Notre morale darwinienne

Un certain Charles Darwin aurait 200 ans aujourd'hui. Alors bon, d'accord, l'évolution n'est pas précisément un scoop. Cette théorie (le terme peut prêter à confusion mais une excellente explication est ici) fut publiée il y a presque juste 150 ans. Mais c'est donc à double titre que 2009 est l'année Darwin. Toute une série de festivités scientifiques sont prévue dans de nombreux pays, et en Suisse ce site en centralise les annonces.

Quel rapport avec l'éthique? Beaucoup. D'abord, si pas mal de gens persistent à douter que l'évolution ait effectivement donné lieu à la diversité de la vie, des amibes à nos voisins de pallier, ce n'est pas seulement parce que comprendre l'évolution est compliqué. C'est aussi parce que c'est une blessure narcissique. Une lady distinguée, contemporaine du grand Charles, l'aurait très bien dit: 'Espérons que ce ne soit pas vrai que nous descendons des singes. Mais si c'est vrai, espérons que ça ne s'ébruite pas!'. Alors d'accord, on peut comprendre que nous ayons assez d'ego pour nous juger si infiniment supérieurs aux animaux qu'avoir des ancêtres communs nous blesse. Mais avouez que cette raison n'est pas très montrable. De la fierté à n'en pas être fiers. Comme motif, on fait mieux. Surtout quand il s'agit de refuser ce qu'une observation lucide du vivant peut nous apprendre, y compris sur nous-même.

Mais il y a un autre lien avec l'éthique, et qui est plus subtile. Car une des raisons pour lesquelles l'évolution se fait encore des ennemis alors qu'elle est devenue la langue maternelle de la biologie moderne, c'est que certains craignent que dès lors que l'évolution est vraie, alors c'est la guerre de tous contre tous, il est légitime que le plus fort gagne, bref les valeurs foutent, pour de bon ce coup-ci, le camp.

En fait, rien n'est plus faux. Malgré toute la force des images qu'évoquent des phrases comme 'la survie du plus fort'. Bien sûr, une valeur comme ça n'en serait pas franchement une, c'est vrai. Mais même s'il faut forcément simplifier un peu (les biologistes parmi les lecteurs me pardonneront j'espère), ce que prédit l'explication de l'évolution par la sélection naturelle, c'est en fait que toute caractéristique héritable qui offre un avantage, même faible, dans un environnement donné, va y devenir plus fréquente qu'une caractéristique neutre ou désavantageante. N'importe laquelle. Et ça, ça veut dire que les caractéristiques présentes aujourd'hui le sont, jusqu'à preuve du contraire, parce qu'elles offrent ou ont offert un tel avantage. Toutes. Très probablement, donc, même nos intuitions morales, Y compris l'altruisme, la générosité, le sacrifice de soi, tout ce qui semble être tellement aux antipodes de la nature sauvage que l'évolution semble dépeindre. Et finalement, est-ce si étrange? Si l'évolution 'sauvage' peut produire des papillons et des orchidées, pourquoi pas le sens de la justice? Darwin, que ces successeurs n'ont pas toujours lu, l'avait d'ailleurs très bien compris. Car comment vouloir expliquer les origines de qui nous sommes sans se rendre compte que notre conscience morale fait partie de cela? Penser que l'évolution nous dicterait d'abandonner l'éthique, c'est à peu près comme penser qu'elle nous dicterait de marcher à quatre pattes.

Scruter nos valeurs par la lunette de l'évolution, c'est en fait tenter de mieux comprendre comment ça se fait que nous ayons cette forme-là de conscience morale. Un peu comme l'évolution explique aussi comment ça se fait que nous marchions debout. Déstabilisant? Peut-être. Si l'on a besoin de penser que notre conscience morale est dictée par Dieu, par exemple, alors oui: songer qu'elle se serait en fait affutée au fil des millénaires en se complexifiant telle un figuier, le sonar d'une chauve-souris, ou le délicat mécanisme de notre oreille interne, ça peut bousculer nos repères. Mais sur le plan strictement moral qu’importe, dès lors que nous sommes d’accords que nos valeurs nous importent. Mieux: en donnant à nos valeurs une explication biologique, l'évolution en ancre résolument les origines dans ce qu'il y a de plus inécartable en nous. On aurait presque le droit d'être un peu rassurés...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonsoir,

Excellent billet.

Sceptiquement vôtre,

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