Amérique: angoisses existentielles

On le voit chez nous aussi ces temps avec la crise des otages de Libye: il est des thématiques capables d'engager un pays entier dans une forme d'angoisse existentielle difficile à décortiquer. Alors pensez, vu de l'étranger, à quel point cela peut être incompréhensible. Mais si vous avez regardé, ces dernières semaines, les débats autour des projets de réforme de la santé d'Obama, vous avez dû bondir une fois ou deux au moins. Les discussions noyées sous les cris. Le port d'armes aux réunions politiques. Obama dépeint tour à tour en extrémiste de droite et de gauche, comparé dans le même souffle à Mao et Hitler. Pour vouloir étendre la couverture d'assurance maladie! L'insistance sur le droit de ne pas avoir accès aux soins. On hésite entre l'incompréhension, la pitié, le soulagement d'être à l'abri, du bon côté de l'Atlantique. Largement de quoi sentir remonter en vous un peu de cet anti-américanisme primaire que l'on pensait éteint lors du changement de président...Pour certains élus américains, en tout cas, de quoi perdre patience et dire enfin ce qu'ils pensent vraiment du délire de certains opposants, sans souci du politiquement correct. Pour Obama lui-même, l'occasion d'une sorte de litanie des critiques les plus persistentes, ponctuées de 'c'est faux', 'c'est faux', 'c'est faux'. Et pour des milliers d'Européens, blessés dans leur amour-propre de voir leurs systèmes de santé présentés comme des épouvantails aux citoyens américains, l'occasion d'écrire à leurs médecins, leurs infirmières, leurs hôpitaux, leurs ministres de la santé, et même leurs assureurs des dizaines de milliers de mots d'amour et de reconnaissance en 140 caractères sur twitter sous le nom de code #welovethenhs.

Alors, à part l'état parfois catastrophique de l'éducation aux États-Unis, quels sont les raisons de ce débat qui semble débarquer d'un autre monde? Alors que, franchement, côté santé ils pourraient faire mieux. Pour rester dans le sujet de la médecine américaine, imaginez une scène du Dr House: on fronce les sourcils, et on décline le diagnostic différentiel! Une des protagonistes est une de mes amies d'outre-Atlantique, qui me les a soufflées, désespérée par ses compatriotes (Sarah, I promise, if you blog this I'll link it!).

Allons-y:

Hypothèse 1: La peur de la dépense, pure et simple. Soigner les personnes malades, ça coûte plus cher à un système de santé que de les laisser mourir. Ben oui. C'est juste que, d'ordinaire, on rechigne (et on a de bonnes raisons pour cela) de penser en ces termes. Le coût serait ici astronomique: un trillion de dollars. Le coût de la guerre en Iraq et en Afghanistan...

Hypothèse 2: La peur du changement. Un système de santé, c'est compliqué. Et ma vie peut un jour en dépendre. Comment, alors, ne pas angoisser à l'idée qu'un changement, quel qu'il soit, ne puisse aggraver mes chances sans que je ne puisse le prévoir? (Vous avez aussi déjà croisé ce souci, non?)

Hypothèse 3: La loyauté nationale. Quels que soient ses défauts, on a tendance à préférer son système de santé à celui d'autres pays. C'est le cas en Europe. C'est aussi, très très bizarrement, le cas aux USA. Du coup, les systèmes canadiens, anglais, sont présentés comme s'ils étaient les pires maux. Petit coup de brosse à reluire pour nous (quoique): pour rassurer on leur dit que nooon, ce sera pas comme en Angleterre, ce sera comme en Suisse!

Hypothèse 4: Le fossé entre ceux qui pensent que la santé est une histoire collective, à prendre en charge solidairement, et ceux qui pensent que c'est une affaire individuelle, pour laquelle chacun doit prendre ses propres responsabilités.

Hypothèse 5: La méfiance vis-à-vis du gouvernement. Certains clament même des trucs comme 'keep government out of Medicare'! Conclusion 1: ils trouvent que Medicare, le programme pour les personnes de plus de 65 ans, est un bon programme. Conclusion 2: ils ne savent pas que c'est un programme gouvernemental. C'est aussi en partie pour cela que certains américains craignent autant qu'un système à couverture universelle 'rationne' les soins, alors qu'ils tolèrent sans sourciller que le 'système' qu'ils ont actuellement laisse mourir les personnes sans assurance.

Hypothèse 6: La réforme de la santé ne serait, dans sa forme actuelle, pas bonne pour l'industrie pharmaceutique. Ce n'est pas un lobby négligeable. Les médecins eux, par contre, soutiennent le projet (cette fois-ci: ce ne fut pas toujours le cas).

Hypothèse 7: Le racisme, pur et simple. Impensable, pour certains, d'être d'accord avec un président noir. Et une frange de ceux que l'on a appelé 'les dépossédés', anciens privilégiés du système forcés de partager depuis les années 60, semble aussi devenir plus violente. Le débat sur la santé pourrait malheureusement n'être qu'un symptôme parmi d'autres.

Alors, votre avis?

Dommage qu'on ne puisse pas passer ce patient-là par l'IRM, l'endoscopie, la salle de cathétérisme, et le bloc de neurochirurgie pour régler la question une bonne fois pour toute... Ah non, zut, ces examens sont sans doute inutiles: ces diagnostics pourraient bien tous être les bons.

Maintenant, des idées pour un traitement?

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Vacances



Je sais, je sais, il y a plein de choses importantes qui méritent d'être commentées ces temps. Mais là, ça a été la nuit où tout le monde avait la tête dans les étoiles pour les Perséides, et du coup tout ceci attendra. Pas longtemps, promis. Mais comme je suis en vacances j'ai décidé de vous offrir à la place un dépaysement. Alors bien sûr, je ne peux pas vous emmener juste n'importe où. Après tout, on a déjà été sur la lune, et aux origines de la vie. Non non, ne faisons pas les choses à moitié. Là, ce sera ni plus ni moins que le plus grand dépaysement actuellement disponible à l'humanité.

Curieux? Alors attachez mentalement vos ceintures (ou pas, justement) et allez-y, cliquez sur la vidéo. On part pour l'autre bout de l'univers connu. Pour ceux qui ne comprendraient pas l'anglais, c'est même une explication suffisante. Regardez, simplement. Le commentaire est intéressant, mais pas indispensable. Il suffit de savoir que ce que l'on voit sur les images du ciel, ce ne sont pas des planètes mais des galaxies. Et qu'elles se trouvent dans une partie du ciel où l'on ne voyait rien.

Bon voyage! Vous me direz à votre retour ce que vous en avez pensé.

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Les écologies et leurs dérives

C'est l'été, je suis un peu plus lente à la détente. Mais j'ai bondi en lisant les descriptions des récentes attaques contre Vasella.

Vous aussi? C'est normal. C'est même le but, après tout. Comme toutes les personnes prêtes à attaquer des gens pour défendre des idées, les militants de l'écologie radicale misent sur cet effet de choc. Le résultat? On parle d'eux, on leur donne de l'attention, du temps de parole. Où ils peuvent profiter de ne pas s'excuser, et de défendre ces actes. Non mais de qui se moque-t-on. Tout ça leur coûte évidemment nettement moins que d'essayer de convaincre. La violence, comme d'habitude, est le dernier refuge de l'incompétence. Selon l'excellente analyse de Denis Duboule, c'est aussi le dernier refuge de groupes qui 'perdent de la légitimité et compensent par des actes de plus en plus violents.'

Ca, c'est un des pièges classiques quand on est convaincus d'agir au nom d'une cause juste. Plus on la sent menacée, plus on a tendance à faire pour elle des sacrifices: notre temps, nos effort, puis parfois progressivement nos valeurs, nos semblables...

Le danger, c'est que c'est parfois contagieux. Il est probable que nous soyons tous d'accord pour condamner, dans l'absolu, les moyens employés ici. Mais peut-être certains d'entre vous pensent-ils néanmoins que, dans ce cas, le jeu en valait la chandelle. Que cette cause est suffisamment juste. Et qu'elle justifie des actes normalement inacceptables.

Alors prenons un pas de recul. La cause du Stop Huntington Animal Cruelty est-elle juste? On a le droit d'en douter. Les déclarations de leur porte-parole les place dans la mouvance du deep ecology ou du land ethics (un très bon résumé des mouvances de l'écologie par un collègue se trouve ici). Les mouvements qui se situent là stipulent que:

1) les animaux, les plantes, la biosphère doivent être sur notre radar moral : jusque là, pas de problème

mais aussi que
2) ils doivent y être pour eux-même ; ici commence le désaccord avec les versions plus courantes de l'écologie qui les défendraient, certes, mais au nom des intérêts humains à vivre équitablement dans une planète durable.

et surtout que:
3) c'est la biosphère, et non l'humanité, qui doit être au centre de notre radar moral: en d'autres termes, si la destruction de l'humanité améliorait la biodiversité, par exemple, elle serait à considérer comme moralement bonne.

On n'est pas étonnés de voir un groupe qui semble penser ça s'attaquer sans état d'âme à des personnes. Ni d'ailleurs à le voir complètement négliger les moyens d'expression démocratiques. Pourquoi les écologistes radicaux auraient-ils confiance en la population d'états démocratiques? Tous ces citoyens qui ont la fâcheuse tendance à donner la priorité aux êtres humains, pfff... Vous voyez où ça peut mener. Corrosif, tout ça. On voit mieux du coup pourquoi ces groupes perdent de la légitimité. Et pourquoi c'est heureux.

D'autant plus qu'il n'est évidemment pas nécessaire de penser tout cela pour s'opposer à certaines formes d'expérimentation animale. Vous êtes contre les expériences qui causeraient des souffrances aux animaux pour vendre du rouge à lèvres? Il est assez probable que votre position se résume ainsi:

A) les animaux méritent notre considération morale
B) sacrifier leur intérêt pour cette raison ne vaut pas la peine car l'avantage humain retiré ici est insuffisant pour justifier ce sacrifice.

Certains d'entre vous seraient sans doute d'accord qu'il peut être justifié de sacrifier des intérêts animaux à des intérêts humains plus importants, comme soigner les paraplégiques, par exemple.

Finalement, même si vous êtes dans la toute petite minorité qui pense que la cause des extrémistes écologiques est juste, rappelez-vous que c'est insuffisant. Il est inexact qu'au nom d'une cause juste on peut faire n'importe quoi. La recherche médicale, qui est elle-même une cause juste visant à diminuer la souffrance humaine et la maladie, a elle aussi été longtemps victime de cette illusion. C'est justement parce que ses acteurs ont ouvert les yeux qu'on ne peut plus, aujourd'hui, pratiquer la recherche sur les animaux (ou les êtres humains) sans une stricte surveillance. Qui n'autorise de loin pas tout. Cela rend la situation actuelle profondément ironique: ceux qui semblent prêts à tout pour défendre, disent-ils, une position morale, ont sur ce point crucial d'éthique un immense retard par rapport à leurs victimes.

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