Nos identités génétiques

Dans les films, il arrive qu'une personne s'éveille à l'hôpital frappée d'amnésie en murmurant 'où suis-je?'. Mais il a fallu que la réalité rattrape la fiction pour voir arriver des personnes posant au médecin, au laboratoire, de plus en plus à une véritable industrie du test génétique, une autre question: 'Dites-moi, qui suis-je?'

Car avec le développement de tests génétiques de plus en plus étendus, mais aussi avec le développement d'un marketing de plus en plus féroce et qui s'adresse souvent directement au consommateur, on voit surgir des fantasmes.

Alors bon, le commentaire scientifique se doit de préciser que lorsqu'on teste la présence d'une variante génétique, il y a toutes sortes d'incertitudes: la variante est-elle effectivement présente? Après tout un test parfait ça n'existe pas. La variante est-elle associée à quelque chose, comme une caractéristique ou une maladie? Ce n'est pas toujours le cas. Si c'est le cas, quelle est la probabilité que cette caractéristique ou cette maladie soit présente chez la personne qui porte la variante génétique? Après tout, nos gènes ne sont pas notre destin, un tas d'autres facteurs sont à l'œuvre, bref il y a souvent loin du gène à la vie quotidienne. Les vendeurs ne le précisent pas.
Mais ça n'empêche pas d'acheter du rêve, avec au centre celui de se connaître (enfin!) soi-même... à travers l'analyse de son génome.

Le commentaire bioéthique, c'est que cette question se pose, en génétique comme ailleurs, avec passablement de confusions. A la question 'qui es-tu?', il y a plusieurs types de réponse. L'une d'entre elles est de décliner des caractéristiques personnelles. Suis-je plutôt quelqu'un de déconcentré, d'intelligent, quelle est mon aversion au risque d'erreur? Vais-je attraper le diabète, une thrombose? Certains sites offrent en ligne des tests et promettent des réponses. On scrute les résultats comme des horoscopes, parfois avec la même fiabilité. Avec en prime l'impression 'que tout ça est scientifique'.
On a l'impression que l'ADN tient des réponses, mais en fait pas vraiment. En tout cas pas sous cette forme. Si certaines maladies peuvent être dépistées ou diagnostiquées par le biais de tests génétiques, cela nécessite plus qu'une version en ligne: une véritable consultation et une intégration d'informations propres au patient dans le choix d'un test par un spécialiste. Sans cela, scruter l'ADN peut tourner au gag de l'automobiliste qui lit son horoscope pour voir s'il aura un accident, au lieu de regarder la route. Comme le résume un journaliste avec ironie, 'J'étais génétiquement en grande forme, et je n'avais même pas été au fitness récemment!'.
Nos gènes ne sont pas non plus une version biologique de notre âme. Que ferai-je si mon ADN me promet une grande capacité de concentration et que je constate que je me laisse constamment zapper par tout ce qui bouge? Je passerai sans doute à autre chose...

Une autre manière de cerner son identité est de se situer dans sa famille. La réponse la plus 'simple' qu'apportera la génétique est de savoir...si mes parents biologiques sont ceux que je crois. Tout sauf simple, en fait. Car comment dire de ceux qui m'ont élevés qu'ils ne seraient 'pas mes parents'. Le même problème hante les tentatives de limiter le regroupement familial aux personnes génétiquement apparentées. Les gènes et les familles, ça ne se recoupe pas toujours.

Une variante de cette manière de voir l'identité est de décliner ses ancêtres. On est le fils ou la fille de quelqu'un, qui descend de quelqu'un, etc. Les généalogies bibliques ou celles des tribus de Somalie, d'Afghanistan, ou de certaines de nos villes, mettent ainsi en avant la même forme d'identité. Dans cette version, ne pas connaître sa lignée est un problème. A témoin, la large offre commerciale promettant aux descendants de la diaspora africaine de l'esclavage de retrouver la trace de leurs origines au cœur de leurs noyaux cellulaires. La génétique semble apporter une réponse, elle trouve donc vendeurs et acheteurs. Ce que ces sites ne mentionne pas, c'est qu'à raison de deux parents, quatre grand-parents et ainsi de suite, nous avons tous accumulé en 5 siècles (environ 20 générations) plus d'un million d'ancêtres. Voilà qui rend l'identification d'une région spécifique spéculative, et un peu illusoire.

Mais en même temps, ce phénomène révèle qu'il y a finalement quand même une réponse à notre question, à la fois minuscule et immense:
Génétiquement, vous êtes un membre de l'espèce homo sapiens, vous partagez des ancêtres avec la totalité de la population du globe, vos ancêtres ont probablement vécu sur plusieurs continents, certainement parlé une multitude de langues dont certaines existent encore aujourd'hui sans que vous soyez du tout capable de les comprendre.
Toutes les différences que regarde la génétique ne concernent de toute manière qu'une toute petite partie de nos génomes. C'est une des plus belles choses qui soit: scruter les résultats de la génétique humaine, c'est constater l'absence totale d'importance du tribalisme en termes biologiques. C'est aussi une des pires: voir à quel point l'idée est tenace et parfois meurtrière malgré tout. Mais là ce n'est plus de la génétique.

En bonus, vous êtes apparenté à toutes les formes de vie découvertes à ce jour. C'est finalement ça, la réponse à l'idée que la génétique irait de pair avec la 'culture individualiste' par le biais de la connaissance de soi. Aucune connaissance de soi en génétique sans voir émerger l'interconnexion de toute la vie.

Et oui bien sûr, il y a une troisième réponse: analyser mon génome permet de répondre à une foule de questions, mais pas vraiment à celle que je me posais au début.

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