Enseigner les médecines complémentaires

Après la votation populaire du 17 mai, lors de laquelle 67% de la population à accepté de 'prendre en compte' les médecines complémentaires, les défenseurs de ces techniques frappent à la porte des universités. Pour rappel, cela faisait partie des objectifs affichés (quoique remarquablement peu commentés et encore moins discutés) lors de la votation. Extrait du document des initiants:

'Chaque médecin doit au moins se familiariser avec les principes de méthodes de traitement qui sont demandées par une majorité de la population. (...) A l'avenir, les cinq méthodes à inclure dans l'assurance de base (médecine anthroposophique, homéopathie, thérapie neurale, phytothérapie, médecine traditionnelle chinoise MCT) devraient disposer au minimum d’un poste de professeur ordinaire chacune. Les branches qui travaillent avec des médicaments auraient en outre besoin de professeurs pharmaciens (c.-à.-d. toutes, à l'exception de la thérapie neurale). Il faudrait encore deux autres professeurs pour la médecine vétérinaire complémentaire et pour la médecine dentaire globale.'

Les universités ne sont pas enthousiastes. Et comment ne pas le comprendre? Leur tâche est d'enseigner la connaissance humaine et ses limites. Pas question, donc, d'enseigner des 'connaissances' non démontrées sans expliquer clairement qu'elles ne le sont pas. La presse l'a bien compris: le seul enseignement (relativement...) facile à intégrer est un enseignement critique, qui présente les techniques non démontrées pour que les futurs médecins sachent qu'elles existent, mais souligne clairement ce qui est démontré (actuellement, fort peu) et ce qui ne l'est pas. Vus à cette lumière-là, les revendications cités plus haut semblent vite énormes.

En fait, depuis toujours, la balle est dans le camp des médecines complémentaires. Alors oui, une des difficultés est que les thérapies mentionnées dans le même souffle sont en fait très différentes l'une de l'autre. Mais s'exposer à l'épreuve de vérifications scientifiques n'est pas, pour un corpus thérapeutique entier, du crochet aux fenêtres. C'est la condition pour pouvoir être intellectuellement honnête devant des étudiants auxquels on enseignerait ces pratiques comme 'indiquées' et pas juste comme 'existantes'. Car même si, OK, un seul ne suffit pas, c'est un des critères d'une pseudo-science, ça: l'absence de vérification empirique des hypothèses proposées.

L'exemple qui a le plus fait parler, et qui a la plus large utilisation en Suisse, est sans doute l'homéopathie. Pour le prendre en exemple ici, cela tombe bien parce que cette technique est vraiment très mal étayée par des preuves scientifiques.
Pourquoi? Certains praticiens (plus rares aujourd'hui il est vrai) avancent l'impossibilité intrinsèque d'étudier les granules homéopathiques selon les méthodologies employées en médecine scientifique:

'L’un des paramètres des études randomisées conventionnelles est la nécessité de répartir les patients en groupes nosologiques (diagnostiques) bien définis : par exemple asthme, bronchite chronique obstructive, infarctus du myocarde, etc. selon des critères qui relèvent exclusivement du système étudié, ici la médecine conventionnelle. Or, un des principes est l'adaptation au patient. Il est donc contraire aux principes de l’homéopathie d’étudier l’efficacité de tel ou tel remède pour l’« asthme », ou la « bronchite chronique ». Toutes les études consacrées à l’homéopathie souffrent cependant de ce biais constitutionnel.'

Il faut avoir conscience que cet argument est faux. Ce n'est pas moi qui le dis: dans les années 90, un groupe interdisciplinaire incluant des praticiens homéopathes a conclu que c'était possible d'étudier scientifiquement leurs approches. Reste à le faire, et à avoir des résultats positifs fiables.

Il semble aussi qu'il soit possible de développer des méthodes 'taillées sur mesure' en appliquant les principes de statistique médicale pour construire des études qui respecteraient les principes de l'homéopathie. A titre s'exemple, la méthode suivante a été proposée pour montrer qu'une même granule homéopathique a fiablement le même effet chez une personne saine:

1) Demandez à un homéopathe diplômé de choisir 6 différents produits homéopathiques
2) Envoyez-les à une personne neutre, qui n'a pas d'avis sur la question et n'est ni 'pour' ni 'contre' l'homéopathie.
3) Cette personne neutre doit enlever les étiquettes et tout identifiant, pour les remplacer par des numéros. Et garder la clé de décryptage.
4) Suite de quoi elle renvoie le tout à l'homéopathe.
5) Il (ou elle) prend alors les produits un par un, en respectant un délai suffisant (à fixer à l'avance) entre chacun, et note tous les effets ressentis.
6) En se basant sur sa propre description, il note quel produit correspond, selon lui, à quel numéro.
7) On compare sa copie avec la clé de décryptage.

Ce n'est pas un essai randomisé. Mais on a seulement une chance sur 720 de deviner les six substances justes au hasard. Ce test serait donc très convaincant. Et couterait des cacahuètes.
Sa crédibilité serait encore augmentée si les investigateurs publiaient leurs méthodes à l'avance, en précisant quels seraient leurs critères de réussite ou d'échec, et s'ils décrivaient les biais potentiels et les démarches suivies pour les éviter.

Une méthode plus ou moins à la portée de chaque praticien, avec ou sans financement extérieur, et pour autant qu'il/elle soit suffisamment motivé(e) pour y passer du temps.

Alors, des volontaires?

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Vu le prix des cacahuètes je ne sais pas si c'est raisonnable de se lancer à des telles dépenses excessives. Avec une cacahuète on ferait combien de kilos de granules ? hein ?

Samia a dit…

Bonne remarque. En plein crise, où avais-je la tête???

Pascal Diethelm a dit…

Maintenant que la "prise en compte" des médecines complémentaires est acquises, des citoyens devraient pouvoir lancer une initiative constitutionnelle fédérale demandant la prise en compte des "justices complémentaires", déjà très largement pratiquées dans les faits et ancrées dans des traditions millénaires. Si l'on peut contester que la science serve d'assise à la médecine, il est tout aussi possible de contester que le droit serve d'assise à la justice. La justice complémentaire se fonde sur des principes traditionnels, tels que le droit du du plus fort, l'arbitraire, la loi du Talion, le droit divin, etc. La justice complémentaire pourrait apporter un secours considérable à la résolution de conflits, que le droit conventionnel s'avère souvent incapable de résoudre. Ainsi, face au lancinant problème de l'adultère, qui mine notre société dans ses fondements, une bonne lapidation peut s'avérer diablement efficace là où la justice traditionnelle est réduite à constater son impuissance. En y réfléchissant un peu, on saisit immédiatement tous les mérites qu'il y aurait à élargir les fondements de notre contrat social, en sortant du cadre étriqué de la science et du droit, pour y intégrer les connaissances et la sagesse millénaire des croyances. Lorsque cette intégration sera complètement réalisée, on se rendra vite compte que la science et le droit sont des concepts superflus, voire encombrants et contre-productifs, dont il faudra, à terme, envisager de se débarasser.

Samia a dit…

Voltaire, reviens!

...mais j'oubliais: il a de dignes remplaçants...
Merci pour ce commentaire.

Petros Tsantoulis a dit…

Le problème de base est la perception populaire que la science est quelque chose d'abstrait, dont le fonctionnement est mysterieux. Par exemple, il est vraiment etonnant que même aujourd'hui il y a une forte opposition à la théorie de sélection naturelle, surtout aux Etats-Unis.

La solution n'est pas d'opposer la médecine complementaire ou de l'integrer dans le cadre de la médecine traditionelle (c'est qui est méthodologiquement difficile) mais d'eduquer le publique sur ce qui est la methode scientifique et comment l'empirisme fait que les avions volent et l'aspirine fonctionne de manière rélativement reproductible (même si on y croit pas, hehe)

Plus la science avance, plus ça devient difficile aux gens non-initiés de suivre et d'accepter les résultats, souvent non intuitifs. La perte de confiance du publique vers les scientifiques doit être adressée rapidement, surtout quand il s'agit de la gestion démocratique des ressourecs (dépenses médicales) et des politiques de prevention(rechauffement climatique etc).

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