C'est de nouveau le moment de mon billet dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, un extrait et le lien:
"Un lien entre les politiques publiques et la santé ? A force de vivre
dans la médecine, on le voit partout. Ce père de famille qui n’a pas le
temps de faire du sport parce que le trajet entre le domicile qu’il a
trouvé et le travail qu’il doit garder lui prend deux heures de voiture
par jour. Cette employée en burnout qui s’occupe en plus de son travail
de ses jeunes enfants et d’un parent âgé. Cette gentille dame démente
qui ne sortira plus vraiment de chez elle parce qu’elle est devenue
incapable d’apprendre le fonctionnement de la énième nouvelle machine
des TPG. Les décisions politiques, après tout, servent à avoir un impact
sur les conditions de vie des personnes. Et ces conditions ont
évidemment un effet sur leur santé. Banal, me direz-vous.
Sauf que non. Imaginez que l’on ait pour les décisions politiques la
même exigence de «mise sur le marché» que pour des produits plus
matériels : que l’on exige que leurs effets secondaires soient justifiés
par leurs avantages, que tout cela soit chiffré, fasse l’objet d’une
surveillance post-implémentation, et qu’une instance de
surveillance «retire» toute décision dont les effets s’avéreraient clairement délétères."
Vous venez après nous dire ce que vous en pensez dans les commentaires?
Evidence-based politics?
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Diagnostic préimplantatoire: voyage aux limites de la démocratie
Le Conseil fédéral propose de légaliser le diagnostic préimplantatoire. Il est grand temps. Oui, il est grand temps. Un très bel éditorial, récemment, dans Le Temps sur ce point. Petit rappel:
Sous l'angle technique, le diagnostic préimplantatoire c'est une méthode pouvant être utilisée lors de la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.
L'Académie Suisse des Sciences Médicales avait fait sur cette technique un factsheet très utile, auquel je vous renvoie pour les questions techniques.
Sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.
Sous l'angle éthique, c'est une technique qui soulève des passions contre elle. Je vous les avais décrites il y a quelques temps. Si on examine ces arguments, on constate en revanche que malgré tous les soucis soulevés, les points en faveur de la légalisation du DPI sont assez forts. On est - pour faire simple - face à un enjeu de liberté reproductive, un des droits personnels les mieux protégés, à laquelle on oppose des limites. Des limites peuvent en théorie être justifiées même si la liberté reproductive est importante, mais elles doivent avoir une justification. C'est là qu'est le hic: ici, leur justification est questionnable. A l'heure actuelle, interdire le DPI pour protéger des embryons équivaudrait par exemple à l'imposition à tous d'un avis de minorité sur le statut de ces embryons.
Ce n'est donc pas surprenant que le Conseil fédéral recommande la légalisation du DPI. Jusque là, c'est une bonne nouvelle.
Les choses se compliquent à l'étape suivante. Les limitations qu'il comporte font de ce projet une proposition extraordinairement prudente. A priori, pourquoi pas? On veut après tout éviter des dérives. Mais quelles dérives? Une des limites proposées est crédible: autoriser le DPI pour dépister une caractéristique génétique, OK, mais seulement si c'est un marqueur de maladie grave. Oui, c'est important: on ne voudrait pas autoriser le choix de la couleur des cheveux, de la taille à l'âge adulte. Les autres limites sont en revanche nettement plus discutables. Le problème le plus sérieux est que le projet limite le nombre d'embryons autorisés à huit. Dans la Constitution, rien que ça. Selon les experts, cela aurait pour effet de rendre non rentable la pratique du DPI en Suisse. Les taux de succès ne feront simplement pas le poids par rapport à l'offre disponible à l'étranger. On autoriserait donc, mais virtuellement seulement.
Cette limite de huit embryons, pourquoi huit? C'est assez mystérieux. Pour protéger les embryons, à nouveau? Mais alors pourquoi autoriser le DPI? Sans doute est-ce davantage pour pouvoir dire que la position proposée est un compromis. Pour la rendre plus acceptable. Nous allons devoir voter, après tout. Un article constitutionnel est en jeu. Si c'est là la raison, nous serions sur le point d'autoriser une technique, tout en la rendant irréalisable dans les faits. Nous ferions cela car il semblerait insoutenable devant le souverain de maintenir cette technique illégale, mais aussi de la rendre possible. Voyage aux limites de la démocratie, je vous l'annonçais en titre. Le débat devrait être intéressant à plus d'un titre, donc. A l'approche du vote, nous serons face à une expérience sociale peu banale. Un dossier à suivre...
Sous l'angle technique, le diagnostic préimplantatoire c'est une méthode pouvant être utilisée lors de la fertilisation in vitro, qui permet d'analyser quelques caractéristiques génétiques d'un embryon très précoce, avant de l'implanter...ou non.
L'Académie Suisse des Sciences Médicales avait fait sur cette technique un factsheet très utile, auquel je vous renvoie pour les questions techniques.
Sous l'angle humain, le diagnostic préimplantatoire est une méthode qui permet à des couples frappés lourdement par une maladie génétique grave, à des personnes qui ont parfois déjà perdu un enfant, parfois plusieurs, de donner la vie malgré cela sans devoir à nouveau traverser les mêmes épreuves.
Sous l'angle éthique, c'est une technique qui soulève des passions contre elle. Je vous les avais décrites il y a quelques temps. Si on examine ces arguments, on constate en revanche que malgré tous les soucis soulevés, les points en faveur de la légalisation du DPI sont assez forts. On est - pour faire simple - face à un enjeu de liberté reproductive, un des droits personnels les mieux protégés, à laquelle on oppose des limites. Des limites peuvent en théorie être justifiées même si la liberté reproductive est importante, mais elles doivent avoir une justification. C'est là qu'est le hic: ici, leur justification est questionnable. A l'heure actuelle, interdire le DPI pour protéger des embryons équivaudrait par exemple à l'imposition à tous d'un avis de minorité sur le statut de ces embryons.
Ce n'est donc pas surprenant que le Conseil fédéral recommande la légalisation du DPI. Jusque là, c'est une bonne nouvelle.
Les choses se compliquent à l'étape suivante. Les limitations qu'il comporte font de ce projet une proposition extraordinairement prudente. A priori, pourquoi pas? On veut après tout éviter des dérives. Mais quelles dérives? Une des limites proposées est crédible: autoriser le DPI pour dépister une caractéristique génétique, OK, mais seulement si c'est un marqueur de maladie grave. Oui, c'est important: on ne voudrait pas autoriser le choix de la couleur des cheveux, de la taille à l'âge adulte. Les autres limites sont en revanche nettement plus discutables. Le problème le plus sérieux est que le projet limite le nombre d'embryons autorisés à huit. Dans la Constitution, rien que ça. Selon les experts, cela aurait pour effet de rendre non rentable la pratique du DPI en Suisse. Les taux de succès ne feront simplement pas le poids par rapport à l'offre disponible à l'étranger. On autoriserait donc, mais virtuellement seulement.
Cette limite de huit embryons, pourquoi huit? C'est assez mystérieux. Pour protéger les embryons, à nouveau? Mais alors pourquoi autoriser le DPI? Sans doute est-ce davantage pour pouvoir dire que la position proposée est un compromis. Pour la rendre plus acceptable. Nous allons devoir voter, après tout. Un article constitutionnel est en jeu. Si c'est là la raison, nous serions sur le point d'autoriser une technique, tout en la rendant irréalisable dans les faits. Nous ferions cela car il semblerait insoutenable devant le souverain de maintenir cette technique illégale, mais aussi de la rendre possible. Voyage aux limites de la démocratie, je vous l'annonçais en titre. Le débat devrait être intéressant à plus d'un titre, donc. A l'approche du vote, nous serons face à une expérience sociale peu banale. Un dossier à suivre...
Vos gènes à vous!
Vous vous rappelez le cas de Myriad genetics et du brevet sur le BRCA1? Et bien la Cour Suprême des Etats-Unis a cassé leur brevet. L'argumentaire complet est ici, et il y a un résumé simplifié (toujours en anglais) ici. L'argument principal est qu'un gène extrait de son 'milieu naturel', donc du génome, n'est pas à proprement parler une fabrication humaine. Il reste un élément naturel. Or, les brevets existent pour protéger les inventions, et non les découvertes. On ne peut pas breveter une planète, ou une particule élémentaire, on ne peut pas non plus breveter une feuille que l'on aurait enlevée à son arbre, on ne peut pas breveter un gène au seul motif qu'il a été découvert ou sorti de son environnement.
C'est une très très bonne nouvelle. Non seulement le brevet sur le BRCA était contraire aux principes de la protection des brevets (c'est ce que la Cour vient de reconnaître), mais il était aussi contraire à leurs buts. En obstruant la recherche, en obstruant l'accès aux bénéfices cliniques du test (un examen coûtait jusqu'à 3000$), il bloquait les deux raisons de protéger les brevets: l'encouragement à la recherche et à l'accès à l'innovation. Certains commentateurs disent à présent que la remise en cause de ce brevet "pourrait altérer la motivation des entreprises à investir dans le travail onéreux qu'il faut pour isoler et comprendre le matériel génétique", mais derrière ce langage qui semble si prudent se cache en fait une bonne part de mauvaise foi. Les entreprises n'ont jamais été vraiment motivées à investir dans la science fondamentale, et ici aussi le brevet reposait pour beaucoup sur des recherches financées par des fonds publiques. Les institutions publiques qui entreprennent ces recherches pourront maintenant le faire sans craindre d'être bloquées par Myriad. Les entreprises qui voudraient développer des tests diagnostiques concurrents pourront continuer à obtenir des brevets pour ces tests, car ici ce n'est pas le gène qui est breveté mais la technique du test, et ça ça restera possible. Mieux: maintenant que Myriad ne détient plus de brevet sur le gène lui-même, personne ne pourra plus les empêcher de le faire. Ce jugement a donc reconnu un principe important, et en même temps il a protégé les raisons d'avoir des brevets plutôt que le brevet lui-même. Il a fait tout ça en tranchant contre la logique du profit commercial, qui s'opposait ici à tout cela mais qui était néanmoins plutôt solidement défendue.
Une très très bonne nouvelle, je vous le disais...
C'est une très très bonne nouvelle. Non seulement le brevet sur le BRCA était contraire aux principes de la protection des brevets (c'est ce que la Cour vient de reconnaître), mais il était aussi contraire à leurs buts. En obstruant la recherche, en obstruant l'accès aux bénéfices cliniques du test (un examen coûtait jusqu'à 3000$), il bloquait les deux raisons de protéger les brevets: l'encouragement à la recherche et à l'accès à l'innovation. Certains commentateurs disent à présent que la remise en cause de ce brevet "pourrait altérer la motivation des entreprises à investir dans le travail onéreux qu'il faut pour isoler et comprendre le matériel génétique", mais derrière ce langage qui semble si prudent se cache en fait une bonne part de mauvaise foi. Les entreprises n'ont jamais été vraiment motivées à investir dans la science fondamentale, et ici aussi le brevet reposait pour beaucoup sur des recherches financées par des fonds publiques. Les institutions publiques qui entreprennent ces recherches pourront maintenant le faire sans craindre d'être bloquées par Myriad. Les entreprises qui voudraient développer des tests diagnostiques concurrents pourront continuer à obtenir des brevets pour ces tests, car ici ce n'est pas le gène qui est breveté mais la technique du test, et ça ça restera possible. Mieux: maintenant que Myriad ne détient plus de brevet sur le gène lui-même, personne ne pourra plus les empêcher de le faire. Ce jugement a donc reconnu un principe important, et en même temps il a protégé les raisons d'avoir des brevets plutôt que le brevet lui-même. Il a fait tout ça en tranchant contre la logique du profit commercial, qui s'opposait ici à tout cela mais qui était néanmoins plutôt solidement défendue.
Une très très bonne nouvelle, je vous le disais...
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Billet d'invité: Les cellules souches et le marché de l'espoir
Cette fois, c'est un billet d'invité. Un grand merci à mon collègue Alex Mauron qui vous écrit aujourd'hui à ma place:
Le 22 mai, entérinant un vote préalable de la Chambre des députés, le Sénat italien a donné son aval à un essai thérapeutique d’un traitement à base de cellules souches mésenchymateuses tirées de la moelle osseuse. Trois millions d’euros sont budgétés pour cet essai, mis au point par un professeur de psychologie de la communication sans formation médicale, Davide Vannoni. Comme le relate le site Bio News, il n’y a pas une miette d’évidence scientifique à l’appui de ce traitement, si ce n’est de mystérieux articles dans des journaux chinois, articles que Vannoni et la Fondation Stamina qu’il dirige ne communiquent pas. Trois millions d’euros : une jolie somme si l’on considère la pingrerie du financement public de la recherche biomédicale en Italie. Selon le commentateur de Science, beaucoup jugent que cette décision est un moindre mal, car le décret antérieur prévoyait que ce traitement aurait pu être administré à des milliers de patients en dehors de tout contrôle. Mais ce sont bien 3 millions d’euros confisqués pour un essai clinique d’un traitement bidon, mais très officiellement mené sous l’égide de l’Agence italienne du médicament (AIFA). D’ailleurs, on suppose que les experts de l’AIFA sont moyennement enthousiastes d’être ainsi instrumentalisés. Leur directeur a été très clair devant la Commission des affaires spéciales de la Chambre : « la méthode Stamina utilise la même méthodologie pour toutes les maladies. Ça s’appelle de l’huile de serpent » (en français on dirait : de la poudre de perlimpinpin). D’ailleurs, en 2012, l’AIFA et le Ministère de la santé avaient interdit la poursuite d’un essai clinique pratiqué par la Fondation Stamina dans un hôpital public de Brescia pour cause de chaos dans le laboratoire et le suivi des patients.
En amont de la décision du pouvoir législatif, il y a un décret pris le 21 mars par le ministre de la santé Balduzzi autorisant le traitement compassionnel par la méthode Stamina pour un nombre limité de patients malgré le non-respect des réglementations sur les produits thérapeutiques, sans pour autant satisfaire les manifestants descendus dans la rue et exigeant l’accès au traitement pour tout malade « incurable ». Il faut dire que l’opinion publique italienne est travaillée au corps par des médias sensationnalistes qui donnent volontiers une tribune à des traitements « alternatifs » miraculeux dont un establishment médical borné priverait les patients – et surtout les enfants - atteints de maladies dégénératives. Ce mouvement est relayé par la magistrature, car certains parents persuadés que le traitement Stamina était le dernier espoir pour leur enfant ont obtenu des injonctions ordonnant l’administration du traitement.
L’interférence du politique et de la magistrature, cautionnant des traitements sans fondement scientifique contre lesquels ils ont en principe vocation de protéger le public, a suscité l’indignation de la communauté scientifique internationale. Dans une lettre à l’EMBO Journal, des chercheurs inquiets relèvent le danger que l’arrivée sur le marché thérapeutique de produits inefficaces et dangereux représente pour les malades présents et futurs. L’article décortique le traitement Stamina et du même coup donne un excellent résumé des enjeux méthodologiques de la recherche translationnelle.
La convergence entre la posture héroïco-sentimentale des charlatans et le cynisme des politiques n’a en soi rien de nouveau. Quinze ans plus tôt, l’affaire du Dr Di Bella et de son traitement miracle contre le cancer avait suivi un déroulement assez semblable. Mais s’agissant de cellules souches, une dimension idéologique s’ajoute à l’alliance banale de la crédulité, de l’appât du gain et des petits calculs politiques. Il s’agit de la fascination de l’Eglise catholique pour tout traitement à base de cellules souches adultes. On sait que le Magistère catholique actuel pense que l’embryon humain est déjà une personne, que le détruire est malum in se, que les cellules souches embryonnaires sont marquées du signe de Caïn et que par contraste les traitements utilisant des cellules souches sont merveilleusement innocents. Donc ipso facto efficaces ? Pas très logique, mais c’est bien ce wishful thinking qui tente un nombre croissant de catholiques. Le ministre Balduzzo n’est pas un intégriste mais quand même ancien président de l’Action Catholique des intellectuels (Movimento eccesiale di impegno culturale) et des groupements catholiques nettement plus radicaux encadrent les familles demandeuses du traitement Stamina et manifestent bruyamment à l’appui de leurs revendications. Quant au Vatican, il organise des pseudo-congrès scientifiques d’où les chercheurs contestant la ligne du Parti (c’est-à-dire les chercheurs intéressés aux cellules souches embryonnaires) sont exclus, offrant du même coup une tribune bienvenue à des entrepreneurs plus ou moins sérieux mais flattant opportunément les espoirs de guérison catholiquement corrects de milliers de familles. Comme le dit, sévère mais juste, le commentateur de Nature : « Scientifiquement naïf, le Vatican est attiré par le concept des cellules souches adultes simplement parce que les embryons ne sont pas impliqués – mais il semble ignorer les implications éthiques des faux espoirs ».
Ce serait injuste d’accuser l’Eglise catholique d’être systématiquement du côté de l’obscurantisme. Historiquement, elle a toujours été contre la « superstition », c’est-à-dire contre toute forme de crédulité qu’elle ne contrôle pas. Elle se méfie des thérapies alternatives relevant du New Age ou de religions exotiques, voire même de ses propres miracles s’ils sont insuffisamment validés à ses yeux. Mais lorsqu’un traitement paraît qui cadre si parfaitement avec ses dogmes moraux et ses obsessions embryologiques, toutes ses ressources critiques semblent s’évaporer et L’Eglise catholique se montre capable d’être aussi post-moderne que n’importe quel relativiste ordinaire : « J’ai d’excellentes raisons de souhaiter que ce traitement marche. Donc il marche ».
Le 22 mai, entérinant un vote préalable de la Chambre des députés, le Sénat italien a donné son aval à un essai thérapeutique d’un traitement à base de cellules souches mésenchymateuses tirées de la moelle osseuse. Trois millions d’euros sont budgétés pour cet essai, mis au point par un professeur de psychologie de la communication sans formation médicale, Davide Vannoni. Comme le relate le site Bio News, il n’y a pas une miette d’évidence scientifique à l’appui de ce traitement, si ce n’est de mystérieux articles dans des journaux chinois, articles que Vannoni et la Fondation Stamina qu’il dirige ne communiquent pas. Trois millions d’euros : une jolie somme si l’on considère la pingrerie du financement public de la recherche biomédicale en Italie. Selon le commentateur de Science, beaucoup jugent que cette décision est un moindre mal, car le décret antérieur prévoyait que ce traitement aurait pu être administré à des milliers de patients en dehors de tout contrôle. Mais ce sont bien 3 millions d’euros confisqués pour un essai clinique d’un traitement bidon, mais très officiellement mené sous l’égide de l’Agence italienne du médicament (AIFA). D’ailleurs, on suppose que les experts de l’AIFA sont moyennement enthousiastes d’être ainsi instrumentalisés. Leur directeur a été très clair devant la Commission des affaires spéciales de la Chambre : « la méthode Stamina utilise la même méthodologie pour toutes les maladies. Ça s’appelle de l’huile de serpent » (en français on dirait : de la poudre de perlimpinpin). D’ailleurs, en 2012, l’AIFA et le Ministère de la santé avaient interdit la poursuite d’un essai clinique pratiqué par la Fondation Stamina dans un hôpital public de Brescia pour cause de chaos dans le laboratoire et le suivi des patients.
En amont de la décision du pouvoir législatif, il y a un décret pris le 21 mars par le ministre de la santé Balduzzi autorisant le traitement compassionnel par la méthode Stamina pour un nombre limité de patients malgré le non-respect des réglementations sur les produits thérapeutiques, sans pour autant satisfaire les manifestants descendus dans la rue et exigeant l’accès au traitement pour tout malade « incurable ». Il faut dire que l’opinion publique italienne est travaillée au corps par des médias sensationnalistes qui donnent volontiers une tribune à des traitements « alternatifs » miraculeux dont un establishment médical borné priverait les patients – et surtout les enfants - atteints de maladies dégénératives. Ce mouvement est relayé par la magistrature, car certains parents persuadés que le traitement Stamina était le dernier espoir pour leur enfant ont obtenu des injonctions ordonnant l’administration du traitement.
L’interférence du politique et de la magistrature, cautionnant des traitements sans fondement scientifique contre lesquels ils ont en principe vocation de protéger le public, a suscité l’indignation de la communauté scientifique internationale. Dans une lettre à l’EMBO Journal, des chercheurs inquiets relèvent le danger que l’arrivée sur le marché thérapeutique de produits inefficaces et dangereux représente pour les malades présents et futurs. L’article décortique le traitement Stamina et du même coup donne un excellent résumé des enjeux méthodologiques de la recherche translationnelle.
La convergence entre la posture héroïco-sentimentale des charlatans et le cynisme des politiques n’a en soi rien de nouveau. Quinze ans plus tôt, l’affaire du Dr Di Bella et de son traitement miracle contre le cancer avait suivi un déroulement assez semblable. Mais s’agissant de cellules souches, une dimension idéologique s’ajoute à l’alliance banale de la crédulité, de l’appât du gain et des petits calculs politiques. Il s’agit de la fascination de l’Eglise catholique pour tout traitement à base de cellules souches adultes. On sait que le Magistère catholique actuel pense que l’embryon humain est déjà une personne, que le détruire est malum in se, que les cellules souches embryonnaires sont marquées du signe de Caïn et que par contraste les traitements utilisant des cellules souches sont merveilleusement innocents. Donc ipso facto efficaces ? Pas très logique, mais c’est bien ce wishful thinking qui tente un nombre croissant de catholiques. Le ministre Balduzzo n’est pas un intégriste mais quand même ancien président de l’Action Catholique des intellectuels (Movimento eccesiale di impegno culturale) et des groupements catholiques nettement plus radicaux encadrent les familles demandeuses du traitement Stamina et manifestent bruyamment à l’appui de leurs revendications. Quant au Vatican, il organise des pseudo-congrès scientifiques d’où les chercheurs contestant la ligne du Parti (c’est-à-dire les chercheurs intéressés aux cellules souches embryonnaires) sont exclus, offrant du même coup une tribune bienvenue à des entrepreneurs plus ou moins sérieux mais flattant opportunément les espoirs de guérison catholiquement corrects de milliers de familles. Comme le dit, sévère mais juste, le commentateur de Nature : « Scientifiquement naïf, le Vatican est attiré par le concept des cellules souches adultes simplement parce que les embryons ne sont pas impliqués – mais il semble ignorer les implications éthiques des faux espoirs ».
Ce serait injuste d’accuser l’Eglise catholique d’être systématiquement du côté de l’obscurantisme. Historiquement, elle a toujours été contre la « superstition », c’est-à-dire contre toute forme de crédulité qu’elle ne contrôle pas. Elle se méfie des thérapies alternatives relevant du New Age ou de religions exotiques, voire même de ses propres miracles s’ils sont insuffisamment validés à ses yeux. Mais lorsqu’un traitement paraît qui cadre si parfaitement avec ses dogmes moraux et ses obsessions embryologiques, toutes ses ressources critiques semblent s’évaporer et L’Eglise catholique se montre capable d’être aussi post-moderne que n’importe quel relativiste ordinaire : « J’ai d’excellentes raisons de souhaiter que ce traitement marche. Donc il marche ».
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Manger de la viande
Bon, je vous ai fait pas mal de billets sur des questions d'éthique humaine, faisons-en un pour une fois sur l'éthique animale. Pour commencer, un billet d'introduction donc.
Les personnes (et il y en a statistiquement sans doute parmi vous) qui s'abstiennent de manger de la viande avancent en général quatre sortes d'arguments: leur propre santé, le souci de la souffrance animale, l'opposition à l'exploitation des animaux, et le coût écologique de l'élevage.
Ces arguments ne sont bien sûr pas sur le même plan. Vous aurez noté que le premier et le dernier sont surtout une question de quantité. Manger moins de viande, oui c'est bon pour la santé et aussi pour la planète. Mais cela ne fera pas de vous un végétarien. Allons même plus loin: si vous êtes médecin et soucieux de la prévention, vous aurez sans doute meilleurs temps de recommander à vos patients de manger moins de viande car ce sera là un objectif plus réaliste et ils seront donc certainement plus nombreux à l'adopter. Si vous êtes soucieux de la consommation de ressources naturelles dans l'élevage, vous aurez sans doute avantage à faire le même calcul.
-Manger de la viande élevée dans des circonstances correctes est moralement acceptable, davantage que manger des plantes cultivées dans des circonstances incorrectes.
-L'élevage animal est un échange, fondé sur un accord implicite millénaire: nous fournissons les conditions d'une vie meilleure qu'à l'état sauvage, et en échange nous 'récoltons' une part du troupeau.
-Manger de la viande pose un problème moral, mais tant de choses dans notre vie posent un problème moral que vivre sans faute morale est irréalisable. Nous savons par exemple - dit l'auteur- qu'il y a des considérations morales forte pour donner son argent pour aider les démunis plutôt que pour s'acheter des choses chères, ou pour adopter des enfants plutôt que d'en concevoir. Nous savons que la morale exige de nous plus que nous ne sommes capables de faire. Le monde moral est tragique. Dans la vraie vie, la véritable question ne devrait donc pas être 'peut-on vivre hors de tout blâme' mais 'pour quelles raisons devrions-nous être blâmés'. Manger de la viande, donc, requiert que l'on soit en mesure de montrer pour quelles raisons nous le faisons, et de justifier cet acte par le poids moral de ces raisons.
-Et finalement, le dernier est presque un clin d’œil puisqu'il est en fait un argument pour ne pas manger de la viande. Tuer des animaux, dit l'auteur, est moralement justifié car la plupart des animaux ne subissent pas de tort en étant tués. Pourquoi? Il y a deux manières de subir un dommage. Si votre qualité de vie est diminuée à un moment donné, et la mort rapide ne fait pas cela. Ou si quelque chose empêche votre vie dans son ensemble d'être améliorée. Or, une fois que les animaux ont une vie qui remplit certaines conditions de survie de base, leur vie ne peut plus s'améliorer dans son ensemble. Une mort rapide dans ces conditions, donc, ne leur cause pas de tort. Néanmoins, poursuit l'auteur, il est meilleur de ne pas manger de viande. Pourquoi? Parce que nous sommes horrifiés par l'idée d'un être vivant tué pour nous nourrir. D'autant plus si ses conditions de vie et de mort ont été indécentes, comme c'est trop souvent le cas. Donc, pour nous améliorer notre vie à nous, nous ne devrions pas manger de viande.
Vous remarquerez qu'un nombre important de ces arguments repose sur des conditions spécifiques d'élevage et d'agriculture. Des arguments pour manger certaines sortes de viandes, donc. En Suisse, on est relativement bien lotis en termes de conditions d'élevage des animaux, mais c'est relatif. Il y a certainement des choses à dire sur les sources de viandes qui rempliraient, ou non, les conditions supposées dans la plupart de ces textes. Allez les lire, si vous lisez l'anglais. Et de toute manière, dites-nous ce que vous en pensez...
Les personnes (et il y en a statistiquement sans doute parmi vous) qui s'abstiennent de manger de la viande avancent en général quatre sortes d'arguments: leur propre santé, le souci de la souffrance animale, l'opposition à l'exploitation des animaux, et le coût écologique de l'élevage.
Ces arguments ne sont bien sûr pas sur le même plan. Vous aurez noté que le premier et le dernier sont surtout une question de quantité. Manger moins de viande, oui c'est bon pour la santé et aussi pour la planète. Mais cela ne fera pas de vous un végétarien. Allons même plus loin: si vous êtes médecin et soucieux de la prévention, vous aurez sans doute meilleurs temps de recommander à vos patients de manger moins de viande car ce sera là un objectif plus réaliste et ils seront donc certainement plus nombreux à l'adopter. Si vous êtes soucieux de la consommation de ressources naturelles dans l'élevage, vous aurez sans doute avantage à faire le même calcul.
Et les arguments pour manger de la viande? Le New York Times s'est intéressé l'an dernier à la question, et a récolté toute une série de textes. L'un d'entre eux, c'est d'ailleurs celui qui a récolté le plus de votes, est écrit par la présidente de People for the Ethical Treatment of Animals. Son argument? Il est désormais possible de fabriquer de la viande in vitro, sans rien faire du tout à un être vivant. Un argument un peu exotique peut-être, mais qui risque de ne pas rester longtemps irréaliste. Les autres? En très bref, car derrière le lien se trouvent les textes complets, voici les autres:
-L'élevage animal est un complément plus écologique à la culture des plantes que ses alternatives sur une ferme bio et manger de la viande est donc nécessaire pour que les cycles soient clos.
-L'élevage animal est un complément plus écologique à la culture des plantes que ses alternatives sur une ferme bio et manger de la viande est donc nécessaire pour que les cycles soient clos.
-Manger de la viande élevée dans des circonstances correctes est moralement acceptable, davantage que manger des plantes cultivées dans des circonstances incorrectes.
-L'élevage animal est un échange, fondé sur un accord implicite millénaire: nous fournissons les conditions d'une vie meilleure qu'à l'état sauvage, et en échange nous 'récoltons' une part du troupeau.
-Manger de la viande pose un problème moral, mais tant de choses dans notre vie posent un problème moral que vivre sans faute morale est irréalisable. Nous savons par exemple - dit l'auteur- qu'il y a des considérations morales forte pour donner son argent pour aider les démunis plutôt que pour s'acheter des choses chères, ou pour adopter des enfants plutôt que d'en concevoir. Nous savons que la morale exige de nous plus que nous ne sommes capables de faire. Le monde moral est tragique. Dans la vraie vie, la véritable question ne devrait donc pas être 'peut-on vivre hors de tout blâme' mais 'pour quelles raisons devrions-nous être blâmés'. Manger de la viande, donc, requiert que l'on soit en mesure de montrer pour quelles raisons nous le faisons, et de justifier cet acte par le poids moral de ces raisons.
-Et finalement, le dernier est presque un clin d’œil puisqu'il est en fait un argument pour ne pas manger de la viande. Tuer des animaux, dit l'auteur, est moralement justifié car la plupart des animaux ne subissent pas de tort en étant tués. Pourquoi? Il y a deux manières de subir un dommage. Si votre qualité de vie est diminuée à un moment donné, et la mort rapide ne fait pas cela. Ou si quelque chose empêche votre vie dans son ensemble d'être améliorée. Or, une fois que les animaux ont une vie qui remplit certaines conditions de survie de base, leur vie ne peut plus s'améliorer dans son ensemble. Une mort rapide dans ces conditions, donc, ne leur cause pas de tort. Néanmoins, poursuit l'auteur, il est meilleur de ne pas manger de viande. Pourquoi? Parce que nous sommes horrifiés par l'idée d'un être vivant tué pour nous nourrir. D'autant plus si ses conditions de vie et de mort ont été indécentes, comme c'est trop souvent le cas. Donc, pour nous améliorer notre vie à nous, nous ne devrions pas manger de viande.
Vous remarquerez qu'un nombre important de ces arguments repose sur des conditions spécifiques d'élevage et d'agriculture. Des arguments pour manger certaines sortes de viandes, donc. En Suisse, on est relativement bien lotis en termes de conditions d'élevage des animaux, mais c'est relatif. Il y a certainement des choses à dire sur les sources de viandes qui rempliraient, ou non, les conditions supposées dans la plupart de ces textes. Allez les lire, si vous lisez l'anglais. Et de toute manière, dites-nous ce que vous en pensez...
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Eh oui, encore mes collègues...
Cette fois c'est Alex Mauron, qui a signé une très belle tribune dans Le Temps sur un sujet dont je vous ai aussi parlé. Allez le lire. Ici, juste un extrait et le lien:
"Publié le 14 mai dernier, l’arrêt «Gross contre Suisse» de la Cour européenne des droits de l’homme remet sur le tapis un sujet de controverse que beaucoup ont peut-être cru réglé une fois pour toutes dans notre pays, à savoir la pratique légale de l’assistance au suicide."
Ensuite, dites-nous ce que vous en pensez, d'accord?
"Publié le 14 mai dernier, l’arrêt «Gross contre Suisse» de la Cour européenne des droits de l’homme remet sur le tapis un sujet de controverse que beaucoup ont peut-être cru réglé une fois pour toutes dans notre pays, à savoir la pratique légale de l’assistance au suicide."
Ensuite, dites-nous ce que vous en pensez, d'accord?
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Mes collègues...
Une collègue juriste, cette fois, et une vraiment excellente. Elle écrivait il y a quelques temps dans Le Temps, sur le sujet de Novartis accusée aux Etats-Unis "d’avoir violé la législation interdisant les kickbacks (Anti-kickback Statute) et celle sur les fausses factures (False Claims Act, FCA)". Un sujet délicat va-t-on dire. Comme d'habitude, un extrait et le lien:
"Aujourd’hui, le géant suisse conteste entièrement les accusations du gouvernement américain et il sera intéressant de voir si cette affaire ira devant les tribunaux. En effet, les négociations à l’amiable étant la règle, les jugements suite à un procès sont extrêmement rares. De plus, l’affaire Novartis soulève la question hautement délicate des rabais: la frontière entre les rabais de quantité jugés neutres et ceux qui influent de manière inadmissible la liberté de jugement des professionnels de la santé est très incertaine.
La Suisse ne connaît pas de législation similaire au False Claims Act. En revanche, elle interdit ou contrôle les kickbacks dans le secteur de la santé."
Allez lire la suite. C'est un sujet intéressant. En Suisse, bien sûr, ces pratiques sont également interdites, comme le souligne Valérie Junod. Mais comme elle le souligne également, les frontières entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas peuvent être floue. Qu'est-ce qui constitue, exactement, un 'kickback'? Si vous êtiez un représentant pharmaceutique et que vous versiez de l'argent à un médecin pour qu'il prescrive le médicament de votre firme, les choses seraient claires: ça c'est interdit. Mais il y a des situations qui le sont moins.
Disons que vous recrutez des médecins pour participer à une étude clinique. C'est une activité légitime. Ils vont devoir fournir des prestations pour que l'étude puisse avoir lieu. Jusque là pas de problème. Ils vont donc aussi devoir être rémunérés. Pas de problème me direz-vous. A juste titre.
Maintenant, imaginez que vous les recrutez pour réaliser une étude sur un de vos médicaments déjà sur le marché. Disons pour évaluer son profil d'effets secondaires. Cela s'appelle une étude de phase IV, et c'est une forme de recherche importante car il arrive assez fréquemment que des effets secondaires soient trop rares pour être 'vus' lors des essais précédant la mise sur le marché, et ne soient donc détectés qu'après la mise sur le marché d'un médicament.
Jusque là pas de problème? Bon, il y a peut-être un conflit d'intérêts me direz-vous, si c'est le fabricant qui réalise cette étude. Mais face à un conflit d'intérêts on doit commencer par se demander s'il peut être géré ou non, et celui-ci ne sera pas nécessairement ingérable. Un conflit d'intérêts, après tout, ce n'est pas en soi une faute morale: c'est une situation à risque et tout repose sur la manière dont il est géré dans les règles et dans les faits. OK.
Alors maintenant, imaginez que l'étude porte sur les circonstances dans lesquelles on choisit de remplacer un médicament standard par celui de votre firme, et que donc les médecins en question ne puissent y inclure des patients que s'ils ont d'abord décidé de passer au médicament de la firme. Cela devient nettement plus risqué. Vous allez les payez pour cette étude, comme pour les autres. Avez-vous du coup offert de l'argent pour que les médecins prescrivent votre médicament? Cela commence à beaucoup y ressembler.
Est-ce autorisé? L'Académie Suisse des Sciences Médicales a spécifié dans des directives sur les rapports entre médecins et industrie que "Les médecins cliniciens, praticiens et chercheurs n’acceptent, de la partde l’industrie, aucun avantage en espèces ou en nature dépassant les limites de petits gestes de gratitude financièrement insignifiants." Autorisé, donc? Cela va dépendre - en partie du moins- de ce qui compte comme 'financièrement insignifiant'. Et l'exemple que je vous ai décrit n'est bien sûr rien d'autre que cela: un exemple. Un sujet délicat, je vous le disais...
"Aujourd’hui, le géant suisse conteste entièrement les accusations du gouvernement américain et il sera intéressant de voir si cette affaire ira devant les tribunaux. En effet, les négociations à l’amiable étant la règle, les jugements suite à un procès sont extrêmement rares. De plus, l’affaire Novartis soulève la question hautement délicate des rabais: la frontière entre les rabais de quantité jugés neutres et ceux qui influent de manière inadmissible la liberté de jugement des professionnels de la santé est très incertaine.
La Suisse ne connaît pas de législation similaire au False Claims Act. En revanche, elle interdit ou contrôle les kickbacks dans le secteur de la santé."
Allez lire la suite. C'est un sujet intéressant. En Suisse, bien sûr, ces pratiques sont également interdites, comme le souligne Valérie Junod. Mais comme elle le souligne également, les frontières entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas peuvent être floue. Qu'est-ce qui constitue, exactement, un 'kickback'? Si vous êtiez un représentant pharmaceutique et que vous versiez de l'argent à un médecin pour qu'il prescrive le médicament de votre firme, les choses seraient claires: ça c'est interdit. Mais il y a des situations qui le sont moins.
Disons que vous recrutez des médecins pour participer à une étude clinique. C'est une activité légitime. Ils vont devoir fournir des prestations pour que l'étude puisse avoir lieu. Jusque là pas de problème. Ils vont donc aussi devoir être rémunérés. Pas de problème me direz-vous. A juste titre.
Maintenant, imaginez que vous les recrutez pour réaliser une étude sur un de vos médicaments déjà sur le marché. Disons pour évaluer son profil d'effets secondaires. Cela s'appelle une étude de phase IV, et c'est une forme de recherche importante car il arrive assez fréquemment que des effets secondaires soient trop rares pour être 'vus' lors des essais précédant la mise sur le marché, et ne soient donc détectés qu'après la mise sur le marché d'un médicament.
Jusque là pas de problème? Bon, il y a peut-être un conflit d'intérêts me direz-vous, si c'est le fabricant qui réalise cette étude. Mais face à un conflit d'intérêts on doit commencer par se demander s'il peut être géré ou non, et celui-ci ne sera pas nécessairement ingérable. Un conflit d'intérêts, après tout, ce n'est pas en soi une faute morale: c'est une situation à risque et tout repose sur la manière dont il est géré dans les règles et dans les faits. OK.
Alors maintenant, imaginez que l'étude porte sur les circonstances dans lesquelles on choisit de remplacer un médicament standard par celui de votre firme, et que donc les médecins en question ne puissent y inclure des patients que s'ils ont d'abord décidé de passer au médicament de la firme. Cela devient nettement plus risqué. Vous allez les payez pour cette étude, comme pour les autres. Avez-vous du coup offert de l'argent pour que les médecins prescrivent votre médicament? Cela commence à beaucoup y ressembler.
Est-ce autorisé? L'Académie Suisse des Sciences Médicales a spécifié dans des directives sur les rapports entre médecins et industrie que "Les médecins cliniciens, praticiens et chercheurs n’acceptent, de la partde l’industrie, aucun avantage en espèces ou en nature dépassant les limites de petits gestes de gratitude financièrement insignifiants." Autorisé, donc? Cela va dépendre - en partie du moins- de ce qui compte comme 'financièrement insignifiant'. Et l'exemple que je vous ai décrit n'est bien sûr rien d'autre que cela: un exemple. Un sujet délicat, je vous le disais...
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