Des enfants de "trois parents"?

Être l'enfant de quelqu'un, être le parent de quelqu'un, habituellement cela veut en fait dire trois choses en même temps:

Le premier sens qui a tendance à nous venir à l'esprit est ce qu'on pourrait appeler la filiation génétique. Nos enfants sont génétiquement apparentés à nous. Nous leur transmettons nos caractéristiques et celles-ci sont en grande partie héréditaires. C'est dans ce sens là que l'on peut vouloir connaître son 'vrai père', par exemple, lorsqu'un enfant est né après une relation extra-conjugale ou un don de sperme.

Le deuxième sens est celui que l'on pourrait appeler la filiation gestationnelle. La mère de l'enfant dans ce sens va le porter, le nourrir dans son corps pendant son développement. Le père va vivre la grossesse autrement qu'elle, forcément, mais ce sera pour lui aussi une des manières d'être le père de son enfant.

Le troisième sens est la filiation sociale ou éducative. Les parents subviennent aux besoins de l'enfant et à son éducation. Ils sont responsables de son bien-être et des conditions de son développement. Ils lui enseignent des choses, lui inculquent des manières d'aborder la vie, des valeurs. Ils forment une famille. Lorsque les parents ont des biens, les enfants en héritent à leur mort.

Dans la plupart des cas, ces formes de filiation co-existent car les mêmes deux parents sont les parents de l'enfant selon les trois à la fois. Dès qu'elles ne co-existent plus, surgissent des inconforts parfois profonds et parfois des tensions entre les intérêts et les demandes de plusieurs parents.
Nous sommes donc capables de faire des distinctions, et des arbitrages entre différents types de filiation. Mais cela ne nous vient pas immédiatement ni parfois facilement. Les parents adoptifs, qui sont donc parents dans le sens social et éducatif mais ni dans le sens génétique ni dans le sens gestationnel, rapportent cette difficulté. Une famille, excédée par les remarques blessantes sur (et parfois à) leurs filles, en a mis en ligne une série qui fait grincer des dents. Ces réactions peuvent évidemment être très blessantes. Mais le fait qu'elle viennent souvent spontanément montre les difficultés que nous avons dès que l'une ou l'autre des formes de filiation est remise en question, dès qu'elles ne sont pas toutes les trois réunies clairement en deux personnes.

C'est sur cet arrière plan qu'il faut comprendre les intenses discussions sur ce que l'on a appelé les "enfants de trois parents". A la base, il y a une technologie de la reproduction qui consiste à remplacer les mitochondries, une des composantes de nos cellules, lorsqu'elles sont porteuses d'une maladie qui pourrait être grave chez l'enfant à naître. Les mitochondries, ce sont un peu les usines à énergie de nos cellules. Quand elles ne fonctionnent pas bien, le corps n'arrive pas à fonctionner. Nous les héritons toutes de notre mère car les spermatozoïdes doivent être aussi rapides que possible et ne peuvent pas s'en encombrer. Chaque année, quelques enfants naissent atteints de 'maladies mitochondriales' dont les plus sévères ne permettent pas de survivre jusqu'à l'âge adulte. Et voilà qu'une technique existe désormais et permet de remplacer, chez l'embryon d'une cellule, les mitochondries par celles d'une donneuse. Le hic? Les mitochondries contiennent de l'ADN. Bon, pas beaucoup: 0.1% de nos gènes s'y trouvent. Mais cela signifie quand même que, lors du transfert mitochondrial, on obtient un enfant qui est génétiquement apparenté à trois personnes. 

Cette technique, le Royaume Uni vient de l'autoriser dans des conditions très strictes. L'une d'entre elles est que la donneuse de mitochondries ne sera pas considérée comme un parent de l'enfant. C'est sage. D'abord parce que la quantité de matériel génétique est minuscule. Ensuite, parce que partager les mêmes mitochondries que quelqu'un d'autre est d'une banalité complète. Tous les membres de votre familles qui descendent d'une même femme par les femmes ont les mêmes que vous: tous les enfants de votre mère, de vos soeurs, les enfants de vos tantes maternelles, et ainsi de suite. Finalement, parce que cette minuscule part de filiation génétique est une part minuscule d'une seule filiation sur les trois. Si c'était suffisant pour être parent, ça, alors il faudrait aussi que chaque personne qui pose la main sur le ventre d'une femme enceinte et s'émerveille soit considéré comme un parent, que chaque personne qui participe de près ou de loin à l'éducation d'un enfant le soit aussi.

La discussion qui a précédé cette décision a été houleuse et les questions de filiation ne sont bien sûr pas les seules ici. Mais c'est peut-être malgré tout un des résultats les plus intéressants. Certaines technologies nous montrent comme dans un miroir certains aspects de nos vies. Que veut dire être parents? Cela nous vient habituellement, naturellement pourrait-on dire, comme un paquet tout ficelé. En examinant ce cas on déballe le paquet: ce que l'on y trouve est plus intéressant que ce que l'on aurait peut-être pensé...

[+/-] Lire le message entier...

Encore l'assistance au suicide

Très bel interview de Gian Domenico Borasio dans Le Temps. Il y décrit de manière assez juste la situation en Suisse et en Allemagne concernant l'assistance au suicide. En même temps, il trace les limites qu’ils souhaiteraient voir dans le cadre légal suisse concernant l’aide au suicide. Cette interview a le mérite d’une grande clarté. Allez la lire et faites-vous une idée. Alex Mauron lui a répondu dans une tribune libre qui mérite elle aussi la lecture. Là aussi, faites-vous une idée.

L’interview de Gian Domenico Borasio est en fait assez représentative d’une certaine idée médicalisée de ce que devrait être la question de l’aide au suicide. Dans cette optique, le suicide assisté est conçu comme un dernier recours face à une souffrance humaine à laquelle la médecine ne sait pas apporter d’autres réponses. C’est une des possibles étapes finales face à une maladie incurable et devenue insupportable. Cette aide concerne donc des malades uniquement, uniquement en phase terminale, et seulement lorsque toutes les options thérapeutiques ont été explorées, tentées, et dépassées.

Limiter le suicide à de tels cas représente en Suisse une des formes du statu quo. Les directives médico-éthiques de l’Académie Suisse des Sciences Médicales prévoient elle aussi que l’assistance médicalisée au suicide ne soit justifiée qu’en cas de maladie terminale.

À première vue ça a l’air rassurant. Une maladie terminale, pour beaucoup d’entre nous c’est ce que l’on s’imagine comme la pire des choses possibles. Du coup, c’est le cas de figure où l' on s’imagine, peut-être plus facilement que dans d'autres cas, vouloir avoir recours à l’aide au suicide.

La réalité n’est pas si simple. Il faut le comprendre pour voir pourquoi ce critère est controversé. Pour voir aussi pourquoi il n’est pas appliqué par la plupart des associations d’aide au suicide qui œuvre dans notre pays. Les médecins ne l’appliquent pas toujours non plus, et sont rarement inquiétés pour cela. En regardant les situations qui ont été publiées, et les personnes ne souffrant pas de maladie terminale qui recourent à l’assistance au suicide, on se rappelle que toutes les souffrances insupportables ne nous tuent pas d’elles-mêmes. Lorsqu’une personne souffre d’une (ou plusieurs) maladie(s) chronique(s) et que c’est là la source de son mal, lorsque cette personne estime que son état est insupportable et qu'elle ne peut pas être aidée par d’autres moyens, comment lui répondre que la perspective de souffrir plus longtemps est la raison pour laquelle l’aide au suicide ne lui est pas accessible?

Il faut aussi comprendre qu’en Suisse, la législation concernant l’aide au suicide n’a pas été établie dans l’idée que ces demandes seraient principalement le fait de personnes déjà condamnées par une maladie. Elle a été établie suite à la décriminalisation du suicide lui-même, sur la base d’un constat selon lequel il n'y aurait pas de crime à assister, pour des raisons altruistes, un « suicide bilan » rationnel. Le caractère licite de l’assistance au suicide repose donc ici sur un accord entre particuliers, l’un candidat au suicide sur la base d’une décision lucide et pondérée, l’autre d’accord de l’aider pour des raisons altruistes.

Notre situation Suisse repose donc sur ces deux piliers : d’une part une législation très libérale posant peu de limites à la pratique de l’aide au suicide, d’autre part des directives médicales plus restrictives mais qui ne sont pas systématiquement appliquées. Une précision plus claire de limites légales, applicables à tous et fondées sur les risques véritables, pourrait donc effectivement représenter un progrès.

[+/-] Lire le message entier...

Ces banquiers malhonnêtes

Une étude fait beaucoup de bruit ces temps, peut-être parce qu'elle conforte certains de nos préjugés. Il semble que les banquiers, quand on leur rappelle qu'ils sont banquiers, ont davantage tendance à tricher dans un jeu de pile ou face.

L'étude a été publiée dans la revue Nature par une équipe suisse et a été, disons, très abondamment commentée. En clair, on a demandé a des employés de banque, à des employés d'autres industries, et à des étudiants de jouer à un petit jeu d'argent. Ils lancent une pièce. Si c'est pile, ils gagnent quelque chose, si c'est face, ils ne gagnent rien. C'est eux qui notent comment la pièce est tombée, et ils ont donc la possibilité de tricher pour gagner plus d'argent. Dans le premier round les employés de banque sont aussi honnêtes que les autres. En fait, tous les groupes ont remarquablement peu triché parce que la pièce est, selon leurs notes, tombée sur le côté gagnant 51.6% des fois. A peine plus que le 50% attendu.

Mais ensuite, on leur demande de penser à leur rôle professionnel. On répète alors l'exercice et là, là les banquiers trichent nettement plus. Les employés d'autres branches et les étudiants, quand on leur demande de penser à leur rôle professionnel, ça ne fait pas de différence dans le 2e round, et quand on leur demande de penser à la banque non plus.

Les auteurs ont annoncé d'emblée qu'ils s'intéressaient à la banque en raison des critiques selon lesquelles la crise de 2008 serait due en partie à une culture malhonnête dans le secteur bancaire. Evidemment, les commentaires ont fusé. Ca va des réactions dans le style "Ah bon, vous aviez besoin de faire une étude pour ça?" aux commentaires de représentants de banques américaines qui ont dit que ces résultats ne concernaient pas leurs banques.

A lire les commentaires, personne n'est surpris. Les auteurs non plus. Ils attribuent l'effet à la culture de la banque et évoquent comme causes “la compétition attendue des employés de banque, l'exposition à des concours pour des bonus, des croyances sur ce que d'autres employés feraient dans des circonstances similaires, ou l'omniprésence de l'argent dans le questionnaire.” 
Ils ajoutent que "la culture dominante dans l'industrie de la banque affaiblit et fragilise la norme d'honnêteté; cela implique que des mesures pour ré-établir une culture honnête sont très importants."

Peut-être. Peut-être qu'effectivement nos préjugés sont vrais. Mais notons deux choses.

Premièrement, 16% de triche c'est beaucoup, oui, mais c'est insuffisant pour accuser en bloc tous les membres d'une industrie. Les auteurs, d'ailleurs, ne le font pas. Ils n'accusent pas tant les employés individuels d'être malhonnêtes que la branche dans laquelle ils travaillent de promouvoir une culture où la malhonnêteté est considérée comme moins grave qu'ailleurs.

Deuxièmement, ce type de phénomène où on observe un changement après avoir rappelé leur identité aux gens est en fait connu dans d'autres contextes. Si on donne des exercices de maths à des petits garçons et à des petites filles, les filles réussissent moins bien si on leur a fait colorier avant une petite scène où un garçon fait des maths au tableau pendant qu'une fille écoute, passive. On leur a rappelé un stéréotype sur les hommes, les femmes, et les maths, et elles ont ensuite tendance à s'y conformer. On appelle ça la menace du stéréotype

Alors, peut-être que les banquiers ne sont pas dans une culture de la malhonnêteté, mais partagent simplement le stéréotype général que c'est le cas? Peut-être que le même stéréotype est à la fois à l'origine de ces résultats et du fait qu'ils nous surprennent si peu?

Vous me direz peut-être que c'est finalement la même chose. Qu'il n'y a pas de fumée sans feu, et que si les banquiers pensent eux aussi que la banque est moins honnête et bien ils en savent quelque chose.

Sans doute. Mais la menace du stéréotype ne fonctionne pas sur nos connaissances elle fonctionne sur nos préjugés, qui souvent sont parfaitement inconscients. La petite fille qui réussi moins bien ses maths après qu'on lui ait 'rappelé' que les filles c'est moins fort en math, elle ne vous révèle pas une information privilégiée sur les capacités des fillettes. D'ailleurs, avant le coloriage, elle y arrivait très bien.

Une étude très intéressante, en tout cas. Lisez-là, faites-vous une idée, et voyons quelle suite elle aura.

[+/-] Lire le message entier...

Assistance au suicide: des positions médicales

L'Académie Suisse des Sciences Médicale vient de publier les résultats d'une étude auprès des médecins de notre pays. Pour la première fois, on leur a demandé, toutes spécialités confondues, leur position sur l'assistance médicalisée au suicide. C'est intéressant, ce qui en ressort. Voici le résumé et le lien: 

"Trois quarts des médecins ayant participé à l'enquête considèrent le suicide médicalement assisté comme fondamentalement défendable. Un peu moins de la moitié des répondants peuvent envisager des situations dans lesquelles ils seraient personnellement prêts à fournir une assistance à un suicide. Un bon quart des répondants tolèrent l'assistance au suicide sans toutefois être prêts à la fournir eux-mêmes. 
 L'étude est basée sur un échantillon de médecins suisses sélectionnés au hasard. Toutefois, compte tenu du taux de réponses, ces résultats ne peuvent pas être généralisés à l'ensemble du corps médical; ils pourraient refléter l'attitude de médecins intéressés par la thématique."

En très résumé, on retrouve parmi mes collègues des avis divergents et très nuancés. Ce qu'ils racontent, c'est ce qui découlent de la réalité qu'ils vivent aux côtés de leurs patients. Des voix à écouter, donc.

[+/-] Lire le message entier...

La médecine comme outil

Je voyage, je voyage, et j'en oublie de bloguer. Me voici de retour. Entre temps, on m'a demandé un billet pour le Bulletin des Médecins Suisses sur la médicalisation. Alors je vous met un extrait et le lien, comme d'habitude derrière le texte:

"Les facteurs qui poussent vers la médicalisation sont nombreux. On répond à la souffrance humaine, avec les moyens à notre disposition. Même lorsqu’ils ne sont pas adaptés, il reste difficile de ne rien faire. Les intérêts de presque tous convergent vers ‘plus de médecine’. Prescrire davantage, intervenir davantage, c’est souvent gagner davantage d’argent, pour les fabricants vendre plus de médicaments, pour les patients obtenir une réponse humaine à leur souffrance. Nos sociétés ont appris à attendre beaucoup de la médecine. Nous avons en fait même déjà résolu, ou du moins amélioré, de vrais problèmes sociaux. Les épidémies sont devenues rares et sont moins létales. Il est devenu extraordinairement rare de perdre sa mère lors d’un accouchement. On a confiance en la médecine, et on lui en demande davantage. Parfois trop, mais en tout cas les mécanismes de la médicalisation sont durables et rencontrent peu de résistance."

La médecine comme outil, en théorie c'est sans doute une évidence. En pratique: là est toute la question. Un sujet, peut-être, difficile à commenter. Mais dites-nous ce que vous en pensez....

[+/-] Lire le message entier...

Barrières financières à l'accès aux soins


Les 'barrières financières à l'accès aux soins', c'est le terme poli qu'on emploie pour dire que quelqu'un qui a besoin de voir un médecin ne peut pas se le permettre. Dans un système à couverture universelle, comme le notre, on est censé avoir largement ou complètement éliminé cela. Si nous payons tous les mois notre prime d'assurance maladie, c'est justement pour avoir ensuite accès aux soins dont nous avons besoin.


Et pourtant, dès qu'avoir recours à la médecine n'est pas entièrement gratuit cela tombe sous le sens que certains seront mis en difficulté. La quote part du patient prévue par notre système, d'ailleurs, repose là-dessus. Le but de faire payer quelque chose au malade lui-même, c'est de le faire 'réfléchir à deux fois'. On tente ainsi d'éviter des consultations superflues, en comptant sur chacun de vouloir dépenser son argent à bon escient seulement. Mais voilà, parfois on a si peu d'argent qu'à faire cette réflexion on conclu que voir un médecin est moins important que d'autres factures pressantes, même quand notre besoin est réel. On observe donc, chez nous aussi, qu'un taux de la population dit ne pas avoir été consulté alors qu'ils en auraient eu besoin, pour des raisons financières. Entre 11 et 14 pour-cent de la population interrogée en Suisse rapporte ainsi avoir renoncé à des soins pour raisons financières dans l'année écoulée. Si l'on se concentre sur la 'tranche' la plus pauvre ce chiffre monte en dessus de 30%.

C'est beaucoup, c'est peu? Une étude du Commonwealth fund vient de sortir et nous permet maintenant de nous comparer à d'autres systèmes de santé de pays riches. Les chiffres principaux sont dans l'image. Pour tous les pays indiqués, ils ne concernent que la population dont le revenu est en dessous de la moyenne nationale. En Suisse, 11% ont répondu qu'ils avaient eu besoin de voir un docteur mais n'avaient pas pu en raison des coûts. Si vous comparez, vous verrez que d'autres systèmes ont des résultats très différents, qui vont de 1% en Grande Bretagne à 39% aux Etats-Unis. La ligne suivante, c'est le pourcentage de personnes qui ont renoncé à faire les examens recommandés, à suivre la thérapie, ou à retourner pour le contrôle prévu. La troisième, ce sont ceux qui ont renoncé à acheter les médicaments prescrits ou qui ont sauté des doses, en raison des coûts. Etc.


Première conclusion: on ne s'en tire pas si mal. Pour certains paramètres on est même plutôt bons. Par exemple, seuls 3% ont répondu que le médecin qu'ils avaient vu était moyen ou mauvais. Petite tape sur l'épaule à mes collègues, là. Seuls 4% ont rapporté devoir attendre plus de 6 jours pour un rendez-vous. Même si on attend souvent trop longtemps dans un service d'urgence, en particulier quand notre angoisse commence à monter et monter, on s'en tire en fait mieux sur ce point en Suisse que dans presque tous les autres pays examinés. Sur d'autres points en revanche on est moins bon. On a plus souvent du mal à obtenir des soins le soir ou le week-end en Suisse qu'en Grande Bretagne. Sur les barrières économiques, on est 'moyens à plutôt mieux'. 

Mais la deuxième conclusion doit être que c'est un problème quand même. En payant tous la même prime, nous sommes censés payer tous le même prix pour le même service. Ce que révèlent ces chiffres, c'est que certains payent et ensuite n'ont pas. C'est d'autant plus injuste que c'est peut-être parfois parce qu'ils payent, parce que le budget devient très serré après avoir réglé l'assurance, qu'ensuite ils n'ont pas accès au service qu'ils sont censés avoir acheté.

[+/-] Lire le message entier...

Assistance au suicide: les paradoxes du 'modèle suisse'

C'était il y a quelques temps le moment de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, je vous mets un extrait et le lien. Dites-nous ce que vous en pensez...

Au printemps dernier, EXIT a fait les gros titres de la presse nationale en changeant ses critères pour accepter d’assister le suicide de personnes atteintes de «polypathologies du grand âge». Il n’y a bien sûr pas de statistiques si rapidement, mais à en croire les collègues qui reçoivent ces demandes il semble qu’il y ait eu depuis lors une augmentation du nombre de ces situations. Il semble aussi que cela mette ces collègues devant des problèmes difficiles.Je veux bien le croire. Face à une demande d’assistance au suicide, les cas dit «ordinaires» sont déjà délicats. Imaginez une personne atteinte d’une maladie terminale, d’un mal physique. Si cette personne vient à demander une assistance au suicide, nous serons sans doute d’accord qu’il faut commencer par discuter avec elle des alternatives qui pourraient lui rendre la vie plus supportable. La médecine, et plus spécifiquement les soins palliatifs, sont ici conviés comme tout naturellement. Avec une alternative décente, souvent (pas toujours mais souvent), on préfère en fait vivre.

[+/-] Lire le message entier...

Planning familial par l'employeur

Deux mots sur l'annonce récente que Facebook et Apple allaient offrir la congélation sociale des ovocytes à leurs employées. Cette technique, qui permet de préserver quand on a 20-30 ans ses ovules pour s'en servir plus tard dans une fertilisation in vitro.

Elle a à première vue des avantages, cette technique. De plus en plus de femmes retardent leurs grossesses. Suffisamment pour que l'âge moyen à la première grossesse soit en progression constante. C'est basé sur du réjouissant et du moins réjouissant. Réjouissant: retarder ses grossesses est un fruit de l'optimisme et de la prospérité. L'ethnologue Susan Blaffer Hrdy l'a décrit il y a déjà des années: les femmes, un peu partout, mettent la qualité avant la quantité. Si elles pensent que les circonstances de leur vie seront meilleures plus tard, elles auront tendance à attendre, pour donner à leur futur enfant de meilleures chances dans l'existence. Moins réjouissant: si ce sera mieux plus tard, parfois c'est parce que c'est vraiment difficile maintenant. Bien sûr, les moyens mis à disposition des parents pour s'occuper de leurs enfants - du temps libéré du travail rémunéré, des crèches, des aides - seront déterminants. Moins ils sont disponibles, plus il faut les payer de sa poche et cher, plus les grossesses risquent d'être retardées par des femmes qui se disent qu'elles seront plus tard plus riches ou moins précaires, et pas nécessairement dans une meilleure position pour avoir des enfants par ailleurs.

Alors maintenant l'annonce de Facebook et Apple. C'est à la surface un cadeau substantiel. Plusieurs dizaines de milliers de dollars, pour une technique qui aiderait vraiment des femmes à avoir des enfants dans des circonstances de plus en plus fréquentes: le recours à la FIV pour une grossesse tardive. Si on se base sur les statistiques, on devrait être contentes, non?

Evidemment, il y a aussi une face plus sombre. La mesure annoncée fait même tellement bien des erreurs tout à fait classiques que c'en serait presque drôle.

Problème 1: si on a des ovocytes congelés, peut-être n'est-il pas entièrement irrationnel de craindre plus de pression pour avoir des enfants plus tard. Une femme qui prend un congé maternité à mi-carrière est habituellement dans une situation que l'employeur va bien devoir tolérer. En essayant de l'affranchir de 'l'horloge biologique', il pourrait vouloir s'en affranchir aussi.

Problème 2: le but affiché de la mesure est d'aider les employées à planifier la coexistence de leur famille et de leur carrière. Mais alors pourquoi ne subventionner que ce moyen-là? Et la garde des enfants pour celles qui préfèrent la conception plus traditionnelle?

Problème 3: pourquoi uniquement les employées? Les hommes qui travaillent chez Facebook et Apple, on ne s'attend pas à ce qu'ils s'occupent de leurs enfants? La congélation des ovocytes de leurs femmes n'est semble-t-il pas incluse dans la mesure. Pour une raison to-ta-le-ment mystérieuse, il semble que faire coexister carrière et famille soit moins difficile pour eux.

Alors oui, c'est une offre qui pourrait, en surface, paraître libératrice; sembler donner aux femmes concernées une option désirable et onéreuse, qui leur devient ouverte alors qu'elle le serait moins autrement. Et c'est peut-être vrai dans certains cas.

Mais en même temps, il faut beaucoup de confiance en son employeur pour ne pas y voir le risque de subir des pressions plus lourdes, et pour corser le tout c'est une confirmation par ceux qui sont censés soutenir la carrière des femmes que, ben oui, même eux s'attendent à ce que ce soit d'abord elles qui s'occupent de leurs familles.

Presque drôle, je vous le disais. D'ailleurs, The Onion, un des meilleurs journaux satyriques du web, a fait un commentaire délicieusement politiquement incorrect: "Facebook Offers To Freeze Female Employees’ Newborn Children". Ca finit même sur l'annonce tout aussi fictive qu'ils vont maintenant commencer à offrir un programme pour 'congeler les partenaires de leurs employées en attendant qu'ils soient prêts à être pères'.

Bref, le débat fait rage. Progrès ou menace? Promotion des carrières des femmes ou confirmation que c'est à elles d'élever les enfants? Aide pour celles qui veulent une carrière et une famille, ou signal que dans cet environnement il faut attendre d'avoir 'réussi' pour faire des enfants?

Et vous, vous en pensez quoi?

[+/-] Lire le message entier...

Mes collègues: sponsoring pharmaceutique de la formation continue

Arnaud Perrier a écrit un très bel éditorial dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, un extrait et le lien (derrière le texte):

«La vertu a cela d’heureux qu’elle se suffit à elle-même»Jean de la Bruyère/ Tiré de La Condition humaine.La formation continue des médecins constitue aujourd’hui un enjeu considérable. Or, force est de constater que, malgré le travail de clarification remarquable fait pas l’Académie des sciences médicales (ASSM) au sujet du partenariat toujours délicat entre les médecins et l’industrie pharmaceutique[*], elle continue à être fortement influencée par les pharma. Quelques chiffres pour illustrer l’importance du phénomène. Le marché du médicament pèse annuellement environ 450 milliards de francs suisses (chiffre d’affaires 2012). Selon la plupart des estimations, 25-30% de ce chiffre d’affaires sont consacrés au marketing, soit en gros le double des sommes investies dans la recherche et le développement. Qu’est-ce qui justifie ces investissements colossaux ? Cela se résume en une phrase : There is no such thing as a free lunch.1 Toutes les études le montrent : le sponsoring de la formation continue par l’industrie influence le comportement de prescription du médecin.

Revenez après nous dire ce que vous en pensez dans les commentaires...

[+/-] Lire le message entier...

Ebola (3)

Hier soir dans une rue comme les autres à Montréal, une dame qui - comme les autres- parlait dans son téléphone: "Oh le pauvre! Mais dis: il ne revient pas du Libéria n'est-ce pas...?"

On pourrait se dire que voilà à quoi ressemble le début d'une panique, mais ce serait oublier que les paniques ne frappent pas toujours au hasard. Je vous ai parlé des questions soulevées par les traitements de l'Ebola dans deux des derniers billets. Mais la question centrale n'est en fait pas du tout là. L'enjeu central de notre réponse au virus Ebola n'est ni la recherche clinique, ni la recherche fondamentale. Non, l'enjeu central est que voilà un virus qui vit de nos contacts les plus fondamentaux, et qui en les rendant contagieux les fragilise.

Imaginez-vous cette dame au téléphone. Son amie ne sait plus trop bien. Mais leur ami commun vit seul. Il est malade. Il a besoin qu'on lui fasse ses courses. Ira-t-elle? En saison de grippe, sans doute oui. Alors même que la grippe est contagieuse et tue chaque année un certain nombre de personnes fragilisées. En 'saison' de peur de l'Ebola, ira-t-elle chez une personne qui 'peut-être' revient du Liberia? Alors que l'on sait que le virus ne se transmet pas par l'air, mais seulement par les contacts de liquides biologiques? Vous pariez quoi, vous?

C'est là une de ses tragédies. En passant d'une personne à l'autre par les gouttelettes et les liquides, il frappe ceux qui s'occupent des victimes. Qui les tiennent quand ils toussent. Qui, comme dans les films, épongent la sueur de leur front. C'est un virus qui profite de notre humanité, qui prolifère dans la vague de notre compassion. Et qui du coup menace bien plus que nos vies: la peur de la contagion menace nos liens, nos groupes, qui nous sommes. On imagine tout de suite comment cette peur, même en l'absence du virus lui-même, peut suffire à dissuader la solidarité la plus basique.

Maintenant ajoutez que le serum des survivants est un traitement prometteur, et vous avez toutes les briques d'un roman sur la solidarité humaine, et aussi sur ses travers. Et vous l'aurez deviné: ce serum, qui peut être un magnifique véhicule de solidarité entre les malades et les survivants, est aussi en même temps déjà sur la marché illégal.

Pour couronner le tout, ce virus révèle aussi les failles parfois profondes de nos organisations sociales. Comme l'a dit récemment l'OMS dans un communiqué qui récapitule quelques vérités difficiles, les pathogènes dangereux exploitent les systèmes de santés faibles. Et ce problème ne concerne pas seulement les pays d'Afrique de l'Ouest. Ca concerne aussi l'Espagne, entre autres.

Ebola est un miroir de nos interactions. La manière de l'interrompre, la quarantaine, n'est pas techniquement compliquée. Mais la rendre efficace nécessite un petit trésor de sensibilité sociale. Dans sa plus simple expression (pour faire simple et brutal: on vous prend, vous disparaissez derrière une porte close, on ne peut plus communiquer avec vous, et il y a de fortes chances que vous sortiez mort), on voit très bien comment elle peut être vouée à l'échec. Elle est pourtant réalisable de manière plus 'humaine', c'est-à-dire plus consciente de notre besoin de maintenir nos contacts, nos liens. La panique, comme souvent, n'est pas entièrement rationnelle non plus: l'épidémie peut être interrompue.

L'enjeu principal de l'épidémie d'Ebola est donc sans doute là: en se multipliant à la faveur de ce que nous avons de meilleur, il agit aussi comme un révélateur du ... nettement moins meilleur, on va dire, dont nous sommes aussi capables. Les personnes qui vivent dans des régions endémiques le savent. Survivre à une épidémie, c'est bien sûr d'abord rester en vie. Mais ce n'est jamais 'que' cela. Il va falloir arriver de l'autre côté en ne s'étant pas mutuellement fait trop de choses impardonnables. Ce ne sont pas seulement nos personnes physiques qui sont en jeu. Ce sont nos liens sociaux, nos liens personnels, le fonctionnement de nos institutions, et ce que notre réponse à l'épidémie révèle sur qui nous sommes.

[+/-] Lire le message entier...

Une philosophe: Onora O'Neill

Quand on pense 'philosophe', beaucoup de gens s'imaginent un homme. Vieux. Mort. Avec une barbe. Certainement, pour beaucoup de gens sous nos climats, cet homme est blanc. Certains ajouteraient peut-être même 'grec'. Alors de temps en temps je vais vous présenter des vrais exemples de philosophes qui ne correspondent pas à ce cliché. Pour vous montrer comme c'est facile, je vais me limiter strictement à ceux qui travaillent sur des sujets pertinents pour la bioéthique. On commence aujourd'hui avec une femme. En l'honneur du vote écossais qui maintient le Royaume Unis, je vous présente une Britannique.

Onora O'Neill est une grande dame de la philosophie britannique. C'est une élève de John Rawls, qui a enseigné à Cambridge et qui s'est engagée en politique. Evidemment, elle est Irlandaise du Nord. Une autre partie de l'Union dont l'appartenance ne va pas toujours de soi. Cela rend encore plus pertinent ce qu'elle dit ici, car il s'agit de la confiance. Allez voir la vidéo, et ensuite revenez nous dire ce que vous en avez pensé.

[+/-] Lire le message entier...

Les femmes et les enfants d'abord?

Troublant, cet article du Guardian il y a quelques temps. Il semble que lors de certaines catastrophes naturelles, ont ait pris la peine de regarder non seulement combien de personnes avaient été blessées ou tuées, mais aussi qui était frappé. Conclusion: les femmes et les enfants sont massivement sur-représentés parmi les victimes. 


Lors du tsunami de 2004, par exemple, les femmes étaient jusqu'à quatre fois plus nombreuses parmi les victimes et dans certains villages toutes les victimes étaient des femmes. On apprend moins aux fillettes à nager et grimper aux arbres, et sur moment comme cela peut sembler innocent... On a l'habitude de voir les femmes plus souvent à la maison, ici près de la côte, et leurs hommes plus souvent au travail, ici plus loin de la mer. Les enfants, quand à eux, étaient avec elles. Le résultat est malheureusement mathématique. Et on se demande évidemment après coup comment il est possible que des fillettes qui vivent au bord de l'eau ne sachent pas nager. Mais après-coup, c'est trop facile.

Attendez, me direz-vous. C'est quoi cette conclusion basée sur un seul exemple? Il y a forcément aussi des cas où cela doit être l'inverse non? Peut-être avez-vous raison. Mais justement on ne le sait pas. Les exemples de situations où l'on a compté les victimes avec ce degré de détail restent exceptionnels. On peut comprendre: en cas de catastrophe, compter les caractéristiques des victimes peut paraître un peu futile devant la masse d'autres choses à faire d'urgence. 

Mais un des messages importants ici est que les conséquences des catastrophes naturelles, eh bien elles ne sont pas entièrement naturelles. Même si on ne sait pas prévenir le prochain tsunami, la prochaine tornade, il y a en fait pas mal de choses que l'on peut faire pour en alléger les conséquences humaines. Et pour cibler ces efforts de prévention, des données plus détaillées pourraient être essentielles.  Une bonne cause, donc.

[+/-] Lire le message entier...

Ebola (2)


La question de l'utilisation de traitements expérimentaux face à l'épidémie d'Ebola est la plus commentée, sans doute, mais ce n'est pas la plus importante. Car au fond, pourquoi a-t-on si peu de thérapies candidates, et si peu de recherche sur un vaccin efficace? Une des raisons est sans doute qu'il s'agit largement d'un problème de santé 'non lucratif'. Si l'on accepte d'être pour un moment parfaitement cyniques, il faut admettre que les populations concernées ne le sont que par intermittence, que les malades ne le sont que peu de temps (ils guérissent ou meurent vite), et qu'en plus ce sont surtout des personnes avec peu de moyens (personnels ou par l'assurance) pour payer des soins. Bref, le marché n'est pas, en temps normal, très porteur. Même si des thérapies candidates existent, ne l'oublions pas, elles seraient peut-être bien plus nombreuses et plus avancées si cette maladie représentait un marché plus durablement porteur.

Sans doute trouvera-t-on ici des critiques de l'industrie pharmaceutique, qui aurait suivi d'un peu trop près son intérêt matériel. Certaines sont excellentes. Allez par exemple écouter En ligne directe les interventions du responsable du dossier à la Déclaration de Berne.

Cette critique risque cependant toujours d'avoir un côté simpliste. On compte sur l'appât du gain pour motiver l'innovation dans le secteur pharmaceutique. Lorsqu'elle agit sur cette base, l'industrie pharmaceutique ne fait rien d'autre que ce que l'on attend d'elle. Vouloir que l'envie de gagner plus joue ce rôle, mais en même temps qu'il soit mis de côté lorsque le résultat ne nous plait pas, c'est un peu vouloir le beurre et l'argent du beurre.

Alors comment faire? Peut-être commencer par sortir de la logique du tout ou rien. Ces dernières années, la recherche sur les maladies négligées a  augmenté. Cela n'a pas été par une conversion des industries à la morale publique. C'était grâce à l'augmentation des sources de fond pour payer les traitements qui existeraient. Lorsque l'appât du gain écarte l'industrie d'un objectif qui nous importe, la réponse adéquate serait soit de faire en sorte que ce que nous voulons soit dans les intérêts d'une industrie, soit de confier le mandat à quelqu'un d'autre. Tant que nous ne faisons ni l'un ni l'autre, en fait c'est un peu à nous-même que nous devons nous en prendre...

[+/-] Lire le message entier...

La circulaire sur les 'mauvais payeurs'

Lorsque je travaillais aux Etats-Unis, les services d'urgence n'étaient tenus que de traiter les cas urgents lorsque les patients n'avaient pas d'assurance maladie. En Suisse, nous sommes censés avoir réglé cela. La LAMal est fondée sur le principe de solidarité, l'assurance maladie est obligatoire, chacun doit avoir accès aux soins.

Sauf que, on l'a vu cette semaine, notre excellent système a parfois des failles. Ici, la circulaire informant les médecins de leur droit à ne pas soigner les 'mauvais payeurs': ceux qui ne s'acquittent pas dans les temps de leurs primes d'assurance maladie.

Elle est problématique a plus d'un titre, cette circulaire. Les auteurs l'on d'ailleurs vu puisqu'ils tentent maintenant de corriger le tir en niant l'instruction de ne pas soigner ces patients. Voici leur texte:

"Selon les médias, dans sa lettre d'information d'août 2014, SASIS SA demande aux médecins, au nom des assureurs-maladie, de refuser les patients qui figurent sur les listes cantonales selon l'art. 64a LAMal. 
Cette interprétation des médias ne correspond pas aux faits. Sur mandat des cantons, SASIS SA met à disposition des fournisseurs de prestations médicales une solution technique pratique pour consulter les listes cantonales des mauvais payeurs (LMP). Depuis l'année dernière, plusieurs cantons (SH, GR, TI, ZG, AG, SO, LU et SG) participent à cette solution informatique liée à l'art. 64a LAMal, laquelle a été initiée par la communauté d'intérêts LPM des cantons. Cette dernière a chargé SASIS SA de signaler l'existence de cette solution technique aux fournisseurs de prestations médicales car les mauvais payeurs peuvent également bénéficier de prestations médicales hors canton. Nous tenons à préciser que santésuisse n'est pas à l'origine de cette information."

Cette clarification est bienvenue, évidemment, mais le texte original disait tout de même que: "Les personnes figurant sur la liste des assurés en défaut de paiement peuvent uniquement bénéficier de traitements d'urgence"

Cela ressemble quand même à s'y méprendre à une instruction de ne pas soigner hors de l'urgence, ça.

Alors oui, c'est problématique à plus d'un titre. Le premier problème est bien sûr la confusion entre couverture d'assurance et soins de santé. Dans certains cantons, les assureurs peuvent ne plus rembourser les factures médicales des patients fichés. Mais ils ne peuvent évidemment pas demander qu'ils ne soient plus soignés.

Ensuite, de deux choses l'une: soit un 'mauvais payeur' est en difficulté financière réelle, soit il resquille. Dans le premier cas, notre système est censé prévoir des mécanisme pour l'aider. Dans ce cas, donc, c'est donc d'abord le canton dont dépendent les subsides de primes qui serait un 'mauvais payeur'. Dans le second cas, la personne qui choisirait de ne pas payer ses primes alors qu'elle en a les moyens mériterait certes des sanctions. Mais quelles sanctions? Refuser le remboursement des prestations punit le prestataire davantage que l'assuré, et ça c'est aussi un problème.

Refuser le remboursement implique bien sûr une pression sur les prestataires, qui pourront avoir davantage tendance à refuser les soins. Ils en ont techniquement le droit en dehors de l'urgence, car un médecin en pratique privée peut choisir qui il accepte de soigner. La déontologie médicale requiert cependant que tout patient soit soigné indépendamment de ses moyens financiers, un principe inscrit dans le code de la FMH. S'abstenir dans ces cas est donc également problématique.

Finalement, qu'en est-il de la protection des données? On considère en Suisse comme 'sensibles' les données sur "les poursuites et sanctions pénales et administratives". La diffusion de cette liste
est autorisée par la LAMal. Mais c'est problématique. En effet, quel but remplit cette autorisation? Si les médecins, qui après tout n'ont pas pour tâche de faire payer les primes, ne doivent pas non plus limiter les soins aux mauvais payeurs, le seul but semblerait être de les avertir qu'ils risquent le non remboursement. Il s'agirait donc de la divulgation d'une information sensible, dans le but d'avertir des soignants qui n'ont rien fait de mal qu'ils risquent de subir les conséquences des manquements d'autrui.

Je vous le disais, problématique à plus d'un titre...

[+/-] Lire le message entier...

Ebola (1)

Les épidémies menacent nos vies. Nos vies physiques parfois, mais lorsqu'elles le font elles menacent aussi ce qui fait nos vies: nos collectivités, nos rapports entre nous, nos images de ce qui est ou n'est pas acceptable.
Autour d'une urgence grave, il arrive que l'on se repose ainsi des questions qui sont en fait familières.

L'épidémie d'Ebola ne fait pas exception. Un des enjeux dont on a le plus parlé est le suivant: lorsqu'il n'y a pas de traitement dont l'efficacité serait prouvée, comment gérer l'administration d'un traitement dont on connait mal les effets? Quel degré de connaissance doit-on avoir sur une thérapie avant d'oser l'administrer à des personnes?

Lors d'une urgence sanitaire catastrophique, on peut avoir tendance à se dire que tout est bon à tenter. Mais la question reste en fait difficile. Certaines interventions font plus de mal que de bien, et ce serait bien sûr gravissime dans une épidémie pareille. Certaine interventions n'aident pas, et détournent du coup les efforts d'autres choses que l'on pourrait faire avec plus d'effet.

Sur ce point, l'OMS a publié des recommandations. Elles ont fait l'objet d'une discussion internationale très étendue et disent en substance:


  • Il est licite d'administrer un traitement dont l'efficacité et les risques ne sont pas encore démontrés, si c'est fait de manière transparente et que la personne concernée et sa communauté sont d'accord. 
  • Il faut partager l'expérience qui en résulte. En d'autres termes, à mesure que l'on en sait davantage il faut que toutes les personnes concernées en sachent effectivement davantage.
  • Idéalement, il faudrait faire de vraies études avec un protocole et une méthodologie solide, pour en savoir plus le plus vite possible.

Les traitements dont il s'agit en premier lieu n'existent qu'en très petite quantité et ne peuvent pas être produits à plus large échelle rapidement. On ne va donc pouvoir faire ni beaucoup de bien ni beaucoup de mal en les utilisant. Même s'ils s'avèrent très efficaces, ils seront d'un effet marginal simplement par manque. D'autres interventions sont cependant proposées. L'une serait de perfuser aux malades des anticorps prélevés chez les personnes ayant guéri. Cette intervention n'est pas non plus prouvée. On en connait un peu mieux certains de ses risques, mais cela reste expérimental. C'est semblable pour une autre question proche, mais pas identique: quel degré de connaissance doit-on avoir avant de tester un vaccin ? Là, il s'agirait d'administrer une substance encore peu connue à des personnes saines, mais à fort risque de développer une maladie grave. Là encore, la difficulté est d'estimer combien de connaissances sont nécessaires pour se permettre cela.

Cette question est difficile, mais elle n'est pas entièrement nouvelle en fait. On appelle 'essai thérapeutique' ou 'tentative thérapeutique' ces situations cliniques où l'on arrive au bout des thérapies démontrées, et où il y a des raisons de penser qu'une intervention supplémentaire pourrait apporter quelque chose mais sans que cela soit prouvé et sans qu'aucune étude en règle sur la question ne soit ouverte. Lorsqu'aucun traitement démontré existe, on admet qu'on a le droit de tenter la chose bien sûr. Mais il est très important d'être clair sur ce que l'on fait. Le patient qui consent à un tel traitement doit savoir qu'il n'est pas démontré. Il doit être d'accord. Le médecin doit estimer que ce n'est pas contraire à l'intérêt du patient. Que le traitement ne lui fera pas plus de mal que de bien.

Alors ici, sans doute aurait-il été préférable d'y réfléchir plus à l'avance. Après tout, même si on ne savait pas quand une épidémie allait frapper, on savait qu'elle frapperait tôt ou tard. Les propositions de l'OMS sur la question des traitements expérimentaux sont cependant raisonnables, et reprennent ce qui est recommandé dans ces cas. 

[+/-] Lire le message entier...

Nos idées irréalistes de la mort...

Un très bel article dans le Washington post de la semaine passée. Un sujet difficile, mais un très bel article. A lire tranquillement, quand il fait beau et qu'on a le temps de pondérer des choses tristes mais importantes. Son titre est 'Nos idées irréalistes de la mort, vue à travers les yeux d'un médecin'. L'image aussi est très belle, je vous la remets donc avec la source.

La vérité avec laquelle l'auteur de cet article décrit les choses est, en guise d'avertissement, parfois un peu brutale. C'est vrai. Et il parle de situations de maladie très avancée, et ses propos ne s'appliqueront pas dans tous les cas de maladie grave, ni dans tous les cas de maladies chez des personnes très atteintes ou très âgées. En plus certains passages, vous verrez, ne s'appliquent pas tels quels en Suisse. Mais il touche souvent juste. Et ce sont des sujets trop peu abordés dans les media, et sur lesquels la clarté qu'on trouve ici est bienvenue. J'ai commencé par vouloir vous traduire un (long) extrait en vous donnant le lien, mais de fil en aiguille j'ai fini par quasiment tout traduire. 

Si vous avez une expérience personnelle et que vous êtes d'accord de la raconter en commentaire, elle sera évidemment très précieuse.

Voilà donc:

Je sais où va ce coup de fil. Je suis dans un couloir d'hôpital et un médecin des urgences me parle d'un patient âgé qui a besoin d'être hospitalisé. Ce patient est nouveau pour moi, mais son histoire est familière: il a plusieurs maladies chroniques - insuffisance cardiaque, des reins affaiblis, une anémie, une maladie de Parkinson, une démence débutante - toutes plus ou moins contrôlées par une poignée de médicaments. Il est tombé plus souvent, et son appétit diminue. Maintenant, une attaque cérébrale menace de faire tomber son château de cartes.

Avec le médecin des urgences, nous discutons brièvement de ce qui peut être fait. L'attaque a fait monter la tension artérielle du patient à un niveau astronomique, aggravant son état cardiaque et maintenant aussi celui de ses reins. L'attaque est suffisamment sérieuse pour que, avec la maladie de Parkinson en plus, il ne marche sans doute plus jamais. Chez un patient âgé avec un tissu de problèmes médicaux, les complications de toutes les interventions envisageables sont souvent importantes et les bénéfices pour lui faibles. C'est un échec-et-mat médical: toutes les stratégies se termines par une abdication.

Je me dirige vers les urgences. Si j'ai de la chance, la famille acceptera la nouvelle que, à une époque où nous sommes capables de séparer des jumeaux siamois et de réattacher des jambes coupées, les personnes continuent de s'user et de mourir de vieillesse. Si j'ai de la chance, la famille reconnaîtra que la personne qu'ils aiment s'approche de la fin de sa vie.

Mais je n'ai pas toujours cette chance. La famille pourrait me demander d'utiliser mes superpouvoirs de médecin pour pousser le corps fatigué de ce patient encore un peu plus loin sur la route, sans trop se demander si la souffrance ajoutée ainsi en vaut la peine. Pour beaucoup d'Américains, les progrès de la médecine moderne ont fait ressembler la mort à une option plus qu'à une obligation. Nous voulons que les personnes que nous aimons vive le plus longtemps possible, mais notre culture s'est mise à voir la mort comme un échec de la médecine plutôt que comme la conclusion naturelle de la vie.

Ces attentes irréalistes commencent souvent par une surestimation du pouvoir de la médecine pour prolonger la vie. C'est un malentendu encouragé par l'augmentation énorme de l'espérance de vie au cour du siècle dernier. En entendant que l'espérance de vie aux Etats-Unis était de 47 ans en 1900 et de 78 ans en 2007, on pourrait conclure qu'il n'y avait pas beaucoup de personnes âgées dans l'ancien temps, et que la médecine moderne a inventé le grand âge. Mais l'espérance de vie moyenne est faussée par la mortalité infantile, et les taux de mortalité infantile étaient élevés à l'époque. En 1900, environ 100 nouveau-nés mourraient pour 1000 naissances. En 2000, le taux était de 6.89.

La diminution la plus importante est venue dans la première moitié du siècle, de mesures de santé publique simples comme des améliorations de l'hygiène et de l'alimentation. Ce ne fut pas la chirurgie à coeur ouvert, les IRM, ou la médecine sophistiquée.  (...) Malgré toute sa complexité technologique et ses coûts importants, la médecine moderne pourrait être en train de compliquer la fin de vie plus qu'elle ne prolonge ou améliore la vie.

(...) Un autre facteur dans notre déni de la mort est plus en lien avec les changements démographiques que médicaux. L'exode massif de notre pays hors des campagnes et de l'existence agricole vers un mode de vie plus urbain signifie que nous avons aseptiquement laissé la mort et le monde naturel derrière nous. A la fin du 19e siècle, 80% des américains vivaient dans les campagnes. En 2010, 80% vivent dans des villes.

Pour la plupart d'entre nous qui vivent avec des trottoirs et des éclairages publiques, la mort est devenue un événement rarement vu et étranger. (...) Les poulets que la plupart des personnes mangent viennent dans un emballage plastique et pas au bout d'une hache. Les fermiers que je soigne ne sont pas plus pressés de mourir que mes patients citadins, mais quand la mort vient ils la connaissent. Ils l'ont vue, sentie, eue sous leurs ongles. Une vache qui meurt n'est pas la même chose qu'une personne qui s'approche de la mort, mais vivre à la campagne renforce notre compréhension que tout ce qui vit mourra un jour.

L'urbanisation de masse n'a pas été la seule chose qui nous a aliéné du cercle de la vie. La prospérité croissante nous a permis d'isoler le vieillissement. Avant les EMS, les centres de vie assistée, et les soins à domiciles, les grands-parents, leurs enfants, et leurs petits-enfants vivaient souvent sous le même toit et les difficultés de tous étaient visibles à l'oeil nu. En 1850, 70% des personnes âgées blanches vivaient avec leurs enfants. (...) Aujourd'hui, c'est seulement 16%. Séquestrer nos personnes âgées empêche la plupart d'entre nous de savoir ce que c'est que de vieillir.

Cette distance physique et émotionnelle devient évidente lorsque nous devons prendre les décisions qui accompagnent la fin de la vie. La souffrance est comme un feu: ceux qui sont assis le plus près sentent mieux la chaleur; une image d'un feu ne donne pas chaud. C'est pour cela que c'est typiquement le fils ou la fille qui a été physiquement le plus proche de la douleur d'un parent âgé qui est plus prêt(e) à lâcher prise. Parfois, un membre de la famille éloigné va 'venir par avion la semaine prochaine pour s'occuper de tout ça.' C'est généralement la personne qui connait le moins bien la santé et les difficultés de son parent; elle aura des problèmes à vouloir amener son cheval blanc comme bagage de cabine. Cette personne pense sans doute qu'elle agit par compassion, mais une grande partie de ce qui l'a conduite dans l'avion est la culpabilité et le regret de vivre loin et de ne rien avoir porté les charges qui viennent avec les soins à un parent âgé.

Avec des attentes irréalistes sur notre capacité à prolonger la vie, avec la mort comme événement inconnu et 'contre-nature' , et sans un sens réaliste, tactile, de combien un patient âgé est en train de souffrir, il est facile pour les patients et leurs familles de demander toujours plus d'examens, plus de médicaments, plus d'interventions.

Nous nous sentons souvent mieux lorsque nous faisons quelque chose que lorsque nous ne faisons rien. L'inaction nourrit l'impression d'être démunis, et coupable, que ressentent déjà souvent les proches lorsqu'ils se demandent "Pourquoi ne puis-je pas faire plus pour cette personne que j'aime tant?"

Vouloir tenter toutes les formes de traitement médical pour soulager ce sentiment de culpabilité est aussi une forme d'assurance-vie émotionnelle. Lorsque leur proche mourra, les membres de sa famille pourront se dire que "nous avons fait tout ce que nous avons pu pour Maman". Dans mon expérience, c'est un besoin plus important que l'admission tout aussi valable (et parfois plus honnête) que "nous avons vraiment fait traverser l'enfer à Papa ces quelques derniers mois".  

Il vient un stade de la vie où un traitement médical agressif peut se transformer en torture légalement admise. Quand un cas de ce type survient, les infirmières, les médecins, les thérapeutes sont en crise de conscience et se sentent immoraux. Nous nous sommes engagés à soulager la souffrance, pas à la  causer. Une infirmière à la retraite m'a un jour écrit: "Je suis heureuse de ne plus avoir à faire de mal à des personnes âgées." 

Lorsque des familles parlent de laisser une personne aimée mourir 'naturellement', elles veulent souvent dire 'dans son sommeil' - pas d'une maladie curable comme une attaque, un cancer, ou une infection. Choisir de laisser mourir une personne qu'on aime en ne traitant pas une maladie ressemble à une sorte de complicité; à l'inverse, choisir un traitement qui le poussera vers plus de souffrance nous donne l'impression de prendre soin de lui. Bien sûr, il est facile de comprendre les souhaits de ces proches. Mais ils ne se rendent pas compte que très peu de personnes âgées ont la chance de mourir dans leur sommeil. Presque tous, nous mourrons de quelque chose.

Des amis proches ont pris leur père, qui combattait une démence, pour vivre avec eux pour ses dernières splendide et difficiles années. Là, il l'ont aimé complètement à mesure que la maladie d'Alzheimer prenait son sombre tribut. Ils ne regardaient pas la carte postale d'un feu; ils se sont fait brûler les sourcils par la chaleur. Quand une pneumonie est finalement venue le prendre, ils étaient prêts à le laisser partir. 

[+/-] Lire le message entier...

Analyses génétiques et calcul des risques

La radio nous en informe ce matin: des caisses maladies lancent une demande pour obtenir les données génétiques des personnes qui souhaitent contracter auprès d'elles une assurance complémentaire.  La nouvelle aurait été relayée par la NZZ am Sonntag, mais là je n'arrive pas à trouver le lien donc je renonce: soyez gentils et mettez-nous le lien si vous le trouvez.

C'est une question intéressante, au fond. On sent bien qu'il y a un problème, mais où est-il exactement? Dans le danger pour le secret médical? Pas vraiment: c'est le patient qui révèle son information et il en a toujours le droit. L'assureur n'a pas le droit d'exiger cette information, certes, mais comme il n'a pas non plus l'obligation d'accepter qui que ce soit dans l'assurance complémentaire il aura beau jeu d'échanger l'accès à l'assurance contre l'accès aux données. La raison avancée semblerait même relativement raisonnable: si un client potentiel connaît son patrimoine génétique, et qu'il le cache à l'assureur, alors il y aura entre eux une asymétrie d'information et c'est problématique.

Alors où est le problème? D'abord peut-être, on aimerait que cette symétrie d'information aie la même importance quand l'asymétrie va dans l'autre sens. Mais plus fondamentalement, il s'agit ici de donner aux assureurs les moyens de mieux préciser le risque d'une personne. Et ici, si on est gêné, cela mérite un commentaire. Car cerner et chiffrer le risque est en quelque sorte le métier des assureurs. C'est leur compétence, leur savoir-faire, leur raison d'être. Dans la plupart des formes d'assurances, ils s'en servent pour stratifier le risque. Si vous avez une voiture chère à réparer, tout le monde trouve parfaitement normal que vous payez plus cher votre assurance pour cette voiture.

Mais c'est là que le bât peut commencer de blesser. Car dans l'assurance maladie, on ne trouve pas normal de payer plus cher son assurance si on a un corps plus cher à soigner. La solidarité joue, nous devons tous avoir accès aux mêmes soins sur la base de notre prise en charge collective du risque pour notre santé. Notre fragilité biologique commune, notre soutien à l'idée que notre futur doit rester ouvert, tout cela concorde à nous faire prendre en charge collectivement, et solidairement, les soins de santé.


Mais minute, direz-vous... Çà, c'est la logique de l'assurance de base! Dans l'assurance complémentaire, justement, les caisses ont parfaitement le droit de préciser et de stratifier les risques. L'assurance complémentaire, justement, n'est pas censée donner accès à des soins nécessaires et qui ne seraient pas accessibles dans l'assurance de base. Aucun problème, donc. C'est juste un jour de travail comme les autres, circulez il n'y a rien à voir!
Pourquoi, dès lors, sommes-nous inquiets? C'est peut-être parce qu'une nouvelle comme celle-là nous rappelle que ce n'est que dans l'assurance de base que nous avons tous accès aux mêmes prestations. Elle nous rappelle aussi qu'être exclu de l'assurance complémentaire est une loterie. Il est parfaitement possible d'avoir les moyens de s'assurer au meilleur niveau, et puis ooops....plus possible parce que l'an dernier j'ai envoyé par curiosité cet échantillon à une succursale de google qui m'a informé sur mes risques génétiques.

Du coup, c'est peut-être justement là qu'est l'aspect le plus intéressant de cette nouvelle. A chaque fois qu'on nous rappelle que l'assurance complémentaire peut devenir hors de portée, on nous rappelle aussi que notre futur dépendra un jour de la solidité de l'assurance de base. On nous rappelle aussi que nous sommes, finalement, dans le même bateau sur ce chapitre. Quels que soient nos moyens financiers.

[+/-] Lire le message entier...

Fin de vie à l'anglaise...

Cette fois, c'est la Grande Bretagne qui débat de la légalisation de l'assistance au suicide. La Cour suprême a conclu le mois dernier que la justice avait le droit de déclarer l'interdiction du suicide assisté incompatible avec les droits humains, et une motion a été mise devant le parlement et débattue par la chambre des Lords la semaine passée. Un groupe de médecins s'est prononcé en faveur de cette motion, suite de quoi l'Association des Médecins Britanniques a réaffirmé son opposition. Même les églises sont divisées. Alors qu'elles se sont traditionnellement opposées à l'assistance au suicide, voilà que des revirements apparaissent. Un ancien évêque de Canterbury s'est prononcé en faveur de la motion, en contrastant "les vieilles certitudes philosophiques" à "la réalité de la souffrance inutile". Même Desmond Tutu s'est prononcé, déclarant qu'il "révérait le caractère sacré de la vie, mais pas à n'importe quel prix"

Il est intéressant à suivre, ce débat. Et par certains côtés il nous parle bien sûr aussi de nous. La législation proposée devant les instances britanniques autoriserait l'assistance au suicide, mais pas l'euthanasie: la personne qui veut mourir devrait pratiquer elle-même le geste ultime. Cette personne devrait être capable de discernement: l'autorisation ne concernerait donc pas les suicides pathologiques, les compulsions suicidaires causées par la maladie mentale. La personne devrait aussi être en état de maladie terminale, définie comme une maladie incurable dont on attend "raisonnablement" qu'elle soit mortelle dans les six mois. Un professionnel de la santé devrait être présent lors du suicide assisté, mais cela n'aurait pas besoin d'être un médecin. Un médecin devrait en revanche certifier que les conditions légales sont requises, et prescrire la substance létale.

Une propositions avec des points communs et des divergences par rapport à notre situation Suisse, donc. Premièrement évidemment, l'autorisation de l'assistance au suicide sans autorisation de l'euthanasie active. Les Britanniques exigeraient cependant la participation de professionnels de la santé, contrairement à nous. Comme nous pourtant, ils distingueraient la prescription létale de l'assistance à proprement parler, et n'exigeraient pas qu'un médecin pratique l'assistance le jour même. Ils exigeraient comme condition un état de maladie terminale. En Suisse, l'Académie Suisse des Sciences Médicales fait de même, mais ni la législation ni la pratique des associations ne l'exigent. C'est un des points de débat dans notre pays



La situation en Suisse influence évidemment le débat britannique. Actuellement, l'interdiction de l'assistance au suicide en Grande Bretagne pousse chaque année un certain nombre de personnes en fin de vie à prendre 'un aller-simple pour Dignitas'. Ils viennent en Suisse pour y mourir. Les proches qui les accompagnent n'ont souvent pas de garantie légale d'échapper aux poursuites. Même si aucun cas de sanction contre des individus n'a été répertorié dans ces cas, la crainte de devenir complice en étant là, en tenant la main d'une personne aimée, en acceptant sa tête sur son épaule, n'est jamais bien éloignée. Changer la loi anglaise signifierait, entre autres, permettre à ces personnes de mourir chez elles et écarter de leurs proches la peur du tribunal lors de leurs derniers instants.

Un autre point commun est cependant le côté très honnête et humain du débat. Quelques citations extraites des Lords:

"Ceux qui soignent des personnes vulnérables ne connaissent que trop bien ces moments de désespoir noir qui amènent ces paroles: 'je serais mieux mort, tu pourrais vivre ta vie'". 

"Si nous aimons vraiment notre prochain comme nous-même, comment lui refuser la mort que nous voudrions nous-mêmes, si nous étions dans les mêmes circonstances?" 


"Nous savons tous les mêmes choses, regardons les mêmes enjeux, nous avons tous fait face à des situations semblables lors de la mort de membres de notre famille et de nos amis, et nous sommes arrivés à des conclusions différentes sur ce que signifie la compassion." 
  
En fait c'est exactement cela. Une question profondément partagée, à laquelle nous ne donnons pas tous la même réponse. Face à une question aussi généralement humaine, comment ne pas vouloir une législation qui soit la même pour tous? Face à des réponses aussi différentes, au nom de quoi interdire quoi ? Un débat honnête, oui, et une histoire à suivre.

[+/-] Lire le message entier...

Diagnostic préimplantatoire: questions stratégiques

Le débat se poursuit aux chambres fédérales sur le diagnostic préimplantatoire. La situation est actuellement la suivante:

Pour rappel, sous l'angle technique, le diagnostic préimplantatoire c'est une méthode pouvant être utilisée lors de la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.

Toujours pour rappel, sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.

En Suisse, actuellement, ce geste est interdit. Cela pose problème, car une des conséquences est que  les couples frappés par une maladie génétique grave et qui souhaite avoir un enfant malgré cela doivent passer par une "grossesse à l'essai". Concevoir un enfant, attendre pour pratiquer un diagnostic prénatal -qui est autorisé- tout en sachant que si la maladie est présente ils avorteront à ce moment et recommenceront.


Le Conseil Fédéral a proposé de légaliser le DPI, ce qui viserait à résoudre ce problème. Il s'est cependant positionné de manière vraiment très prudente. Si prudente, en fait, que le projet proposé aux chambres risquerait de rendre le DPI légal sans le rendre véritablement réalisable en Suisse. Il est par exemple proposé de limiter à huit le nombre d'embryons que l'on pourrait développer à chaque fois pour tester la présence de la maladie et en implanter un qui ne serait pas atteint. Selon les experts, cela aurait pour effet de rendre non rentable la pratique du DPI en Suisse. Les taux de succès ne feront simplement pas le poids par rapport à l'offre disponible à l'étranger. On autoriserait donc, mais virtuellement seulement.
 Cette position très prudente a été suivie par le Conseil des Etats. Il a également suivi le Conseil Fédéral sur le projet d'interdire les diagnostics de trisomies. Il l'a encore suivi en acceptant d'interdire l'analyse des embryons pour la compatibilité HLA en cas de maladie d'un frère ou d'une soeur: ce que l'on appelle parfois le 'bébé sauveur'. Il a finalement interdit l'accès au DPI à tous les couples ayant recours à la fertilisation in vitro pour en limiter l'accès aux couples qui savent qu'une maladie héréditaire grave est présente dans leur famille.

Le Conseil national, lui, a vu les choses autrement. Sa proposition est de ne pas limiter dans la loi le nombre d'embryons que l'on pourrait développer. Ce nombre serait ainsi fixé par les limites biologiques (on ne fait pas un nombre infinis d'ovocytes par cycle, même sous stimulation), et par les règles de l'art médical. Il a aussi proposé d'autoriser le diagnostic des trisomies.

Alors maintenant, quoi? De toute manière, le peuple va à la fin devoir voter car il y a un changement constitutionnel à la clé. La discussion se trouve maintenant en résolution des différences, mais à la fin la décision porte sur quel texte soumettre au peuple. Un texte plus prudent, sans doute, aurait de meilleures chances de passer. On aurait ainsi légalisé le DPI, dans un cadre extrêmement strict. Un texte permettant réellement la pratique du DPI, en revanche, ne pourrait pas être aussi restrictif. Le vrai risque n'est donc sans doute pas de se retrouver à la case départ. Le vrai risque, cela pourrait être de proposer la prudence par souci de compromis, pour se retrouver ensuite avec un texte strictement symbolique, qui ne satisferait personne, et qui bloquerait la situation pour au moins une décennie...

[+/-] Lire le message entier...

Un peu de lecture: contraint d'être libre?

Tiens, c'est les vacances. Alors je vais profiter de ce que certains d'entre vous ont un peu de temps, et vous recommander une lecture. Dans un numéro récent du Journal of Medical Ethics, Neil Levy propose que, pour respecter les priorités des personnes malades, il peut être important de les soutenir à travers leurs choix et que ce soutien peut parfois prendre la forme d'une confrontation. Nous devrons tenter de contrer les illusions d'optiques que notre raisonnement nous présente trop souvent, et protéger la liberté des personnes, celle de poursuivre leurs priorités réelles, contre certaines décisions trop hâtives de ces personnes.

Allez le lire. Vous verrez, c'est serré mais c'est plutôt intéressant. Ensuite, dites-nous ce que vous en avez pensé!

[+/-] Lire le message entier...

La Cour suprême américaine, la contraception, et la foi des autres


La Cour suprême américaine a rendu cette semaine une décision très attendue, très controversée, et très intéressante.

En deux mot, le décor. La réforme de la santé d'Obama a rendu obligatoire l'assurance maladie. Aux Etats-Unis, les personnes employées sont assurées par leur employeur. Les employeurs ont donc aussi des obligations. Celles-ci sont cela dit assez limitées. S'ils employent plus de 50 personnes, alors ils doivent leur proposer une affiliation à une caisse maladie. S'ils ne le font pas, ils pourraient devoir payer une amende dans certaines conditions.

Les assurances aussi ont des obligations. Dans la règle, elles doivent couvrir au moins les 'interventions de santé essentielles', définies dans la loi. La couverture inclut certains contraceptifs oraux.

Voilà pour le décor. Maintenant, l'action.

Deux entreprises, dirigées par des personnes qui mettent en avant leur foi chrétienne, ont contesté l'obligation de proposer à leurs employées l'affiliation à une caisse maladie qui rembourserait la contraception. Plus précisément, ils ont contesté le remboursement de pilules spécifiques en avançant qu'ils les jugeaient 'abortives'.

A la surface, c'est une demande que l'on peut comprendre mais qui ne devrait pas tenir la route. Premièrement, les pilules en question n'interrompent pas une grossesse en court et ne sont donc pas abortives. Mais surtout, il s'agit de la demande par une entreprise de voir reconnaître sa liberté religieuse (c'est quoi exactement?) et d'y voir inclure un droit d'imposer ses croyances à ses employés.

Et puis voilà: la Cour suprême leur à donné raison.

Bien sûr, cela provoque un tollé. Les commentaires fusent de part et d'autre. Quelques exemples ici, ici, ici, et ici. Si vous en voyez d'autres qui vous plaisent, indiquez-les dans les commentaires. Pour les personnes intéressées (et motivées) la décision complète est ici.

Cette décision était serrée: 5 contre 4. La Cour suprême américaine est composée de juges nommés par les présidents en exercice lors de chaque succession, et il n'y a pas de règles de représentativité politique. La Cour actuelle est en majorité conservatrice et républicaine, et cela se reflète dans la répartition des juges s'étant prononcés pour et contre la décision. Je vous ai mis leurs portraits en ouverture de ce billet pour illustrer que c'est aussi un peu les garçons contre les filles: toutes les femmes qui siègent à la Cour se sont prononcées contre la décision. Alors oui, ces femmes ont par ailleurs toutes été nommées par des présidents démocrates. Mais il est quand même frappant que ces décisions limitant l'accès des femmes aux choix reproductifs soient si, mais alors si, souvent prises par des messieurs.

Très intéressante, oui, cette décision. La majorité a argumenté en avançant que sa portée était limitée parce qu'elle ne s'appliquait qu'aux entreprises qui sont la propriété de cinq personnes au maximum.  Mais cela revient quand même à reconnaître que ces entreprises, qui sont des institutions, des corporations, peuvent avoir quelque chose comme une liberté religieuse. Un peu étrange, tout de même. Les entreprises à but lucratif auraient-elles, théologiquement, une âme? La liberté religieuse est un droit fondamental des personnes physiques, et la voilà assez clairement étendue à des personnes morales.


Les juges ont aussi argumenté que les assurées en question avaient bel et bien droit à la contraception. Ce n'est donc pas un argument 'à la Suisse' qui reposerait sur le fait que la couverture d'assurance ne doit pas couvrir la contraception en général. La Cour a néanmoins estimé qu'exiger que cela passe par l'assurance de leur employeur n'était pas justifié parce que l'état pouvaient leur fournir une alternative en prévoyant des programmes spécifiques. Ca aussi, c'est étrange au premier abord. Cela revient à considérer que la liberté religieuse peut inclure le droit de refuser à quelqu'un d'autre quelque chose que ma religion interdit, alors même qu'on lui reconnait le droit à cette chose. Cela revient aussi à donner à chacun une sorte de droit de sortir des règles collectives là où cela l'arrange. Comme je vous le disais dans un billet précédent, dans une collectivité les cyclistes paient aussi les autoroutes et les personnes sans enfant les subsides des crèches...

Mais peut-être y a-t-il ici quelque chose de fondamentalement différent entre la perception américaine de l'assurance et la perception européenne de la collectivité solidaire. Car après tout les entreprises en question n'ont demandé à être exemptées de la couverture des contraceptifs que pour leurs employées. Il semble bien qu'elles n'aient jamais demandé que l'assurance à laquelle elles souscrivaient ne rembourse généralement pas les contraceptifs. Dans ces conditions il semble difficile de leur garantir que leur argent, mutualisé, n'aurait jamais servi à payer de contraception. Une d'entre elles a d'ailleurs aussi investi de l'argent dans des entreprises qui développent et commercialisent des pilules contraceptives et abortives. Il semble donc que le souci principal ait été 'pas de ça chez nous'.

Oui, c'est très différent de notre conception d'une assurance basée dans la solidarité. Mais tout de même: donner le droit à un employeur de prendre des décisions qui touchent comme ça à la vie privée de ses employés, ce n'est pas banal.







Mais reprenons: quelque chose de fondamentaement différent disions-nous. Et oui, au fond de cette décision il y a sans doute quelque chose de difficile à comprendre vu d'Europe: l'insistance que le droit de ne pas avoir d'assurance est important et doit être protégé. Le fond de cette histoire, ce n'est probablement pas une question religieuse mais la résistance au système de santé à couverture universelle.
 

Alors maintenant, que va-t-il se passer? Mystère. En théorie, il devient désormais possible pour un grand nombre d'entreprises américaines de limiter la couverture d'assurance de leurs employés sur des bases religieuses. Parmi les arguments de la minorité, le risque que désormais ce droit soit utilisé un peu tous azimuts: les scientologues pourraient ainsi ne plus couvrir les anti-dépresseurs, les témoins de jéhovah les transfusions, les juifs et les musulmans les produits porcins, qui incluent des anésthésiants, des valves cardiaques, et toute une série de médicaments enduits de gélatine.

Mais surtout, il semble que ce soit un pas de plus vers la reconnaissance de droits personnels aux entreprises. Et ces droits incluent désormais dans une certaine mesure celui d'imposer les effets de leurs croyances religieuses. C'est d'autant plus navrant dans un pays qui fut, il y a fort longtemps, pionnier dans la protection du droit de chacun à ne pas subir de religion obligatoire. Mais c'était il y a fort longtemps, il est vrai...

[+/-] Lire le message entier...