Je continue de vous annoncer les colloques de l'Institut d'éthique biomédicale où je travaille, pour ceux qui ne vivent pas trop loin pour cela.
Le prochain aura lieu (pour une fois) ce mardi 1e juin, et il sera question de véracité, d'annonces de mauvaises nouvelles, et de formation des étudiants en médecine à cela. Un domaine jamais simple, plein de risques de malentendus, où l'on peut véritablement progresser sa vie durant, et sur lequel porte depuis maintenant plusieurs années des enseignements spécifiques.
C'est à nouveau cette fois une équipe locale, dont fait partie votre servante. Ça aura lieu le mardi 1e juin, de 12h30 à 13h45. C'est aux Hôpitaux Universitaires de Genève, c'est-à-dire ici. Attention, changement de salle! Cette fois seulement, notre colloque aura lieu à l'Auditoire des Policliniques. Entrez dans l'Hôpital, tournez à gauche juste derrière la réception, et prenez les escaliers après les portes vitrées.
Les oratrices seront:
Marinette Ummel, Institut d'éthique biomédicale, UNIGE
Anne Baroffio, Unité de développement et de recherche en éducation médicale, UNIGE
Carine Layat Burn, Unité d'innovation pédadogique, HECVSanté
Samia Hurst, Institut d'éthique biomédicale, UNIGE
Nous donnerons une conférence intitulée:
Voici le résumé:
Dire la vérité -donner à une personne malade une information loyale et complète- est une exigence importante de l'éthique médicale. Nécessaire à une décision autonome, la véracité fait partie intégrante du respect des personnes et de leur intégrité. Mais dire la vérité est souvent difficile, et cette difficulté peut représenter un obstacle au respect de l'autonomie des patients. Autant que des principes, il s'agit ici d'enseigner des aptitudes éthiques. Dans ce but, l'Institut d'éthique biomédicale et l'Unité de développement et de recherche en éducation médicale collaborent depuis plusieurs années pour offrir aux étudiants en médecine un séminaire avec patient(e)s standardisé(e)s, sur les aspects éthiques et communicationnels de l'annonce d'une mauvaise nouvelle. Nous rapportons les résultats d'une étude longitudinale explorant l'expérience des étudiants lors de ce séminaire.
Cette conférence est ouverte à toute personne intéressée. Vous en êtes? Alors à tout bientôt!
Dépasser les malentendus?
Pas très évolué, tout ça...
Je n'irai pas écouter Harun Yahya.
Et pas seulement parce que les positions créationnistes qu'il défend sont profondément ridicules (quoique: elles sont encore plus simplistes et naïves que le dessein intelligent). Non, écouter des inanités, cela peut parfois représenter un certain intérêt. Mais en plus de ça, à en juger à la manière dont les auditoires se sont vidés en cours de route lors de ses conférences précédentes, il ne présente même pas ses idées de manière intéressante.
Pourquoi, alors, inquiète-t-il? Il semble très -très- bien financé. Il a le culot astronomique qu'il faut pour simplement affirmer des choses qui sont clairement fausse. Pas "en doute", simplement fausses. C'est ce culot qui a fait l'objet de nombreux pastiches, comme la 'table périodique du Kansas' qui ouvre ce message, ou encore des articles et pseudo-reportages très drôles sur la 'chute intelligente', la 'théorie de la cigogne', la 'Société de la terre plate', ou plus récemment 'L'Armageddon comme alternative au réchauffement climatique'.
Il y a donc matière à rire. Mais pas seulement. L'Europe a été pour le moment largement épargnée par les batailles qui entourent la biologie aux Etats-Unis. Nous nous porterons tous mieux si cela reste ainsi. Il serait regrettable de voir l'énormité des thèses de Yahya donner l'impression que des créationnistes 'plus modérés' sont du coup respectables dans une discussion scientifique. Le fait d'avoir prétendu que la terre est plate ne suffit pas pour trouver ensuite qu'après tout, finalement, considérer la théorie géocentriste dans les écoles n'est pas si pire tant qu'on dit qu'elle est ronde...
Car c'est un domaine où crier très fort pourrait porter des fruits, malgré tout. La théorie de l'évolution est souvent mal comprise. Plus: elle fait parfois peur. C'est une blessure narcissique. Une lady distinguée, contemporaine de Darwin, l'aurait très bien dit: 'Espérons que ce ne soit pas vrai que nous descendons des singes. Mais si c'est vrai, espérons que ça ne s'ébruite pas!'. Bon, pas très glorieux, de mettre là une telle fierté. Comme motif, on fait mieux. Mais le créationnisme se nourrit de cette gloriole.
D'autre ont des motifs plus honorables, mais basés sur des erreurs. Si l'évolution fait parfois peur, c'est aussi parce que certains craignent d'y voir la fin de la morale. Mais en fait, penser que l'évolution nous dicterait d'abandonner l'éthique, c'est à peu près comme penser qu'elle nous dicterait de marcher à quatre pattes. La craindre 'en défense de l'éthique', c'est mal comprendre à la fois l'évolution et l'éthique. Mieux comprendre l'origine de nos intuitions morales. Comprendre que, parce que l'évolution a eu lieu, nous sommes apparenté à toutes les formes de vie découvertes à ce jour.Il n'y a pas là d'attaque sur l'éthique. Au contraire, voilà des bases pour approfondir notre vie morale.
Un discours créationniste en Suisse, à la longue, pas si sûr que ça ne marche pas du tout...et voilà une raison de plus pourquoi Yahya inquiète.
Et puis Harun Yahya inquiète sans doute aussi parce qu'il s'inscrit dans une mouvance qui semble appeler au retour des théocraties. Présenter des écrits sacrés comme des vérités scientifiques et leurs interprétations comme la réalité du monde, ça nous rappelle Galilée et bien d'autres dont, plus près de chez nous, Michel Servet. Ça nous rappelle des régimes politiques, disons, indésirables. Et ces idées là, ce n'est bien sûr pas seulement sur le plan scientifique qu'elles sont rétrogrades...
Intelligente générosité
La générosité humaine, on la constate à nouveau chaque fois qu'une catastrophe frappe. On l'approuve. On regrette qu'elle ne soit pas plus chronique. Mais c'est quoi, au juste, ce qui rend la générosité bonne? On a parfois l'impression que c'est une bonne chose par définition, ou alors que c'est bon car cela signale un bon caractère. Mais au fond du fond, ce qui nous importe est que la générosité améliore le monde, en apportant une aide réelle.
Sauf que...quand est-ce le cas? Dans la conférence qui ouvre ce billet (cliquez sur l'image), Esther Duflo dissèque la différence entre avoir de bonnes intentions et améliorer le monde, en proposant...des études randomisées de projets sociaux. Ça existe depuis quelques temps déjà, et c'est encourageant de voir cette démarche avancer. Allez voir: c'est intéressant comme tout.
Faim...de quoi?
«C’est que… j’ai pas envie… et puis à quoi bon ?» Le plateau reste plein. La patiente, qui a déjà cédé plusieurs kilos à un cancer avancé, a l’air désolée. Décidée, aussi. Tout à coup, l’odeur du jus de viande se fait compliquée. «On ne va quand même pas la laisser mourir de faim ?» Nous sommes sortis de la chambre et, cette fois, c’est l’un de nous qui parle. L’un de nous les soignants. La révolte est palpable, humaine, l’expression du refus de laisser l’un de nous – l’un de nous les humains – renoncer à la nourriture. Tout à coup, le manque d’appétit d’une personne malade se fait compliqué, lui aussi.
Car alors même qu’elle est la plus simple expression d’un besoin humain, la nourriture est compliquée. C’est un besoin physiologique vital, oui, mais pas seulement. Le genre d’êtres que nous sommes en fait aussi, en couches successives, l’expression de l’inter dépendance humaine, de nos liens sociaux les plus fondamentaux, le signe du soin de l’autre, du refus d’abandonner un semblable, la socialité d’un repas partagé, le rythme du temps, tant de choses qui se mêlent dans ce couloir d’hôpital où une patiente vient de nous dire qu’elle n’a pas faim.
Mais dans tout cela, de quoi n’a-t-elle pas faim ? En chargeant d’un tel poids symbolique notre «pain quotidien», il nous arrive de faire des raccourcis vertigineux. Dans les maladies profondes que sont les comas durables, la nourriture se réduit à une poche au bout d’un fil. Comment y rattacher, alors, la socialité fondamentale de notre espèce ? Elle devient un traitement ; un moyen de maintien en vie, souvent dans le sens le plus strictement biologique du terme. Tel l’air que l’on donne au moyen de la ventilation mécanique, on donne de la nourriture au moyen d’une sonde, d'une sorte de tuyau. Dans un cas comme dans l’autre, il arrive que ce geste devienne l’une des formes de l’acharnement thérapeutique. Lorsque c’est le cas, on doit pouvoir l’interrompre.
Cette symbolique, cependant, il est fréquent qu’on s’y rattache quand même. Difficile de l’éviter, quand un moyen de maintien en vie, même artificiel, est en même temps ce dont le partage définit notre besoin les uns des autres. Ce n’est pas un hasard que des conflits parfois houleux portent, parmi les choix thérapeutiques, sur la nourriture. Refuser un moyen de maintien en vie, tout patient qui a compris les enjeux en a le droit. Même si ce moyen est la nourriture. Nous pouvons probablement tous nous imaginer des états dans lesquels nous ne voudrions pas être maintenus en vie. Même si le seul moyen employé pour cela était la nourriture. Mais malgré cet immense consensus, interrompre la nutrition reste difficile.
«On ne va quand même pas la laisser mourir de faim ?» On sait depuis les jeûnes de protestations de dissidents politiques que la souffrance est légère et fugace. Qu’elle disparaît au bout de deux ou trois jours. Les personnes en coma profond ne la ressentent même pas. Certains patients, comme celle du début, n’ont de toute manière pas faim.
Reste notre besoin de rester là. De ne pas cesser d’exprimer, en cessant de nourrir, ce tissu de dépendances mutuelles qui fonde une part de qui nous sommes. Voilà un objectif important. Mais, et c’est là l’aspect troublant de ces questions, lorsque la nourriture n’est «que» un moyen de maintien en vie, alors c’est qu’elle n’est déjà plus en mesure d’exprimer tout cela. Comment, dès lors, l’exprimer autrement ? Voilà le but. Et lorsque notre regard est rivé sur la nourriture, c’est justement ce but que nous risquons de ne pas voir…