On en avait parlé en avril alors qu'il s'agissait de réflexions annoncées. Que penser de l'assistance au suicide d'un conjoint en bonne santé, si un couple formait le projet de mourir ensemble? La semaine dernière un des chefs d'orchestre les plus réputés d'Angleterre, Sir Edward Downes, est venu en Suisse accompagner sa femme auprès de l'association Dignitas. Ils étaient mariés depuis plus d'un demi-siècle. Elle, atteinte d'un cancer incurable, souhaitait mettre fin à ses jours. Lui, progressivement aveugle et surtout bientôt veuf, n'a pas voulu lui survivre. Ils sont morts ensemble.
On est frappé par l'unanimité de leur entourage sur le caractère rationnel de leur projet. Et également par le courage de leurs enfants. Car en plus de la peine qu'il y a à perdre ses deux parents en même temps, on risque en théorie la prison en faisant le voyage avec un candidat à l'assistance au suicide. Cela dit, les lois du Royaume Unis reflètent elles aussi la perplexité générale face à l'assistance au suicide. Récemment, la chambre des Lords anglais débattait d'un point tatillon mais important: faut-il décriminaliser le fait d'accompagner un citoyen britannique en vue d'une assistance au suicide dans un pays étranger? Ils ne l'ont pas fait. Mais des 117 proches ayant accompagné un citoyen britannique à Zurich en vue d'une assistance au suicide, aucun n'a été inquiété par la justice anglaise.
Cette ambivalence qui entoure le choix de mourir, il est bien sûr difficile de ne pas la partager. Les commentaires sur cette version contemporaine du pacte de suicide amoureux la révèlent d'ailleurs une fois de plus. Mourir avec son conjoint, est-ce un choix véritablement libre? La nécessaire évaluation de la capacité de discernement, difficile à se meilleures heures en cas d'assistance au suicide, prend la une tournure bien particulière. Et que signifie être amoureux, sinon que notre pensée n'est pas indépendante, mais que c'est cela même que nous considérons comme le plus fondamentalement notre?
Du coup, serait-ce là l'ultime preuve d'amour? La question est hantée de l'histoire des bûchers funéraires où les veuves étaient brûlées, parfois pour éviter l'opprobre de l'avoir refusé...Mais d'autre part, comment peut-il s'agir de 'prouver' quoi que ce soit, à l'autre, en pareilles circonstances? Et comment peut-il s'agir de raisons dont il faudrait rendre compte en public?
Car fondamentalement, notre ambivalence reflète l'un des fondements de la légalité de l'assistance au suicide en Suisse: la notion que cela puisse représenter la clôture naturelle d'une biographie, le choix qui reflète ce qui a précédé dans la vie d'un individu. Au même titre que le choix d'attendre la mort 'spontanée', de prendre ce qui reste. Admettre cela (et la plupart des pays du monde ne le font pas), c'est ancrer le choix de mourir dans nos notions, très diverses, de la bonne vie. C'est du coup accepter qu'il ne peut se réglementer que par là. On l'interdira à qui ne fait pas un choix libre (pas de pression, donc) ou authentique (pas de suicide causé par une maladie mentale, donc). On en interdira la pratique à qui ne tient pas compte, uniquement, de la valeur du choix dans la vie de la personne qui meurt. Si j'en retire de l'argent, ou tout autre avantage personnel, mon motif est donc suspect.
On devrait aussi en interdire la pratique à qui ne vérifie pas tout cela avec soin. Le canton de Zurich, qui vient de passer un accord avec l'association EXIT pour garantir justement cela, n'a pas établi d'accord similaire avec Dignitas. C'est la source, en Suisse, d'un certain malaise autour de cette association, qui reste la seule à pratiquer l'assistance au suicide auprès d'étrangers non résidents. Ce malaise n'est pas le problème de la famille Downes. Mais dans la mesure où il concerne une pratique qui s'applique à leurs citoyens, cela pourrait être en partie le problème des législateurs britanniques.
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