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L'histoire est la suivante: voyant qu'un sac en plastique était tombé dans l'enclos d'un ours, un jeune homme handicapé de 25 ans s'aventure dans cet enclos. L'ours l'attaque et le blesse, tant et si bien que l'on doit lui tirer dessus pour sauver l'humain. L'un et l'autre ont survécu, mais cette histoire a fortement ému l'opinion. Et c'est l'ours qui se trouve inondé de cadeaux, pots de miel, cartes de vœux (!) de bon rétablissement. Jusque là cela pourrait à la rigueur être plutôt mignon. Mais on aurait aimé voir au moins autant de souci de l'état de santé du protagoniste humain de l'histoire. Il s'est après tout fait sauvagement attaquer. On ne peut même pas se dire que c'était de sa faute: il n'était visiblement pas capable de se protéger lui-même, et quelqu'un aurait peut-être dû mieux s'en soucier.
Qu'est-ce qui se passe ici? Avouez qu'à la base, c'est plutôt étrange. Un ours n'est pas seulement une autre espèce, c'est une de celles qui peut se transformer pour nous en prédateur. Si vous croisiez l'animal de l'image sur un chemin de montagne, vous iriez lui souhaiter de joyeuses fêtes? Bien sûr que non. Vous lui laisseriez bien la place de passer, en espérant qu'il ne vienne pas être trop 'amical' avec vous. Alors oui, évidemment, c'est aussi un être vivant capable de souffrir, et qui a une vie intérieuse plus complexe que celle d'une abeille. Certes. Mais tout cela s'applique encore davantage dans cette histoire à sa victime.
Avons-nous vraiment passé dans un modèle où un animal vaut plus, aux yeux de l'opinion, qu'un humain handicapé? La question est légitime. Et inquiétante. Mais il y a au moins deux lectures alternatives. L'anthropomorphisme, la tendance à attribuer des caractéristiques humaines aux animaux (comme, pour prendre un exemple au hasard, savoir lire les cartes de vœux?) est forte. Cette histoire montre qu'elle peut être plus forte que notre tendance à attribuer, correctement cette fois, des caractéristiques humaines aux humains 'différents de nous'. A ruminer, cela. L'amour des animaux peut véritablement s'associer à une hostilité envers les humains. Ce qu'un ami a appelé la 'sensiblerie zoophile jointe au mépris des humains en général et des handicapés en particulier'. Cela a déjà donné des dérives. A l'heure où les droits des animaux ont le vent en poupe, ces dérives devraient nous faire réfléchir. Là où des intérêts humains et animaux sont réellement en tension, comme dans la recherche médicale par exemple, nous n'avons pas toujours brillé par notre capacité à réfléchir de manière sensée.
Une autre possibilité: que finalement on attribue tout simplement plus d'importance à l'histoire la plus touchante. Mais alors qu'est-ce qui fait qu'une histoire nous touche plus qu'une autre? Pas seulement la valeur que l'on attribue aux protagonistes. Une publicité géniale d'Ikea avait montré il y a quelques temps à quel point nos émotions peuvent être conduites par le bout du nez dans un joli récit. Regardez-là de nouveau. Ce petit film est un avertissement...
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