Vous avez vu le reportage que Temps Présent a diffusé cette semaine sur le don vivant d'organes? Il est vraiment excellent. Le don vivant est un sujet très dense. Un exercice à la fois magnifique et parfois périlleux, qui pose plusieurs difficultés à la fois techniques et éthiques.
Comment choisir de donner un rein ou un lobe du foie? Comment choisir de ne pas le faire? Comment s'assurer, dans l'entrecroisement de relations humaines, qu'on évite l'exploitation des uns par les autres, qu'on permet les expressions de générosité? Un sujet difficile, traité jusqu'au bout de ces nuances l'autre jour. Si vous ne l'avez pas vu, vous pouvez rattraper ça ici sur le site web de la RTS.
Une note en bas de page cependant. Le reportage mentionne que la promotion du don d'organe est interdite en Suisse, pour le déplorer. Il y a un hic, ici: ce n'est pas vrai. Ce n'est pas la faute des journalistes, ils se sont trompés de bonne foi. Cette information, plein de personnes en Suisse la croient vraie. Du coup, nous avons des décisions sur la promotion du don d'organes qui se fondent sur l'idée qu'elle est interdite, ou au moins problématique sous l'angle légal. Comment ça se fait? J'avais posé la question il y a trois ans à Mélanie Mader, une jeune juriste devenue spécialiste de la question, et sa réponse avait été publiée dans notre revue de bioéthique Bioethica Forum. Le lien est ici, mais je vous résume les points principaux.
Tout commence en 1997, pendant la préparation de la Loi sur la transplantation d'organes. Le Conseil Fédéral s'exprime alors dans un message en faveur de la promotion du don d'organes: "[l]es receveurs en attente d'un organe sont toujours aussi nombreux et personne ne
conteste la nécessité d'augmenter le nombre d'organes disponibles. La promotion du don d'organe revêt donc une grande importance". L'avant-projet de la loi intègre cette notion et fait de la promotion du don d'organes un des buts de la loi. En 2001, lors de la rédaction de la loi, on abandonne la promotion. Le Conseil Fédéral explique dans un autre message que «s’agissant du don d’organes, l’Etat ne doit pas faire de prosélytisme. Il est tenu de respecter la liberté de tout un chacun. Dans ces conditions, il serait déplacé qu’il s’engage dans la promotion du don d’organes ». C'est là dessus que se base l'idée que la promotion est interdite.
Il y a cependant plusieurs problèmes. Le premier, c'est que normalement pour interdire quelque chose cette chose doit être...interdite. Ici, en fait il ne s'agit pas de cela. La promotion du don d'organes n'est pas obligatoire, on y a renoncé. Comme on y a renoncé pour des raisons explicites, on conclut qu'il ne faut pas le faire. Mais cela revient à conclure que ce qui n'est pas obligatoire est interdit. On aurait pu, en 2001, interdire explicitement la promotion du don d'organes. Si on ne l'a pas fait, c'est certainement qu'on avait là aussi de bonnes raisons.
Le deuxième, c'est que ce message du Conseil Fédéral n'est pas le dernier mot sur la loi sur la transplantation. Lors de sa discussion au parlement, les chambres ont modifié le projet qui leur était présenté pour inclure l'alinéa suivant: "(La présente loi doit) contribuer à ce que des organes [...] soient disponibles à des fins de transplantation". Les parlementaires se sont alors majoritairement exprimés en faveur de la promotion du don d'organes par l'état.
Le troisième, c'est qu'une information neutre de l'état dans un enjeu de santé public est ce que Mélanie Mader appelle une anomalie. "L’information en matière de santé publique a généralement un caractère incitatif, tendant à influencer le comportement de la population (bougez plus; fumez et buvez moins; utilisez un préservatif)." Il est normal qu'il en soit ainsi. Mais alors pourquoi cette neutralité face au don d'organes? Le projet de loi initiale prévoyait que l'information au public vise la promotion du don d'organes. La loi entrée en vigueur n'a plus cette exigence. Et le changement a été interprété comme imposant une information neutre, non incitative. Ici à nouveau, il semble que ce qui n'est pas obligatoire soit compris comme étant interdit...
Finalement, la Suisse a ratifié en 2009 le Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine du Conseil de l’Europe. Nous avons fait trois réserves, qui concernent justement le don vivant mais qui ne concernent pas la promotion du don. Or, l'article 19 prévoit que "Les Parties prennent toute mesure appropriée visant à favoriser le don d'organes et de tissus."
Nous nous sommes donc engagés par traité international à promouvoir le don d'organes. Notre loi nationale ne l'interdit pas, et nous l'avons reconnu en ne demandant pas de réserves sur ce point alors que nous l'avons fait sur d'autres points. Il nous restent des pratiques fondées sur l'idée que la promotion du don d'organes serait interdite. Mais ici les difficultés sont d'ordre pratique et non d'ordre légal.
Demeure un souci parfois exprimé: que la promotion du don d'organes par l'état empiète sur la liberté individuelle. Car bien sûr il nous reste, et il doit toujours nous rester, le respect du choix
individuel. Mais la promotion du don d'organes ne modifie en rien la
liberté de chacun de devenir ou non donneur. Cette liberté est protégée par la loi, tout à fait indépendamment du mode d'information, neutre ou incitatif, choisi par les autorités.
Ma limite comme toujours est que je ne suis pas juriste. Mais l'auteur dont je vous résume la réponse l'est. S'il y en a parmi vous qui voyez une erreur ici, dites-le nous! Mais il semblerait que cette petite phrase 'En Suisse, la promotion du don d'organe est interdite' soit désormais erronée. Et cette erreur-là a des conséquences.
Don vivant d'organes: un très bon reportage
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Plus de protections dans la recherche internationale
Cette semaine est paru un excellent dossier de la Déclaration de Berne sur les failles dans l'éthique de la recherche internationale. Ils ont vraiment bien fait leurs devoirs, je vous recommande la lecture de ce document. Leurs demandes se trouvent ici et ici, et il y a un rapport sur le rôle de Swissmedic pour la protection des personnes vulnérables ici. C'est un chapitre important, et la Suisse est concernée à trois titres.
Premièrement, nous sommes des utilisateurs de médicaments. De plus en plus souvent, ceux-ci sont testés dans le monde entier, y compris dans des pays où les protections sont lacunaires, et les circonstances de base fragilisantes. Des protections inadéquates augmentent le risque que les droits des personnes ne soient pas protégés dans la recherche. Trop souvent, ces droits ne sont effectivement pas assez bien protégés. Cela signifie que, trop souvent, nous utilisons des médicaments qui ont été testés au prix de dommages à nos semblables.
Deuxièmement, nous sommes un marché du médicament dans un pays riche, où les protections nous importent et où nous avons les moyens d'en vérifier l'application. Les instances d'enregistrement des médicament ont ici pour tâche de vérifier que toutes les règles ont été appliquées lors des essais cliniques avec des personnes. Nos instances auraient en théorie les moyens de se mettre en rapport avec leurs homologues dans d'autres pays pour connaître les conditions locales, obtenir des informations, et partager les compétences. Cela permettrait d'offrir de meilleures garanties que les médicaments mis sur le marché en Suisse n'ont pas été testés de manière problématique. Cela permettrait aussi de partager les informations, les normes et les techniques de la protection des participants humain de la recherche sur le plan international.
Troisièmement, nous sommes un des pays de l'industrie pharmaceutique. Lorsqu'un problème survient à l'autre bout du monde, nous sommes, pour cette raison aussi, tous un peu concernés.
Les problèmes mis en avant par ces rapports sont:
1) La fragilité du consentement éclairé.
2) L'utilisation de placebo sans nécessairement remplir les conditions qui le permettent.
3) L'absence de dédommagement en cas d'effets secondaire des substances testées.
4) Le manque de suivi, en particulier de respect des normes internationales de mise à disposition d'un traitement à la fin de l'étude s'il s'est avéré bénéfique.
Certains des points soulevés sont des manquements caractérisés. D'autres peuvent prêter à controverse, car certaines normes ne sont pas arrêtées dans ce domaine. Les propositions qui sont faites sont intelligentes, cela dit. Ce sont de bonnes idées, les appliquer protégerait mieux des gens très mal protégés, nous aurions les moyens de les appliquer, et nous y gagnerions. Alors, convaincu(e), pas convaincu(e)? Lisez les liens, et venez nous en parler dans les commentaires...
Premièrement, nous sommes des utilisateurs de médicaments. De plus en plus souvent, ceux-ci sont testés dans le monde entier, y compris dans des pays où les protections sont lacunaires, et les circonstances de base fragilisantes. Des protections inadéquates augmentent le risque que les droits des personnes ne soient pas protégés dans la recherche. Trop souvent, ces droits ne sont effectivement pas assez bien protégés. Cela signifie que, trop souvent, nous utilisons des médicaments qui ont été testés au prix de dommages à nos semblables.
Deuxièmement, nous sommes un marché du médicament dans un pays riche, où les protections nous importent et où nous avons les moyens d'en vérifier l'application. Les instances d'enregistrement des médicament ont ici pour tâche de vérifier que toutes les règles ont été appliquées lors des essais cliniques avec des personnes. Nos instances auraient en théorie les moyens de se mettre en rapport avec leurs homologues dans d'autres pays pour connaître les conditions locales, obtenir des informations, et partager les compétences. Cela permettrait d'offrir de meilleures garanties que les médicaments mis sur le marché en Suisse n'ont pas été testés de manière problématique. Cela permettrait aussi de partager les informations, les normes et les techniques de la protection des participants humain de la recherche sur le plan international.
Troisièmement, nous sommes un des pays de l'industrie pharmaceutique. Lorsqu'un problème survient à l'autre bout du monde, nous sommes, pour cette raison aussi, tous un peu concernés.
Les problèmes mis en avant par ces rapports sont:
1) La fragilité du consentement éclairé.
2) L'utilisation de placebo sans nécessairement remplir les conditions qui le permettent.
3) L'absence de dédommagement en cas d'effets secondaire des substances testées.
4) Le manque de suivi, en particulier de respect des normes internationales de mise à disposition d'un traitement à la fin de l'étude s'il s'est avéré bénéfique.
Certains des points soulevés sont des manquements caractérisés. D'autres peuvent prêter à controverse, car certaines normes ne sont pas arrêtées dans ce domaine. Les propositions qui sont faites sont intelligentes, cela dit. Ce sont de bonnes idées, les appliquer protégerait mieux des gens très mal protégés, nous aurions les moyens de les appliquer, et nous y gagnerions. Alors, convaincu(e), pas convaincu(e)? Lisez les liens, et venez nous en parler dans les commentaires...
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Mes collègues: un bon commentaire sur un sujet difficile
Dominique Sprumont, un collègue juriste qui est professeur à l'Université de Neuchatel, a écrit dans Le Temps une remarquable analyse de l'affaire du meurtre de la sociothérapeute de La Pâquerette. Si ce n'est pas déjà fait, allez le lire. Ce genre d'analyse est difficile, et vraiment très importante. Si cette affaire suscite tant d'émotions, c'est que l'on voit bien qu'elle mobilise des enjeux qui doivent être parmi nos priorités. Mais comment les protéger, ces priorités? Pas si évident au fond. Et sous le coup de l'émotion c'est encore plus difficile, alors même que ces émotions sont là parce que c'est important. Comme d'habitude, un extrait et le lien:
"Les attaques récentes dont fait l’objet le monde de l’exécution des peines au sens large, que ce soit dans l’affaire Carlos ou celle de Fabrice A., voient les problèmes par le petit bout de la lorgnette. Notre droit pénal repose sur plusieurs piliers. La protection de la société contre les individus en fait partie. L’objectif de réinsérer ces mêmes personnes dans notre société également. Ces deux objectifs ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Le premier ne peut être atteint sans le second. En effet, notre système, avec la part importante qu’il offre aux mesures thérapeutiques, permet de limiter les risques de récidive de manière relativement efficace en comparaison internationale. Lorsqu’un drame se produit, personne ne peut rester indifférent. Il s’agit d’un échec aux conséquences dramatiques, surtout pour les victimes et leurs familles. Mais pensons aussi à toutes les victimes qui ne l’ont justement pas été grâce au système de prise en charge des criminels dans notre pays. Il ne faut pas oublier cette souffrance évitée avant de proposer un renforcement de la répression dans les prisons au détriment de la réinsertion."
Une des choses les plus importantes ici est de distinguer les mesures thérapeutiques et sanctionnelles. Les deux sont importantes, leurs acteurs respectifs doivent pouvoir travailler ensemble, leurs objectifs sont en partie les mêmes, mais elles sont différentes et doivent être reconnues comme telles. Un autre extrait:
"La pratique médicale et particulièrement psychiatrique en milieu carcéral est une tâche complexe qui demande non seulement de maîtriser les règles de l’art médical, mais aussi de savoir s’intégrer dans un monde de contraintes et de contrôle. Les médecins et les soignants ne sont pas sous les ordres des autorités pénitentiaires, mais ils doivent collaborer étroitement avec elles. Chacun prend ses propres responsabilités, tout autant importantes du point de vue de la société. Vouloir mettre ces deux partenaires dos à dos ne peut que compliquer une situation déjà complexe."
Cette différence entre partenaires, on a trop souvent tendance à la gommer. Et ça c'est toujours une mauvaise idée. Pour toute une série de raisons.
Une dérive imaginable est qu'à trop confier aux uns la tâches des autres, des lacunes peuvent apparaître. Il est donc crucial de s'en garder, pour continuer de faire bien l'une et l'autre de ces tâches.
Une autre dérive possible: on observe de plus en plus une tendance à vouloir médicaliser le crime. C'est une autre manière de mélanger, à laquelle il faut aussi résister. Ce mélange mène à vouloir que le psychiatre soit l'expert de toutes les dangerosités, qu'elles soient ou non dues à une maladie mentale. Un rôle problématique, pour une profession experte en ce qui concerne la maladie mentale, mais pas en ce qui concerne toutes les formes de dangerosité.
Et puis médicaliser le crime, ça peut être rassurant: ça permet de penser que chaque crime violent s'explique nécessairement par une maladie. Ca nous permet de penser que la personne qui a commit ce crime n'est, fondamentalement, pas comme moi. Pas seulement parce qu'elle aurait commis un acte que je me sais incapable de commettre, ce qui après tout est vrai, mais plus fondamentalement que ça: on en vient parfois à considérer que cette personne serait en quelque sorte en dehors de la communauté des humains. C'est dangereux. C'est vouloir traiter certains accusés avec justice, et d'autres par la seule vengeance (une très bonne analyse de l'avocat Philippe Currat se trouve derrière ce lien). En plus c'est faux. Triplement faux. Parce que les criminels sont des humains, parce que les personnes atteintes de maladies mentales sont des humains, et parce que les criminels ne sont pas tous atteints de maladies mentales. Et bien sûr, la plupart des personnes atteintes de maladies mentales ne commettront jamais de crimes, violents ou autres. Sous le coup des émotions, chacun pourra comprendre que l'on fasse des raccourcis un peu rapides. Mais une fois ce temps initial passé, il est important de refaire, autant que possible, la part des choses. Ceux qui nous le rappellent font un travail crucial, et qui n'est pas tout simple.
"Les attaques récentes dont fait l’objet le monde de l’exécution des peines au sens large, que ce soit dans l’affaire Carlos ou celle de Fabrice A., voient les problèmes par le petit bout de la lorgnette. Notre droit pénal repose sur plusieurs piliers. La protection de la société contre les individus en fait partie. L’objectif de réinsérer ces mêmes personnes dans notre société également. Ces deux objectifs ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Le premier ne peut être atteint sans le second. En effet, notre système, avec la part importante qu’il offre aux mesures thérapeutiques, permet de limiter les risques de récidive de manière relativement efficace en comparaison internationale. Lorsqu’un drame se produit, personne ne peut rester indifférent. Il s’agit d’un échec aux conséquences dramatiques, surtout pour les victimes et leurs familles. Mais pensons aussi à toutes les victimes qui ne l’ont justement pas été grâce au système de prise en charge des criminels dans notre pays. Il ne faut pas oublier cette souffrance évitée avant de proposer un renforcement de la répression dans les prisons au détriment de la réinsertion."
Une des choses les plus importantes ici est de distinguer les mesures thérapeutiques et sanctionnelles. Les deux sont importantes, leurs acteurs respectifs doivent pouvoir travailler ensemble, leurs objectifs sont en partie les mêmes, mais elles sont différentes et doivent être reconnues comme telles. Un autre extrait:
"La pratique médicale et particulièrement psychiatrique en milieu carcéral est une tâche complexe qui demande non seulement de maîtriser les règles de l’art médical, mais aussi de savoir s’intégrer dans un monde de contraintes et de contrôle. Les médecins et les soignants ne sont pas sous les ordres des autorités pénitentiaires, mais ils doivent collaborer étroitement avec elles. Chacun prend ses propres responsabilités, tout autant importantes du point de vue de la société. Vouloir mettre ces deux partenaires dos à dos ne peut que compliquer une situation déjà complexe."
Cette différence entre partenaires, on a trop souvent tendance à la gommer. Et ça c'est toujours une mauvaise idée. Pour toute une série de raisons.
Une dérive imaginable est qu'à trop confier aux uns la tâches des autres, des lacunes peuvent apparaître. Il est donc crucial de s'en garder, pour continuer de faire bien l'une et l'autre de ces tâches.
Une autre dérive possible: on observe de plus en plus une tendance à vouloir médicaliser le crime. C'est une autre manière de mélanger, à laquelle il faut aussi résister. Ce mélange mène à vouloir que le psychiatre soit l'expert de toutes les dangerosités, qu'elles soient ou non dues à une maladie mentale. Un rôle problématique, pour une profession experte en ce qui concerne la maladie mentale, mais pas en ce qui concerne toutes les formes de dangerosité.
Et puis médicaliser le crime, ça peut être rassurant: ça permet de penser que chaque crime violent s'explique nécessairement par une maladie. Ca nous permet de penser que la personne qui a commit ce crime n'est, fondamentalement, pas comme moi. Pas seulement parce qu'elle aurait commis un acte que je me sais incapable de commettre, ce qui après tout est vrai, mais plus fondamentalement que ça: on en vient parfois à considérer que cette personne serait en quelque sorte en dehors de la communauté des humains. C'est dangereux. C'est vouloir traiter certains accusés avec justice, et d'autres par la seule vengeance (une très bonne analyse de l'avocat Philippe Currat se trouve derrière ce lien). En plus c'est faux. Triplement faux. Parce que les criminels sont des humains, parce que les personnes atteintes de maladies mentales sont des humains, et parce que les criminels ne sont pas tous atteints de maladies mentales. Et bien sûr, la plupart des personnes atteintes de maladies mentales ne commettront jamais de crimes, violents ou autres. Sous le coup des émotions, chacun pourra comprendre que l'on fasse des raccourcis un peu rapides. Mais une fois ce temps initial passé, il est important de refaire, autant que possible, la part des choses. Ceux qui nous le rappellent font un travail crucial, et qui n'est pas tout simple.
Billet d'invité: Suicides au sommet
La maladie, qui souvent frappe au hasard, ne le fait pas toujours. Les circonstances dans lesquelles nous vivons, l'environnement dans lequel se déroule nos vies, et même les intérêts bien pensés d'autres personnes, peuvent tous avoir une influence sur notre santé. On en a reparlé ces temps autour des cas tragiques que sont les suicides dans le monde du travail. Alors d'un côté, que la pression croissante à la productivité puisse broyer des gens, voilà qui ne devrait pas nécessairement nous surprendre. Mais c'est aussi un paysage mental où il est difficile de penser clairement. Car le sujet est douloureux. Un remerciement tout particulier, donc, à Alex Mauron de nous refaire un billet d'invité:
Un mois après le suicide du directeur général de Swisscom, Carsten Schloter, c’est le directeur des finances du groupe d’assurances Zurich, Pierre Wauthier, qui a choisi la mort volontaire le 26 août. Trois jours plus tard, le président du Conseil d’administration du groupe Zurich démissionnait, sur fond d’allégations de pressions qu’il aurait exercées sur son directeur financier et qui auraient joué un rôle dans ce drame.
Y compris lorsqu’elles atteignent des personnages publics, de telles tragédies personnelles appellent d’abord la compassion et la discrétion. Le silence plutôt que le bavardage. Mais la société du spectacle étant ce qu’elle est, on peut compter sur les médias pour y aller de leurs commentaires, plus ou moins pertinents et inspirés. Après le décès de Carsten Schloter, ceux-ci se partageaient entre l’éloge unanime, certainement mérité, les diagnostics posthumes des docteurs médiatiques sur les difficultés familiales et la dépression supposée du défunt, et enfin l’esquisse d’un discours victimaire. Selon un consultant en management interrogé par le quotidien zurichois Tages Anzeiger «les chefs de grandes entreprises sont observés en permanence, par les employés, la clientèle et la concurrence ainsi que par une presse hystérique. Ainsi, ils se soumettent à une autodiscipline permanente, au point qu’ils n’arrivent plus à se détendre dans les moments où ils ne sont pas sous les projecteurs. Et c’est alors qu’on devient vulnérable.». Suite au décès de Pierre Wauthier, le commentateur du Temps (30 août 2013) évoque « la fragilité de grands dirigeants que l’on croit habituellement revêtus d’une armure à toute épreuve ». Mais il évoque aussi la pression au travail et mentionne les suicides de Renault et France Télécom. Il est le seul à le faire, d’ailleurs.
Alors qu’en est-il ? Les grands patrons sont-ils les boucs émissaires d’une société du ressentiment, envieuse et voyeuriste ? Ou sont-ils, comme tout un chacun, vulnérables au stress sans cesse accru de la vie en régime hypercapitaliste ? Le malaise que suscitent ces réactions vient de leur cécité vis-à-vis de la réalité sociale qui sous-tend le suicide lié au travail. Certes, le stress et la pression ne sont pas vécus de la même façon chez les dirigeants d’entreprise et les salariés. Mais contrairement à ce que ces drames individuels surmédiatisés laissent entendre, le chemin qui mène de la pression insupportable au passage à l’acte suicidaire est bien plus court au bas de l’échelle sociale qu’au sommet. Et les données qui étayent ce constat existent. Elles sont assez détaillées au Royaume-Uni, depuis longtemps pionnier de l’épidémiologie sociale, à savoir l’étude des liens entre inégalités sociales, santé et longévité. Selon les chiffres colligés par l’Office des statistiques nationales britannique, la mortalité par suicide des salariés non qualifiés est de 3.6 fois supérieure à celles des cadres dirigeants et des professions libérales. En France, les données recueillies portent surtout sur le lien entre suicide et profession, sous l’angle de la médecine du travail. Les conclusions sont similaires : « Pour la tranche d’âge des 25-59 ans, le taux de mortalité standardisé par suicide est 4 fois plus élevé pour les agriculteurs exploitants et ouvriers comparé aux cadres et professions intellectuelles supérieures ». Le suicide ne se distingue donc pas des causes de morbidité et mortalité les plus communes, dont l’incidence est alignée sur l’échelle des catégories socioprofessionnelles. Et en Suisse ? Les données sont pauvres. Suicide et inégalités sociales sont un thème qui combine deux tabous, dont les second est particulièrement fort dans notre pays. Les drames récents pourraient-ils fournir l’occasion de nous ouvrir les yeux sur une réalité sociale dérangeante ?
Un mois après le suicide du directeur général de Swisscom, Carsten Schloter, c’est le directeur des finances du groupe d’assurances Zurich, Pierre Wauthier, qui a choisi la mort volontaire le 26 août. Trois jours plus tard, le président du Conseil d’administration du groupe Zurich démissionnait, sur fond d’allégations de pressions qu’il aurait exercées sur son directeur financier et qui auraient joué un rôle dans ce drame.
Y compris lorsqu’elles atteignent des personnages publics, de telles tragédies personnelles appellent d’abord la compassion et la discrétion. Le silence plutôt que le bavardage. Mais la société du spectacle étant ce qu’elle est, on peut compter sur les médias pour y aller de leurs commentaires, plus ou moins pertinents et inspirés. Après le décès de Carsten Schloter, ceux-ci se partageaient entre l’éloge unanime, certainement mérité, les diagnostics posthumes des docteurs médiatiques sur les difficultés familiales et la dépression supposée du défunt, et enfin l’esquisse d’un discours victimaire. Selon un consultant en management interrogé par le quotidien zurichois Tages Anzeiger «les chefs de grandes entreprises sont observés en permanence, par les employés, la clientèle et la concurrence ainsi que par une presse hystérique. Ainsi, ils se soumettent à une autodiscipline permanente, au point qu’ils n’arrivent plus à se détendre dans les moments où ils ne sont pas sous les projecteurs. Et c’est alors qu’on devient vulnérable.». Suite au décès de Pierre Wauthier, le commentateur du Temps (30 août 2013) évoque « la fragilité de grands dirigeants que l’on croit habituellement revêtus d’une armure à toute épreuve ». Mais il évoque aussi la pression au travail et mentionne les suicides de Renault et France Télécom. Il est le seul à le faire, d’ailleurs.
Alors qu’en est-il ? Les grands patrons sont-ils les boucs émissaires d’une société du ressentiment, envieuse et voyeuriste ? Ou sont-ils, comme tout un chacun, vulnérables au stress sans cesse accru de la vie en régime hypercapitaliste ? Le malaise que suscitent ces réactions vient de leur cécité vis-à-vis de la réalité sociale qui sous-tend le suicide lié au travail. Certes, le stress et la pression ne sont pas vécus de la même façon chez les dirigeants d’entreprise et les salariés. Mais contrairement à ce que ces drames individuels surmédiatisés laissent entendre, le chemin qui mène de la pression insupportable au passage à l’acte suicidaire est bien plus court au bas de l’échelle sociale qu’au sommet. Et les données qui étayent ce constat existent. Elles sont assez détaillées au Royaume-Uni, depuis longtemps pionnier de l’épidémiologie sociale, à savoir l’étude des liens entre inégalités sociales, santé et longévité. Selon les chiffres colligés par l’Office des statistiques nationales britannique, la mortalité par suicide des salariés non qualifiés est de 3.6 fois supérieure à celles des cadres dirigeants et des professions libérales. En France, les données recueillies portent surtout sur le lien entre suicide et profession, sous l’angle de la médecine du travail. Les conclusions sont similaires : « Pour la tranche d’âge des 25-59 ans, le taux de mortalité standardisé par suicide est 4 fois plus élevé pour les agriculteurs exploitants et ouvriers comparé aux cadres et professions intellectuelles supérieures ». Le suicide ne se distingue donc pas des causes de morbidité et mortalité les plus communes, dont l’incidence est alignée sur l’échelle des catégories socioprofessionnelles. Et en Suisse ? Les données sont pauvres. Suicide et inégalités sociales sont un thème qui combine deux tabous, dont les second est particulièrement fort dans notre pays. Les drames récents pourraient-ils fournir l’occasion de nous ouvrir les yeux sur une réalité sociale dérangeante ?
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