Quand une personne malade ne peut pas prendre de décisions pour elle-même, quand elle est comme on dit incapable de discernement, comment s'assurer que les décisions médicales reflètent ce qu'elle aurait voulu? Depuis le premier janvier 2013, le Code civile donne à certains membres
de la famille du patient le droit de décider à sa place. Ce droit, il n'est pas tout simple à exercer pour les membres de la famille du patient. Il n'est pas non plus tout simple à reconnaître, et reconnaître correctement, pour les professionnels de la santé. J'y ai consacré un de mes billets dans la Revue Médicale Suisse. Comme d'habitude, le lien est derrière l'extrait. Car ce changement du Code civile génère quelques craintes.
"Mais alors" entend-on par exemple, "comment va-t-on dire non aux familles ?" Cette question peut paraître aggressive si je suis un membre de la famille d'une personne malade, mais derrière elle il y a en fait des questions légitimes, et qui dénotent un vrai souci pour moi. Comment vais-je m'en sortir si on me demande de prendre des décisions médicales à la place des médecins? Comment vais-je le vivre? Et si je demande des choses qui me semblent justes mais seulement parce que je ne connais pas leurs effets, des choses qui seront contraires à l'intérêt de mon proche malade, par exemple? A la base de ces craintes, toujours la même idée : les proches pourraient tout décider pour le patient. Mais en fait ce n’est pas du tout ce qui est prévu. Tout comme le patient lorsqu’il est capable de discernement, les proches auront le droit de consentir – ou non – aux interventions médicales proposées. Pas moins, mais pas plus non plus. Ils n’auront pas le droit d’exiger des interventions non indiquées, une prise en charge dans telle ou telle unité, ou des ressources infinies. Comment dire non aux familles ? Avec difficulté, certes, comme dans tout désaccord entre personnes humaines normalement constituées. Avec difficulté, oui, mais de bon droit.
Pourquoi avons-nous du mal à le voir ? Peut-être parce que nous avons
aussi parfois du mal à dessiner les contours de l’autonomie qui est ici
représentée : celle du patient.
Car en reconnaissant l’importance de l’autonomie du patient dans la
médecine, on n’a pas toujours reconnu ce qu’elle pouvait avoir de
complexe. Premièrement, même si la liberté nous évoque l’absence de
limites, aucune de ses variantes n’est réellement illimitée. La liberté
d’action au sens le plus large s’arrête, dit-on toujours, où commence
celle des autres. C’est le principe du tort. Un patient ne
pourra pas s’attendre à mon aide pour assassiner sa femme : c’est
évident. L’autonomie qui importe dans la pratique clinique n’est pas une
liberté totale, ni même la liberté dans les limites du principe du
tort. C’est la souveraineté sur notre propre corps. Le droit de dire non
à une intrusion dans notre sphère personnelle lorsque l’on rejette, en
connaissance de cause, son bien-fondé. Ce droit est crucial, mais
n’inclut pas celui d’exiger des interventions. Bien sûr, il arrive qu’un
patient demande des choses qui restent raisonnables et dans ces cas on
négocie.[4] Il en ira de même avec ses proches.
Cette forme de l’autonomie n’est pas non plus un devoir de décider dans une splendide solitude. Tenir compte des avis de ceux qui nous entourent, connaître les recommandations des professionnels, rien de cela n’est contraire à l’exercice de notre liberté. Plutôt que de prendre une posture de parfaite neutralité, respecter l’autonomie des patients exige des soignants quelque chose de plus subtil : que leur avis nous importe assez visiblement pour qu’ils puissent avoir la confiance de nous dire non. Difficile exercice. Mais leur refuser nos conseils serait, devant une décision compliquée, une bien étrange manière de les rendre plus libres. Les familles de nos patients vont elles aussi continuer d’avoir besoin de notre avis. Sans doute encore davantage. Exercer la liberté d’autrui ? Cela donnerait le vertige. Il s’agira en fait davantage de donner voix à ce qu’il aurait voulu, de fonder une décision sur la vision qu’il avait de son propre intérêt. Oui, cet exercice peut clairement être soutenu par une aide. Il est difficile lui aussi, et beaucoup seront débutants. Comment aider les familles ? Voilà une question bien différente… On devrait la poser aussi avec les patients : comment les aider à être autonomes ? Tout un programme, et qui n’est pas si paradoxal que ça.
Décider à la place de ses proches
Quand une personne malade ne peut pas prendre de décisions pour elle-même, quand elle est comme on dit incapable de discernement, comment s'assurer que les décisions médicales reflètent ce qu'elle aurait voulu? Parfois, c'est évident. Si j'arrive aux urgences inconsciente après un accident de la route, je serai soignée sans délai parce que c'est clair que c'est ce que voudrait toute personne. Ou suffisamment toute personne pour aller de l'avant sur cette base. Parfois, en revanche, c'est nettement moins clair. Si l'espoir de me sauver diminue, si je pourrais peut-être vivre un peu plus longtemps dans un mauvais état, faut-il me maintenir en vie artificiellement? Cela dépendra du degré d'espoir, de l'état où je suis, du temps probable, et surtout de mes priorités. Il deviendra très important de les connaître. Si je ne peux pas les exprimer, comment faire?
Depuis le premier janvier 2013, le Code civile donne à certains membres de la famille du patient le droit de décider à sa place. C'est un changement important. Suffisamment pour mériter deux billets. Le Conseil d'éthique clinique des HUG y a aussi consacré une recommandation. Ici, je vais commencer par aborder quelques points qui peuvent être au centre si la question est de décider à la place d'un proche.
Ces mots sont pesés: c'est décider à sa place et non pas pour lui. La différence? Il s'agira de décider, autant que possible, ce que la personne elle-même aurait décidé. De déterminer comment elle aurait vu ses propres intérêts. Pas de décider ce que je veux, mais ce qu'elle voudrait.
Ce droit est donné par le nouveau Code civile selon un ordre de « proximité ». La priorité est d'abord donnée à la personne que le patient aurait désigné comme représentant thérapeutique dans une directive anticipée. S'il a un représentant légal nommé par un tribunal, il viendra en deuxième. C'est le choix du patient qui a donc la priorité. Ensuite, viennent dans l’ordre :
- son conjoint ou son partenaire enregistré, s’il fait ménage commun avec lui ou qu’il lui fournit une assistance personnelle régulière ;
- la personne qui fait ménage commun avec lui, et qui lui fournit une assistance personnelle régulière;
- ses descendants, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses père et mère, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses frères et sœurs, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière.
La notion d'assistance personnelle régulière n'est pas définie. Mais elle est censée signaler qu'il existe un vrai lien, fort, incarné dans une présence dans la vie de la personne, entre le patient et le proche. Si vous êtes mariés mais au milieu d'un divorce sanglant et que vous ne pouvez plus supporter de respirer le même air, on ne viendra pas vous demander s'il faut pratiquer une intervention sur votre mari ou votre femme. Ouf. En fait, cette liste vise un certain équilibre entre deux manières d'être proche: être un parent proche au sens des liens de parenté, et être un parent proche par le coeur. La proximité du coeur, évidemment, ne nécessite pas de lien de parenté. Elle peut exister à géométrie variable, être là plus ou moins, et compter quand même. La 'personne qui fait ménage commun' inclut par exemple ici à la fois l'amour de votre vie avec qui vous vivez sans être marié, ou un collocataire qui est un bon ami.
Ce droit, même dans les bonnes situations, comment l'exercer? On le voit, il va être difficile. D'abord, il faut être au clair sur ce qui est demandé. Il y aura deux composantes ici: d'abord, que sais-je sur ce que la personne malade aurait voulu? Ensuite, que sais-je sur comment elle aurait vu, ici, son propre intérêt? Ensuite, c'est évidemment une responsabilité lourde, et que les personnes concernées perçoivent comme telle. Certaines sont hantées par ces décisions durant des années. En plus nous sommes tous, à un moment ou à un autre, débutants dans ce genre de décision.
En même temps, ce droit est important. C'est un droit à être inclus dans des décisions cruciales concernant ceux que nous aimons le plus, que nous connaissons le mieux. C'est un droit à être entendu, à rendre ce que nous savons de la personne malade plus visible. Une collègue norvégienne qui présente ses recherches dans le congrès où je suis ces jours a interviewé ces proches, et ils disent largement que cette inclusion, difficile, a été cruciale pour eux. Ils disent aussi une chose qui devrait être évidente: que vouloir être inclus n'est pas nécessairement vouloir décider soi-même, ni surtout vouloir décider tout seul. "Nous avons été écoutés, et ça a énormément compté; mais c'était aussi important qu'on nous laisse être d'abord des parents, ne pas devoir prendre les décisions des médecins". Décider ensemble, prendre les conseils des professionnels comme proches, prendre l'avis des proches comme professionnels, trouver ensemble les décisions qui conviennent le mieux à une personne malade. Un but qui devrait être très raisonnable...
Le côté très raisonnable de ce but, il mérite d'être rappelé. En donnant plus de droits aux proches, le nouveau Code civile peut soutenir ce partage de la décision. Mais il pourrait aussi être mal compris. Par exemple, il pourrait être compris comme donnant purement et simplement le pouvoir de tout décider aux familles, y compris pour des questions techniques et médicales. On peut comprendre qu'on serait, comme proche, souvent déroutés. Les professionnels le seraient aussi, si on se mettait à faire comme ça. Si les médecins se mettaient à demander 'alors, on fait quoi?' plutôt que 'expliquez-moi ce que votre proche aurait voulu' ou 'expliquez-moi qui est votre proche', comment réagirait-on? Pas tous de la même manière, sans doute. Mais de nombreuses personnes seraient alors démunies, laissée à elles-mêmes, comme contraintes à prendre des décisions dont certaines ne voudront pas: voilà le genre de malentendu qu'il faut à tout prix d'éviter.
Heureusement, c'est possible d'être aidé à traverser ces situations. Bien sûr, elles vont être intensément difficiles de toute manière. Mais il est possible d'être aidé. Les personnes qui les vivent sont soutenues si elles connaissent les priorités du malade, par exemple. En parler à l'avance avec sa famille, écrire des directives anticipées, c'est donc leur rendre service. Donner de la place aux soucis des proches dans l'hôpital, ça aide bien sûr aussi. Décider ensemble, c'est aussi accompagner au travers de la difficulté des décisions. Cela semble évident, et c'est en plus scientifiquement démontré. Mais là, même si des progrès ont eu lieu, il reste du chemin à faire. Nos hôpitaux restent trop souvent des lieux construits sans espaces pour cela, qui fonctionnent selon des logiques qui laisse trop peu de temps à cela. Oui, il reste du chemin. Bien comprendre ce que signifie décider à la place de ses proches, cela pourrait ici être un pas de plus...
Depuis le premier janvier 2013, le Code civile donne à certains membres de la famille du patient le droit de décider à sa place. C'est un changement important. Suffisamment pour mériter deux billets. Le Conseil d'éthique clinique des HUG y a aussi consacré une recommandation. Ici, je vais commencer par aborder quelques points qui peuvent être au centre si la question est de décider à la place d'un proche.
Ces mots sont pesés: c'est décider à sa place et non pas pour lui. La différence? Il s'agira de décider, autant que possible, ce que la personne elle-même aurait décidé. De déterminer comment elle aurait vu ses propres intérêts. Pas de décider ce que je veux, mais ce qu'elle voudrait.
Ce droit est donné par le nouveau Code civile selon un ordre de « proximité ». La priorité est d'abord donnée à la personne que le patient aurait désigné comme représentant thérapeutique dans une directive anticipée. S'il a un représentant légal nommé par un tribunal, il viendra en deuxième. C'est le choix du patient qui a donc la priorité. Ensuite, viennent dans l’ordre :
- son conjoint ou son partenaire enregistré, s’il fait ménage commun avec lui ou qu’il lui fournit une assistance personnelle régulière ;
- la personne qui fait ménage commun avec lui, et qui lui fournit une assistance personnelle régulière;
- ses descendants, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses père et mère, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière ;
- ses frères et sœurs, s’ils lui fournissent une assistance personnelle régulière.
La notion d'assistance personnelle régulière n'est pas définie. Mais elle est censée signaler qu'il existe un vrai lien, fort, incarné dans une présence dans la vie de la personne, entre le patient et le proche. Si vous êtes mariés mais au milieu d'un divorce sanglant et que vous ne pouvez plus supporter de respirer le même air, on ne viendra pas vous demander s'il faut pratiquer une intervention sur votre mari ou votre femme. Ouf. En fait, cette liste vise un certain équilibre entre deux manières d'être proche: être un parent proche au sens des liens de parenté, et être un parent proche par le coeur. La proximité du coeur, évidemment, ne nécessite pas de lien de parenté. Elle peut exister à géométrie variable, être là plus ou moins, et compter quand même. La 'personne qui fait ménage commun' inclut par exemple ici à la fois l'amour de votre vie avec qui vous vivez sans être marié, ou un collocataire qui est un bon ami.
Ce droit, même dans les bonnes situations, comment l'exercer? On le voit, il va être difficile. D'abord, il faut être au clair sur ce qui est demandé. Il y aura deux composantes ici: d'abord, que sais-je sur ce que la personne malade aurait voulu? Ensuite, que sais-je sur comment elle aurait vu, ici, son propre intérêt? Ensuite, c'est évidemment une responsabilité lourde, et que les personnes concernées perçoivent comme telle. Certaines sont hantées par ces décisions durant des années. En plus nous sommes tous, à un moment ou à un autre, débutants dans ce genre de décision.
En même temps, ce droit est important. C'est un droit à être inclus dans des décisions cruciales concernant ceux que nous aimons le plus, que nous connaissons le mieux. C'est un droit à être entendu, à rendre ce que nous savons de la personne malade plus visible. Une collègue norvégienne qui présente ses recherches dans le congrès où je suis ces jours a interviewé ces proches, et ils disent largement que cette inclusion, difficile, a été cruciale pour eux. Ils disent aussi une chose qui devrait être évidente: que vouloir être inclus n'est pas nécessairement vouloir décider soi-même, ni surtout vouloir décider tout seul. "Nous avons été écoutés, et ça a énormément compté; mais c'était aussi important qu'on nous laisse être d'abord des parents, ne pas devoir prendre les décisions des médecins". Décider ensemble, prendre les conseils des professionnels comme proches, prendre l'avis des proches comme professionnels, trouver ensemble les décisions qui conviennent le mieux à une personne malade. Un but qui devrait être très raisonnable...
Le côté très raisonnable de ce but, il mérite d'être rappelé. En donnant plus de droits aux proches, le nouveau Code civile peut soutenir ce partage de la décision. Mais il pourrait aussi être mal compris. Par exemple, il pourrait être compris comme donnant purement et simplement le pouvoir de tout décider aux familles, y compris pour des questions techniques et médicales. On peut comprendre qu'on serait, comme proche, souvent déroutés. Les professionnels le seraient aussi, si on se mettait à faire comme ça. Si les médecins se mettaient à demander 'alors, on fait quoi?' plutôt que 'expliquez-moi ce que votre proche aurait voulu' ou 'expliquez-moi qui est votre proche', comment réagirait-on? Pas tous de la même manière, sans doute. Mais de nombreuses personnes seraient alors démunies, laissée à elles-mêmes, comme contraintes à prendre des décisions dont certaines ne voudront pas: voilà le genre de malentendu qu'il faut à tout prix d'éviter.
Heureusement, c'est possible d'être aidé à traverser ces situations. Bien sûr, elles vont être intensément difficiles de toute manière. Mais il est possible d'être aidé. Les personnes qui les vivent sont soutenues si elles connaissent les priorités du malade, par exemple. En parler à l'avance avec sa famille, écrire des directives anticipées, c'est donc leur rendre service. Donner de la place aux soucis des proches dans l'hôpital, ça aide bien sûr aussi. Décider ensemble, c'est aussi accompagner au travers de la difficulté des décisions. Cela semble évident, et c'est en plus scientifiquement démontré. Mais là, même si des progrès ont eu lieu, il reste du chemin à faire. Nos hôpitaux restent trop souvent des lieux construits sans espaces pour cela, qui fonctionnent selon des logiques qui laisse trop peu de temps à cela. Oui, il reste du chemin. Bien comprendre ce que signifie décider à la place de ses proches, cela pourrait ici être un pas de plus...
Que faire de nos biais?
"On considère que les professionnels de la santé ont une obligation de traiter leurs patients de façon impartiale, mais de récentes études empiriques indiquent qu’il existe une nouvelle menace à cet idéal : les biais implicites. Les biais implicites sont des associations qui ne se font pas de manière consciente entre personnes qui appartiennent à un groupe social et un attribut négatif. Nous avons souvent des biais implicites envers des personnes d’une autre race lorsque nous n’avons pas de biais explicites racistes. Les biais implicites sont donc un vrai problème pour les professionnels de la santé qui tentent de traiter leurs patients avec impartialité. On peut alors se demander qui devrait assumer la responsabilité morale de ce phénomène : les professionnels eux-mêmes, les institutions de la santé? Les individus peuvent sembler impuissants face à ces biais étant donné qu’ils ne se font pas de manière consciente. Pourtant, des études empiriques montrent que l’on peut influencer ses biais implicites. Je tenterai de démontrer que les professionnels de la santé doivent assumer la responsabilité de minimiser leurs biais envers les patients."
Vous êtes curieux? Venez! C'est au 3e étage de l'hôpital cantonal, salle 3-797 au 3ème étage, et c'est ouvert à toute personne intéressée. Et oui une chose encore: c'est lundi 11 mars à 12h30.
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Un peu sec, ce titre. Mais comme souvent, derrière se cachent des histoires...
Pour la première, imaginez que vous êtes un tout nouveau médecin tout fraîchement diplômé au Ghana. Votre famille est intensément fière de vous, mais en fait vos perspectives sont limitées. Vos chances d'une bonne situation de travail semblent compromises. Votre environnement et vos conditions de travail sont très difficiles. Votre système de santé est l'un des plus pauvres du monde. Vous n'allez pas pouvoir exercer la médecine que l'on vous a enseignée. Au milieu des années 2000, votre revenu aurait été de 1/16e de celui que gagnait un confrère anglais, 1/22e pour un confrère américain. Que faire? Vos collègues émigrent en masse. De ceux qui ont été formés entre 1986 et 1995, la moitié sont désormais à l'étranger. Et ça continue.
Maintenant, imaginez que vous êtes un étudiant en médecine suisse enthousiaste en première année. Votre famille est intensément fière de vous, mais en fait vos perspectives sont limitées. Vos chances de terminer vos études semblent compromises. Les admissions sont compétitives, avec 3.8 candidats pour chaque place en 2009. Parmi les gens comme vous, la plupart (dont des personnes très intelligentes et très bien) ne deviendront jamais médecin. Ceci va arriver malgré le fait que l'on manque de docteurs là où vous vivez. Des craintes de pénurie ont été récurrentes au long des années pour certaines spécialités médicales. Un des effets de la chute des effectifs est que l'immigration de médecins étrangers est en augmentation. Actuellement, un peu plus de 25% des médecins exerçant en Suisse ont été formés à l'étranger. En Europe, les chiffres vont de 0.7% en Pologne à 37.5% en Grande-Bretagne. Les Etats-Unis emploient la moitié des médecins anglophones de la planète.
Le lien entre ces deux histoires est assez évident. Pourquoi autorisons-nous une telle situation? Il y a plein de mécanismes, plein de raisons, mais au fond si nous faisons si peu pour la changer c'est surtout parce que l'immigration de médecins de pays plus pauvres vers des pays plus riches est un très bon deal pour les pays riches. Nous serions théoriquement capables de former plus de médecins. Ce serait, a-t-on dit, une composante nécessaire d'un système de santé durable. Mais former plus de médecins coûterait de l'argent des contribuables. Ou plus exactement, de l'argent de nos contribuables. Les médecins formés ailleurs sont, après tout, souvent aussi formé aux frais de contribuables, mais locaux. Lorsque ces médecins émigrent en Europe, en Australie, ou aux Etats-Unis, ils représentent un subside de la part -souvent- des pauvres en faveur - souvent- des riches.
Nous évitons en général de regarder ce problème de trop près, en nous disant qu'après tout les médecins qui viennent en Suisse quittent pour ça des pays qui ne vont pas si mal que ça. C'est vrai. Mais nos voisins, qui vont relativement bien, ont des voisins qui vont moins bien. Ils vont se tourner vers eux pour recruter des médecins dans les places laissées vacantes par ceux qui seront venus chez nous. Et ainsi de suite. Le résultat est prévisible. Les seuls pays qui n'auront pas de voisin plus pauvre vers lequel se tourner seront les plus pauvres de la planète. Le résultat net est une migration mondiale des professionnels de la santé qui s'éloignent des plus grands besoins de santé. Ils détournent aussi leur intelligence des problèmes de leur région, pour en faire bénéficier des patient mieux lottis dans les pays riches.
Que devrions-nous faire? Il y a beaucoup de discussions autour de cela. Mais la réponse la plus simple tient en une phrase: former plus de médecins et plus de généralistes. Nous recrutons -entre autres- car des manques existent dans certaines spécialités et dans certaines régions. Cesser de le faire va nécessiter des efforts pour encourager nos jeunes collègues à se former ici, à travailler là. Parfois, ce qu'il faudra en fait ce sera des efforts pour cesser de les en décourager. Car oui, on les décourage. Oh, pas activement bien sûr. Mais les étudiants se disent souvent attirés par la médecine de cabinet, par le travail du médecin de famille. Arrivés au diplôme, leur nombre s'est réduit comme peau de chagrin: ils ont cotoyé et admiré des spécialistes d'hôpitaux, ils ont vu le manque de prestige du difficile travail des généralistes, senti un revenu plus fragile, et changé d'avis. Chacune de ces étapes va devoir être revue. Coûteux? Sans doute. Mais cela devrait nous faire réfléchir, qu'il semble si difficile de faire ce qu'exigerait, en fait, le bon sens. Car c'est le prix d'un devoir que nous avons. Envers les patients, qui doivent continuer d'avoir accès à un système qui ne soit pas une succession de visages morcelés dans la multiplication des spécialistes à leur chevet. Sans un nombre suffisant de généralistes, c'est ce qui les guette. Envers les étudiants, qui ont souvent les rêves et les ambitions au bon endroit et à qui nous devons donner les moyens de se former principalement à la médecine de premier recours. Nous devrions les y encourager, nous faisons trop souvent le contraire. Et puis, osera-t-on dire, envers les patients d'autres pays? A ceux qu'aurait soignés notre médecin Ghanéen du début? Ils ont souvent financé les études de leurs médecins. Les leur enlever alors qu'ils sont si peu nombreux est injuste. Le faire par simple calcul économique est indécent. Et comme si ce n'était pas suffisant, on le fait en plus au prix de l'avenir d'une partie de nos étudiants...Voilà des enjeux qui valent un certain prix, vous ne trouvez pas?
Pour la première, imaginez que vous êtes un tout nouveau médecin tout fraîchement diplômé au Ghana. Votre famille est intensément fière de vous, mais en fait vos perspectives sont limitées. Vos chances d'une bonne situation de travail semblent compromises. Votre environnement et vos conditions de travail sont très difficiles. Votre système de santé est l'un des plus pauvres du monde. Vous n'allez pas pouvoir exercer la médecine que l'on vous a enseignée. Au milieu des années 2000, votre revenu aurait été de 1/16e de celui que gagnait un confrère anglais, 1/22e pour un confrère américain. Que faire? Vos collègues émigrent en masse. De ceux qui ont été formés entre 1986 et 1995, la moitié sont désormais à l'étranger. Et ça continue.
Maintenant, imaginez que vous êtes un étudiant en médecine suisse enthousiaste en première année. Votre famille est intensément fière de vous, mais en fait vos perspectives sont limitées. Vos chances de terminer vos études semblent compromises. Les admissions sont compétitives, avec 3.8 candidats pour chaque place en 2009. Parmi les gens comme vous, la plupart (dont des personnes très intelligentes et très bien) ne deviendront jamais médecin. Ceci va arriver malgré le fait que l'on manque de docteurs là où vous vivez. Des craintes de pénurie ont été récurrentes au long des années pour certaines spécialités médicales. Un des effets de la chute des effectifs est que l'immigration de médecins étrangers est en augmentation. Actuellement, un peu plus de 25% des médecins exerçant en Suisse ont été formés à l'étranger. En Europe, les chiffres vont de 0.7% en Pologne à 37.5% en Grande-Bretagne. Les Etats-Unis emploient la moitié des médecins anglophones de la planète.
Le lien entre ces deux histoires est assez évident. Pourquoi autorisons-nous une telle situation? Il y a plein de mécanismes, plein de raisons, mais au fond si nous faisons si peu pour la changer c'est surtout parce que l'immigration de médecins de pays plus pauvres vers des pays plus riches est un très bon deal pour les pays riches. Nous serions théoriquement capables de former plus de médecins. Ce serait, a-t-on dit, une composante nécessaire d'un système de santé durable. Mais former plus de médecins coûterait de l'argent des contribuables. Ou plus exactement, de l'argent de nos contribuables. Les médecins formés ailleurs sont, après tout, souvent aussi formé aux frais de contribuables, mais locaux. Lorsque ces médecins émigrent en Europe, en Australie, ou aux Etats-Unis, ils représentent un subside de la part -souvent- des pauvres en faveur - souvent- des riches.
Nous évitons en général de regarder ce problème de trop près, en nous disant qu'après tout les médecins qui viennent en Suisse quittent pour ça des pays qui ne vont pas si mal que ça. C'est vrai. Mais nos voisins, qui vont relativement bien, ont des voisins qui vont moins bien. Ils vont se tourner vers eux pour recruter des médecins dans les places laissées vacantes par ceux qui seront venus chez nous. Et ainsi de suite. Le résultat est prévisible. Les seuls pays qui n'auront pas de voisin plus pauvre vers lequel se tourner seront les plus pauvres de la planète. Le résultat net est une migration mondiale des professionnels de la santé qui s'éloignent des plus grands besoins de santé. Ils détournent aussi leur intelligence des problèmes de leur région, pour en faire bénéficier des patient mieux lottis dans les pays riches.
Que devrions-nous faire? Il y a beaucoup de discussions autour de cela. Mais la réponse la plus simple tient en une phrase: former plus de médecins et plus de généralistes. Nous recrutons -entre autres- car des manques existent dans certaines spécialités et dans certaines régions. Cesser de le faire va nécessiter des efforts pour encourager nos jeunes collègues à se former ici, à travailler là. Parfois, ce qu'il faudra en fait ce sera des efforts pour cesser de les en décourager. Car oui, on les décourage. Oh, pas activement bien sûr. Mais les étudiants se disent souvent attirés par la médecine de cabinet, par le travail du médecin de famille. Arrivés au diplôme, leur nombre s'est réduit comme peau de chagrin: ils ont cotoyé et admiré des spécialistes d'hôpitaux, ils ont vu le manque de prestige du difficile travail des généralistes, senti un revenu plus fragile, et changé d'avis. Chacune de ces étapes va devoir être revue. Coûteux? Sans doute. Mais cela devrait nous faire réfléchir, qu'il semble si difficile de faire ce qu'exigerait, en fait, le bon sens. Car c'est le prix d'un devoir que nous avons. Envers les patients, qui doivent continuer d'avoir accès à un système qui ne soit pas une succession de visages morcelés dans la multiplication des spécialistes à leur chevet. Sans un nombre suffisant de généralistes, c'est ce qui les guette. Envers les étudiants, qui ont souvent les rêves et les ambitions au bon endroit et à qui nous devons donner les moyens de se former principalement à la médecine de premier recours. Nous devrions les y encourager, nous faisons trop souvent le contraire. Et puis, osera-t-on dire, envers les patients d'autres pays? A ceux qu'aurait soignés notre médecin Ghanéen du début? Ils ont souvent financé les études de leurs médecins. Les leur enlever alors qu'ils sont si peu nombreux est injuste. Le faire par simple calcul économique est indécent. Et comme si ce n'était pas suffisant, on le fait en plus au prix de l'avenir d'une partie de nos étudiants...Voilà des enjeux qui valent un certain prix, vous ne trouvez pas?
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