On reparle d'avortement

En Europe, on aurait pu croire que les choix de société étaient déjà faits. Mais le statut légal et éthique de l'avortement se retrouve tout à coup sous le feux des projecteurs.

Peut-être parce qu'aux États-Unis, à un Bush très très contre succède un Obama heureusement moins contre? Peut-être parce que le parlement européen a approuvé une motion qui appelle les États membres à 'faciliter les méthodes de contraception afin de prévenir toute grossesse non désirée et les avortements illégaux et à risque' ? Une décision sage, qui devrait être consensuelle, mais qui forcément ne l'est pas puisqu'elle pourrait encourager des pays où l'avortement est illégal à le légaliser.

Voir que l'avortement pose une difficulté morale, soit. Mais pour vouloir l'interdire, il faut quelque chose de plus. Parmi les opposants les arguments, souvent religieux, n'ont pas fondamentalement changé. Pour penser que l'avortement devrait être illégal, il faut penser trois choses: que l'embryon a un droit à la vie dès la conception, qu'une femme a vis-à-vis de cet embryon un devoir de gestation, et que cette question (pourtant controversée) doit être tranchée par l'État plutôt que laissée au choix de chacun. C'est un débat qui a tendance à se réincarner; autour de la prescription de la pilule du lendemain, à laquelle s'opposent évidemment certains militants contre l'avortement, et même de temps en temps autour de condamnations de la contraception...

Tout cela n'est pas du passé. L'an dernier en France, l'inscription des fœtus morts au livret de famille a été attribuée à un agenda visant la reconnaissance légale du statut de personne aux embryons humains. Aux États-Unis, il est vrai un pays où la vie des embryons est parfois mieux défendue que celle des adultes, le Dakota du Sud a introduit une loi exigeant que les médecins 'informent' les femmes souhaitant interrompre leur grossesse selon un script où ils doivent l'avertir que l'avortement va mettre fin à la vie d'un 'être humain complet, distinct, unique, et vivant', et qu'avec l'avortement sa 'relation en cours avec cet être humain', qui est 'protégée par la Constitution des États-Unis et les lois du Dakota du Sud' et 'ses droits constitutionnels la concernant prendront fin'. Ils doivent aussi lui dire que l'avortement comporte pour elle des risques, parmi lesquels les risques de 'dépression', 'd'idéation suicidaire et de suicide' figurent en tête de liste. Dissuasif...
...et inexact. Tout d'abords, même si c'est un mythe tenace, les femmes ayant avorté n'ont pas plus de problèmes psychologiques que les autres. Même des études bien conduites comme celle-ci, publiée l'an dernier en Nouvelle-Zélande, et résumée ici, comparent en réalité les femmes qui ont eu un avortement à celles qui n'en ont pas eu. Pas celles qui ont été dans une situation où elles ont voulu un avortement, et les autres. Difficile à étudier, ça. Ou alors il faudrait comparer les problèmes psychologiques des femmes qui ont eu le droit d'avorter, et de celles qui ne l'ont pas eu. Mais si on fait ça, les risques qui sautent aux yeux sont plutôt d'ordre physique, concrets, et urgents. En Afrique, où 80% des pays interdisent l'avortement, 4.2 millions d'avortements de rue sont pratiqués chaque année, et sont à l'origine de 12% de la mortalité liée à la grossesse. Des pays comme le Mozambique envisagent désormais de légaliser l'avortement pour sauver ces vies. Au Cameroun, où l'avortement est illégal, les médecins sont d'autant plus en faveur de le pratiquer qu'ils ont plus d'expérience clinique. Les plus expérimenté ont vu les victimes des avortements pratiqués par des 'amateurs'...

Les arguments selon lesquels l'avortement légal, ou la contraception, seraient dangereux pour la santé doivent toujours être remis dans ce contexte: ils comportent moins de risque pour la santé qu'un avortement illégal. Ils sont in fine même moins dangereux que la grossesse menée à terme. Vouloir interdire l'avortement pour sauvegarder la santé des femmes est un détournement conceptuel qui tente de passer en contrebande sous la blouse blanche une opinion qui n'a en fait rien à voir avec ça.

Non, quitte à s'opposer à l'avortement, il est plus honnête de franchement opposer l'intérêt du fœtus aux intérêts et aux droits de la femme enceinte. Une réflexion qu'apparemment, les personnes qui militent contre l'avortement ont du mal à intégrer. Dans une vidéo impressionnante on leur demande, puisqu'ils pensent que l'avortement devrait être illégal, quelle punition ils trouveraient juste pour les femmes qui l'auraient quand même pratiqué. La plupart ne s'est jamais posé la question. D'autres répondent en substance qu'il faudrait faire de l'avortement un crime sans punition. En d'autres termes ils n'ont en fait jamais songé que lors d'un avortement, il y avait aussi une femme 'à bord'. C'est sans doute bien pratique pour eux, mais comme compréhension d'un choix difficile dans la vraie vie on fait mieux...

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