J'ai écrit récemment un billet sur un enjeu qui va nous accompagner ces prochaines années. Il est désormais possible de réaliser un dépistage, un test pour savoir si un risque existe ou non, de la trisomie 21 en testant directement l'ADN fetal qui se trouve dans le sang maternel. D'un côté, c'est un progrès. D'un autre, c'est aussi une possibilité qui permet peut-être des choix risqués.
Voici comme d'habitude le texte et le lien:
"Avant de me confier mes premières consultations prénatales, on m’avait soigneusement appris toute une série de choses. Parmi elles, le diagnostic de la trisomie 21. Dans le scénario typique, la grossesse était débutante et la consultation servait d’abord à la confirmer. Lorsqu’il s’agissait d’un événement heureux, c’était le moment du sourire au coin des yeux et des rêves tout roses. Et puis…et puis il fallait demander : En cas de trisomie 21, que feriez-vous ? Grand virage, là. On aurait presque vu les chaussons tricotés par la grand-mère virer aux images métalliques d’amniocentèse dans le regard intérieur des futurs parents. Mieux valait ne pas poser la question de but en blanc ; mais ce virage n’était pas entièrement évitable.
Le dépistage comportait déjà à cette époque une étape initiale dont le résultat était un rapport de probabilité. Inférieur à 1/200, le test était considéré comme négatif. Ce seuil atteint, l’amniocentèse était considérée comme indiquée pour les parents qui souhaitaient connaître le diagnostic. Arrivés à ce stade, il n’était cela dit plus vraiment temps de se demander si l’on voulait savoir ou non. Même pour ceux qui n’avaient pas déjà décidé d’interrompre en cas de trisomie, l’incertitude devenait souvent plus pesante que le risque lié à la ponction. Pour réfléchir posément, il fallait se poser la question avant le test initial. D’où la question durant la première consultation ; d’où le virage serré de cette fameuse conversation.
Cette conversation ne semble jamais avoir été une attitude établie pour tous. Ce n’est pas vraiment surprenant. Le test est après tout rassurant dans la majorité des cas : on peut comprendre que des confrères hésitent à troubler à ce point des futurs parents heureux. Une explication qu’un certain nombre de tests sont habituels en début de grossesse pour ‘vérifier que tout va bien’ tient lieu de consentement éclairé, et lorsque les résultats sont rassurants ça passe comme une lettre à la poste. Le hic, c’est évidemment que parfois ce n’est pas le cas. Pour ces couples-là, le moment d’une décision libre et réfléchie est alors passé avant d’être arrivé.
C’est dans ce scénario qu’arrive le dépistage non invasif de la trisomie 21, rendu possible par une analyse de l’ADN fœtal dans le sang maternel et dont la couverture par l’assurance maladie a été acceptée cet été. Que va-t-il changer ? En ajoutant à la précision du test initial, il va permettre de diminuer le nombre d’amniocentèses. Un progrès. En faisant intervenir un test ADN avant le stade invasif, il va introduire dans cette étape du dépistage les exigences qui accompagnent les analyses génétiques humaines, entre autres celle d’un conseil non directif, d’une vraie information. Là aussi, c’est un progrès.
Pourtant, ce test a fait controverse. Pourquoi ? En augmentant l’efficacité du dépistage de la trisomie 21, certains craignent que l’on n’améliore « l’efficacité » avec laquelle on empêchera dorénavant la naissance d’enfants atteints de trisomie. La crainte est ici également que ce ne soit justement ce que nous souhaitons faire.
La réalité est cependant que le test non invasif ne va pas limiter le nombre de personnes qui naîtront avec une trisomie 21. Ceux qui procèdent aujourd’hui à la démarche diagnostique continueront de le faire, avec à la clé un risque plus faible d’avoir besoin d’une amniocentèse. Ceux qui ne veulent pas savoir continueront de ne pas initier le processus. Avec l’addition d’un test génétique on peut même espérer que la décision des couples sera mieux réfléchie, et aura lieu dans de meilleures conditions. La crainte de ce test est donc exagérée, tout comme l’espoir (réel ou supposé) contre lequel cette crainte réagit. Un peu comme si nous étions des enfants, qui auraient peur de leur ami imaginaire… "
Que la crainte de cet outil technologique soit déplacée, cela ne veut pourtant pas dire que toute crainte est déplacée. Ces choix se font dans un contexte. La trisomie 21, cela fait très peu de temps par exemple que c'est reconnu comme un handicap congénital. Ne pas le reconnaître, c'est mettre les parents devant des obstacles évitables. C'est leur rendre plus difficile l'accès aux aides dont ils seront nombreux à avoir besoin, et dont leurs enfants seront nombreux à avoir besoin eux aussi pour mener une existence qui soit la meilleure possible. C'est sans doute aussi influencer leur choix devant un résultat positif lors d'un dépistage. Dans notre fascination pour les progrès technologiques, il est bon que nous n'oublions pas d'examiner aussi et parfois de corriger ce genre de chose...
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