La discussion manquante?

On a beaucoup, ces derniers temps, commenté le résultat du vote suisse sur les minarets. Les avis sur les raisons de ce vote divergent. Sans doute y en a-t-il plusieurs. Un résumé retient: la méconnaissance de la communauté musulmane, une Suisse repliée, la perplexité -dans un pays qui s'est battu contre le pouvoir des Églises- devant une religion qui 'demande une visibilité', des craintes féminines, le manque de communication de la communauté musulmane...

Mais dans tout ça, quelques chiffres laissent songeur. Spécifiquement, ceux qui sont décrits dans le graphique qui ouvre ce message. Crainte d'une attaque contre la laïcité, ce vote anti-minarets? Pas évident du tout. Regardez ce graphique. En fait, il semble que plus on pratique une religion (et en général elle est chrétienne), plus on a accepté l'initiative... Plus la population d'un canton est fortement 'sans affiliation religieuse' et plus la proportion de personnes ayant rejeté l'initative est forte. En apparence du moins, ce ne serait donc pas tant l'identité suisse que l'identité chrétienne qui se serait sentie menacée. Pour les curieux, la source est ici et les chiffres peuvent être récupérés sur le site de l'Office Fédéral de la Statistique.

Le fait que le Parti évangélique veuille maintenant lancer une initiative pour 'inscrire l'empreinte chrétienne dans la Constitution helvétique', n'est qu'un signe de plus du même phénomène. Il semble que les chrétiens de Suisse se sentent (majoritairement du moins) menacés. Est-ce le cas? Cela devrait tous nous inquiéter. Pourquoi? D'abords, parce qu'une portion de la population qui se sent menacée ce n'est jamais bien dans une société pluraliste, et que c'est sympa pour eux de s'en inquiéter. En plus ils sont nombreux. Mais surtout parce que le sentiment de menace peut effectivement conduire à un repli identitaire. Les projets du parti évangélique sont dans ce sens d'une clarté limpide. En Suisse, la séparation entre l'église et l'état n'est réalisée que dans une minorité de cantons. Certains interdisent encore la danse le vendredi saint. Une radicalisation du christianisme pourrait donc trouver en Suisse un terreau plus fertile que l'on ne l'imaginerait a priori. Et la paix religieuse y est désormais fragilisée. Inquiétant, ce vote l'est aussi comme symptôme: une théocratie démocratique, c'est possible. Il suffit que suffisamment de personnes votent avec leur foi.

Nous devrions aussi nous inquiéter parce que les soucis des communautés religieuses sont difficiles à exprimer dans l'espace publique. Nous avons, en Suisse, parfois tendance à confondre la laïcité avec le silence poli. Alors bien sûr, séparer la religion et la politique ne signifie pas qu'il soit interdit d'en parler. Parfois, c'est justement le contraire. Pour protéger la liberté de religion (et la liberté d'absence de religion, qui va avec), il faut parfois...ben quoi, aborder le problème. Et si un vote doit être plus qu'un sondage d'opinion, ne doit-on pas d'abord en débattre? Nous avons eu ici un magnifique contre-exemple: même dans un sondage anonyme, même devant leur clergé (!), les personnes qui ont voté pour l'initiative anti-minarets n'ont pas osé déclarer leurs intentions de vote. Un sacré handicap, ça. Sans mauvais jeu de mots. Du coup, pas étonnant que ce soit sur un enjeu religieux qu'on ait l'air d'avoir besoin du débat après le vote.

L'aura-t-on, ce débat? Pas sûr. Là où les élus de certains pays ont l'habitude d'éteindre les feux politiques en 'jetant de l'argent dessus', nous avons souvent tendance en Suisse, à part quelques initiatives bienvenues mais isolées, à jeter dessus de la politesse et de la discrétion. Il est plausible que, sur un sujet pareil, ce réflexe sera encore renforcé. Comme on le disait au printemps à propos d'autre chose il semble que, ces temps, la foi ait des fragilités insoupçonnées...

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