OK, je vous ai expliqué ici et ici pourquoi c'était un vrai problème que le diagnostic préimplantatoire (DPI) ne soit pas encore légalisé. Mais alors me direz-vous peut-être, si c'est à ce point une solution d'autoriser le DPI, pourquoi ce geste fait-il tant de débat?
Il y a plusieurs raisons. A mon avis, elles ne tiennent pas. En tout cas, elles ne tiennent pas comme raisons de continuer d'interdire le DPI. Mais c'est évidemment ici que je vais vous parler des désaccords. Dites-nous donc ce que vous en pensez dans les commentaires...
Alors allons-y:
Si le DPI soulève à ce point la controverse alors qu'il serait tellement décent de l'autoriser, c'est en partie parce qu’il touche à l’embryon. Et évidemment, le statut de l’embryon est une question qui nous divise. La loi actuelle, cependant, permet le diagnostic prénatal et l’interruption de grossesse. En d’autres termes, en interdisant le diagnostic préimplantatoire, nous protégeons davantage un embryon de huit cellules qu’un fœtus nettement plus formé de 14 semaines. Ce n’est pas défendable.
Certains craignent que l'autorisation d'analyser les gènes ne donne aux parents l'envie de choisir sur cette base un 'enfant parfait', 'zéro défauts', comme sur catalogue. Qu'ils en aient envie...sans doute: cela fait partie du fait de devenir parent, ça, d'avoir plein d'envies irréalistes et d'ensuite faire la connaissance d'une vraie personne qui est différente de tout cela et qui nous surprend. Qu'ils en aient envie, donc, oui sans doute. Mais la technique ne le permet tout simplement pas. Il faudrait pour cela être capable de tout voir dans les gènes, et ce n'est pas possible. Même si nos connaissances étaient beaucoup plus avancées, nos gènes ne nous résument en fait pas à ce point là. En plus, même en supposant qu'on puisse vraiment lire le destin entier de quelqu'un dans son génome, il faudrait ensuite un nombre immense d'embryons pour en choisir un qui soit 'parfait'. Pas possible d'obtenir autant d'ovules, c'est une limite biologique.
Le diagnostic préimplantatoire soulève aussi des craintes d’eugénisme. Mais en fait, les parents qui décident d’y avoir recours n’ont pas ce genre de motivation. En plus, il s’agit ici de leur donner des choix. On est donc loin de l’eugénisme. D'ailleurs un des problèmes de l'eugénisme était précisément l’intrusion de l’état dans des décisions reproductives personnelles. Même si on en reste de toute manière très éloigné, on s'en approche en fait plus en interdisant le DPI qu'en l'autorisant.
Certains craignent malgré cela que les parents se voient contraints par la pression sociale, que ce choix ne soit qu’une illusion. Mais alors la solution n’est pas l’interdiction du diagnostic préimplantatoire : c’est le conseil génétique non directif et la protection en consultation médicale de la liberté de choix des parents.
Certains ont aussi peur que l'autorisation du DPI ne devienne un moyen pour empêcher toujours plus d'enfants handicapés de naître. Cette crainte est touchante, parce qu'elle révèle à quel point nous exagérons le pouvoir de la génétique, et de la médecine en général. En fait, même si nous nous mettions tous à faire des enfants exclusivement in vitro et même si après cela nous avions tous recours au DPI, et encore même si nous examinions toutes les causes connues de handicap liées à la génétique, nous n'obtiendrions pas un monde sans handicap. On peut s'en réjouir ou le déplorer, mais l'important est de le constater. Un nombre croissant de handicaps sont actuellement liés à des causes qui ne sont pas génétiques. Même les causes génétiques ne sont pas toutes connues, et donc on ne sait pas les identifier. En plus, il n'est pas question d'autoriser l'examen de tous les gènes. Si le DPI est autorisé en Suisse, ce sera pour une catégorie très limitée d'anomalies génétiques. Et puis bien sûr, on ne s'attend pas vraiment à voir tout le monde remplacer subitement la procréation 'maison' par la médecine.
Finalement, les associations de défense du handicap nous rendent attentifs au risque de stigmatisation de personnes handicapées si leur maladie venait à être étiquetée comme raison de ne pas implanter un embryon. Ce souci, il faut l’entendre. La loi ne prévoit par conséquent effectivement pas de nommer de maladies mais définit à la place un cadre strict. C'est en fait ici que se situe les enjeux les plus réels. Le projet de loi a fait l'objet de discussions très nourries, et il est finalement arrivé à proposer une solution raisonnable, et très prudente, à un problème difficile. Le cadre, comme il est prévu, ne va pas faire de mal aux personnes qui vivent avec un handicap. Évidemment, on n'aura rien fait non plus pour elles avec cette loi. Leur situation restera inchangée. Cela aussi il faut l'entendre. Nous devons continuer de faire mieux, effectivement, pour donner à tous les moyens de vivre une vie entière et digne même lorsque leurs besoins sont différents.
Mais pour faire cela, continuer d’interdire le diagnostic préimplantatoire ne serait d’aucun secours. En fait, il s’agirait d’une mesure alibi. Elle serait tout juste bonne à nous donner bonne conscience à bon marché. Et on se ferait cette fausse bonne conscience sur le dos de parents déjà lourdement frappés par le sort, et de couples qui ne veulent rien d'autre qu'un enfant, tout simplement.
Nous avons donc interdit le DPI, mais en y regardant de plus près il n'y a pas de bonne raison de maintenir cet interdit. Alors en l'absence d'une bonne raison d'interdire, au nom de quoi, finalement, voudrions-nous décider à la place des couples concernés? Et voilà: une troisième raison pour laquelle il est temps de légaliser le DPI...
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