Voilà une résolution de nouvel an qui mérite le détour. Deux équipes de l'OMS ont publié un modèle qui (bon, d'après un modèle mathématique, mais tout de même) permettrait d'éradiquer presque entièrement le VIH.
Cela nécessiterait de tester chaque année toutes les personnes âgées de plus de 15 ans, et de mettre toutes celles dont le test serait positif sous traitement anti-rétroviral sans attendre qu'elles ne deviennent malades.
Pourquoi attend-on actuellement avant de traiter? Il y a plusieurs raisons. D'abords, on veut éviter les effets secondaires des médicaments chez des personnes qui n'ont après tout pas encore de symptômes. Mais les nouvelles combinaisons de médicaments sont nettement mieux tolérées, et il semblerait que les administrer précocement prolongerait l'espérance de vie des malades. Donc finalement, cette raison ne tient plus vraiment. Même si on ne tient compte que de l'intérêt individuel du malade. Si on tient en plus compte des risques pour d'autres, alors patatras: il semblerait qu'un traitement bien conduit et efficace, c'est-à-dire qui rend la virémie indétectable, élimine la transmission du virus. Raison de plus de traiter tôt, donc.
Il y a aussi pragmatiquement la question des coûts. Même si les possibilités matérielles de traiter le VIH ont considérablement augmenté ces dernières années avec l'augmentation des moyens financiers, la démonstration de l'efficacité de combinaisons génériques, et la levée de certains brevets pharmaceutiques dans les pays pauvres, il n'y a pas encore assez de moyens 'dans le pot' pour traiter toutes les personnes vivant avec le VIH. Un des mérites de l'étude de l'OMS est donc de prendre au sérieux les enjeux financiers. Ils montrent que leur stratégie serait effectivement coûteuse initialement (plus de 3 milliards de dollars par an, c'est-à-dire plus de 42 centimes par habitant du globe, ou un peu plus de 6 dollars par personne vivant en Europe ou en Amérique du Nord). Les coûts de cette stratégie et de ce que nous faisons actuellement commencent par contre de s'égaliser vers 2015, deviennent égaux en 2030, et la stratégie d'éradication devient la solution 'budget' après cela.
Reste un enjeu de taille. Tester toute la population devrait être une mesure plus ou moins obligatoire pour être efficace. Du coup, on sacrifierait une part de liberté individuelle pour un bénéfice collectif. Les conditions dans lesquelles c'est éthiquement admissible de faire ça sont une des discussions centrales de l'éthique dans la santé publique, et vous trouverez un commentaire récent ici. La version courte est qu'il faut de bonnes raisons, que ces raisons devront peser d'autant plus que l'on demande de faire quelque chose (prenez votre traitement!) plutôt que de s'abstenir (ne fumez pas dans les lieux publiques!), et que tout cela est d'autant plus légitime qu'une bonne surveillance est en place pour limiter les effets indésirables de la mesure. Au mieux, c'est d'une surveillance démocratique qu'il s'agit car ce qui compte est un mécanisme pour que les populations concernées puissent s'exprimer et être entendues. Ceci permettrait aussi d'écarter une part du risque qu'il y aurait à imposer une mesure sans être certains de ses effets, notamment de ses effets sociaux, et du risque que simplement imposer la mesure ne soit contreproductif. Ça semble vite dit, mais s'agissant de mettre en place un système permettant aux personnes concernées d'avoir (d'une manière ou d'une autre) voix au chapitre, le jeu pourrait en valoir la chandelle...
Le dernier souci que l'on peut évoquer est celui d'exposer par cette intervention des populations entières à la stigmatisation liée au VIH. C'est là aussi un souci qu'il faut prendre au sérieux. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il faille renoncer pour cette raison. Même s'il est dans la nature de la stigmatisation de s'estomper si un plus grand nombre de personne sont atteints, ou des personnes respectées (Nelson Mandela, qui a arboré un T-shirt avec l'inscription 'HIV positif' ne s'y est pas trompé), une part de toute intervention s'attaquant au VIH doit passer par le combat contre nos présupposés à l'encontre des malades. Mais ultimement, s'arrêter à cet obstacle, en reconnaissant la crainte de la stigmatisation plutôt que de tenter de la combattre, serait d'un pessimisme profond. Cela reviendrait à admettre que nous ne sommes moralement 'pas assez grands' pour surmonter un des grands problèmes de notre temps.
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