Bravo à nos jeunes collègues

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Je n'ai pas écrit depuis un moment. Parfois, la vie nous arrive. Je sais que vous comprenez. Mais là, j'ai eu l'immense bonheur d'être choisie cette année comme marraine de volée par les nouveaux diplômés en médecine de notre faculté. Il faut faire un discours lors de la cérémonie. Certains d'entre vous me l'ont demandé. Alors je le partage ici:


Bravo!
Je suis très émue d'être ici aujourd'hui. Tellement que je suis allée au mauvais endroit tout à l'heure. 

Chers Collègues, quelle fierté de vous appeler ainsi. Toutes mes félicitations.

C’est un immense honneur de pouvoir vous dire quelques mots aujourd’hui. C’est une journée importante pour vous. Pour vous, nos nouveaux collègues, pour vous, leurs familles et leurs amis. Pour nous qui sommes vos enseignants, c’est une journée importante aussi. Je ne sais pas si vous savez à quel point ça nous réchauffe le cœur de vous voir chaque jour engagés, enthousiastes, motivés, curieux. Alors bon pendant vos études évidemment nous devons être sévères. Nous devons être exigeants. Nous ne pouvons rien vous laisser passer qui mettrait en danger vos patients, ou qui aurait pour conséquence qu’ils se sentent abandonnés, non entendus, dans ce qui est parfois la plus grande détresse de leur vie. Mais aujourd’hui je peux vous le dire. Pouvoir vous apprendre la médecine est une des plus belles choses qui soit.

Vous allez au-devant de vies que je vous souhaite très belles. Pour lesquelles, forcément, nous n’aurons pas pu vous préparer entièrement. Voici, avec le rétroscope, les quelques conseils que j’aurais voulu avoir le jour de mon diplôme.

Premièrement, parce que ça doit venir en premier, soyez loyaux. Et je veux dire loyaux à vos patients. Vous allez être mis au fil du temps sous toutes sortes de pressions, dans toutes sortes d’intérêts qui parfois vous tirailleront ailleurs. Les institutions de la santé vont elles aussi demander votre loyauté. Souvent, elles la mériteront. Mais rappelez-vous qu’elles ne la méritent que dans la mesure où elles sont elles aussi loyales aux patients. Petit avant-goût de la formation post-graduée : les institutions ont droit à votre loyauté, mais pas à votre complicité. Vous allez avoir un privilège qui est aussi une responsabilité : être les accompagnateurs de vos patients au travers de leur maladie ; être capables de mettre à leur disposition tout ce que la médecine sait faire ; écarter de leur vie, autant que possible, les obstacles que la maladie mettra sur leur chemin. A toutes les étapes, y compris la dernière.

Ensuite, parce que cela vaut la peine, soyez heureux, de ce bonheur de la part de nous qui contemple notre vie entière. Qui cherche à ce que notre histoire soit une histoire dans laquelle nous sommes heureux de vivre. Cela vaut la peine d’être pleinement médecins. Quand la vie est toute pleine de médecine, elle peut être vraiment très belle. Vous allez y plonger profondément. Y passer des dizaines de milliers d’heures. Certains vont y plonger jusqu’à la maison. Nous autres médecins avons un peu tendance à nous marier entre nous. Oui, on peut être très heureux dans la médecine.

J’aimerais ici dire un mot sur l’argent, parce que nous vivons dans une société qui fait une équivalence hâtive entre l’argent et le bonheur. C’est une banalité que l’argent ne fait pas le bonheur. Mais en fait il fait très efficacement le bonheur des autres. Certains d’entre vous vont en gagner pas mal. D’autres pas tant que ça. Rappelez-vous que l’argent est aussi du pouvoir : si vous en avez, faites du bien avec.
Je tiens aussi à préciser : soyez heureux avec ou sans la médecine. La plupart d’entre vous y trouverez une vie très belle. Mais peut-être que d’autres non. Vous ne serez pas si nombreux. Mais il y en aura sans doute. Et trop souvent dans ces cas, on se sent piégé. De temps à autre, l’un d’entre nous prend la sortie en quittant la vie. Alors je vous en supplie, si un jour vous êtes concernés, rappelez – vous d’une seule chose : vous êtes plus que votre métier, si important soit-il. Vous y avez appris des choses exportables. Vous n’y êtes pas prisonnier. La vie est belle aussi ailleurs.

Soyez solidaires, la vie va vous arriver. Parmi vous, beaucoup vivront des épuisements au-delà de tout ce que vous êtes sans doute capables d’imaginer aujourd'hui, vous soignerez des personnes qui traversent de véritables tragédies humaines, certains d’entre vous tomberont malades, certains auront des collègues toxiques, peut-être même des patrons toxiques. Ce sera parfois très difficile. Et parfois vous serez les uns pour les autres les personnes les plus proches. Entraidez-vous. Et rappelez-vous si ça vous arrive que nous aussi, nous serons toujours là.

Soyez bienveillants. Toute cette chaleur humaine que nous voulons donner à nos patients, il arrive que nous oublions de nous la donner les uns aux autres, ou à nous-même. Je vous ai dit tout à l’heure, il y a beaucoup de mariages parmi les médecins. Il y a beaucoup de divorces aussi. A bon entendeurs.

Vous allez vivre des choses magnifiques, des choses difficiles. Ne vous oubliez pas. Rappelez-vous vos valeurs. J’ai rencontré des personnes devenues cyniques. Je tremble de leur confier mes proches. De me confier moi-même. N’oubliez pas que vous formez ceux qui vont vous soigner, vous, vos enfants, vos parents. Nous qui sommes vos enseignants, nous en avons conscience tous les jours. Certains d’entre vous deviendront enseignants, chacun d’entre vous deviendra un modèle, présent devant de plus jeunes, jour après jour. Vous avez déjà commencé, mais vous étiez encore étudiants. Dès à présent vous êtes médecins.

Finalement donc, soyez exemplaire. Ou plutôt, soyez conscient que vous serez un exemple, que vous le vouliez ou non. Vous n’avez que le choix d’être un bon exemple, ou un mauvais exemple. Soyez de bons exemples.

Bravo à toutes, bravo à tous.

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