L'assistance au suicide, et l'euthanasie active là où elle est légale, sont toujours des réponses extrêmes, de dernier recours, face à des tragédies humaines. Faire du mieux que l'on peut, répondre à la souffrance humaine de manière digne et respectueuse, voilà dans ces cas une tâche profondément difficile.
C'est entre autres pour cela que le témoignage de la Dre Daphné Berner est important. Il est également courageux. Admirable, même. Présenter avec une simple honnêteté le drame humain que l'on a vécu, pour en présenter la réalité sans chercher d'abord à se défendre, alors que l'on est accusé d'euthanasie, voilà un exemple rare et qu'il faut saluer. Quand j'ai commenté ce cas en direct, je n'ai pas eu le temps de le dire et je tenais à rattraper ça.
Important, ce cas l'est aussi pour la lumière qu'il jette sur certains aspects troublants de la mort assistée. Petit retour. D'abord la loi. En Suisse, l'assistance au suicide est légale (art. 115 Code Pénal Suisse). L'euthanasie, non (art. 114 Code Pénal Suisse). Sur le plan éthique, la distinction est importante. Dans le cas de l'euthanasie, une personne en a tué une autre. Dans le cas de l'assistance au suicide, non. Mais en même temps, ce cas montre à quel point cette limite peut être ténue. Car voilà comme les faits sont décrits:
(...)la femme avait choisi de mettre fin à ses jours avec l’aide d’Exit. Mais le moment venu, complètement paralysée à l’exception d’un pied, la malade n’a pas pu actionner elle-même le goutte à goutte contenant la substance létale.
C'est toujours difficile à dire depuis la distance confortable à laquelle on lit. Mais si j'essaye d'être sincère je pense que dans un cas semblable, si j’étais convaincue que c’est la volonté ferme de la patiente, et si je me trouvais sans alternative pour apaiser sa souffrance autrement, j’aurais peut-être bien fait la même chose, oui. Ce n'est pas une chose que l'on dit à la légère.
Une partie de la questions est là. Si notre réaction face à ce cas est de penser cela, mettre la personne qui s'est trouvée dans ce cas en prison a quelque chose de problématique. Alors évidemment toute la question n'est pas là. Car une décision éthique peut s'en tenir à un cas singulier. Une décision juridique, non. Et il semble qu'il y ait au moins deux manières de voir ce cas.
Premièrement, on peut y voir une raison de rouvrir la discussion sur la légalisation de l'euthanasie. Si elle est interdite, c'est en raison de l'interdit de l'homicide. Mais on admet tous que certains cas d'homicide (notamment en légitime défense) peuvent être justifiés. Si l'homicide est interdit pour poser une limite -indispensable- à la violence humaine, alors un cas comme celui-ci doit-il vraiment être interdit?
Lire la situation ainsi, c'est commencer par admettre la culpabilité, puis éventuellement se demander si, et à quel point, la norme pose problème. Légaliser l'euthanasie? Ce choix dépendrait des mesures que nous pouvons mettre en œuvre pour éviter des dérives, et de la confiance que nous avons que ces mesures peuvent être efficaces. Mais ce choix devrait aussi dépendre de l’importance que nous donnerons à des cas comme celui de cette patiente. A des personnes qui sont trop limitées par la maladie pour pouvoir se suicider, et qui ne peuvent du coup plus avoir recours à une mort assistée. Ces personnes, il peut actuellement leur sembler raisonnable de mourir plus vite, d’anticiper, avant de perdre la capacité de se suicider. Et ça aussi c’est une dérive.
Mais il y a une deuxième lecture possible de ce cas. Y voir une occasion de questionnement sur les limites entre l'euthanasie et l'assistance au suicide. Cette limite est importante, mais elle ne peut se résumer aux enjeux abstraits. Car ici, qui a actionné le mécanisme? Si au lieu de dire ‘maintenant’, la patiente avait poussé le mécanisme du pied, ce procès n’aurait certainement pas lieu. Redéfinir comme un assistance au suicide un cas où une patiente capable de discernement 'actionne le médecin' au lieu d'actionner le mécanisme pour se donner la mort, peut-on l'envisager? Dans les termes théoriques habituels de ce genre de situation, c'est impensable. Mais s'il existe des cas où ces limites théoriques sont claires, cette histoire-ci montre que ce n'est pas toujours le cas. Sur le plan philosophique, qui est dans cette histoire l'agent, la cause proximale de la mort de la patiente? Il pourrait sans doute y avoir débat. Sur le plan politique, voir ici un cas d'assistance au suicide pourrait être une manière de reconnaître le caractère humainement licite de la décision de la Dre Daphné Berner, sans devoir aborder de front la question de l'euthanasie dans nos lois. Et sans non plus tracer un précédent qui risquerait d'inclure des patients incapables de discernement. Ce serait là une solution assez helvétique, finalement.
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4 commentaires:
Je suis partisan de l'euthanasie. De la même façon que j'ai le droit de charger quelqu'un à veiller sur ma vie en traitant des conditions qui la menacent je pense que je devrais avoir le droit de charger quelqu'un (de volontaire) à la terminer à ma convenance. J'irais jusqu'à dire que les conditions qui peuvent amener quelqu'un à prendre la décision de terminer sa vie ne regardent que lui et n'ont pas à être évaluées par un tiers. Tout au plus je supporterai (comme fardeau) le besoin de s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un coup de tête mais d'une décision mûrement réfléchie. Avec "mûrement" à prendre plutôt légèrement.
Ceci dit, je suis étonné du cas que tu nous décris Samia.
Je vois très bien comment monter un système pour commander le démarrage d'administration d'un médicament à partir d'un muscle quelconque. L'exemple le plus médiatisé de ce genre de capteurs est l'attirail de Hawkins. Pour quelque chose d'aussi peu sophistiqué que l'ouverture d'une administration via un goutte-à-goutte il n'est pas besoin de faire appel à McGyver ou à de l'équipement coûteux. Je me sens capable de monter un dispositif à électrovanne à pincement pour laisser le contrôle à partir d'un orteil, d'un oeil, etc.
Je trouve le cas décrit ici mal informé de ce genre d'approches techniques et je dirais que la Dre Daphné Berner a mal agi. Même si je suis partisan du droit de pouvoir demander à la même Dre Berner d'agir de la sorte sans que la loi puisse l'inquiéter. Même si la Dre Berner m'est extrêmement sympathique grâce à sa décision. Et que si tu la croises un jour j'aimerais que tu lui fasses une grosse bise de ma part.
Je trouve très agréable ce renoncement à son humanité, l'acceptation de devenir pour quelques instant un simple composant d'un dispositif mécanique déclenchant un goutte-à-goutte. En effet secondaire, son histoire a enclenché mes lacrymales. Est-ce éthique de faire pleurer de joie les gens ?
Oui, a posteriori il y a effectivement plusieurs idées que l'on peut avoir pour éviter de devoir recourir à ce qu'on va sans doute appeler de l'euthanasie active. Dans un cas précis comme celui-ci. Mais trouver après coup des substituts est une chose, en effet, et juger la décision prise sur le moment -et justement en l'absence de ces substituts- en est une autre, oui...
Éthique de faire pleurer de joie? Je n'en sais rien, mais je dirais que oui...
Si, si je juge la décision de Berner et à mon sens elle est non pas seulement acquittée mais un exemple d'humanité. Mais cette histoire de pompe est la première chose qui me vient à l'esprit. Je pense qu'il me faut me pencher sur un DIY pour le dispositif que j'ai en tête depuis que j'ai lu ton post. Au moins pour en fabriquer une pour mon usage, mais je partagerai les plans.
Puis il y a des sujets qui s'imposent certains jours. J'étais en train d'évoquer ton post et le cas de Daphne Berner avec une collègue qui d'un coup a sursauté, fouillé dans son sac et sorti les deux pages que le journal local (Sud Ouest) consacrait hier au sujet : 94% des Français favorables à une loi autorisant l'euthanasie.
Pour une population qui se dit 52% catholique, il y a de l'espoir.
Eeh, tu nous quittes pas trop vite, hein???
Mais ce que tu dis sur les positions en France est nouveau pour moi. C'est un chiffre très élevé. La formulation de la question, avec finalement deux manières différentes de se dire favorable ou non, a peut-être joué là-dedans. Mais tout de même c'est élevé. Comme quoi l'image que l'on a des positions 'd'un pays' donne parfois des illusions d'optique... J'ai été auditionnée par la Commission des affaires sociales du Sénat français ce printemps, et j'ai été frappée par l'ouverture de la discussion. Et par les conclusions de leurs travaux. Le rapport est disponible en ligne et les recommandations méritent d'être citées intégralement:
"En conclusion, le groupe de travail propose à la commission des affaires sociales :
- de demander au Garde des Sceaux d'adresser une directive aux parquets les invitant à discerner les cas où une assistance à la mort aura été apportée pour le seul motif de répondre au désir répété de la personne et à les classer sans suite en application de l'article 122-2 du code pénal ;
- de demander au président de l'observatoire de la fin de vie d'engager des études sur les pratiques entourant la fin de vie selon la méthodologie élaborée par le professeur Luc Deliens, et, à défaut, de confier à ce dernier le soin de les conduire pour le Sénat."
Quant au cas de la Dre Berner, nous verrons en Suisse s'il mène à un changement législatif ou non.
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