Cultiver le principe de précaution en plein terre

C'est le feu vert pour le premier essai de blé transgénique en plein champ de Suisse Romande. Ça va se passer à Pully, au milieu des vignes (donc justement pas au milieu de champs de plantes similaire non-OGM), et toute une série de mesures de prudence sont prévues.

Malgré quelques réactions indignées, il est rassurant de voir que l'heure est à la réaction raisonnable. Car toutes les prudences nécessaires face à la culture d'OGM mènent en fait à un essai exactement comme celui-là. Le but d'un moratoire est de permettre que la recherche avance avant de décider si on passera aux applications. Donc il faut la faire. Il est juste d'exiger une recherche protégée des conflits d'intérêts industriels. Celle-ci, financée par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique, est indépendante et promet donc des résultats neutres. Le principe de précaution, trop souvent employé pour dire 'je trouve perso que ce truc est risqué, donc je pense que ça devrait être interdit', trouve ici sa juste place. Car que dit-il? La formulation 'canonique' du sommet de Rio est la suivante: 'En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.' Il s'agit donc d'un renversement du fardeau de la preuve. Et non d'une exigence de risque zéro. En clair, si on a des raisons de craindre des 'dommages graves ou irréversibles', on a le droit d'interdire jusqu'à s'être convaincu que le risque est raisonnable. La conclusion pratique est donc...un moratoire sur l'utilisation, mais la poursuite de la recherche. Qui peut-être nous convaincra effectivement de l'innocuité du blé transgénique. Ou peut-être pas. Nous verrons. C'est là tout l'intérêt de la faire, justement.

Si ce blé s'avère sans danger, ce résultat fera-t-il taire la critique? Sans doute pas. Resteront les adeptes du risque zéro, en tout cas lorsqu'il s'applique à ce sujet précis car nous sommes rares à l'exiger dans notre vie entière. Restera toujours bien sûr l'immense tâche de réglementer la vente des semences -OGM ou non- pour enfin interdire qu'elle ne serve de moyen d'exploitation des paysans des pays pauvres. Mais cet enjeu, qui passe trop souvent par le combat contre les OGM, les dépasse en fait largement. Car qui croit sincèrement qu'une interdiction du blé ou du maïs transgénique signerait la fin de l'inventivité humaine dans l'exploitation de nos semblables? Resteront aussi ceux pour lesquels le mélange génétique, même s'il était objectivement sans danger, resterait une sorte de souillure; qui ignorent en cela que la nature mélange elle aussi les gènes. Et finalement ceux qui craindraient de 'manger des gènes' comme on craindrait de consommer l'esprit ou la vie d'un autre être vivant...Une réincarnation contemporaine des interdits de manger le sang, qui serait à l'origine de l'abattage rituel? Peut-être. Mais comment leur dire alors que toute notre nourriture contient de l'ADN, tous les animaux, toutes les plantes, le lait, le thym, le chocolat, bref tout ce que nous mangeons à l'exception des minéraux et de certains extraits. Ils en viendraient peut-être à rêver d'un monde où l'on pourrait vivre de sel et d'huile d'olive ultrafiltrée sans résidu aucun...Il faudrait ajouter beaucoup d'amour et d'eau fraîche pour espérer y survivre.

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