

Problème 3: pourquoi uniquement les employées? Les hommes qui travaillent chez Facebook et Apple, on ne s'attend pas à ce qu'ils s'occupent de leurs enfants? La congélation des ovocytes de leurs femmes n'est semble-t-il pas incluse dans la mesure. Pour une raison to-ta-le-ment mystérieuse, il semble que faire coexister carrière et famille soit moins difficile pour eux.

Alors oui, c'est une offre qui pourrait, en surface, paraître libératrice; sembler donner aux femmes concernées une option désirable et onéreuse, qui leur devient ouverte alors qu'elle le serait moins autrement. Et c'est peut-être vrai dans certains cas.

Mais en même temps, il faut beaucoup de confiance en son employeur pour ne pas y voir le risque de subir des pressions plus lourdes, et pour corser le tout c'est une confirmation par ceux qui sont censés soutenir la carrière des femmes que, ben oui, même eux s'attendent à ce que ce soit d'abord elles qui s'occupent de leurs familles.

Presque drôle, je vous le disais. D'ailleurs, The Onion, un des meilleurs journaux satyriques du web, a fait un commentaire délicieusement politiquement incorrect: "Facebook Offers To Freeze Female Employees’ Newborn Children". Ca finit même sur l'annonce tout aussi fictive qu'ils vont maintenant commencer à offrir un programme pour 'congeler les partenaires de leurs employées en attendant qu'ils soient prêts à être pères'.

Bref, le débat fait rage. Progrès ou menace? Promotion des carrières des femmes ou confirmation que c'est à elles d'élever les enfants? Aide pour celles qui veulent une carrière et une famille, ou signal que dans cet environnement il faut attendre d'avoir 'réussi' pour faire des enfants?

Et vous, vous en pensez quoi?

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Mes collègues: sponsoring pharmaceutique de la formation continue

Arnaud Perrier a écrit un très bel éditorial dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, un extrait et le lien (derrière le texte):

«La vertu a cela d’heureux qu’elle se suffit à elle-même»Jean de la Bruyère/ Tiré de La Condition humaine.La formation continue des médecins constitue aujourd’hui un enjeu considérable. Or, force est de constater que, malgré le travail de clarification remarquable fait pas l’Académie des sciences médicales (ASSM) au sujet du partenariat toujours délicat entre les médecins et l’industrie pharmaceutique[*], elle continue à être fortement influencée par les pharma. Quelques chiffres pour illustrer l’importance du phénomène. Le marché du médicament pèse annuellement environ 450 milliards de francs suisses (chiffre d’affaires 2012). Selon la plupart des estimations, 25-30% de ce chiffre d’affaires sont consacrés au marketing, soit en gros le double des sommes investies dans la recherche et le développement. Qu’est-ce qui justifie ces investissements colossaux ? Cela se résume en une phrase : There is no such thing as a free lunch.1 Toutes les études le montrent : le sponsoring de la formation continue par l’industrie influence le comportement de prescription du médecin.

Revenez après nous dire ce que vous en pensez dans les commentaires...

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Ebola (3)

Hier soir dans une rue comme les autres à Montréal, une dame qui - comme les autres- parlait dans son téléphone: "Oh le pauvre! Mais dis: il ne revient pas du Libéria n'est-ce pas...?"

On pourrait se dire que voilà à quoi ressemble le début d'une panique, mais ce serait oublier que les paniques ne frappent pas toujours au hasard. Je vous ai parlé des questions soulevées par les traitements de l'Ebola dans deux des derniers billets. Mais la question centrale n'est en fait pas du tout là. L'enjeu central de notre réponse au virus Ebola n'est ni la recherche clinique, ni la recherche fondamentale. Non, l'enjeu central est que voilà un virus qui vit de nos contacts les plus fondamentaux, et qui en les rendant contagieux les fragilise.

Imaginez-vous cette dame au téléphone. Son amie ne sait plus trop bien. Mais leur ami commun vit seul. Il est malade. Il a besoin qu'on lui fasse ses courses. Ira-t-elle? En saison de grippe, sans doute oui. Alors même que la grippe est contagieuse et tue chaque année un certain nombre de personnes fragilisées. En 'saison' de peur de l'Ebola, ira-t-elle chez une personne qui 'peut-être' revient du Liberia? Alors que l'on sait que le virus ne se transmet pas par l'air, mais seulement par les contacts de liquides biologiques? Vous pariez quoi, vous?

C'est là une de ses tragédies. En passant d'une personne à l'autre par les gouttelettes et les liquides, il frappe ceux qui s'occupent des victimes. Qui les tiennent quand ils toussent. Qui, comme dans les films, épongent la sueur de leur front. C'est un virus qui profite de notre humanité, qui prolifère dans la vague de notre compassion. Et qui du coup menace bien plus que nos vies: la peur de la contagion menace nos liens, nos groupes, qui nous sommes. On imagine tout de suite comment cette peur, même en l'absence du virus lui-même, peut suffire à dissuader la solidarité la plus basique.

Maintenant ajoutez que le serum des survivants est un traitement prometteur, et vous avez toutes les briques d'un roman sur la solidarité humaine, et aussi sur ses travers. Et vous l'aurez deviné: ce serum, qui peut être un magnifique véhicule de solidarité entre les malades et les survivants, est aussi en même temps déjà sur la marché illégal.

Pour couronner le tout, ce virus révèle aussi les failles parfois profondes de nos organisations sociales. Comme l'a dit récemment l'OMS dans un communiqué qui récapitule quelques vérités difficiles, les pathogènes dangereux exploitent les systèmes de santés faibles. Et ce problème ne concerne pas seulement les pays d'Afrique de l'Ouest. Ca concerne aussi l'Espagne, entre autres.

Ebola est un miroir de nos interactions. La manière de l'interrompre, la quarantaine, n'est pas techniquement compliquée. Mais la rendre efficace nécessite un petit trésor de sensibilité sociale. Dans sa plus simple expression (pour faire simple et brutal: on vous prend, vous disparaissez derrière une porte close, on ne peut plus communiquer avec vous, et il y a de fortes chances que vous sortiez mort), on voit très bien comment elle peut être vouée à l'échec. Elle est pourtant réalisable de manière plus 'humaine', c'est-à-dire plus consciente de notre besoin de maintenir nos contacts, nos liens. La panique, comme souvent, n'est pas entièrement rationnelle non plus: l'épidémie peut être interrompue.

L'enjeu principal de l'épidémie d'Ebola est donc sans doute là: en se multipliant à la faveur de ce que nous avons de meilleur, il agit aussi comme un révélateur du ... nettement moins meilleur, on va dire, dont nous sommes aussi capables. Les personnes qui vivent dans des régions endémiques le savent. Survivre à une épidémie, c'est bien sûr d'abord rester en vie. Mais ce n'est jamais 'que' cela. Il va falloir arriver de l'autre côté en ne s'étant pas mutuellement fait trop de choses impardonnables. Ce ne sont pas seulement nos personnes physiques qui sont en jeu. Ce sont nos liens sociaux, nos liens personnels, le fonctionnement de nos institutions, et ce que notre réponse à l'épidémie révèle sur qui nous sommes.

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