Ces jours-ci je suis à Paris à la Conférence Internationale d’Ethique Clinique et de Consultation, qui pour sa dixième édition est consacrée à ‘La voix du patient’. Un sujet qui se prête à beaucoup de discussions, mais qui maintenant au début du congrès me rappelle surtout une foule d’histoires. Quand un patient lève la main pour parler à des professionnels qui ont peut-être des idées différentes des siennes, parfois ça se passe très bien. Parfois, non. Comme patient quand on prend la parole, il arrive qu’on se heurte à une sorte de mur de malentendus. Il arrive aussi que ce soit sans problèmes. Parfois, on est même surpris qu’il n’y ait pas de problème : on s’attendait à en avoir, et peut-être pas entièrement à tort… bref, la réalité est très variable.
Deux histoires pour en poser quelques contours.
La première date d’il y a un grand nombre d’années, dans un pays voisin où j’étais stagiaire, mais je serais étonnée qu’elle soit devenue impossible entre temps. Je traversais vite vite la cours de l’hôpital pour aller acheter un sandwich pendant une pause chroniquement trop courte après laquelle la journée serait encore très longue. Au milieu du parcours, je croise une jeune femme très enceinte, qui pleure à chaudes larmes en pleine rue. Avisant la blouse blanche que je portais encore, elle m’attrape par le bras avec la douceur qu’ont parfois les personnes profondément tristes. Entre ses larmes elle me demande presqu’à mi-voix: « docteur, ça veut dire quoi ‘position céphalique’ ? ». Cette femme sortait d’une échographie, et en tant que patiente elle avait levé la main. La réaction avait été cinglante. La question qu’elle me posait maintenant, elle l’avait posée quelques instants plus tôt, sans doute avec exactement les mêmes mots, au radiologue qui avait réalisé l’examen. Plutôt que de lui expliquer que ‘position céphalique’ signifie simplement que le bébé a la tête en bas, ce qui est strictement normal à ce stade de la grossesse, il lui avait dit apparemment assez sèchement de poser cette question à son gynécologue. D’où, panique. Pour qu’on refuse de m’expliquer, ça doit être vraiment grave. D’où, sortie en larmes dans la rue et nouvelle tentative auprès de, après tout, la première venue. Je n’oublierai jamais le sourire qu’elle a eu quand je lui ai traduit ces deux mots de jargon médical.
Cette histoire est choquante pour toute une série de raisons. Le médecin n’a pas pris même un minimum de temps pour expliquer à sa patiente l’essentiel des résultats d’un examen important pour elle. On était (gasp) avant la floraison d’internet qui a mis ce genre d’information à portée de doigts. C’était donc encore plus grave. Les termes de jargon qui ont paniqué cette femme n’étaient qui plus est même pas nécessaires. Parfois, pour s’exprimer en termes exactes dans un dossier médical on est obligés d’employer des mots qui ne sont pas dans le vocabulaire courant. Mais ici, rien de tel. Dire ‘le bébé a la tête en bas’ transmet la même information. Pour en rajouter une couche, il s’agissait d’un pays où les études de médecine sont payées par l’état. En tant que médecin dans un tel système, on n’a jamais le droit d’oublier que ce sont nos patients, et leurs familles, qui ont payé pour nous mettre là où nous sommes maintenant. Avec une question simple et parfaitement raisonnable, cette femme s’était trouvée face à un mur.
La seconde histoire est aux antipodes. Ici c’est l’histoire d’un patient qui n’a pas eu à lever la main, que l’on a consulté malgré des obstacles apparents. C’est la mère d’un ‘enfant’ handicapé mental, majeur depuis longtemps mais encore sous son autorité parentale, qui me la raconte. Son fils a été hospitalisé dans un état critique. Un état grave au point que l’on se posait la question des limites de l’acharnement thérapeutique. Les interventions pouvant lui sauver la vie pouvaient aussi s’avérer un simple fardeau pour lui sans issue favorable, pourraient lui faire plus de mal que de bien. Un abime que cette question. Le médecin qui avait accueilli cette mère et son enfant avait alors proposé ce qui lui paraissait, à elle, impossible : demander l’avis de son fils. Ou du moins essayer, voir ce qu’il était capable de dire de ses propres priorités. Pas pour lui laisser cette décision, évidemment, car il aurait été incapable d’en comprendre tous les enjeux. Mais pour tenir compte de ce qui lui importait le plus. Et devant sa mère stupéfaite, son fils avait été capable de s’exprimer. Elle a tenu à me la raconter, cette histoire, pour me dire sa reconnaissance envers le médecin qui avait ainsi élargi à ses yeux ce dont son fils était capable.
Entre ces deux histoires, que de variantes. Dire son avis dans ses propres soins de santé, ce n’est pas toujours nécessaire car il arrive bien entendu qu’on soit tout simplement d’accord entre patients et professionnels. Mais dire son avis lorsqu’on le souhaite, cela devrait être une évidence. Que cela reste parfois difficile est préoccupant. Car même si ces deux histoires sont séparées par une vingtaine d’années et une frontière nationale, elles sont toutes deux vraies. Laquelle est plus représentative ? Sans doute ni l’une ni l’autre, car elles sont aux extrêmes en quelques sortes. Mais lever la main comme patient, est-ce de nos jours plutôt facile ou difficile? Plutôt utile ou plutôt frustrant? Vous, quelle est votre expérience ?
Quand le patient lève la main
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Mes collègues: secret professionnel en prison
Je vous en ai déjà parlé, du secret professionnel en prison. Entre temps Dominique Sprumont a écrit une très belle analyse, qu'il faut vraiment avoir comprise pour comprendre le problème. Elle est ici. Comme d'habitude, un extrait et le lien:
"la relation soignant – soigné ne peut se construire sans confiance. Si le patient doute de la confidentialité de ses propos et des données sur sa santé, il se gardera de dévoiler des informations, pourtant indispensables pour le diagnostic ou le suivi de son traitement. Le thérapeute n’est alors plus en mesure d’exercer son art et son intervention perd en efficacité, voire devient inutile. L’obligation d’information qui serait imposée aux soignants ne peut en aucun cas être considérée comme faisant partie de leur profession. Au contraire, elle constitue une entrave intolérable à son exercice et les empêche de remplir leur tâche de préparer les détenus à sortir de prison avec un degré moindre de dangerosité. Il n’y a rien de candide dans cette démarche, puisqu’il est dans l’intérêt de tous que la prison permette de prévenir les risques de récidives"
En prison, on peut comprendre que le secret professionnel semble n'aller avec rien. Mais c'est comme les gilets réfléchissants: n'oublions pas que c'est, ici aussi, une mesure de sécurité...
"la relation soignant – soigné ne peut se construire sans confiance. Si le patient doute de la confidentialité de ses propos et des données sur sa santé, il se gardera de dévoiler des informations, pourtant indispensables pour le diagnostic ou le suivi de son traitement. Le thérapeute n’est alors plus en mesure d’exercer son art et son intervention perd en efficacité, voire devient inutile. L’obligation d’information qui serait imposée aux soignants ne peut en aucun cas être considérée comme faisant partie de leur profession. Au contraire, elle constitue une entrave intolérable à son exercice et les empêche de remplir leur tâche de préparer les détenus à sortir de prison avec un degré moindre de dangerosité. Il n’y a rien de candide dans cette démarche, puisqu’il est dans l’intérêt de tous que la prison permette de prévenir les risques de récidives"
En prison, on peut comprendre que le secret professionnel semble n'aller avec rien. Mais c'est comme les gilets réfléchissants: n'oublions pas que c'est, ici aussi, une mesure de sécurité...
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