Avorter peu, et en sécurité (1, sans doute...)

Hier, nous avons reçu sur papier journal du matériel de campagne de l'initiative pour le déremboursement de l'interruption de grossesse. Vous aussi, peut-être. Chez nous, une de mes filles a voulu le mettre à la poubelle aussi sec, mais je l'ai sorti pour qu'on puisse passer en revue les arguments en famille. Il y a beaucoup à dire. Assez pour plusieurs messages sur ce blog. Et peut-être que vous aurez aussi des commentaires. Mais, pour commencer, l'image.

Elle semble à première vue idyllique, cette image. Une jeune maman et son bébé, qui sourit comme sourient les bébés plus tout à fait nouveau nés, et juste avant Noël en plus. En dessous, un texte qui cible l'émotion: "Je ne veux tout de même pas cofinancer des avortements!"

Madame, je suis heureuse pour vous. Je trouve comme tout le monde votre image touchante. Voir une maman et son bébé heureux ensemble me rend heureuse moi aussi. Mais, cela étant dit, votre égoïsme me sidère.
Peut-être l'ignorez-vous, mais les complications d'une interruption de grossesse mal conduite incluent la stérilité, et peuvent aller jusqu'au décès. Le document auquel vous êtes associée voudrait faire de l'Autriche un exemple rassurant du contraire. Mais l'Autriche compte parmi les pays qui préfèrent ne pas tenir de statistiques de ce genre de choses. Il est facile, ensuite, de dire qu'on n'a rien observé. C'est aussi un pays où l'accès à l'interruption de grossesse est régulièrement remis en cause et qui pourtant a un des taux d'avortement les plus élevés d'Europe et nettement plus élevé que la Suisse. Les complications d'interruptions de grossesse mal conduites sont actuellement rares en Europe, mais elles existent encore là où l'avortement sûr n'est pas facilement accessible. L'Afrique du Sud a diminué de 90% les problèmes de santé liés l'avortement en le rendant légal, et le rendre légal c'est aussi le rendre plus accessible. 

Peut-être l'ignorez-vous Madame, mais devoir payer une intervention, quelle qu'elle soit, peut aussi la rendre inaccessible. Dans le seul canton où l'on ait osé faire cette étude, on a constaté que près de 30% des Suisses dont les salaires sont dans la tranche inférieure ont renoncé récemment à des soins médicaux car ils ne pouvaient pas se permettre leur part des coûts.

Madame, peut-être l'ignorez-vous encore, mais 48% des femmes qui interrompent une grossesse en Suisse ont déjà des enfants. Un nombre qui n'est pas dans les statistiques souhaiteront en avoir par la suite. En voulant limiter l'accès à l'interruption de grossesse médicale, correctement conduite, vous voulez refuser à ces femmes une part de la possibilité de vivre le bonheur que vous clamez dans tous nos ménages. Vous voulez refuser à leurs enfants une part de la sécurité de garder leur mère.

Alors oui, Madame, vous devriez vouloir co-financer des avortements. Ils rendent possible pour d'autres femmes ce que vous vivez: une relation heureuse et désirée avec un enfant. 


Mais peut-être, Madame, méritez-vous en fait que je sois plus douce avec vous: car après tout peut-être ignorez-vous aussi que votre image a été utilisée ainsi. Nous vivons après tout l'âge virtuel, et peut-être n'êtes-vous que l'image en ligne qui a été trouvée belle par les personnes qui font cette campagne...

Ces personnes, il faut espérer qu'elles seront minorisées le 9 février. Nous avons après tout voté il y a relativement peu de temps le régime des délais, et la Suisse fait figure d'exemple sur le plan des interruptions de grossesse: elles sont plutôt rares, et se font dans de bonnes conditions. Beaucoup de gens finalement savent ce que je viens de rappeler ici. La position qu'on vous prête a heureusement peu de chances d'être majoritaire.

Peut-être que ce qu'il faudrait rappeler à ces personnes, finalement, c'est qu'elles devraient se rassurer. Rembourser l'avortement ne l'augmente pas. Les pays qui rendent l'interruption de grossesse accessible n'en ont pas davantage. En fait c'est plutôt même le contraire: ils en ont moins. Non: rembourser l'avortement c'est une sécurité. C'est une mesure de prévention de ses complications lorsqu'il est mal fait. Cette sécurité est de toute manière accessible à ceux qui en ont les moyens. Garder l'interruption de grossesse dans l'assurance de base, c'est s'assurer que cette sécurité ne dépendent pas de nos moyens financiers.

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