Encore un médecin assassiné (2)

Il est des régions du monde où il est dangereux d'exercer la médecine. On se rappelle par exemple de nos confrères assassinés aux Etats-Unis pour avoir pratiqué des avortements dans des conditions sûres. Mais cette fois c'est en Syrie que l'on vise les soignants. Leur crime? Avoir soigné des malades. Rien que ça. Comme disait un collègue, excusez-nous d'avoir dérangé...

Que ces malades soient des blessés, et qu'ils l'aient été par la répression du régime, rend bien sûr la chose encore plus grave. Car il s'agit ici d'augmenter sciemment le nombre de victimes en intimidant, ou en éliminant carrément, ceux qui seraient susceptible de leur sauver la vie. Il s'agit aussi du symptôme d'une situation où le principe de neutralité n'importe visiblement pas (ou plus) du tout aux dirigeants. Le fondement selon lequel la médecine soigne tout le monde, sans distinctions. Et ici, surtout sans faire de distinctions entre les malades qui partageraient ou ne partageraient pas les 'bonnes' idées politiques. Le signe d'une société si scindée que 'les médecins des autres' pourraient y être ciblés sans crainte? Car après tout et qu'on le veuille ou non, ce principe de neutralité est une garantie autant pour les dictateurs et leurs appuis que pour leurs opposants...

Le signe, en tout cas, de ce que la médecine peut avoir d'admirable dans des conditions effroyablement difficiles. Il y a des collègues dont on doit être vraiment très fiers.

Mais aussi, bien sûr, un signe parmi bien d'autres du peu de poids de la vie des citoyens de Syrie aux yeux de leurs dirigeants. Car les soignants, il n'y en a pas pléthore. En tuer un, surtout dans une région du monde d'où les médecins émigrent, c'est tuer avec lui des centaines d'autres vies.

Bon, ok, ce dernier commentaire ne vaut que lorsqu'il s'agit d'un médecin qui exerce son métier. Car pour ajouter encore une touche à ce tableau déjà bien sombre, et pour respecter, là, un autre principe de neutralité, je me dois de vous rappeler que Bachar El-Hassad fut, il y a bien longtemps et dans une vie antérieure, ophtalmologue. C'est vrai, il y a aussi des collègues dont on n'est vraiment mais alors vraiment pas fiers du tout.

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Václav Havel, très brièvement



Certains grands esprits sont grands par leur capacité à résumer l'essentiel alors que la plupart d'entre nous se focalisent sur le détail qui leur est proche. Parmi un nombre impressionnant de personnes qui nous ont quittés ces derniers jours, celui qui restera le plus longtemps dans les mémoires -avec et malgré ses controverses- sera sans doute Václav Havel. Vous ne savez pas qui c'est? Je suis prête à parier que vous avez moins de 20 ans, et le lien qui est dans son nom est alors un cadeau pour vous.

Dans la vidéo qui ouvre ce message, et dans laquelle il ouvrait la conférence du World Institute for Development Economics Research of the United Nations University (WIDER) il résume en un peu plus de 7 minutes une vingtaine d'années, et des enjeux dont nous peinons encore trop souvent à intégrer les grandes lignes. Il va beaucoup nous manquer. Quoique...peut-être malgré tout moins qu'il ne devrait. Car le monde qu'il a contribué à façonner est un lieu où des combats comme le sien sont plus difficiles à comprendre. Aller en prison pour s'être exprimé? A l'heure d'internet cela semble absurde et pourtant... Un président auteur de pièces de théâtre, plutôt qu'économiste? Les mauvaises langues diront 'auteur explicite de pièces de théâtre, plutôt qu'économiste', mais la réalité est qu'on chercherait avec difficulté le pays qui l'élirait aujourd'hui. Lui le disait d'ailleurs déjà: "L'élément tragique pour l'homme moderne, ce n'est pas qu'il ignore le sens de sa vie, c'est que cela le dérange de moins en moins."

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Directives anticipées et participation du patient

Depuis quelques années, je soutiens une équipe qui fait un très joli travail pour aider des patients atteints d'insuffisance rénale et dialysés à rédiger, s'ils le souhaitent bien sûr, des directives anticipées. Eh bien, l'équipe a reçu lors de la journée qualité des Hôpitaux Universitaires de Genève la distinction 2011 'Participation du patient à sa prise en charge'. C'est un travail de longue haleine, qui se poursuit et se réalise avec soin et respect, qui est récompensé là. Bravo à toutes et tous.

Et la démarche présentée? Nous l'avons publiée il y a quelques temps dans la Revue Médicale Suisse. Je laisse donc les personnes intéressées découvrir l'original. Si vous avez des questions ou des commentaires, n'hésitez pas.

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Des centaines d'histoires personnelles


J'essaie de m'en tenir à l'actualité de la bioéthique dans ce blog, mais là on a comparé les éthiciens aux indignés alors je ne résiste pas:

Si vous ne connaissez pas encore le site "We are the 99%", allez vite le voir et dites-moi ce que vous en pensez. Des pages et des pages d'histoires individuelles, de personnes ordinaires qui racontent sur une feuille de papier pourquoi elles se sentent exclues par nos structures sociales. Je vous en ai mise une en illustration de ce billet.  Il y a évidemment d'autres sites en rapport (attention le dernier à une bande son), y compris à Genève, ainsi que des commentaires, des données, et des personnes qui rappellent à juste titre que les inégalités dans les pays industrialisés ne sont que le début de l'histoire...mais vous connaissez tout ça n'est-ce pas.

Allez voir le site, donc. C'est à la fois poignant, impressionnant, désarmant. Le plus frappant à part l'alignement de centaines d'histoires, est la constance des demandes: libérez-nous des dettes et donnez-nous des conditions permettant de mener une vie décente. Le substrat des révoltes depuis le début de l'histoire.

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Mes collègues...


OK, cette fois ce n'est pas un collègue direct. Mais Bertrand Kiefer, qui est un confrère et un collègue au sens large, commente cette semaine dans la Revue Médicale Suisse le dernier numéro de Bioethica Forum, notre revue de bioéthique. Il dit beaucoup de bien de nous, ainsi qu'un certain nombre de choses vraiment intelligentes. Je vous envoie donc le début du texte, avec le lien comme il se doit:

"Il y a près d’une année, le Tribunal fédéral (TF) déstabilisait sans ménagement la mécanique classique du remboursement des prestations. Il donnait en effet raison à une caisse maladie qui refusait de prendre en charge le traitement par Myozyme d’une femme atteinte de la maladie de Pompe (une forme rare de myopathie). L’efficacité d’un médicament ne suffit pas, avait argumenté le TF. Pour qu’il soit remboursé, en particulier s’il ne se trouve pas sur la liste des spécialités, il faut qu’il existe un rapport «raisonnable» entre son coût et son efficacité. Dans son arrêté, le TF estime trop élevé celui du Myozyme utilisé chez cette patiente. (...)"

L'image vous intrigue? Lisez, vous verrez à quoi elle se réfère...Et puis au passage, si ça vous donnait envie de vous abonner  à notre revue, ou à la sienne, je trouverais ça entièrement justifié bien sûr.

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Mes collègues...


Cette fois, c'est pour vous annoncer que plusieurs de mes collègues organisent une série de conférences dont chacune s'annonce très très bien. Le laboratoire des neuro/sciences humaines, ce sera une série d'occasions de croiser les regards de disciplines des sciences humaines et des sciences de la vie sur le fonctionnement du cerveau. Ça commence demain, avec l'esthétique. Et cela se poursuit ensuite à un rythme tranquille, qui devrait permettre de bien pondérer chaque conférence en attendant la suivante. A suivre, donc. L'affiche est ici. Si vous vivez par ici et que cela vous intéresse, venez!

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Quand on arrête plus vite que prévu...


Les nouvelles se suivent, ces temps. La firme Geron, qui avait lancé le premier essai chez l'être humain de transplantation cellulaire issue de cellules souches embryonnaires humaines, vient d'annoncer qu'ils se retiraient et que l'étude serait interrompue. Pourquoi? Pas clair. L'annonce inclu une déclaration que les information obtenues jusqu'à présent seront publiées. C'est important. Dans la démarche scientifique, même les études dont les résultats sont négatifs doivent en principe être publiées. Il faut que l'information obtenue soit disponible. Mais pour la même raison, les informations divulguées - du moins pour le moment- par Geron sont incomplètes. Pas possible, pas vraiment, de comprendre pourquoi la firme se retire de ce champ de recherche. Les raisons avancées sont économiques, mais l'étude avait aussi été critiquée sur sa méthode et son timing. Mais en fait, c'est simple: s'il est nécessaire de publier les résultats négatifs, il devrait aussi être nécessaire d'expliquer plus complètement pourquoi une voie de recherche est abandonnée. Et ce d'autant plus que l'expérience en question est rare ou inhabituelle. Ici, il s'agissait du premier essai de ce type chez l'être humain. Une histoire à suivre de très près, donc...


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Brevettera pas...


Ca y est, la décision est tombée. Après une longue bataille juridique dont je vous avais parlé il y a quelques temps, la Cour de justice européenne a décidé de ne pas autoriser les brevets sur les lignées de cellules souches embryonnaires humaines. L'arrêt complet est ici (le nom est 'Brüstle' et le numéro C34/10). En très bref, l'argument central peut se résumer à peu près comme suit:

1) La Directive sur laquelle se base l'arrêt stipule que la loi sur les brevets doit être appliquée de manière à protéger la dignité et l'intégrité des personnes.

2) Tous les procédés pouvant être contraires à la dignité humaine sont exclu des brevets.

3) L'usage des embryons humains à des fins commerciales ou industrielles est un exemple de procédé contraire à l'ordre public ou la morale, et il est donc exclu des brevets.

3) Comme cet interdit repose sur l'importance de protéger la dignité humaine, le concept d'"embryon humain" doit être compris de manière large.

4) Donc, les ovules fertilisés sont à considérer comme des embryons. Les lignées de cellules souches aussi, même si leur usage ne nécessitera en fait plus la destruction d'embryons supplémentaires.

5) Donc, les lignées de cellules souches ne peuvent pas être brevetées, car leur production initiale a impliqué la destruction d'un embryon, et que les breveter serait donc contraire à la protection de la dignité humaine.

Voilà. Un peu plus qu'un trait de plume quand même, donc. Mais sur le plan des arguments, disons que ce résultat est quand même assez problématique. Car cet avis ne tient que si l'on accepte que les embryons humains très précoces doivent essentiellement être protégés autant qu'une personne comme vous et moi. Une position minoritaire, ou tout au moins très controversée, ça. Qui est ici imposée à tous. Cela revient aussi à considérer que des actes légaux dans un certain nombre de pays membres sont contraires à la dignité humaine, l'ordre public, ou la morale. Pas anodin non plus.

Les enjeux pratiques? Des critiques ont fusé, bien sûr. Certains ont même taxé cette décision d'immorale, avançant qu'en freinant la recherche elle faisait porter aux personnes malades le fardeau d'une décision moralisatrice. D'autre estiment que cette décision ne fera finalement pas une si grande différence pour cette recherche en Europe. Si vous avez un avis, vos commentaires sont bienvenus...

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Inégalités, insécurités


Quelle est la différence entre le mouvement 'Occupy Wall Street' et 'Occupy Stockholm'? Le deuxième, c'est par solidarité avec le mouvement mondial et non sur la base de revendications locales. Vous n'êtes pas surpris? Moi non plus. Mais pourquoi? Une partie de la réponse se trouve dans la vidéo qui ouvre ce message. Richard Wilkinson y détaille, clairement et tranquillement, les effets que les inégalités sociales ont sur les sociétés. Regardez ses tableaux, et vous verrez en partie une carte du mouvement des Indignés.

En Suisse...et bien on est un peu au milieu. Au milieu sur les mesures des inégalités sociales, au milieu aussi sur les mesures de toute une série de paramètres qui leur sont associés. On est passé, par exemple, en dessous du taux de 50% dans la mesure de la confiance. Le pourcentage de personnes qui pensent qu'on peut le plus souvent faire confiance aux autres. On se retrouve aussi entre les deux eaux sur toute une série d'autres mesures. Au fil des données, c'est en fait un autre regard sur nos débats politiques du moment qui se dessine. Car avec l'augmentation des inégalités, c'est aussi l'insécurité qui avance. Les sociétés plus inégales ont plus de crime. Moins de confiance. Punissent plus sévèrement. Leurs prisons sont plus pleines. Pas surprenant, peut-être, mais si tout cela s'observe c'est parce que nos façons d'aborder la chose restent très superficielles. Ce que montrent ces chiffres, c'est que diminuer les inégalités pourrait être une bonne mesure contre l'insécurité. Pas médiatique, pas intuitive, mais efficace? Peut-être bien. Une mesure un peu surprenante comme exemple de realpolitik, peut-être. Faire un pays plus équitable n'est pas exactement le sommet du cynisme. Mais si l'on croit les chiffres, cet angle de lecture mériterait d'être pris très au sérieux.

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Mes collègues (oui, j'en ferai d'autres à l'occasion)



Parfois, on est juste fier de ses collègues. Si vous ne l'avez pas encore lu, allez vite regarder le billet de Nicolas Tavaglione. L'école, parfois ça fait aussi réfléchir les parents mais là le moins qu'on puisse dire est que c'était sans doute inintentionnel. Voilà le début, avec le lien vers l'original comme il se doit:

"Ma fille rentrait de la première journée d’école de sa vie. En chemin, elle répétait qu’elle avait dans son sac un document qu’elle devait signer et ramener le lendemain. Elle était très sérieuse. Sa mère et moi avons bien rigolé. Elle s’est alors énervée. Nous avons ri de plus belle: «C’est fou, cette envie d’être grande». Ah les enfants! Mais le soir, en ouvrant la «fourre de communication» reçue par chaque écolier, il apparaît que notre fille n’avait pas fantasmé. Non. La fourre contenait une feuille où s’égrainaient les divers articles du règlement scolaire – parfaitement raisonnables au demeurant. Au bas de la page, une case pour la signature des parents. Et une autre pour la signature de l’enfant. La signature de l’enfant? Mais elle ne sait ni lire, ni écrire. Doit-elle vraiment signer? Oui, oui. (...)"

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Exclusion par inadvertance

Un peu de retard ce coup-ci car je suis allée entre temps à l'étranger, c'est de nouveau l'heure du billet dans la Revue Médicale Suisse. Alors je le reprend, bien sûr avec un lien vers l'original, en vous reproduisant l'article:

«Vous comprenez» me disait récemment un père de famille affligé «les maladies orphelines, elles font partie de l’évolution humaine !» A première vue, une déclaration évidente... L’espace d’un souffle, pourtant, on sent que derrière ces quelques mots s’ouvre un abîme. Car ce que cet homme défend avec cette force semble être ni plus ni moins que l’appartenance de ses enfants à l’espèce humaine. Et qu’a-t-il donc dû traverser pour penser aujourd’hui que cette défense est nécessaire... Sans doute, rien de carrément déshumanisant me direz-vous : nous sommes dans un pays civilisé. Mais combien de petites et de moins petites exclusions peut-on cumuler avant d’avoir, à l’arrivée, exactement la même impression ?
Car oui, se trouver sans réponse parce que sa maladie est différente des autres, on voit comment on peut prendre ça pour un signal que je ne suis pas quelqu’un comme vous. La maladie, ça fait partie des choses auxquelles nous ne pouvons vraiment faire face qu’en groupe. Seule, je ne peux pas prévoir mes maladies, ni donc budgéter leurs coûts. Je ne peux pas non plus «fabriquer» la médecine, la recherche, la prévention, les institutions de la santé, tous ces fruits de la collaboration humaine qui ne sont possibles que grâce à elle. Voilà donc deux responsabilités fondamentales qui devront s’exercer collectivement. Admettre la fragilité commune de notre corps, admettre qu’une personne malade est quelqu’un comme moi, c’est du coup reconnaître une responsabilité qui ne va pas pouvoir s’exercer juste pour moi.
Se sentir exclu de tout cela n’est pas anodin. Mais c’est un véritable risque, car ces enjeux sont sous-tendus par un malentendu assez prévisible. Empathie, responsabilité collective, solidarité, voilà des valeurs nécessaires, vitales, dans le domaine de la santé. Mais voilà aussi des termes qui divisent lorsqu’ils s’appliquent à d’autres domaines de notre vie politique. Qu’il s’agisse d’économie, par exemple, et à ma gauche, à ma droite, on ne va pas s’entendre. Normal. Mais le danger est de penser que l’analogie s’applique dans la santé. Dans les pays où l’on voit cette distinction, comme au Canada, les politiciens «de droite» soutiennent dans le domaine de la santé une assistance mutuelle qu’ils remettraient certainement en question ailleurs. Face à la maladie – ils l’ont compris – notre responsabilité commune est plus claire, plus objective, moins sujette à débat que face à nos situations économiques. Encore plus claire, dirait un politicien «de gauche». Mais l’essentiel est qu’ils seraient d’accord sur la santé. Dans les pays où l’on ne fait pas cette distinction, comme aux Etats-Unis, on se porte nettement plus mal.

Et en Suisse ? Il semble qu’on hésite beaucoup. Notre système fournit une couverture d’assurance universelle, oui. Mais entre prendre nos responsabilités ensemble face à la maladie et donner cette tâche aux individus, notre système de santé balance. Des coût-patients élevés ; l’insistance croissante sur la responsabilité individuelle dans la santé ; le retrait de couverture pour des mesures clairement nécessaires pour rouvrir les portes que ferme la maladie, comme les lunettes dans l’enfance ; les métaphores économiques comme le «capital santé». Tout cela est fondé sur l’idée d’une responsabilité pour la santé qui pourrait principalement s’exercer à titre individuel. Le comprendre, c’est voir sous un autre angle ces décisions de transmettre les codes diagnostiques aux assurances, dont on a parlé récemment. Car après tout si l’idée de base est que nous sommes responsables, à titre individuel surtout, de notre santé et de notre couverture d’assurance, alors où est le problème? Certes, une assurance qui connaîtrait mes maladies serait en mesure d’agir contre moi ; mais n’est-ce pas ma responsabilité de me protéger, voire de rester en bonne santé ? Dangereux, ça. Et erroné. Je ne vous cache pas que je n’aime pas du tout cette lecture. Mais l’hypothèse alternative est que ces décisions signent une confiance totale que les caisses maladie n’utiliseront pas ces informations contre les intérêts des patients. A vous de voir quelle version vous préférez…

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Diagnostic préimplantatoire: la consultation c'est maintenant

Sous l'angle technique, le diagnostic préimplantatoire c'est une méthode pouvant être utilisée lors de la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.

Sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.

En Suisse, actuellement, ce geste est interdit. Du coup, notre loi actuelle crée une situation où les couples frappés par une maladie génétique grave et qui souhaite avoir un enfant malgré cela doivent passer par une "grossesse à l'essai". Concevoir un enfant, attendre pour pratiquer un diagnostic prénatal -qui est autorisé- tout en sachant que si la maladie est présente ils avorteront à ce moment et recommenceront. C'est difficile d'imaginer à quel point cette démarche peut être tragique. Aux yeux de ces couples, donc, et des médecins qui les suivent dans leur parcours, il est évident que le diagnostic préimplantatoire, loin d'être un problème, est en fait une solution. Et pourquoi pas? Clairement, il est plus responsable d'y avoir recours que de prévoir en quelque sorte d'emblée une interruption de grossesse.

Cet aspect de la question est longtemps resté au second plan derrière le difficile enjeu du statut de l'embryon, que le DPI soulève bien sûr également. Mais un projet de loi est actuellement en consultation dans notre pays pour une autorisation encadrée du DPI. Il était temps, diront certains. D'autres pourraient y voir des problèmes, mais il semble que le projet présenté ait pour le moment récolté peu d'opposition. Peut-être n'est-ce pas surprenant. Légaliser le DPI, en Suisse, aujourd'hui, c'est sage. La loi actuelle, pourtant écrite sur de très bonnes intentions, ne protège en fait personne. Elle ne protège pas les parents, qui se trouvent face à des choix encore plus tragiques. Ce fardeau, la loi actuelle l'imposait au parents au nom de deux autres considérations, qu'elle ne remplit en fait pas non plus.

D'abord, elle ne protège pas les embryons. Ou alors, contre quoi? Même en faisant abstraction du fait que nos société n'ont aucun consensus sur le statut de l'embryon et le degré de protection morale qu'on lui doit, la réponse n'est pas simple. Disons que, pour cette discussion, on accepte que les embryons doivent être protégés comme vous et moi. Contre quoi, exactement, l'interdiction du DPI les protège-t-elle? Contre le fait d'être généré? Pour dire les choses très concrètement, contre une existence de cinq jours à l'état de quelques cellules, et dont l'alternative est de ne jamais avoir existé? Si vous pensez que cette protection-là est suffisamment importante pour imposer un fardeau aux parents, dites-nous pourquoi dans les commentaires. Je suis intéressée. Mais ce qui frappe, là, c'est surtout à quel point nos schémas peuvent être trompeurs. Quand on pense à un embryon, c'est parfois comme si on pensait à un tout petit-très très petit- bébé, qui allait devenir un jour un enfant puis un adulte. On pense au début d'une histoire, à l'alternative de naître. Mais dans la réalité un grand nombre d'embryons ne naîtront jamais même lorsqu'ils auront été conçus 'naturellement'. Et si l'on estimait important de leur épargner ce 'sort', on devrait alors songer à arrêter de faire des enfants...

Une autre raison de la loi actuelle est le souci que choisir un embryon plutôt qu'un autre pourrait exprimer que l'autre ne méritait pas de vivre. Cela pourrait aussi nous décourager de faire des efforts pour rendre nos infrastructures plus faciles pour les personnes handicapées, par exemple. C'est une des raisons pour lesquelles les militants pour les droits des handicapés se sont souvent exprimés contre le DPI, même si un certain nombre ne semble pas s'opposer au projet de loi en consultation. Alors oui, protéger les droits des personnes vivant avec un handicap, et défendre leur accès aux moyens de mener une vie digne et aussi libre que possible, c'est crucial. Mais ces personnes, justement, ne sont pas des embryons; interdire le DPI ne les protège pas. Serions-nous vraiment plus ou moins capables de respecter nos semblables et de leur faire une place adaptée, simplement parce que quelques couples auront réalisé une analyse génétique sur leur embryon? Il est de toute manière important défendre ces valeurs. Se dire que maintenir l'interdiction du DPI les protègera, cela ressemble à de la bonne conscience artificielle. Ces valeurs sont importantes. Beaucoup trop pour qu'on se rassure ainsi d'une mesure qui, en fait, ne les protège pas.

Alors oui, autoriser le DPI suppose un certain nombre de précautions, mais parmi les projets raisonnablement imaginables, celui qu'on nous propose est plutôt très prudent. Si vous avez le temps de le lire, dites-moi ce que vous en pensez...

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Notre système de santé par inadvertance

De temps en temps, on croise au détour des publications scientifiques des choses surprenantes. Mais parfois, on croise aussi des choses qu'on n'aurait pas dites ou vues comme ça, mais que l'on reconnait immédiatement. Comme l’œuf de Colomb, qui illustre ce message. Ah oui bien sûr. C'est désarmant, parfois, à quel point des personnes distantes peuvent expliquer d'un trait de plume une chose qui nous parait tout à coup presque inquiétante de proximité.

Un exemple récemment dans le très sérieux Journal of the Royal Society of Medicine. L'article est une comparaison du système de santé américain avec 18 autres systèmes sur la base des dépenses, des résultats, et des rapports entre ... les dépenses et les résultats. La Suisse fait partie du groupe de comparaison. L'article entier est en accès libre ici. Mais la partie qui m'a frappée dit la chose suivante (c'est moi qui ai traduit):

"Comment expliquer les mauvais résultats des USA, en tenant compte de la notion que les forces du marché sont supposées conduire à plus d'efficacité et d'efficience dans la production? D'une part, Adam Smith (1776), le protagoniste du 'marché', a dit que dans certaines sphères, comme la santé et l'éducation, l'état pouvait être plus efficace que le seul marché. Un facteur économique, connu depuis longtemps, est que l'on s'attendrait à trouver ces inefficacités [du marché] dans un système de santé à dominante 'privée' c'est-à-dire fondé sur l'assurance privée: ce qu'on pourrait appeler le principe d'incertitude, qui est intrinsèque à la santé. L'asymétrie d'information en termes des maladies du patient, de sorte que les 'inconnues' ne peuvent que partiellement être prévues par l'assureur. D'où l'inclusion de 'incertitude', car ils auront nécessairement moins d'information que le 'client', qui est accepté sur une présomption explicite d'un certain degré de santé. En raison de l'asymétrie de l'information les assureurs facturent des primes élevées pour compenser les quelques individus qui requièrent des traitements médicaux très chers de manière inattendue. Une charge bureaucratique relativement immense est requise pour faire un suivi des coûts, comportements, et risques des clients, ainsi que des frais de justice importants pour contrôler les paiements."


Pour les personnes intéressées, la référence la plus intéressante à l'appui de ce paragraphe est ici. Elle date de...1970. Bon, OK, le titre de ce billet est un peu réducteur. Mais en d'autres termes voilà ce que ce texte veut dire: il y a des économistes qui écrivaient avant ma naissance, et sur la base de leurs travaux quelqu'un qui écrit sur un autre système de santé est capable de décrire certains des problèmes principaux auxquels se heurte notre système de santé. Impressionnant, je vous dis. Mais je ne sais pas encore si c'est la profondeur de leur clairvoyance à tous, ou le fait que nous semblons du coup tellement en manquer, qui m'impressionne le plus...

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Égaux dans la médecine

Même si nous ne le faisons pas toujours, partager est une habitude humaine de base. Dans un système de santé, c'est une habitude vitale. Maintenir, pour tous, l'accès à des soins en cas de maladie, c'est la simple reconnaissance de la fragilité physique que nous partageons. C'est aussi admettre que la médecine est un projet commun qu'aucun d'entre nous ne pourrait soutenir seul, et dont tous doivent donc pouvoir bénéficier.

En Suisse, comme dans beaucoup d'autres pays qui se portent financièrement pas trop mal, on est d'accord de payer beaucoup pour notre santé. Et pourquoi pas? Une fois le minimum vital assuré, un toit sur nos tête, à manger tous les jours, une certaine sécurité matérielle, quoi de plus important que d'ajouter des années à la vie et de la vie aux années? Nos systèmes de santé sont performants, et même s'ils coûtent cher, année après année il semble que cela nous convienne assez bien ainsi. Oui, bien sûr, à chaque augmentation des primes d'assurance on sent une certaine tension, et quand on sait combien elles pèsent sur certaines familles on le comprend bien! Mais ce qui fâche c'est l'impression qu'on pourrait financer notre système de manière plus juste, ou en améliorer le fonctionnement. On ne s'attend pas à devoir y renoncer à quoi que ce soit.

C'est exactement pour ça que les émissions diffusées cette semaine par 36.9° et Infrarouge sont importantes. Si ce n'est pas encore fait, regardez-les ici. En racontant l'histoire de personnes atteintes de maladies rares, et qui se voient en plus refuser le remboursement de leur traitement, le reportage devrait tous nous inquiéter. D'abord parce que les maladies rares sont...fréquentes. Pas une à une, mais toutes ensembles oui. Laisser de côté ces malades-là, c'est aussi mettre à risque chacun d'entre nous. Surtout que, c'est bien expliqué dans le débat, les maladies rares ne sont pas toujours celles que l'on croit. Avec le développement de traitement mieux 'taillés sur mesure', un grand nombre de cancers sont en train de devenir des 'maladies rares'.

Ensuite, parce que refuser le remboursement sur la base du diagnostic, même si c'est le même diagnostic que celui de l'arrêt du Tribunal Fédéral de l'an dernier, est arbitraire. Pourquoi? Le Tribunal Fédéral a pris un soin immense à se baser non pas sur le diagnostic, mais sur une évaluation de ce que cette patiente pouvait attendre de ce traitement dans ses circonstances. C'est un de ses points forts. Si ces patients, différents, auxquels on refuse maintenant le remboursement vont en justice, il y a fort à parier qu'ils gagneraient.

Et c'est ça qui, en fait, devrait nous inquiéter le plus. Nous avons un système qui montre ici ses points faibles. Qui n'est pas si bien protégé que ça, finalement, contre l'arbitraire. Ou plutôt, nous avons un système qui est au milieu d'un test: on verra maintenant s'il est bien protégé, ou non. Un vrai test de l'équité de notre système, ça. Car les personnes souffrant de maladies rares sont parmi les plus vulnérables. Et avoir un système juste, qui ne prive personne de traitements nécessaires, ni de traitements qui seraient accessibles à d'autres, et bien ce n'est pas un luxe, c'est une condition de vie en commun.

Se mettre d'accord sur les limites de ce que nous voulons payer, ensemble, pour tous? Cela peut choquer certains. Mais nous sommes depuis quelques années déjà devant un vrai choix de société:

Nous pouvons poser une limite, qui serait sans doute généreuse, et ne rembourser que les interventions dont on peut raisonnablement dire qu'elles font au moins une certaine quantité de bien.

Ou bien nous pouvons décider que nous ne voulons pas de limites, mais alors cela doit s'appliquer pour tout le monde et nous devons alors assumer (et après tout pourquoi pas?) que les coûts de la santé continuent de monter à peu près comme jusqu'à présent.

Ou finalement nous pouvons ne rien faire. Mais ne rien faire voudrait dire que les pressions qui pèsent actuellement sur les coûts continueront d'être simplement répercutées là où la résistance est la plus faible. Et, on l'a vu cette semaine, cela signifie parfois là où les gens sont les plus faibles. On n'a - j'espère - pas besoin de dire à quel point cela est injuste. On a - peut-être - besoin de dire que c'est aussi dangereux pour nous tous.

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Parler du cancer

"Monsieur Jack Layton n'a pas perdu une bataille. Il est mort du cancer." disait récemment un oncologue après avoir soigné dans la dernière partie de sa vie le chef de l'opposition canadienne. "L'idée qu'il menait une bataille et qu'il l'a perdue le rabaisse. Je suis convaincu qu'il n'a pas cédé à un adversaire."

"Ne pas poser les armes". "Mourir après une longue maladie combattue courageusement". Lorsqu'il s'agit du cancer, les métaphores guerrières nous viennent comme spontanément. Depuis le fameux ouvrage de Susan Sontag Illness as Metaphor, elles font presque partie des lieux communs que l'on commente presque sans y penser.

Mais voilà, parfois il faut nous rappeler que ça peut faire des dégâts. Le médecin cité plus haut en pointe une sorte. Dépeindre le fait d'être soigné pour un cancer comme une bataille signale la défaite de ceux qui décèdent. Comme s'ils avaient moins bien combattu. Avaient eu moins de courage, de force, du bon état d'esprit. Comme si c'était, finalement, de leur faute. Troublant. Car décrire les choses ainsi, évidemment, a quelque chose de rassurant. Comme si la mort était quelque chose que nous pouvions tous vaincre, si seulement on se donnait un peu de la peine...Mais cette illusion d'optique flagrante, et qui se construit sur le dos des victimes, ce n'est pas très honorable.

Surtout que ce n'est pas 'seulement' une affaire de réputation posthume. Les malades qui font face aux choix parfois difficiles de poursuivre ou non une thérapie se heurtent eux aussi à ces images. Leur décision devrait pouvoir se fonder sur ce qui fait sens pour eux. Ici et maintenant. Sur ce qu'ils sont en droit -ou non- d'attendre d'un traitement, et sur leurs projets de vie. Aucun de ces choix ne devraient leur faire craindre de perdre la face...

Les mots, décidément, ne sont pas anodins. Et s'agissant du cancer c'est comme s'il y avait un monde d'apprentissage collectif à parcourir. Un autre homme célèbre, qui lui est encore en vie à l'heure actuelle, l'a dit avec une précision émouvante dans un article paru il y a bientôt un an. 'Je me suis demandé s'il y aurait une place pour un manuel de bonnes manières du cancer', explique-t-il. 'Et ce serait utile autant pour les malades que pour les bien portants'. Car les interactions humaines les plus élémentaires peuvent se transformer en grandes hésitations. 'On est généralement d'accord que la question 'Comment ça va?' ne vous met pas sous serment de donner une réponse complète ou honnête. Alors quand on me demande ces jours, j'ai tendance à dire quelque chose de cryptique comme 'C'est un peu tôt pour savoir' (...) Mais ce n'est pas vraiment possible non plus de prendre une position de 'rien demandé, rien dit' (...) Les amis et les membre de la famille, évidemment, n'ont pas vraiment le choix de ne pas s'enquérir avec bonté. Une manière de les soulager est d'être aussi honnête que possible, et de n'adopter ni euphémisme ni déni. Alors je vais droit au but et je dis quelles sont mes chances. La manière la plus rapide de faire cela est de noter que le truc avec le stade quatre est qu'il n'y a pas de stade cinq.'

Mais surtout cet article raconte, à travers les mots des bien portants, toute la maladresse dont nous sommes capables lorsque nous essayons de nous montrer solidaires sans avoir en fait aucune idée de ce que vit une autre personne. 'Un de mes cousins a eu le cancer' dit une gentille dame au début de l'article 'il est mort. C'était affreux. Affreux. On aurait dit que cela prenait une éternité. (...) Enfin, je voulais juste vous dire que je comprend exactement ce que vous traversez.' Le lecteur en bonne santé sera sans doute frappé par la dureté de ces mots. Le lecteur malade, peut-être, aura déjà vécu des situations semblables et aura sur ces mots un avis basé sur cette expérience. Mais l'auteur de l'article, lui, ne relève pas tellement la cruauté involontaire, ici. Ce qui le dérange le plus est que cette dame part du principe que son cousin et lui ont la même maladie. Et c'est peut-être effectivement là le mot le plus dangereux de tous. Le cancer. Alors que ce terme recouvre une multitude de maladies et que le présent et l'avenir des malades est très différent dans ces différents cas. 'On devient un peu élitiste sur le caractère unique de sa maladie personnelle. Si votre témoignage, de première ou de seconde main, est une histoire sur le cancer d'un autre organes, songez à me la raconter avec retenue (...) Cette suggestion est autant pour les histoires qui sont intensément déprimantes que pour celles dont l'intention est de transmettre de l'optimisme'.

Nous avons sur tous ces plans beaucoup de chemin à faire. C'est d'autant plus important que la durée de toute une série de cancers se prolonge, avec l'amélioration des traitement qui permettent une meilleure survie. Il est rassurant qu'on nous le rappelle. Car après tout il s'agit ici de pouvoir continuer de se parler. De coexister 'entre les habitants de la ville du cancer et de la ville de la santé'. De s'autoriser mutuellement à vivre sa vie, aussi. Avec ou sans cancer. Sans devoir craindre qu'à l'heure où d'autre raconteront la notre, on doive être décrits comme ayant été vaincus.

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Bioethics bites

Pendant que je suis en vacances d'été, pour faire patienter ceux d'entre vous qui comprenez l'anglais, voici un fort joli site qui présente des enjeux de bioéthique sous forme de podcasts avec, va-t-on dire, des grandes pointures du domaine. Pas vraiment des sujets pour la plage, me direz-vous, mais c'est vraiment du tout bon. Pour le moment, trois présentations. Peter Singer sur les choix de mourir, Nick Bostrom sur notre biais en faveur du statu quo, Jeff MacMahan sur le statut moral. D'autres suivront, et vaudront sans doute tout autant la peine.

Bonnes vacances, et à bientôt!

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Conflits d'intérêts dans la surveillance des médicaments

C'est de nouveau l'heure du billet dans la Revue Médicale Suisse. Alors je le reprend, avec un lien vers l'original, en vous reproduisant l'article:

Vous en pensez quoi, vous ? Non, non, vraiment vous. Vous en pensez quoi ?

Le 16 juin dernier, la TSR dévoilait lors d’un documentaire les déclarations de conflits d’intérêts des experts de Swissmedic. Premier constat : des conflits d’intérêts, certains de ces experts en ont. Moment de silence sérieux ici. Moment de consensus aussi : devant des conflits d’intérêts dans une agence de surveillance des médicaments, on se rend bien compte qu’on est en terrain dangereux. On se rappelle le retrait du Vioxx et les conflits d’intérêts à la FDA, l’agence de surveillance américaine. Deuxième constat cependant : à la question «que faire ?» les réponses sont divisées. A ma gauche (littéralement), les tenants de l’interdiction : les experts doivent être neutres, ils ne doivent avoir aucun conflit d’intérêts. A ma droite, les tenants de la déclaration : ce qu’il faut, c’est une transparence totale.

Le documentaire ne tranche pas. Les reportages non plus. Et en effet, devant cette alternative, on sent une certaine gêne. D’une part, oui, on peut imaginer mettre une limite aux conflits d’intérêts admis. Mais les interdire entièrement reviendrait à exclure des expertises dont on a besoin. D’autre part, on voit mal comment la transparence pourrait suffire. Car si on vous déclare qu’Untel a participé contre rémunération à un groupe d’experts pour les fabricants du Vivonsmieux, vous en pensez quoi ? Du coup, c’est OK ? Et puis : son avis sur la sécurité du produit est-il valable ? Comment le déterminer ? Objectivement, ce n’est pas vraiment possible. Ça va très vite se mettre à tourner autour de ce que vous pensez de lui comme personne. S’il est fiable. Vertueux. Incorruptible. Aïe.

Le hic est là. Si les conflits d’intérêts sont dangereux, c’est précisément parce qu’ils n’ont pas tant que ça à voir avec la vertu personnelle. Parce qu’ils fonctionnent sur des réflexes humains très profonds, comme la gratitude ou la réciprocité. Parce qu’ils reposent souvent sur des intérêts mutuels légitimes, aussi. On peut céder aux pièges qu’ils représentent, se tromper dans ses priorités en quelque sorte, sans manifester de faiblesse morale particulière. Être une personne vertueuse, même en imaginant qu’on sache l’évaluer, comme protection ça ne va pas suffire.

Alors comment faire ? Pour commencer, peut-être, ne garder que les conflits d’intérêts qui se justifient par un lien avec les buts poursuivis. Dans une agence de surveillance des médicaments, posséder des actions serait plus problématique qu’avoir reçu des fonds de recherche, par exemple. Le statut de chercheur est lié à l’expertise requise, celui d’actionnaire non. Ensuite, ne garder que les conflits d’intérêts dont l’influence se laisse réguler. Identifier où ils auront une influence, comment l’éviter, quelles règles seraient nécessaires, et si elles sont applicables. Certains passeront ce test, mais pas tous. Du coup, cette démarche vous donne quelque chose d’utile à déclarer : le conflit d’intérêts, mais aussi les moyens mis en œuvre pour protéger la neutralité des décisions.

Alors, vous en pensez quoi ? Difficile ? Peut-être. Mais ce jeu-là en vaut certainement la chandelle.

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Drogues: d'abord ne pas nuire

Une association des 'policiers contre la prohibition' le résume sur cette affiche. On l'avait aussi déjà proposé à titre de provocation. Dans cette vidéo, Jeffrey Miron, qui enseigne l'économie à Harvard, propose dans la série des 'Idées Dangereuses' la légalisation de tous les stupéfiants. Il a deux arguments: la liberté qui doit inclure la liberté de se faire du mal, et l'inefficacité des mesures de répression qui font plus de mal que de bien à l'échelle mondiale.

Et maintenant, le deuxième argument vient d'être remis sur la table par la très respectable Global Commission on Drugs. Leur rapport est ici. Vraiment, il vaut la lecture. Sous un jour très officiel, c'est une attaque en règle contre la plupart des politiques de la drogue.

Car lorsque l'on pense à comment gérer le problème de l'abus de drogues, deux de nos intuitions éthiques s'affrontent. La première, qui demeure la plus répandue sur le plan politique international, consiste à traiter la drogue sur le mode de la souillure, ou de la transgression. Ici, la drogue c'est mal. Elle doit à ce titre être réprimée à tout prix, écartée de notre vue et de nos vies, c'est en quelque sorte un péché, ses molécules sont mauvaises comme on dirait par essence. La seconde vise aussi l'exercice d'un contrôle sur l'usage des drogues, mais au nom du dommage causé à des personnes. Ici la drogue, ça cause du mal. Il s'agit de prévenir des impacts négatifs de l'usage de drogues sur la vie des personnes.

Pour les substances qui peuvent être consommées de manière à ne pas représenter un grand danger pour la santé, ce qui n'est bien sûr pas le cas de toutes les drogues, parler de consommation modérée a un sens si on s'axe sur les dommages, mais pas si on s'axe sur la transgression. Peser les effets des politiques de la drogue sur les personnes que l'on tente de protéger est fondamental si l'on veut réduire les dommages, pas nécessairement si on veut juste éviter d'être, de près ou de loin, en contact avec l'usage de drogues. Mais quand on présente les choses comme ça, il faut bien se demander: que sommes-nous prêts à faire endurer à nos semblables au nom d'une politique de la drogue basée sur...ben sur autre chose que leur intérêt?

Ce rapport pose carrément la question sur la table. Et prend parti pour la priorité à la protection des personnes. En 1998 déjà, une lettre signée de toute une série de professeurs de l'Université de Stanford déclarait "Nous pensons que la guerre globale contre la drogue fait désormais plus de mal que l'abus des drogues lui-même". Treize ans plus tard, le rapport de la Global Commission on Drugs se situe dans la même ligne. Quelques extraits du résumé:

"Il faut mettre fin à la criminalisation, la marginalisation, et la stigmatisation des personnes qui font usage de drogues mais ne causent pas de tort à d'autres."

"Il faut encourager l'expérimentation par les gouvernements de modèles de règlementations des drogues visant à affaiblir le pouvoir du crime organisé et préserver la santé et la sécurité de leurs citoyens. Cette recommandation vise particulièrement le cannabis, mais nous encourageons aussi d'autres tentatives de décriminalisation et de réglementations pouvant accomplir ces objectifs et fournir des modèles à d'autres."

"Il faut offrir des soins médicaux à ceux qui en ont besoin; s'assurer que plusieurs modalités de traitement sont disponibles, y compris non seulement la méthadone et la buprénorphine mais aussi les
traitement assistés par l'héroïne qui ont fait leurs preuves dans plusieurs pays d'Europe et au Canada. Il faut mettre en pratique l'accès aux seringues et autres mesures de réduction des risques qui ont été démontrées comme efficaces dans la réduction de la transmission du VIH et autres infections par le sang, ainsi que des overdoses létales. Il faut respecter les droits humains des usagers de drogues; abolir les pratiques abusives conduites au nom d'un traitement-comme la détention, les travaux forcés, les abus psychologiques - qui contreviennent aux normes et aux standards des droits humains ou qui ôtent le droit à l'auto-détermination."

"Il faut appliquer des principes similaires aux personnes en bas de l'échelle du marché illégal des drogues, comme les fermiers, les transporteurs, et les petits vendeurs. Un grand nombre d'entre eux sont des victimes de violence et d'intimidation ou sont dépendants des drogues. L'arrestation et l'incarcération de dizaines de millions de ces personnes dans les décennies récentes a rempli les prisons et détruit des vies et des familles sans diminuer ni la disponibilité des drogues illégales ni le pouvoir des organisations criminelles. Il semble n'y avoir aucune limite au nombre de personnes prêtes à s'engager dans ces activités pour améliorer leur vie, nourrir leur famille, ou échapper à la pauvreté. Les ressources investies dans le contrôle de la drogue seraient mieux investies ailleurs: dans des activités pouvant empêcher les jeunes de commencer à consommer et aussi prévenir les problèmes de santé sérieux chez les usagers de drogues."


"Les action répressives doivent être ciblées sur les organisations criminelles et viser à miner leur pouvoir en mettant l'accent sur la prévention de la violence et de l'intimidation. Les forces de police devraient axer leurs efforts sur la réduction des risques aux individus, aux communautés, et à la sécurité nationale, plutôt que sur la réduction du marché de la drogue."


"Il faut remplacer les politiques et les stratégies basées sur l'idéologie et la facilité politique par des politiques et des stratégies fondées sur la science, la santé, la sécurité et les droits humains
- et adopter des critères adaptés pour leur évaluation."


Effectivement, une attaque en règle contre la plupart des politiques actuelles sur le plan international. Attendue depuis un certain temps. Reste à savoir quels seront ses effets.

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Le miracle de la machine à laver


Il y a quelques années, j'ai passé un mois dans une petite ville d'Afrique. Nous vivions entre étudiants dans une maison qui, franchement, était la plus luxueuse du quartier. Des murs en dur, un jardinet entouré d'un mur, des lits avec des moustiquaires, un magnifique hamac assis que j'ai acheté en partant et qui est toujours chez moi, et surtout, surtout, l'électricité et l'eau courante. Il y avait même un frigo. Un palais, je vous dis. Mais il y avait une différence de taille avec ce qui est sans doute le quotidien de tout le monde ici: il n'y avait pas de machine à laver.

Une fois par semaine, donc, nous avions une lessive en grand. La première étape de nos voisines nous était épargnée: pas de visite(s!) au puit car nous avions un robinet. Mais ensuite, nous lavions à la main, séchions sur un fil tendu entre murs et arbres, et repassions tout, tout, tout (un bonus pour un commentaire qui explique pourquoi). Bref, des heures de travail, à répéter fréquemment.

Du coup, j'ai eu un plaisir tout particulier à regarder la vidéo qui ouvre ce message (et que vous trouverez ici). Hans Rosling est vraiment quelqu'un d'impressionnant. Si vous ne le connaissiez pas, regardez aussi cette vidéo, et tant qu'à faire celle-ci aussi, et allez, encore celle-ci. Mais ici, il aborde d'une manière limpide quelques aspects fondamentaux de notre crise de l'énergie. Rare, que ce soit aussi clair.

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Diagnostic préimplantatoire: une position basée sur les faits

La procréation médicalement assistée et le diagnostic préimplantatoire (ou DPI) sont cette année à l'agenda politique en Suisse. En guise d'introduction au sujet, l'Académie Suisse des Sciences Médicales a publié un très joli 'factsheet'. Résumé des faits et prise de position, ce document aborde les problèmes soulevés par la législation suisse en matière de fertilisation in vitro, et de diagnostic préimplantatoire en cas de maladies génétiques.


Ce document est un excellent point départ pour toute personne intéressée par le sujet.

Pour donner le ton, voici le paragraphe des recommandations:

"Dès lors, l'ASSM a les attentes suivantes :

• Une législation conforme aux standards médica
ux est indispensable.
• Le DPI doit être autorisé en présence d'une indication médicale claire (par ex. en cas de
suspicion d'une maladie héréditaire) Le DPI doit être interdit lorsqu'il vise à déceler chez l'embryon des caractéristiques n'ayant aucune influence sur sa santé.
• Tous les embryons ne devraient plus être obligatoirement implantés. Les embryons surnuméraires peuvent être congelés pour un traitement ultérieur. Lorsque les embryons ne
sont plus utilisés, ils peuvent être détruits ou mis à la disposition de la recherche sur les cellules souches.
• Le don d'ovules doit être autorisé au même titre que le don de sperme."

"Une législation conforme aux standards médicaux": voilà qui peut paraître évident. Sauf qu'en Suisse, la loi limite le nombre d'embryons développés à chaque cycle, et que cette limite ne correspond pas aux standards médicaux actuels.

"Le DPI doit être autorisé en présente d'une indication médicale claire": actuellement, les couples suisses qui se trouvent face à 'une indication médicale claire' doivent avoir recours à un voyage à l'étranger. Cette pratique s'exerce donc dans le cadre d'un tourisme médical, sans contrôle possible par le législateur suisse. Dans certains pays, leur prise en charge est couverte par un système de santé étatique, donc aux frais de contribuables d'un autre pays. Ce serait généreux si c'était explicite et volontaire, mais en l'état c'est injuste.

"Le DPI doit être interdit lorsqu'il vise à déceler chez l'embryon des caractéristiques n'ayant aucune influence sur sa santé.": c'est l'interdiction de la sélection de caractéristiques comme la couleur des yeux, par exemple. Mais c'est aussi le maintien de l'interdiction de la sélection pour histocompatibilité, ou 'bébé du double espoir'. Ce point est un de ceux que le document n'aborde pas explicitement. Et c'est bien sûr aussi un des points controversés, en Suisse comme ailleurs. Je vous avais fait dans le temps un billet sur ce sujet. C'est aussi un point sur lequel, lentement, du recul est disponible. Ici, par exemple, l'histoire d'un cas datant à présent de 20 ans. Alors oui, on a sans doute tendance à raconter davantage les histoires qui se passent bien. Mais ici aussi cela reste important de partir des faits.

"Les embryons surnuméraires peuvent être congelés pour un traitement ultérieur.": ici encore, c'est se mettre en conformité avec les standards médicaux. C'est aussi éviter les grossesses multiples, et ainsi des risques pour les mères.
Sur un autre registre, c'est pourtant un point qui pourrait faire l'objet d'un débat scientifique un brin technique. En raison de l'interdiction de congeler des embryons, la Suisse a jusqu'à présent inventé le concept un peu byzantin du 'pré-embryon' pour congeler des ovules fécondés avant la jonction des noyaux (c'est ça que montre l'image). J'ai récemment assisté à une conférence où il était décrit que le succès de cette technique serait comparable, voire supérieure, à la congélation d'embryons de quelques heures plus vieux. Affaire à suivre, donc. Mais ce point est aussi l'illustration d'un enjeu plus général: interdire une technique spécifique dans un champ où les progrès scientifiques sont plutôt rapides devient très vite étrange. Car quel principe défend-on au juste en obligeant de congeler quelques heures plus tôt?

"Le don d'ovules doit être autorisé au même titre que le don de sperme.": comme pour le reste du document, le principe de base est ici 'réglementer au lieu d'interdire'. Il y a un potentiel d'abus dans le don d'ovules. Mais justement, c'est ces abus que la législation devrait cibler. Mais là, j'ai un groupe d'étudiantes qui planchent sur la question en ce moment. Peut-être que j'arrive à en convaincre une de vous faire un billet invité ces prochains temps?

De la matière à discuter, donc. Et il reste des points que le document n'aborde pas. Parmi eux, on l'a vu, le DPI pour la sélection d'histocompatibilité. Mais aussi la limitation de la procréation médicalement assistée et du DPI aux cas où "la stérilité ou le danger de transmission d’une grave maladie ne peuvent être écartés d’une autre manière". C'est un point délicat à appliquer, ça, car il est sujet à interprétation. Littéralement, il impliquerait que si l'on pouvait éviter la stérilité ou la transmission d'une maladie grave en changeant de conjoint, cette option serait à préférer. Bien sûr, personne ne va l'appliquer comme ça. Mais cela pourrait aussi signifier que si l'on pouvait avoir recours à une grossesse 'à l'essai' et à un diagnostic prénatal, alors le DPI resterait interdit. Et cela, bien sûr, serait alors tout aussi inacceptable.

Je vous le disais: un bon point de départ dans ce qui s'annonce comme un débat intéressant.

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Oussama Ben Laden - Un film d'il y a bientôt 10 ans



L'annonce de la capture et de la mort d'Oussama Ben Laden, c'est l'occasion (entre autres) de revoir le début d'une chasse de presque 10 ans avec le recul des années. Merci à mon collègue de m'avoir rappelé ce joli court métrage d'Idrissa Ouedraogo, qui met en scène une conspiration (fictive, non franchement, y avait-il même besoin de le dire?) des enfants à Ougadougou pour capturer Ben Laden, aperçu au détour d'une rue, et toucher une récompense qui "est incomptable". Ce petit film est inclus dans une série internationale de regards croisés sous le titre "11'09''01 - September 11". Le descriptif du film entier est ici. Cet extrait-là est cela dit un des plus réussis. C'est une magnifique occasion de le revoir. Et l'actualité de ces jours n'en a du coup plus du tout le même aspect...

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Un exercice d'empathie


Dans cette conférence, qui vise il est vrai surtout un public américain mais qui se regarde sans trop de décalage dans le reste du monde occidental, le sociologue Sam Richards propose pas à pas un exercice d'empathie. Du coup, sans vraiment l'expliciter, il propose aussi une excellente illustration de ce que c'est que l'empathie. Ni sympathie, ni compassion, ni contagion émotionnelle, l'empathie est le nom que l'on donne à la capacité de 'capter', que ce soit de manière cognitive ou affective, l'état d'esprit, l'état émotionnel, ou même l'opinion d'une autre personne. Cela ne signifie en rien que l'on va être d'accord avec cette autre personne, ni même avoir de la sympathie pour ses positions. C'est comme diraient les anglo-saxons la capacité à 'se mettre dans les chaussures' d'autrui. Ni plus, ni moins. Ce n'est pas nécessairement non plus relié à une quelconque bienveillance. Sans empathie, pas de véritable cruauté, pas de tortionnaires efficaces. Mais pas de vie sociale non plus, au sens le plus basique de ce terme. L'empathie est une de nos caractéristiques fondamentales, un ingrédient de notre vie d'êtres interdépendants. Un ingrédient littéralement vital pour notre espèce, dont aucun individu ne se suffit à lui-même, et dont les enfants tardent tant à s'exprimer littéralement.

Sans elle, au sens le plus stricte, pas de médecine. Pas de compréhension des autres, peut-être même pas d'intérêt de comprendre les autres. Du coup, c'est aussi un outil d'exploration dans des domaines tels que la sociologie. Et oui, l'exercice fonctionne assez bien. Regardez-le: vous ne trouvez pas?

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Cellules souches: brevettera, brevettera pas?

Il arrive que derrière les discussions un peu techniques se cachent des enjeux tout simples. On en a un exemple en ce moment. La longue bataille juridique devant la Cour de justice européenne sur la question de la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines. A lire les descriptions, on a l'impression que c'est une histoire où s'affrontent ceux qui ne veulent pas voir mercantiliser des embryons humains, et ceux qui veulent faire de la recherche. Mais à bien lire les texte, on dirait bien qu'il ne s'agit ni de l'un ni de l'autre.

D'abord, il ne s'agit pas d'embryons. Breveter des embryons humains est clairement interdit; la question ici tourne uniquement autour des cellules déjà dérivées d'embryons (qui n'existent donc plus).

Et puis il ne s'agit pas de recherche. Ni même de pouvoir ou non breveter une invention dérivée de la recherche. Car breveter les techniques appliquées aux lignées cellulaire n'est pas disputé. Ici, la question tourne autour de la brevetabilité des cellules elles-mêmes.

En quelques mots, l'enjeu:

-La directive 98-44-EC, interdit "les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales;" et précise que "Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables."

-La même directive stipule par ailleurs que "Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel."

Qu'en est-il donc de cellules qui ont été dans le passé dérivées d'un embryon, puis différenciées en culture? Elles sembleraient a priori être 'un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique'. Donc brevetables. On peut disputer le principe selon lequel un 'élément isolé du corps humain' serait brevetable, bien sûr, mais ici il s'agit d'appliquer cette directive et non de la remettre en question.

Les arguments contre la brevetabilité de ces cellules, à ce que j'ai vu il y en a deux. Aucun ne tient la critique, et tous deux sont inquiétants.

Argument 1: la dérivation de cellules souches embryonnaires impliquerait la destruction d'embryons et les breveter contreviendrait donc à l'interdit d'utiliser des embryons à des fins commerciales.
Cet argument est erroné: il n'est tout simplement pas généralement nécessaire de détruire un embryon pour obtenir le genre de cellules visées par la controverse. Une fois la première lignée dérivée elle pourra dans de nombreux cas être entretenue et différenciée plus avant sans avoir recours à de nouvelles destructions d'embryons. Cet argument est inquiétant car il signale une méconnaissance scientifique du sujet, ou alors que cet aspect n'est pas jugé important.

Argument 2: la directive interdit de breveter "Les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs", et l'utilisation de cellules souches embryonnaires serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. Bon, l'ordre public sans doute pas. Disons les bonnes mœurs. Mais comment les définit-on? Là est le hic. Car en utilisant la notion de bonnes mœurs, la directive implique qu'il s'agit de situations où le contenu des 'bonnes mœurs' fait l'objet d'un consensus. Du coup, appliquer cette notion à la recherche sur les cellules souches c'est un vrai problème. Car sur la question des cellules souches, ce consensus n'existe tout simplement pas. La question de savoir si l'usage d'embryons humains dans la recherche est ou non conforme 'aux bonnes mœurs' est même un cas exemplaire des questions qui nous divisent, sur lesquelles nous n'avons pas de consensus social. Cette question est d'ailleurs réglée de manière très différente dans différents pays. Considérer que 'les bonnes mœurs' permettent de conclure quoi que ce soit ici est donc naïf, ou arrogant, peut-être calculateur, et en tout cas étrange. Si l'on va au bout de cette logique, interdire les brevets sur les cellules souches pourrait revenir à considérer les lois de certains pays d'Europe comme en contradiction avec les bonnes mœurs...

Au fond, la question est donc très simple. Dans l'application de cette directive, ici, on essaye de faire comme si tout le monde était d'accord qu'utiliser des embryons humains dans la recherche était immoral. Donc de faire passer une certaine idée, pas déshonorante en tant que telle, mais pas généralement partagée non plus, comme si elle était la seule possible. Et de le faire en faisant tout bonnement semblant qu'elle est généralement partagée.

Pas surprenant que ce genre de stratagème préfère se cacher derrière un brin de technicité...

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Loin des yeux...

Et mince, encore une confirmation que des médecins employés par le Département de la défense américain à la prison de Guanatanamo auraient fermé les yeux sur des signes de torture perpétrée sur des détenus qu'ils soignaient. Ou, plus exactement, il semble que ces médecins aient soigneusement relevé les symptômes physiques (contusions, fractures, lacérations...) et psychologiques (syndrome de stress post-traumatique, dépression...) de leurs patients, sans jamais se demander quelles étaient leurs causes. Dans un cas il est même documenté au dossier qu'un détenu présentant un état dépressif, des cauchemars, des trous de mémoire, une perte d'appétit et de concentration, et des idées suicidaires a été traité avec des antidépresseurs et a reçu le conseil de 'se détendre...lorsque les gardiens se comportent de manière plus agressives'. L'article est en accès libre, mais attention: lecture difficile.

Alors bon, oui, malheureusement, ce n'est pas la première fois qu'on évoque une participation médicale aux 'techniques d'interrogation poussées' à la prison de Guantanamo. L'ONG Physicians for Human Rights nous avait même fourni il y a presqu'un an un résumé de documents officiels montrant que l'aval médical avait été employé pour justifier la torture.

Reste à savoir si cette étude aura une quelconque conséquence. Des poursuites juridiques contre des médecins ayant participé à la torture, il n'y en a pas eu tant que ça dans le monde. Et aux États-Unis, aucun précédent pour le moment. Et puis, s'agit-il cette fois de participation à la torture? Difficile question. La American Medical Association interdit bien sûr la participation des médecins à la torture. Mais quelques distinctions d'imposent. Leur déclaration sur la question précise que les soins aux victimes de la torture sont bien sûr licites. Mais sont interdits tout soutien, sous forme matérielle ou d'information, à la pratique de la torture; la présence de médecins lorsqu'elle est pratiquée ou menacés; la certification qu'un détenu est 'apte'. Il est également précisé que les médecins doivent offrir un soutien aux victimes et, chaque fois que c'est possible, tenter de changer les situations dans lesquels un fort potentiel de torture existe.

Au sens stricte, il n'est donc pas sûr que la plupart des comportements décrits dans l'étude puissent être considérés comme une participation médicale à la torture. Mais voir cela, c'est aussi voir que le problème est plus profond. Car fermer les yeux sur les causes de blessures et de traumatismes, c'est au minimum ne pas mettre l'intérêt de son patient avant. En lisant cette étude, on a comme l'impression de voir l'effritement des valeurs professionnelles, le côté concret du danger qu'encourent nos collègues dans une situation effroyablement difficile. Encore un signe que maintenir le rôle de la médecine en prison alors que les praticiens sont employés par les autorités de cette prison, et bien ce n'est pas une chose facile. Et encore moins dans une situation comme celle-ci...

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Chut...

J'aime beaucoup l'image que la Revue Médicale Suisse a choisie pour ce billet. Alors je le reprend, avec un lien vers l'original, en vous reproduisant l'article:

«La pauvre, elle vient de recevoir une mauvaise nouvelle...» La compassion de la voisine de chambre, à ce moment où elle a franchement ses propres problèmes, est profondément touchante. Compréhensible ; admirable même, sans doute. A cela près qu’elle n’aurait en fait pas dû connaître l’état de santé de sa voisine. La confidentialité dans un hôpital, c’est un problème difficile.

Tellement difficile, en fait, que l’on se sentirait presque tenté de déclarer forfait. Nous avons tous eu l’expérience de conversations de couloir qui n’auraient pas dû s’y tenir. Au fil des milliers d’heures qu’on y passe, on se sent presque chez soi dans un hôpital. Dans les ascenseurs d’hôpitaux britanniques, on est, semble-t-il, témoin d’une rupture du secret médical dans 3-7% des trajets, et il serait surprenant que les résultats soient très différents ici. La visite au lit du patient, inévitablement, mène à des conversations que d’autres patients entendent. Il semblerait d’ailleurs que les patients comprennent et ne nous en tiennent en général pas rigueur. Mais parfois ils taisent leurs propres informations par crainte d’être entendus.

Et c’est là le hic. Difficile à protéger dans un hôpital, la confidentialité n’en reste pas moins une pierre angulaire de la médecine. Contrôler l’information qui nous concerne, cette part de sphère privée non physique ; comment se confier à un soignant sans cette garantie ? Et comment pratiquer la médecine si toute anamnèse se voyait amputée des informations que le patient jugerait sensibles ? Une pierre angulaire, oui. Mais qui a sans cesse besoin d’être défendue. Les anthropologues nous le soufflent, les ragots nous sont un point commun. Avec l’esthétique, les soins aux enfants, le deuil, le conflit, la narration, les promesses, l’empathie, la peur de la mort, l’admiration de la générosité, le feu, le langage et le goût du sucre parmi bien d’autres, un élément parmi une longue liste d’universels humains. On tchatche dans toutes les cultures. Dire ce que l’on sait les uns des autres nous vient naturellement. Aller à contresens, ce n’est pas facile.

Mais en même temps, exercer la médecine c’est aussi accepter de ramer à contre-courant. Comme disait récemment un collègue : «C’est pas comme si faire le bien des gens était dans l’air du temps...». L’air du temps nous donne parfois l’impression que taire quelque chose est déjà presque être coupable. Il insiste toujours plus sur la transparence. Largement à juste titre d’ailleurs. Sauf que malgré tout cela, oui, nous avons des choses à cacher.

Alors dans un hôpital, comment fait-on ? Des affiches dans les ascenseurs ? Des rappels ? La réorganisation des lieux où l’on parle ? Protéger le secret médical peut prendre des airs de contrôle de l’infection... Car le courant de la transparence ne faiblit pas. Et les obstacles logistiques non plus. Les informations transmises avec la facturation se font plus détaillées. Des étudiants en médecine américains ont été repris pour avoir rompu le secret médical sur des réseaux sociaux. Le temps manque souvent pour prendre un patient à part. Les informations doivent circuler et parfois elles font un overshoot... Alors dans tout ça, vous feriez comment, vous ? Va falloir continuer à ramer, en tout cas.

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