Mes collègues: moins, parfois c'est mieux

Parfois, il arrive même que mes collègues soient d'accord avec moi. Alors je ne vais pas me priver de vous le dire! Ici, c'est Bertrand Kiefer qui s'exprime dans Le Temps. Comme d'habitude, un extrait et le lien.

(...)la médecine doit apprendre à faire du «moins» son objectif. D’abord parce que l’actuel «toujours plus» coûte cher et menace à la fois la répartition équitable des soins et le remboursement d’innovations efficaces. Mais aussi à cause des nuisances que les tests et traitements inutiles infligent aux patients. S’impose donc, de manière croissante, une exigence éthique d’avancer vers l’inaction intelligente et l’économie juste des moyens. Plusieurs initiatives montrent que les médecins l’ont compris. Ainsi, depuis quelques mois, les articles médicaux consacrés au «Too much medicine» se multiplient. Dans la même veine, un mouvement international s’organise autour du thème «Less is more». Ou encore, l’American Board of Internal Medicine mène une vaste campagne intitulée «Choosing Wisely», campagne reprise par la Société suisse de médecine interne.

Ce n’est pas gagné.(...)


Peut-être, en effet, une idée dont l'heure arrive...

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Cas à commenter: numerus clausus en médecine

Une nouvelle de la semaine: le Conseil des États a décidé de laisser les cantons et les hautes écoles libres de poursuivre le numerus clausus à l'entrée des facultés de médecine. Sélectionner les étudiants pour l'accès aux études sur la base d'un test d'aptitude, c'est une des manières dont la Suisse contrôle le nombre de médecins formés dans notre pays.

Un sujet dont je vous avais déjà parlé, ça. La Suisse fait partie des pays qui ne couvrent pas entièrement leurs besoins en termes de professionnels de la santé, et qui comblent cela en important des médecins -et des infirmières- formés ailleurs. Actuellement, un peu plus de 25% des médecins exerçant en Suisse ont été formés à l'étranger. En Europe, les chiffres vont de 0.7% en Pologne à 37.5% en Grande-Bretagne. Les Etats-Unis emploient la moitié des médecins anglophones de la planète.

En Suisse nous semblons plutôt confortable avec cela. Nous nous disons qu'après tout les médecins qui viennent en Suisse quittent pour ça des pays qui ne vont pas si mal que ça. C'est vrai. Mais nos voisins, qui vont relativement bien, ont des voisins qui vont moins bien. Ils vont se tourner vers eux pour recruter des médecins dans les places laissées vacantes par ceux qui seront venus chez nous. Et ainsi de suite. Le résultat est prévisible. Les seuls pays qui n'auront pas de voisin plus pauvre vers lequel se tourner seront les plus pauvres de la planète. Le résultat net est une migration mondiale des professionnels de la santé qui s'éloignent des plus grands besoins de santé.

Notre bonne conscience a donc quelque chose d'un peu illusoire.

Mais il y a un autre enjeu ici, effectivement. Car il y aurait en théorie plusieurs manières de former plus ou moins de médecins.

1) Le numerus clausus, qui sélectionne avant l'entrée à l'université en général sur la base d'un test d'aptitude. Nous pourrions l'abolir ou l'élargir là où il se pratique. Nous pourrions aussi le remplacer par une des autres approches.

2) La sélection intra-universitaire, en général sur la base des matières enseignées en première année. Nous pourrions l'abolir ou (plus vraisemblablement) l'élargir là où elle se pratique. Ici aussi, nous pourrions aussi la remplacer par une des autres approches.

Augmenter le nombre de personnes ayant accès à la formation universitaire en médecine, quelqu'en soit le moyen, nécessiterait que l'on finance plus de places dans les facultés concernées et que l'on trouve un moyen de former également en stage des étudiants supplémentaires.

Mais il y a encore une troisième façon de contrôler le nombre de médecins qui, finalement, s'installe:

3)  La limitation (souvent implicite) du nombre de places de formation post-graduée dans telle ou telle spécialité.

Ici, il ne s'agit plus de former plus de médecins mais plus de spécialistes, y compris en médecine générale, dans les domaines insuffisamment représentés pour lesquels nous sommes soit face à des manques soit face à un recrutement accru de médecins étrangers.

Je vous en parle entre autres parce que je sais qu'il y a parmi vous des personnes qui ont un avis sur la question, certainement: comme étudiant, médecin, ou pour d'autres raisons...
Alors vous, vous en pensez quoi? Vous nous dites si vous êtes étudiant, à quel stade, médecin, à quel stade, ou si vous avez une autre position? Et surtout, vous nous dites quelle voie vous préféreriez, et pourquoi?

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L'importance des villes durables



"La moitié de l'humanité vit désormais dans des villes. Ce sont les villes qui doivent protéger le futur de la planète. Et à la ville de Genève, on veut licencier ceux qui font ça." Sur facebook on est plus bref que sur un blog, mais ici effectivement cela mérite un peu de développement. Voici donc. 

La moitié de l'humanité vit désormais dans des villes. Il s'est passé une chose remarquable en 2008: l'exode rural, commencé lors des premières fondations de villes il y a plus de 5000 ans, a atteint le point où la balance penche. 2008 est l'année à partir de laquelle plus de la moitié de l'humanité vit dans des villes. Il n'est donc pas surprenant que ce soit dans les villes, là où nous vivons, que le futur de l'humanité se joue. C'est dans ces villes, là où nous vivons, que les rapports entre nous et notre environnement, forcément, se joue.

Ce sont les villes qui doivent protéger le futur de la planète, donc. Ce futur, il ne se joue pas toujours à coup de grandes décisions politiques. Il se joue aussi à coup de tout un tas de mesures très locales, dont l'effet va être de rendre nos villes plus écologiques et aussi souvent plus humaines. Dans la vidéo qui ouvre ce message, Alex Steffen en détaille quelques unes. Et au fil de sa présentation plusieurs choses deviennent claires. La première, c'est qu'une ville plus respectueuse de l'environnement c'est en fait aussi une ville où il fait bon vivre. Tant mieux! Nous serions dans un joli pétrin si ce n'était pas le cas. La deuxième, c'est que les villes existantes peuvent faire beaucoup de choses pour prendre cette voie, et que ces choses vont largement profiter aussi à l'économie locale. Une partie de la raison est détaillée par un autre conférencier ici: la génération Y, de plus en plus, choisit de vivre dans ce genre de ville-là. Pour ceux qui veulent les employer, évidemment, cela va devenir un argument lorsqu'il s'agit de savoir où ouvrir une entreprise, où la fermer.

Ce constat, un nombre croissant de villes l'ont fait. Elles se sont dotées pour cela de services chargés de coordonner entre tous les départements concernés (tous, en fait) ces efforts parfois minutieux, parfois pas très glamour, mais essentiels pour maintenir nos villes durables, ou tout simplement vivables. 

A Genève, on veut licencier ceux qui font cela. En ville de Genève, ce service s'appelle l'Agenda 21. Il y en a dans toutes les villes du pays. Sauf qu'en ville de Genève, on veut le fermer. Les blocs politiques du conseil municipal se livrent une bataille autour du budget, et dans cette bataille ce service risque d'être sacrifié. Préoccupant, ça.

Les opposants s'organisent et ont appelé à une manifestation, organisé une pétition. Parmi eux, les syndicats: car évidemment il y aurait des licenciements à la clé. Parmi eux également, les principaux partis de gauche. Et ici si je puis me permettre: préoccupant aussi, ça. L'Agenda 21 soutient des associations citoyennes, coordonne et encourage des mesures qui soutiennent l'économie locale. En améliorant notre empreinte écologique, ces mesures visent à améliorer notre qualité de notre vie et notre sécurité, pas seulement pour maintenant mais aussi pour la période où nos enfants seront adultes. Tous cela, ce sont des buts dans lesquels tous les partis devraient en fait reconnaître une part d'eux-mêmes...

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1:12



Elle ne va sans doute pas passer, l'initiative 1:12 lancée par les jeunes socialistes. En tout cas, malgré des efforts très originaux pour convaincre de la part des initiants, les sondages la donnent perdante.


Malgré tout, je ne résiste pas à saisir l'occasion pour vous remontrer la vidéo qui ouvre ce message. Je vous en avais déjà parlé. Richard Wilkinson y détaille, clairement et tranquillement, les effets que les inégalités sociales ont sur les sociétés. Au fil des données, c'est un autre regard sur nos débats politiques du moment qui se dessine. Car avec l'augmentation des inégalités, c'est aussi l'insécurité qui avance. Les sociétés plus inégales ont plus de crime. Moins de confiance. Elles punissent plus sévèrement. Leurs prisons sont plus pleines. Côté santé, leur espérance de vie est plus courte, leur santé mentale moins bonne. Une société plus égalitaire (pas totalement égalitaire, plus égalitaire) c'est une société où, pour beaucoup de raisons, on vit mieux.

Une autre chose que montrent les chiffres de Wilkinson est que ce résultat est le même quel que soit le chemin par lequel on y parvient. Certaines sociétés 'fabriquent' plus d'égalité en limitant les écarts de revenus, d'autres en taxant progressivement plus les revenus de plus en plus élevés. Les unes et les autres en tirent les mêmes effets positifs. Certaines sociétés ne 'fabriquent' pas plus d'égalité, et elles s'en sortent moins bien.

Une fois qu'on a compris ça, on doit admettre que cela peut être du ressort d'un état de vouloir limiter les inégalités. Un des arguments souvent entendus, que limiter les écarts est une limite à la liberté personnelle des employeurs, est vrai. Sauf que l'état a parfaitement le droit de limiter la liberté des employeurs au nom de la protection de tiers. On n'a pas le droit de demander à son employé d'amener aussi travailler son enfant. On n'a pas non plus le droit de polluer n'importe comment, même si dans ce cas les personnes protégées sont moins faciles à identifier. Limiter les inégalités dans une société ressemble à ce deuxième exemple. Cherchez la victime, elle ne sera pas directe. Comment identifier quelle victime de cambriolage, ou d'infarctus, aurait été épargnée si nos sociétés étaient plus égalitaires? Passé un certain écart, ces victimes, existent pourtant bel et bien. Limiter les inégalités protège des tiers, et c'est là une des raisons qu'on admet comme acceptable pour mettre des limites à la liberté des personnes.

Alors, en Suisse, où en est-on? Côté inégalités de revenus, nous ne sommes pas au niveau des Etats-Unis. Encore moins, évidemment, au niveau des inégalités qui existe si on regarde la planète dans son ensemble. Non, en Suisse, si on nous compare avec d'autres pays de l'OCDE, on est à peu près au milieu. Un constat que plusieurs sources confirment.

Si on regarde de plus près on constate cela dit que les inégalités, comme pas mal de choses, cela varie selon les cantons. Dans cette petite animation vous pouvez sélectionner le vôtre à droite dans la liste, puis appuyer sur 'play' pour faire défiler le temps: plus la boule se déplace vers la droite, plus les revenus sont inégaux.

Ensuite, il semble que l'on arrive à des résultats différents selon les comparaisons que l'on fait. Par exemple, un chercheur publiait l'an dernier que "De 1998 à 2008, la part de revenus des 1% les plus riches par exemple a augmenté de 32%, celle des 50% les moins riches a baissé de 4%."
En calculant autrement, "Les revenus du 10e décile sont 72 fois plus importants que ceux du 1er décile." Mais c'est le revenu après les impôts qui compte, si on suit Wilkinson. Sur ce plan, l'Office fédéral de la statistique nous rassure en indiquant que le rapport entre le revenu disponible (ce qui vous reste après les impôts, les contributions sociales, les primes d'assurance et les pensions alimentaires) n'est que de 4.4 si on compare les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres: nettement moins que le rapport demandé par l'initiative. Si on regarde les données du rapport complet, en revanche, on constate que le point le plus élevé de la courbe du revenu disponible est à plus de 12'000.- par mois, et le point le plus bas à ... -1000.- par mois (c'est à la page 20 pour les curieux). Un rapport nettement plus grand, donc, même en tenant compte des impôts.

Tout ça, ça donne à l'arrivée un niveau vivable? Un peu plus, un peu moins, d'insécurité, de confiance mutuelle, de criminalité? Et à quel prix? Désaccords vénérables que tout cela. Ici, les avis vont certainement diverger. Mais en tout cas voilà un sujet dont on n'aura pas fini de parler dans dix jours.

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Avastin: et maintenant, quoi?

Un cas fascinant, l'histoire de l'Avastin et du Lucentis. Un mot de résumé d'abord. A l'origine, deux médicaments chimiquement très proches. L'un (le Lucentis) est dérivé de l'autre (l'Avastin). L'Avastin est un anticancéreux, qui se trouve également être actif contre la dégénérescence maculaire de la rétine (DMLA, car cette Dégénérescence Maculaire est aussi Liée à l'Age). On s'en rend compte autour de 2005. Le fabricant, Roche, développe alors le Lucentis, une molécule très proche et également active contre la  DMLA. En Europe, Roche s'allie à Novartis et lui confie la vente du Lucentis. Cette molécule arrive sur le marché. Détail: elle coûte 40 à 50 fois plus cher que l'Avastin.

On en parle. En 2008, une patiente dont le médecin lui avait administré l'Avastin contre une DMLA se voit refuser le remboursement, au motif que cette indication n'est pas enregistrée en Suisse. Le vice-directeur d'Assura tape alors sur la table: "La firme Roche parvient à élaborer gratuitement et franco une substance bon marché qui est efficace pour traiter une grave maladie des yeux. Au lieu d'en faire directement bénéficier les patients, elle modifie quelque chose à la substance pour pouvoir lui donner un nouveau nom, et ensuite, elle lui fixe un prix quarante fois plus élevé. Pour que cette pratique ne se remarque pas, elle en donne la licence à une firme concurrente pour la commercialisation. C'est un scandale."   Le prix du Lucentis fait l'objet de négociations et baisse. Il n'est à présent 'plus que' de 10x celui de l'Avastin en Suisse. Mais sur le problème subsiste.

Et maintenant? La Cour de justice européenne a décidé d'autoriser l'Avastin contre la DMLA. En Suisse, cependant, on ne pense pas suivre. Trois arguments sont sur la table:

1) L'Avastin n'est pas disponible dans une préparation adaptée pour le traitement de la DMLA, et doit être reconditionné pour cette indication. C'est cela dit une manipulation que les pharmaciens doivent être en mesure de faire, dans certaines conditions en tout cas. On peut donc s'imaginer décrire ces conditions et ces exigences. Pour surmonter cet obstacle il n'est point besoin de convaincre le fabricant de faire la modification.

2) Au départ c'est le Lucentis, et non l'Avastin, qui a fait l'objet des études cliniques pour la sécurité et l'efficacité dans la DMLA. Ce n'est pas surprenant, car tant que ce sont les fabricants qui font ces études il n'y a pas de raison de s'attendre à ce qu'ils financent des études qui seraient contraires à leurs intérêts. Pour ça, il y a le financement public de la recherche. C'est donc les National Institutes of Health américains qui ont fait l'étude d'équivalence de l'Avastin et du Lucentis. Les résultats sont bons: les deux molécules sont effectivement équivalentes. Cet argument devrait donc désormais tomber.

3) Le Lucentis est enregistré sur le marché suisse contre la DMLA, l'Avastin non. Normalement, ce sont les fabricants qui déposent ces demandes. Comme pour les études cliniques, cela dit, il n'y a pas de raisons de s'attendre à ce qu'ils le fassent contre leur propre intérêt. Pour que quelqu'un le fasse, il faudrait un dépôt de demande par une institution dont le mandat ne serait pas le profit du fabricant, mais quelque chose qui ressemble davantage au bien commun: l'intérêt des patients et des assurés de notre système de santé.

Classiquement, c'est pour ce genre de chose que nous nous dotons d'institutions publiques. Mais en Suisse on peut aussi imaginer que les assureurs le fassent. Ou une association de patients. Les uns et les autres manquent certainement d'habitude, cela dit, et pourraient avoir des difficultés à rassembler les documents nécessaires. Alors, qui cela va-t-il être? Avastin, donc: et maintenant quoi? Cette histoire est une très belle loupe posée sur nos institutions...

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Billet d'invité: Diagnostic préimplantatoire

Le diagnostic préimplantatoire est un sujet qui revient régulièrement. Je vous en avais déjà parlé par exemple ici, ici, et ici. Et vous savez aussi qu'un changement de loi est discuté ces temps dans notre pays. Sur ce dossier, qui semblait tout programmé pour réaffirmer le status quo, voilà qu'un changement pourrait se profiler. Un grand merci à Alex Mauron de nous faire un billet d'invité:

Le diagnostic préimplantatoire (PID): voilà un serpent de mer bioéthique d’une rare longévité dans notre pays. Ce blog s’est fait plusieurs fois l’écho des controverses concernant cette technique de diagnostic génétique précoce qui porte sur des embryons obtenus par fécondation in vitro. On sait que le DPI est interdit en Suisse, mais qu’il y a depuis pas mal d’années un consensus majoritaire dans les milieux médicaux et politiques pour l’autoriser sous conditions. En juin dernier, le Conseil fédéral avait proposé de lever l’interdiction et formulé un projet de règlementation très restrictif. Ce qui faisait problème, c’est principalement la limitation portant sur le nombre maximum d’embryons qu’il serait permis d’obtenir et de tester, ce nombre étant fixé à huit par cycle. C’était rendre tout la procédure très difficile, voire éthiquement discutable, au vu de la qualité dégradée du service ainsi proposé. C’était somme toute une façon habile de botter en touche et de cesser d’interdire le DPI sans l’autoriser vraiment.

Or une Commission parlementaire vient de jeter un pavé dans la mare. La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des États propose une réglementation du DPI plus ouverte sur deux points cruciaux. Le premier est justement l’abolition de la limite portant sur le nombre d’embryons. Le second est l’autorisation du dépistage d’aneuploïdie des embryons par le moyen du DPI. Pour la première fois, une proposition réaliste de légalisation du DPI est sur la table et il faut saluer le courage politique de le Commission, qui ne lui vaudra pas que des amis. Le second point, à savoir la question du dépistage d’aneuploïdie, n’est pas moins importante mais moins souvent évoquée. Le DPI « classique », celui qui a alimenté les discussions depuis vingt ans, vise le diagnostic d’une anomalie de tel ou tel gène particulier, associée à une maladie dite « mendélienne » d’ores et déjà présente dans la famille et que le couple souhaite éviter à sa progéniture. Ce DPI-ci s’adresse à un nombre restreint de couples, précisément parce qu’il présuppose une histoire clinique bien particulière. Le dépistage d’aneuploïdie, lorsqu’il sera réellement au point, visera une toute autre finalité. En effet, il cherche à identifier les embryons atteints de défauts chromosomiques majeurs, généralement incompatibles avec le développement de l’embryon au-delà des premiers stades. Or on estime que ces défauts fréquents contribuent à abaisser le taux de succès de la fécondation in vitro. Ce dépistage n’est donc pas un diagnostic génétique au sens strict mais plutôt une étape intermédiaire de la fécondation in vitro, destinée à améliorer les chances d’obtenir un embryon viable et une grossesse menée à terme. Il pourrait donc un jour faire partie intégrante d’un protocole normal de fécondation in vitro, pertinent pour une bonne partie des couples en traitement pour infertilité. Le champ d’application potentiel de ce DPI « nouvelle manière » est donc bien plus grand et les problèmes d’éthique soulevés en partie différents. On ne sait pas à ce stade laquelle des technologies en lice - principalement issues des progrès de la génomique - s’imposera en définitive pour le dépistage d’aneuploïdie, mais on peut parier que cette technique figurera en bonne place des méthodes de traitement de l’infertilité dans un proche avenir.

La majestueuse lenteur avec laquelle la politique suisse digère la question du DPI a fait que cette technique aura eu le temps de changer assez radicalement de nature. La leçon à en tirer ? Le traitement des questions bioéthiques, ce n’est pas le dessin d’académie. On ne peut pas demander aux technologies controversées de prendre la pose indéfiniment, jusqu’à ce que philosophes, éthiciens, scientifiques, politiciens et leaders d’opinion aient concocté un compromis acceptable. Il nous faut une bioéthique qui fonctionne en temps réel.

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L'initiative...pour les familles plutôt riches

L'initiative des familles, proposée prochainement dans nos urnes par l'UDC, a l'air toute simple en surface. Le texte intégral tiendrait presqu'en deux lignes:

"Art. 129, al. 4 (nouveau)
4 Les parents qui gardent eux-mêmes leurs enfants doivent bénéficier d'une déduction fiscale au moins égale à celle accordée aux parents qui confient la garde de leurs enfants à des tiers."

Elle semble avoir de bonnes chances de passer, cette initiative. C'est peut-être parce que les personnes qui répondent aux sondage sont pour le moment encore mal informées. Mais cela pourrait aussi être un signe de quelque chose de plus inquiétant. Pourquoi? Deux mots d'explications.

D'abord, il faut comprendre que si elle passe cette initiative va surtout profiter à des familles plus aisées. Normal: c'est une déduction fiscale. Si vous gagnez plus, vous payez plus d'impôts, donc en général une déduction vous économisera davantage. Une partie du soutien à l'initiative pourrait venir de l'idée qu'on va enfin faire quelque chose pour soulager un peu des familles dans le besoin. Sauf que...ce n'est du tout de ça qu'il s'agit ici. Si vous avez vraiment des difficultés à boucler vos fins de mois, vous économiserez peu. Peut-être même rien du tout, si vous êtes exonéré de l'impôt fédéral. Et en tout cas vous économiserez nettement moins que des gens plus riches que vous.

De toute manière, cette initiative ne vous concerne sans doute même pas. Car pour pouvoir être concerné il faut avoir le luxe (oui c'est souvent un luxe) de pouvoir vivre sur moins de deux salaires. Avec des enfants, il faut un revenu plus élevé que le minimum.

On ne vient donc pas en aide aux petites gens, ici, malgré le discours de surface. Mais plutôt aux classes moyennes à élevées. Il y a un joli graphique très clair derrière ce lien. Cette initiative est un cadeau fiscal à des personnes plutôt aisées.

Alors oui, on a bien sûr aussi remarqué que ça donnait en plus un incitatif pour renvoyer les mères à la maison. Ce sera souvent vrai. D'autant plus que contrairement aux arguments des initiants, une famille qui garde elle-même ses enfants disposerait d'un revenu disponible plus élevé que celle qui ferait appel à une aide extérieure. Ca, oui c'est un problème. Mais bien plus que de la guerre des sexes, ce texte relève de la lutte des classes. Et c'est en fait là qu'il pourrait être véritablement inquiétant. Car en période de précarité, réelle ou ressentie, ce n'est pas seulement les femmes qu'on risque de vouloir renvoyer aux fourneaux. C'est la solidarité sociale qu'on peut avoir tendance à renvoyer au placard. On oublie malheureusement alors qu'elle est le moyen le plus efficace que l'on ait trouvé pour nous protéger, justement, de la précarité.

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