'Mon' enfant: à quel point?

Une famille américaine défraie la chronique ces temps. Leur fils, âgé de 13 ans, est atteint d'un lymphome de Hodgkin. Heureusement, ce type de cancer est curable et la première chimiothérapie a eu l'efficacité attendue. Malheureusement, il faut plusieurs traitements pour guérir, et les parents ont refusé la suite de la prise en charge, en avançant des raisons religieuses. Ils sont adeptes d'un groupe religieux appelé Nemenhah, fondé à la fin du 20e siècle et inspiré de pratiques amérindiennes traditionnelles. Ils sont persuadés de pouvoir guérir leur fils sans avoir recours à une chimiothérapie. L'adolescent a déclaré être d'accord avec ses parents. Ses chances de survie avec la chimiothérapie sont estimées à 95%, et sans elle à 5%.

Il est probable que le moteur principal de toute cette histoire soit l'angoisse, la perte des repères qui peut accompagner l'idée terrifiante de voir un fils de 13 ans affronter une maladie qui pourrait l'emporter. Intégrer une situation pareille prend du temps, ne va pas de soi. Malheureusement rien de bien inhabituel jusque là. Mais si cette histoire soulève des passions, c'est parce qu'elle entrecroise en plus de cela plusieurs enjeux. Il y a l'appel à une tradition, au nom de laquelle il faudrait laisser cet enfant mourir...sauf que les parents réclament en fait que dans 'leur' réalité la chimiothérapie soit dangereuse et que le traitement par la nutrition guérisse le cancer. On voit mal quel tribunal pourrait au juste leur octroyer ça.

Ils se réclament aussi d'une église, et demandent une forme de liberté de pratique religieuse. Ce n'est malheureusement pas exceptionnel. Chaque fois qu'un enfant meurt parce que ses parents ont préféré prier plutôt que de le traiter, meurt essentiellement d'ignorance, donc, c'est évidemment une tragédie, dont ses parents sont finalement aussi des victimes. Et clairement la liberté religieuse ne comprend pas un droit de vie ou de mort sur un 'adepte' mineur: cet argument ne change donc pas la donne dans cette histoire.

L'argumentaire des parents mélange tout ça presque explicitement. Les déclarations de leur avocat sont d'ailleurs un magnifique exemple de mauvaise foi rhétorique où se mélangent platitudes et contre-sens. Juste un exemple: "l'amour des parents est un droit social positif que nous partageons tous". L'état, la famille, la vie privée et publique, tout y passe. Et l'amour se voit simultanément réduit à l'état de ressource pour laquelle on se verrait presque pointer comme au chômage, et élevé à une sorte d'infaillibilité. Si seulement, si seulement c'était vrai que lorsqu'on aime on ne peut jamais causer de tort...

Et le noeud de l'histoire est en fait là. Être parent et aimer ses enfants n'écarte pas le risque d'erreurs graves. Et il y a donc des limites à l'autorité parentale. Dès lors qu'on en comprend les enjeux, on a le droit de refuser pour soi-même un traitement médical, même vital. Mais s'il s'agit de votre enfant, non. Non seulement vous n'êtes pas propriétaire de sa vie, mais qui voudrait, vraiment, qu'on lui laisse une marge d'erreur aussi monumentale? Refuser un traitement vital pour son enfant, surtout dans un cas où il serait aussi efficace qu'ici, est un cas de négligence au mieux, de maltraitance au pire. Un des rôles de la justice est alors de protéger l'enfant contre ce genre de décision parentale, et les parents contre la culpabilité, en autorisant le traitement.

Et si l'enfant est assez grand pour comprendre, et pour refuser de lui-même? Ce genre de cas est plus difficile, oui. D'une part, il arrive qu'un adolescent soit réellement capable de faire ce genre de choix pour lui-même, et alors il doit effectivement être respecté. Mais d'autre part, pour pouvoir décider il faut également être libre de décider. Et cette évaluation toujours délicate l'est encore davantage lors de pressions extérieures explicites, religieuses ou non...

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