Deux mots sur l'annonce récente que Facebook et Apple allaient offrir la congélation sociale des ovocytes à leurs employées. Cette technique, qui permet de préserver quand on a 20-30 ans ses ovules pour s'en servir plus tard dans une fertilisation in vitro.
Elle a à première vue des avantages, cette technique. De plus en plus de femmes retardent leurs grossesses. Suffisamment pour que l'âge moyen à la première grossesse soit en progression constante. C'est basé sur du réjouissant et du moins réjouissant. Réjouissant: retarder ses grossesses est un fruit de l'optimisme et de la prospérité. L'ethnologue Susan Blaffer Hrdy l'a décrit il y a déjà des années: les femmes, un peu partout, mettent la qualité avant la quantité. Si elles pensent que les circonstances de leur vie seront meilleures plus tard, elles auront tendance à attendre, pour donner à leur futur enfant de meilleures chances dans l'existence. Moins réjouissant: si ce sera mieux plus tard, parfois c'est parce que c'est vraiment difficile maintenant. Bien sûr, les moyens mis à disposition des parents pour s'occuper de leurs enfants - du temps libéré du travail rémunéré, des crèches, des aides - seront déterminants. Moins ils sont disponibles, plus il faut les payer de sa poche et cher, plus les grossesses risquent d'être retardées par des femmes qui se disent qu'elles seront plus tard plus riches ou moins précaires, et pas nécessairement dans une meilleure position pour avoir des enfants par ailleurs.
Alors maintenant l'annonce de Facebook et Apple. C'est à la surface un cadeau substantiel. Plusieurs dizaines de milliers de dollars, pour une technique qui aiderait vraiment des femmes à avoir des enfants dans des circonstances de plus en plus fréquentes: le recours à la FIV pour une grossesse tardive. Si on se base sur les statistiques, on devrait être contentes, non?
Evidemment, il y a aussi une face plus sombre. La mesure annoncée fait même tellement bien des erreurs tout à fait classiques que c'en serait presque drôle.
Problème 1: si on a des ovocytes congelés, peut-être n'est-il pas entièrement irrationnel de craindre plus de pression pour avoir des enfants plus tard. Une femme qui prend un congé maternité à mi-carrière est habituellement dans une situation que l'employeur va bien devoir tolérer. En essayant de l'affranchir de 'l'horloge biologique', il pourrait vouloir s'en affranchir aussi.
Problème 2: le but affiché de la mesure est d'aider les employées à planifier la coexistence de leur famille et de leur carrière. Mais alors pourquoi ne subventionner que ce moyen-là? Et la garde des enfants pour celles qui préfèrent la conception plus traditionnelle?
Problème 3: pourquoi uniquement les employées? Les hommes qui travaillent chez Facebook et Apple, on ne s'attend pas à ce qu'ils s'occupent de leurs enfants? La congélation des ovocytes de leurs femmes n'est semble-t-il pas incluse dans la mesure. Pour une raison to-ta-le-ment mystérieuse, il semble que faire coexister carrière et famille soit moins difficile pour eux.
Alors oui, c'est une offre qui pourrait, en surface, paraître libératrice; sembler donner aux femmes concernées une option désirable et onéreuse, qui leur devient ouverte alors qu'elle le serait moins autrement. Et c'est peut-être vrai dans certains cas.
Mais en même temps, il faut beaucoup de confiance en son employeur pour ne pas y voir le risque de subir des pressions plus lourdes, et pour corser le tout c'est une confirmation par ceux qui sont censés soutenir la carrière des femmes que, ben oui, même eux s'attendent à ce que ce soit d'abord elles qui s'occupent de leurs familles.
Presque drôle, je vous le disais. D'ailleurs, The Onion, un des meilleurs journaux satyriques du web, a fait un commentaire délicieusement politiquement incorrect: "Facebook Offers To Freeze Female Employees’ Newborn Children". Ca finit même sur l'annonce tout aussi fictive qu'ils vont maintenant commencer à offrir un programme pour 'congeler les partenaires de leurs employées en attendant qu'ils soient prêts à être pères'.
Bref, le débat fait rage. Progrès ou menace? Promotion des carrières des femmes ou confirmation que c'est à elles d'élever les enfants? Aide pour celles qui veulent une carrière et une famille, ou signal que dans cet environnement il faut attendre d'avoir 'réussi' pour faire des enfants?
Et vous, vous en pensez quoi?
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2 commentaires:
Mon amie Vardit Ravitsky a fait un article intéressant sur le même sujet. C'est ici:
http://www.theglobeandmail.com/globe-debate/we-need-a-culture-thaw-not-frozen-eggs/article21138405/
Un autre, par Françoise Baylis:
http://healthydebate.ca/opinions/left-cold-seven-reasons-freeze-eggs
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