J'ai refait un billet dans le Bulletin des médecins suisses. Cette fois, le sujet est un peu éloigné de l'éthique directement médicale, quoique. Comme vous vous le rappelez peut-être, la filiale locale de Novartis a été mise en examen il y a quelques mois par la justice grecque pour corruption et plusieurs cadres ont été entendus. Cette histoire est intéressante et mérite un deuxième coup d'oeil, car elle illustre un côté de notre vie morale dont nous n'avons pas toujours conscience.
Lorsque quelqu'un se comporte mal, fait quelque chose qu'on a de bonnes raisons d'interdire, on a le droit de blâmer cette personne et parfois de la punir. Il arrive cependant que cette personne ne soit pas seule coupable. Régulièrement, et dans toutes sortes de situations, nous devrions mieux tenir compte de ce que l'on pourrait appeler la responsabilité pour les circonstances. En agissant sur l'environnement dans lequel travaillent les personnes, on peut avoir une influence sur leurs comportements. Banal. Sauf qu'il arrive que nos actions augmentent la probabilité d'actes illicites.
Nous pouvons mettre sur pied, ou tolérer, des circonstances dans lesquelles des personnes qui savent ce qu'elle devraient faire vont en fait agir autrement. Nous pouvons encourager des personnes à mal agir. Nous pouvons rendre les actes mauvais avantageux pour elles. Nous pouvons les mettre sous pression, les encourager à avoir d'autres priorités que d'agir bien. Pas bien. Il arrive aussi que nous soyons en mesure de faire diminuer des actes illicites et que nous ne le fassions pas. Nous pouvons par exemple entretenir un climat d'impunité, où nos mauvais côtés auront la voie plus libre. Pas bien non plus. Nous pouvons faire tout cela en même temps. Un exemple tristement célèbre et plus largement commenté ici est la prison d'Abu Ghraib: si vous confiez à des soldats la tâche d'extorquer des informations à leurs prisonniers, que vous exigez des résultats, et que vous organisez la chose pour qu'elle soit très visibilement loin de toute supervision, alors les résultats sont en fait prévisibles. Dans ce cas, ils furent terrifiants et choquèrent la planète.
Bien sûr, aucune de ces considérations n'ôte carrément la responsabilité des personnes qui commettent ces actes, en tout cas dans la plupart des cas. Expliquer des actes, ce n'est pas la même chose que les excuser. Mais il y a des circonstances dans lesquelles des personnes qui n'auraient jamais commis ces actes ailleurs vont les commettre. Et si l'on est un des artisans de ces circonstances on est aussi responsable.
Ce phénomène de la responsabilité pour les circonstances, en fait il est un peu partout. Les hôpitaux doivent agir pour diminuer le risque d'erreurs médicales. Les entreprises du textile pour diminuer le risque que leurs contractants emploient des personnes dans des bâtiments qui s'écroulent. Le cas de Novartis est un exemple parmi d'autres. Mais c'est un bon exemple pour nous entrainer à reconnaître que cette responsabilité existe. Une illustration utile, en quelque sorte. Il y en aura certainement d'autres au fil des billets suivants. Mais je vais commencer avec celui-ci, il est dans le billet suivant.
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1 commentaire:
En lisant (avec plaisir, toujours) ton billet, je suis frappée par l'analogie avec la "responsabilité individuelle" brandie par celles-ceux qui refusent de mieux protéger les citoyen-ne-s contre la malbouffe, junk food et autres boissons sucrées. Quand les circonstances (au sens très large) poussent à la consommation, la rendent désirable, facile, bon marché etc. etc. ... la responsabilité individuelle n'est plus qu'une fraction de la prise de décision...
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